Déclaration de Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, sur les urgences hospitalières et les soins non programmés, au Sénat le 4 octobre 2022.

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  • Agnès Firmin Le Bodo - Ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Texte intégral

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les urgences hospitalières et les soins non programmés.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

(…)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis honorée de m’exprimer devant le Sénat sur un sujet qui nous tient tout particulièrement à cœur et qui est au centre des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens, à l’occasion de ce débat sur les urgences hospitalières et soins non programmés.

Les difficultés que cristallisent les urgences sont le symptôme aigu d’une crise plus large qui touche l’ensemble de notre système de santé, celle de l’accès aux soins. Les urgences sont ainsi le point de convergence des fragilités structurelles qui parcourent notre système de santé – démographie médicale inadaptée, difficultés d’articulation entre la médecine de ville et l’hôpital, perte d’attractivité et de sens de certains métiers, désertification médicale.

Ce système de santé doit pourtant, à bien des égards, faire notre fierté. En effet, nous pouvons être fiers des valeurs d’égalité et d’universalité sur lesquelles il est fondé.

Nous pouvons aussi être fiers d’un système qui a fait preuve d’une remarquable résilience pendant les vagues successives de covid qui ont ébranlé notre pays. À ce titre, je considère qu’il n’est pas excessif de saluer une fois encore la mobilisation exemplaire de nos soignants.

La crise des soins non programmés et les difficultés d’accès mettent en péril l’essence même de ce système de santé, qui est notre héritage commun. Nous nous devons d’entreprendre les réformes nécessaires pour le préserver, autant pour faire face aux défis du présent que pour les générations à venir.

Dans cette perspective, la première urgence consiste assurément à repenser l’organisation de la prise en charge des soins non programmés. Les attentes des professionnels de santé, comme de nos concitoyens, sont fortes et légitimes en la matière.

Le Gouvernement a répondu présent dès son installation. Les quarante et une mesures opérationnelles de la mission flash menée par le médecin urgentiste François Braun, avant sa nomination comme ministre, ont permis de mobiliser des leviers nouveaux pour répondre aux défis immédiats des urgences durant la période cruciale de l’été. Je le dis sans triomphalisme et avec la gravité qui sied à ce sujet : la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu et notre système de santé a globalement tenu.

Certes, cela ne fut pas sans effort et nous devons avant tout saluer la mobilisation des professionnels et des administrations impliqués dans la mise en œuvre de ces mesures transitoires, dont certaines pourraient être rapidement pérennisées.

En effet, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) vient de remettre un rapport d’évaluation de ces solutions. Nous sommes en train d’en instruire les données et nous réunirons une nouvelle fois le comité de suivi, dans une dizaine de jours, pour travailler sur les dispositions à conserver.

Nous pouvons cependant déjà tirer un bilan positif de ces mesures. Elles ont permis de mobiliser les professionnels dans une logique de responsabilité collective, partagée entre la ville et l’hôpital. Elles ont aussi contribué à sensibiliser nos concitoyens à la fragilité du système de santé, en général, et des soins non programmés, en particulier, générant de premiers changements notables de comportement chez les Français, notamment dans le recours aux urgences et l’appel préalable au 15.

Une idée forte de cette mission, sur laquelle je tiens à insister, est de retrouver le sens de ce que signifie le mot « urgence ». Une urgence médicale se définit en des termes précis, qui la distinguent par nature d’un soin non programmé. C’est une « situation requérant une intervention médicale immédiate afin de secourir une personne dont le pronostic vital ou fonctionnel est susceptible d’être engagé ».

L’urgence relève ainsi nécessairement d’une décision médicale et répond à des critères stricts et limitatifs. Or, au cours des vingt dernières années, le nombre de passage aux urgences a plus que doublé. Nous le savons, les patients qui se présentent aux urgences sont en partie – et même souvent – ceux qui ne pourraient pas avoir accès autrement à notre système de santé, parce qu’ils n’ont pas de médecin traitant ou parce qu’ils ne parviennent pas à obtenir un rendez-vous dans un délai rassurant. C’est en cela que les urgences sont, comme je le disais, un symptôme du malaise que nous connaissons.

Elles sont en quelque sorte victimes de leur succès et cela pèse sur la sécurité des patients. L’inflation du recours crée des situations d’engorgement et le temps de passage dans les services a de ce fait beaucoup augmenté.

Il n’est pas question de limiter ou de restreindre de quelque manière que ce soit l’accès aux soins et encore moins de filtrer ou de trier les malades, comme certains ont pu le laisser entendre, parfois sous l’effet d’une inquiétude légitime, parfois guidés par des raisons politiques.

Il s’agit donc de replacer chacun dans son rôle, le long de la chaîne de prise en charge, afin d’être en mesure de proposer à chaque patient le parcours de soins le mieux adapté à sa condition. Concentrer les urgences sur leur cœur de mission et leur plus-value nécessite de mettre en place, comme nous l’avons fait, un travail de régulation pluridimensionnel.

Garantir une meilleure orientation dans le système de santé, tel a été l’objet d’une campagne de sensibilisation sur le bon usage des services d’urgence.

Il est en effet important de faire évoluer les mentalités, d’où cette campagne menée depuis plusieurs mois pour inciter nos concitoyens à contacter d’abord le 15 pour être orientés vers la solution la mieux adaptée à leur problématique de santé. Pour reprendre un slogan de l’assurance maladie que nous avons tous encore à l’esprit : « Les urgences, c’est comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique. »

M. François Bonhomme. Bravo ! L’imagination est au pouvoir. (Sourires.)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Cet effort de pédagogie va de pair avec une mise à niveau des effectifs d’assistants de régulation médicale (ARM) dans les services d’aide médicale urgente Samu-Centre 15 et un renforcement du déploiement des services d’accès aux soins. Leur ouverture à l’ensemble des professionnels de santé favorisera notamment le développement des filières directes de prise en charge dans d’autres spécialités médicales.

En effet, la régulation des urgences est un sujet transversal qui dépasse les murs des hôpitaux et doit mobiliser l’ensemble du système de soins, par l’optimisation du temps médical et l’augmentation des capacités de réponses non programmées en ville.

Le comité de suivi de la mission flash nous a permis d’avoir, en continu, un tour d’horizon du déploiement de l’application et de l’effet de nos mesures en ce sens.

Ainsi, nous savons que les mesures dérogatoires prises à l’été dernier ont facilité le recrutement d’assistants de régulation médicale. Ces professionnels ont pu orienter les patients dont l’état le justifiait vers des cabinets médicaux en ville ou des maisons médicales de garde. Le nombre de celles qui restent ouvertes le samedi matin a quasiment doublé sur la période considérée.

Sur prescription de la régulation, les ambulanciers ont été mobilisés pour assurer un transport sanitaire des patients vers ces structures.

Preuve de la nécessité du renforcement des effectifs et du succès de la démarche, le taux de recours au 15 a augmenté de 20 % au cours de l’été. L’appel au 15 tend à devenir un réflexe, comme nous le souhaitons.

Nous avons assumé la responsabilité d’absorber cette hausse, notamment en donnant toute leur place aux médecins libéraux régulateurs. Le renforcement des équipes de régulation est donc une mesure que nous inscrirons dans le temps long, dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.

Nous le ferons grâce à deux leviers. D’une part, nous encouragerons la reprise d’activité des médecins retraités sur des activités de régulation médicale téléphonique, en les faisant bénéficier du régime simplifié des professions médicales pour faciliter leurs démarches administratives ; d’autre part, nous permettrons à tout médecin participant à la régulation en dehors de la permanence des soins ambulatoires de bénéficier de la couverture assurantielle de l’établissement support du centre de régulation, afin qu’ils n’aient pas à souscrire individuellement un contrat d’assurance – il s’agit là d’une revendication ancienne.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale comporte une autre mesure forte liée aux urgences, qui est l’exonération du ticket modérateur sur les transports sanitaires urgents pré-hospitaliers. Elle s’inscrit dans notre politique volontariste en faveur de l’accès aux soins, dans un contexte d’urgence, en supprimant le reste à charge des bénéficiaires qui n’auront plus rien à débourser.

Tout cela est efficace, puisque le nombre de passage aux urgences, toutes causes confondues, a diminué dans une proportion de 5 % à l’été 2022 par rapport à l’année précédente. C’est un progrès concret et une tendance encourageante que nous devons confirmer et approfondir.

Un autre chantier majeur sur lequel il nous faut œuvrer porte sur la pénibilité du travail de nuit que la mission flash sur les urgences et soins non programmés a reconnue pour la première fois. Celle-ci a été mieux valorisée, grâce à la majoration des indemnités de nuit pour les personnels non médicaux et à la majoration des indemnités de garde pour les personnels médicaux.

Je tiens également à souligner que la hausse du point d’indice…

Mme le président. Madame la ministre déléguée, il faut conclure.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Avec le ministre de la santé et de la prévention, nous nourrissons l’ambition de fonder un nouveau modèle pour répondre toujours mieux aux besoins de santé de nos concitoyens, partout sur le territoire, aujourd’hui et demain. Je vous invite donc à participer au Conseil national de la refondation pour la santé (CNR Santé) qui aura lieu dans chacune de vos régions.


- Débat interactif

Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Patricia Schillinger. Affaibli par deux années de crise sanitaire, notre système de santé a connu cet été une situation de tension majeure : les services d’urgence étaient sur le point de ne plus pouvoir assurer la continuité des soins durant la période estivale.

Si les difficultés rencontrées par ces services ne sont que le symptôme d’une crise plus large touchant notre système de soins hospitaliers, il a fallu rapidement trouver des solutions. La mission flash commandée par le Président de la République a ainsi formulé de nombreuses recommandations. L’une d’entre elles visait à réguler les entrées au service d’urgence en orientant les patients dont l’état de santé ne relevait pas de la médecine d’urgence vers une offre de soins adaptée. La désertification médicale aggrave l’engorgement des urgences. Ainsi, de nombreux patients se tournent vers elles pour des soins qui pourraient être dispensés par la médecine de ville ou d’autres professionnels de santé.

Une autre recommandation de la mission tendait à accroître le recours à la télémédecine, dont la pertinence et les bienfaits ont été mis en évidence durant la crise sanitaire. Plus largement, le numérique constitue un vivier d’outils potentiels, qui demeurent en France largement sous-exploités. En s’appuyant largement sur ces nouveaux outils, le Danemark a favorisé une utilisation complémentaire de l’hôpital et de la médecine de ville, tout en préservant l’universalité et l’accessibilité du système.

Madame la ministre, quelle place entendez-vous accorder à l’innovation numérique en vue de la nécessaire transformation de notre système de santé ? Poursuivrez-vous le développement du recours à la télémédecine afin de répondre de manière pérenne à la crise des urgences ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Comme vous l’avez rappelé, madame la sénatrice Schillinger, le recours à la télémédecine s’est beaucoup développé depuis le début de la crise sanitaire.

Je crois que nous pouvons utilement nous inspirer de l’expérience danoise que vous citez. Dans un rapport consacré à l’évaluation des mesures appliquées cet été, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) a mené un travail de comparaison avec le système danois, dans lequel la régulation préalable est une condition d’accès aux urgences.

Les téléconsultations constituent non seulement un outil intéressant pour favoriser l’accès aux soins dans les territoires les moins bien dotés, mais aussi une facilité supplémentaire pour tous. Le Gouvernement a d’ailleurs soutenu leur développement, puisque celles-ci ont été prises en charge à 100 % du début de la crise sanitaire jusqu’au 30 septembre 2022. En 2021, elles ont représenté environ 5 % du nombre total des consultations des médecins généralistes.

Les mesures prises durant l’été 2022 faisaient suite aux recommandations de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés : le recours aux unités mobiles de téléconsultation a ainsi été encouragé. (MM. François Patriat et Julien Bargeton approuvent.)

Lorsque les situations ne relèvent pas de l’urgence vitale, une infirmière se rend au domicile du patient afin d’organiser la téléconsultation et assurer un premier niveau de prise en charge, si nécessaire. Le rapport de l’Igas souligne l’intérêt de ces téléconsultations dans ces situations ; dans 75 % des cas, celles-ci ne sont pas suivies par un passage aux urgences ou par une hospitalisation.

Il convient toutefois de maîtriser le développement de la télémédecine, car une prise en charge physique doit toujours être garantie en cas de soins urgents ou non programmés. Par ailleurs, cette pratique ne doit pas se traduire par une diminution du nombre de médecins implantés dans les territoires au profit d’une pratique exclusivement digitale. Enfin, nous devons lutter contre les dérives nées du recours à la téléconsultation : dans le PLFSS pour 2023, le Gouvernement a limité la prescription des arrêts de travail aux seuls médecins traitants ou à un médecin déjà connu du patient, face aux abus constatés parfois. (Mme Patricia Schillinger et M. François Patriat applaudissent.)

Mme le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou.

Mme Annie Le Houerou. Personnels épuisés et surmenés, accroissement des départs en cours de carrière, difficultés de recrutement : l’hôpital public traverse une crise sans précédent.

Malgré les revalorisations salariales, la dégradation des conditions de travail, à laquelle s’ajoute la difficulté d’accès aux soins en ville, provoque l’engorgement voire la saturation des urgences et la fermeture de services.

La permanence de l’accès aux soins étant menacée au début de l’été, vous avez instauré un plan pour les urgences et pour les soins non programmés. Selon vous, celui-ci regroupait des réponses rapides et fortes. Régulation de l’accès aux urgences, via le 15, plus grande disponibilité demandée à des professionnels déjà très éprouvés, mobilisation des personnels hospitaliers grâce à des majorations de rémunération et recherche d’une meilleure coordination d’acteurs déjà très sollicités : autant de réponses conjoncturelles visant à faire passer l’été à notre système de santé. L’été est passé. Parfois, le pire a été évité, mais cela n’a pas toujours été le cas. Je tiens à témoigner notre grande reconnaissance au personnel soignant pour son dévouement et sa mobilisation sans faille.

Toutefois, les recommandations de la mission flash sont insuffisantes et ne permettent pas d’assurer un fonctionnement sécurisé optimal en vue d’une prise en charge de qualité. Les difficultés rencontrées sont le signe d’une crise du système de soins et de l’hôpital.

Madame la ministre, quelles sont vos propositions afin de garantir un accès pérenne et durable aux soins pour tous, quel que soit l’endroit du territoire national ? Organiser une concertation au travers du Conseil national de la refondation (CNR) dans des réunions rassemblant 400 personnes en vue d’imaginer des solutions innovantes, comme au Mans hier, ne me paraît pas être une méthode efficace.

Nous souscrivons tous à votre diagnostic : il est urgent d’engager la refondation de notre système de santé afin que celui-ci serve d’abord les patients et qu’il permette aux soignants d’exercer sereinement. Madame la ministre, quel est votre calendrier et quelles sont vos priorités d’action ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Le Houerou, nous devons répondre à cette question de manière globale, en ne regardant pas seulement le fonctionnement des urgences.

Parce qu’ils se situent à la jonction des difficultés de la médecine de ville en amont et des services hospitaliers en aval, les urgences font face à des tensions majeures reflétant les difficultés de notre système de santé. Afin d’améliorer la situation de manière durable, nous devons mieux répondre à la demande croissante de soins non programmés et non urgents, qui contribuent à l’engorgement massif de nos urgences.

Les services d’accès aux soins (SAS) se déploient progressivement sur le territoire national. Ils ont vocation à aider les citoyens à s’orienter dans le système de santé. Lorsqu’un patient est confronté à un besoin de soins non programmés et qu’il n’a pas accès à son médecin traitant – ou s’il n’en dispose pas –, le SAS facilite un contact téléphonique avec un professionnel. Ce dernier lui fournira un conseil médical, lui proposera une téléconsultation ou l’orientera selon son état de santé vers une consultation de soins non programmés en ville, vers un service d’urgence ou déclenchera l’intervention d’un service mobile d’urgence et de réanimation (Smur).

Lorsque le médecin traitant ou un médecin de proximité n’est pas disponible en première intention, les SAS visent à apporter une réponse pour des besoins en soins urgents ou non programmés sous quarante-huit heures. Ils reposent sur la création, au sein d’un même territoire, d’une chaîne de soins lisible et coordonnée entre les acteurs de santé de l’hôpital et de la médecine de ville. Cela suppose une gestion commune des appels des patients entre les médecins urgentistes et les médecins généralistes, ainsi qu’une mobilisation des médecins généralistes effecteurs prenant en charge durant la journée les patients ayant fait l’objet d’une régulation préalable par le SAS. Il est nécessaire d’accélérer le déploiement des SAS sur l’ensemble du territoire national en 2023.

Nous devons aussi améliorer l’attractivité des métiers afin de favoriser le maintien des professionnels de l’urgence dans leur domaine d’activité. La solution n’est pas unique : nous développerons un panel de mesures qui sera décliné dans chaque territoire. Certes, le CNR a été installé hier devant 400 personnes. Toutefois, la méthode de travail se fonde sur des ateliers qui regroupent 15 à 20 personnes travaillant pour apporter des solutions, comme ce fut le cas vendredi dernier au Mans.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Avec plus de 20 millions de passages par an, les services des urgences des hôpitaux sont confrontés à de graves problèmes d’engorgement, en raison d’un manque criant de médecins généralistes et d’une pénurie de personnel hospitalier qui démissionne massivement pour ne plus subir la maltraitance institutionnelle de décennies d’austérité en matière de moyens humains et financiers.

Chaque année, nous formons 10 000 médecins, le même nombre qu’en 1975. Or, madame la ministre, depuis quarante-sept ans, la population a augmenté de 30 %. Les besoins sont plus importants, car celle-ci a vieilli et souffre de polypathologies.

Le Président de la République a confié au docteur Braun – avant que celui-ci ne devienne ministre – une énième mission flash, dont j’avais, avec mon groupe, critiqué l’utilité puisque les constats et les solutions de remplacement sont connus depuis des années. Les rapports, y compris ceux du Sénat, ont tous souligné le désengagement financier de l’État dans les hôpitaux. Or, à entendre le ministre Braun, la boîte à outils comprenant 41 recommandations a permis de sauver le système, alors que ce sont bien les personnels qui l’ont sauvé, au prix d’un épuisement et d’une dégradation subie des conditions de prise en charge des malades. (Mme Marie-Noëlle Lienemann et Mme Émilienne Poumirol approuvent.)

Madame la ministre, que pensez-vous de notre proposition de créer un service public de soins primaires construit autour d’un réseau de centres de santé pluriprofessionnels ? Allez-vous rétablir l’obligation de permanence des soins pour tous les médecins – y compris les spécialistes exerçant dans le privé –, tant en médecine de ville qu’à l’hôpital ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Cohen, la boîte à outils et ses 41 mesures d’urgence ont permis de tenir bon. Nous l’affirmons avec humilité.

Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas grâce à vous, mais grâce au personnel hospitalier !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. La boîte à outils a permis de tenir bon, grâce à l’investissement des personnels – je crois l’avoir dit très clairement.

La place des centres de santé dans la permanence des soins doit être renforcée. Nous avons commencé à en parler avec leurs représentants qui, s’ils souscrivent au principe d’une participation, mettent en avant deux difficultés.

Premièrement, l’ouverture d’un centre de santé aux horaires de la permanence des soins nécessite une logistique lourde, car il faut également ouvrir l’accueil et les services nécessaires au bon fonctionnement de la structure, même si un seul cabinet médical assure la permanence. Celle-ci pourrait être effectuée dans une maison médicale de garde.

Deuxièmement, la rémunération de l’astreinte : les personnels intervenant dans ces centres de santé sont salariés et les rémunérations sont aujourd’hui versées à l’employeur.

Ces sujets ne sont pas insurmontables. Nous souhaitons travailler en concertation avec les représentants des professionnels de santé en vue de trouver les voies et les moyens afin que les centres de santé soient mieux insérés dans la permanence des soins. Le principe est clair : nous souhaitons que tous les médecins d’un territoire y participent de manière équitable pour mieux partager l’effort et faire vivre cette logique de responsabilité collective.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, je me réjouis que vous souteniez l’effort des centres de santé. J’espère que vous favoriserez leur développement dans tous les territoires – cela représenterait déjà une première avancée.

J’ai bien noté que vous alliez engager des discussions afin que des gardes soient assurées par des médecins travaillant dans le secteur privé : c’est une bonne chose. Je crois que le décret de 2003, dit Mattei, devrait être abrogé.

Madame la ministre, il faut agir en amont, car 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant. Il faut aussi agir en aval, car la suppression de 4 300 lits en 2021 – correspondant au dernier chiffre que vous avez publié – n’est pas de nature à nous rassurer. Au lieu de vous abriter derrière les 41 mesures de cette mission flash, il faut vraiment aller plus vite et plus loin : il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Comme beaucoup l’ont souligné, force est de constater deux réalités : d’abord, l’engorgement des services d’urgence, avec des conséquences en chaîne sur l’hôpital et sur la qualité de vie au travail des soignants ; ensuite, le problème d’accès aux soins dans les territoires.

Face à ces difficultés, je voudrais mentionner le rapport d’Élisabeth Doineau relatif à la proposition de loi visant à répondre à la demande des patients par la création de points d’accueil pour soins immédiats (Pasi).

Madame la ministre, je rappelle que ces Pasi n’auraient pas vocation à ajouter un étage au millefeuille puisqu’ils s’appuieraient sur les structures existantes.

Les dispositions de cette proposition de loi permettraient aux directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) de labelliser pour cinq ans, sur l’initiative des soignants, des structures destinées à prendre en charge des soins non programmés. La création de ces points d’accueil serait soumise à plusieurs conditions, en particulier leur inscription dans un projet territorial de santé ou le projet d’une ou plusieurs communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

Les Pasi assureraient une prise en charge intermédiaire entre le cabinet médical et le service d’urgence pour des soins ne relevant pas de l’urgence médicale, comme la petite traumatologie. Ils contribueraient ainsi à la permanence des soins. Le cas échéant, le service d’aide médicale urgente (Samu) pourrait orienter les patients soit vers un Pasi, soit vers les services d’urgence.

Avec mes collègues du groupe Union Centriste, je souhaiterais savoir, madame la ministre, si le Gouvernement conserve, comme le précédent, un avis favorable sur ce dispositif, voire s’il envisage de se l’approprier ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Guidez, il est nécessaire d’améliorer la réponse aux soins non programmés, car celle-ci manque de visibilité pour nos concitoyens, même si les SAS, en cours de déploiement, facilitent l’accès à une consultation de ce type.

La loi développant les Pasi contient des éléments intéressants afin de rendre les solutions de remplacement aux urgences plus visibles.

Il convient cependant de veiller à ne pas spécialiser les professionnels de santé dans la réponse aux soins immédiats. Selon les premiers constats, certains centres de soins immédiats n’assurent pas le rôle du médecin traitant. Or, face au développement des pathologies chroniques, nous devons consolider la place du médecin traitant et le tenir informé.

Les Pasi doivent découler d’un projet d’organisation partagé entre tous les acteurs d’un même territoire. Il paraît important que ces points d’accueil émergent plus particulièrement au sein des CPTS, en étroite articulation, et non en concurrence, avec les organisations ambulatoires et les établissements du territoire.

Il convient aussi d’éviter que ce type de structure ne constitue un appel d’air pour les médecins urgentistes, alors même que les services d’urgence font face à des difficultés de recrutement.

Enfin, pour améliorer la réponse aux soins non programmés, je souhaite que nous puissions trouver des solutions locales favorisant la participation du plus grand nombre de professionnels de santé aux dispositifs de permanence des soins, plutôt que celles conduisant à la spécialisation d’un petit nombre d’entre eux. Notre proposition vise à mieux encadrer les structures qui se spécialisent dans le soin immédiat.

Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Ma question porte également sur les centres de soins non programmés – ou centres médicaux de soins immédiats (CMSI) –, dont l’installation a commencé dans de nombreux territoires. Ceux-ci prennent en charge sans rendez-vous les patients aux pathologies peu graves. Ils ont à leur disposition du petit matériel technique et évitent, la plupart du temps, un passage aux urgences.

Sur l’initiative du groupe Union Centriste et à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale, nous en avions débattu voilà deux ans. À l’époque, je n’y étais pas particulièrement favorable.

Un an après la présentation du plan Ma santé 2022 et alors que le Ségur de la santé était en cours d’installation, nous avions toutes les raisons d’espérer. Depuis, malheureusement, la situation ne s’est pas vraiment améliorée. Ce week-end, une jeune fille de 18 ans a passé plus de trente-six heures aux urgences de l’un des hôpitaux de mon territoire pour un problème de vertèbre seule sur un brancard – je ne parle bien sûr pas d’un lit dans un box. La situation est complexe ; les soignants ont estimé qu’ils n’avaient jamais vécu un week-end aussi difficile.

Dans ce contexte, toutes les initiatives visant à mieux prendre en charge le bon patient au bon endroit doivent être soutenues. Toutefois, le modèle des CMSI divise. Le ministre François Braun n’a d’ailleurs pas caché ses réticences sur le sujet. Certes, ces prises en charge s’effectuent hors parcours de soins – comme aux urgences d’ailleurs. Je reconnais que le modèle économique de ces centres est peu satisfaisant pour le moment et que des professionnels ont parfois renoncé à leur pratique hospitalière pour des conditions de travail plus acceptables.

Je souscris à votre analyse : les CMSI peuvent trouver leur place dans le paysage sanitaire et dans l’offre de soins de chaque territoire à condition qu’une concertation aboutisse à bâtir un modèle pérenne pour ces structures.

Madame la ministre, quelles sont les intentions du Gouvernement pour que les CMSI s’intègrent dans notre système de santé sur le fondement d’un modèle accepté par l’ensemble de la chaîne de soins ? (Mme Marie Mercier applaudit.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Guillotin, les CMSI sont relativement similaires aux Pasi évoqués précédemment par votre collègue.

Comme je l’ai déjà dit, leur développement peut être bénéfique : je pense aux centres temporaires, souvent créés durant l’été sur l’initiative de personnels de santé libéraux désireux d’offrir une offre de soins non programmés afin de soulager les tensions dans les services d’urgence.

Toutefois, ces initiatives peuvent également avoir des effets regrettables en spécialisant des ressources médicales sur des prises en charge aiguës et en délaissant les patients ayant besoin d’un suivi chronique. C’est là un véritable écueil : certains médecins exerçant dans ces centres ont clairement refusé de devenir médecins traitants des patients, alors que nous entendons placer ceux-ci au centre des parcours de prise en charge.

Mme Laurence Cohen. Et les six millions de Français qui n’en ont pas ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Les CMSI doivent découler d’un projet d’organisation partagé entre tous les acteurs d’un même territoire. Ces projets doivent s’articuler autour des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ; sans doute la prise en charge des soins immédiats serait-elle alors plus effective.

Je le répète : ce type de structures ne doit pas constituer un appel d’air pour les médecins urgentistes, alors même que les services d’urgence font face à des difficultés de recrutement. Vous avez d’ailleurs vous-même insisté sur ce point, madame la sénatrice. Nous entendons travailler à un meilleur encadrement de ces structures spécialisées dans le soin immédiat.

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone. Le 11 juillet dernier, un pic de 310 admissions a été enregistré en une seule soirée au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice. Ce flux a pu être régulé in extremis grâce au filtrage médical efficace du Samu des Alpes-Maritimes : celui-ci a réorienté les patients vers cinq autres hôpitaux du département ou vers des cliniques privées.

De grandes inquiétudes ont plané tout l’été. La saturation quotidienne des services, déjà bien réelle, a été aggravée par la forte affluence estivale. Malgré l’engagement sans faille de l’ensemble des professionnels de santé qui œuvrent avec dévouement pour soigner au mieux toutes les personnes qui se présentent au CHU, la situation reste très préoccupante. L’organisation des services, marquée par les sous-effectifs, fait craindre à tout moment un défaut de vigilance médicale. Les professionnels de santé souffrent d’une charge de travail toujours plus grande. L’inacceptable devient banal, puisque certains patients restent plusieurs heures sur des brancards.

À cela s’ajoutent les violences dont sont victimes les professionnels de santé, principalement en raison du temps d’attente subi par les patients. Plusieurs agressions ont été constatées à l’hôpital Pasteur du CHU de Nice, à l’hôpital Lenval et aussi à Cannes.

Non, madame la ministre, contrairement à ce que vous avez soutenu, notre système de santé n’a pas globalement tenu. Oui, notre système de santé s’effondre. Nous n’avons pas besoin d’un nouveau diagnostic. Que proposez-vous concrètement ? Comment entendez-vous mobiliser durablement les médecins de ville pour épauler les structures hospitalières ? Allez-vous enfin entendre les demandes de SOS Médecins, dont le réseau ne cesse de se déliter dans les territoires ? Pourtant, les structures locales évitent l’embolisation des services d’urgence. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Oui, madame la sénatrice Estrosi Sassone, je le répète : cet été, les urgences ont tenu ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)

La catastrophe annoncée n’a pas eu lieu. Les urgences ont tenu grâce à la forte mobilisation de nos soignants, que je souhaite vivement remercier. Les établissements ont réussi à organiser leur fonctionnement en saisissant non seulement les occasions qui leur étaient offertes afin d’aménager les parcours des patients, mais aussi en utilisant les mesures prises pour valoriser la pénibilité du travail.

Les urgences du CHU de Nice ont fait face à une activité soutenue en juillet et en août, avec en moyenne 230 passages par jour. Ce pic d’activité, auquel s’ajoutent les difficultés rencontrées en matière de ressources humaines, a conduit à la fermeture partielle du service des urgences à Nice durant une durée de cinq heures à une seule occasion, au début du mois de juillet. Comme vous l’avez souligné, la solidarité territoriale a permis un rétablissement rapide des conditions normales de prise en charge : sur les 14 000 passages aux urgences constatés durant la période estivale, moins de 20 patients ont ainsi été réorientés durant ce court moment.

Au niveau national, à la faveur d’une grande campagne de communication, le nombre de passage aux urgences a décru de manière sensible – 5 % – et, en miroir, le nombre d’appels au 15 a augmenté significativement. Tels sont les enseignements les plus marquants du plan que nous avions déployé pour l’été.

Le problème tient non pas aux moyens qui ne seraient pas affectés aux services d’urgence, mais aux postes non pourvus, faute de candidats. Les médecins urgentistes choisissent parfois d’autres modes d’exercice. Il nous faut améliorer les conditions de travail pour favoriser le maintien des personnels en poste, attirer les jeunes médecins et faire revenir ceux qui sont partis.

Je tiens également à souligner les initiatives remarquables instaurées dans plusieurs territoires, en particulier celles favorisant la mobilisation renforcée des professionnels paramédicaux. La télémédecine embarquée, les astreintes d’infirmières libérales et la collaboration entre les professionnels faciliteront la reconquête du temps de soins dans nos territoires. Ces initiatives doivent être fortement soutenues et encouragées à plus grande échelle, car elles contribuent à éviter des passages aux urgences en mobilisant l’ensemble des composantes de notre système de santé.

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Notre système de santé va mal. Il s’effondre ! Il faut guérir le malade avant qu’il ne soit trop tard ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Les services d’urgence hospitaliers sont un maillon essentiel de notre système de soins.

Chaque année, près d’un Français sur six se rend aux urgences. Or les urgences hospitalières se trouvent actuellement dans une situation critique : tout en continuant à assurer une prise en charge de pointe, elles sont confrontées à un personnel soignant souvent en sous-effectif et à la carence de lits d’aval. Faute de lits, les patients embolisent les services d’urgence qui se trouvent déjà sous tension. Le problème se résume ainsi : il convient d’assurer les besoins en santé des Français, l’égalité d’accès aux soins sur l’ensemble du territoire et la prise en charge d’une partie croissante de soins non programmés, en raison d’un manque de médecins libéraux.

Madame la ministre, quelles réponses concrètes entendez-vous apporter afin de remédier à la pénurie d’infirmières conduisant à fermer des lits d’aval par manque de personnel et entraînant une embolisation des urgences ? Que comptez-vous faire pour accroître la présence de médecins et d’infirmières au sein des urgences hospitalières ?

Pour les cas peu graves, comptez-vous privilégier en amont les services de soins non programmés à proximité des urgences ? Une telle solution permettrait de désengorger ces dernières.

Quelle mesure allez-vous prendre afin de recruter davantage de médecins généralistes dans les maisons de santé pluridisciplinaires ? Ne faudrait-il pas obliger des médecins en dernière année de troisième cycle à allonger de six mois la durée du stage ambulatoire en soins premiers en autonomie supervisée (Saspas) dans une maison de santé située dans un territoire déficitaire, avec l’aide d’un médecin référent ? La durée du stage serait portée à un an. Durant les six derniers mois, le classement en médecin assistant offrirait la même rémunération au stagiaire que le médecin référent.

M. François Bonhomme. Voilà une question précise !

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Comme cela a été rappelé à de nombreuses reprises, nos services d’urgences font face à des tensions majeures, reflétant les difficultés de notre système de santé.

Les urgences se situent à la jonction des difficultés de la médecine de ville en amont et de celles de l’hôpital en aval. Trop de postes demeurent vacants, non pas par manque de financement, mais par manque de candidats – je tenais à le souligner pour éviter toute ambiguïté. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Cette pénurie de ressources humaines concerne tous les services hospitaliers : au niveau national, 30 % des postes de praticiens hospitaliers et 6 % des postes infirmiers sont vacants, comme vous l’avez souligné.

Nous œuvrons à renforcer l’attractivité des métiers du système de santé.

Mme Laurence Cohen. Heureusement !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Tel est l’un des axes majeurs du volet santé du Conseil national de la refondation, que j’ai lancé hier avec le ministre de la santé et de la prévention.

Nous apportons aussi des solutions de court terme, notamment les mesures de la mission flash de cet été et la mobilisation de solutions réunies dans une boîte à outils et mises à la disposition de chaque territoire. Nous avons également rappelé à nos concitoyens cette recommandation simple : n’allez pas directement aux urgences et appelez d’abord le 15 si votre médecin traitant n’est pas disponible.

Mme Laurence Cohen. On ne trouve plus de médecin traitant !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous avons favorisé une plus grande disponibilité des professionnels de santé, via des incitations : les médecins de ville ayant pris en charge des patients adressés par le 15 bénéficiaient d’une majoration de consultation de 15 euros.

À l’hôpital, nous avons reconnu les contraintes inhérentes au travail de nuit en doublant les majorations pour les personnels soignants et en revalorisant les gardes des médecins de 50 %. Une évaluation de ces mesures est en cours ; nous pérenniserons toutes les solutions qui auront fait leurs preuves.

Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Depuis la présentation de votre mission flash, le moral des soignants continue de baisser.

Selon l’enquête de l’observatoire Odoxa-Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), un quart des soignants travaillent plus de quarante-cinq heures par semaine, un quart d’entre eux pensent être en mauvaise santé à cause du travail et ils sont deux fois plus nombreux que le reste de la population active à recourir aux arrêts de travail pour stress.

Des conditions de travail dégradées et un manque de personnel et de lits sont leur lot quotidien. À Strasbourg, le 30 août dernier, 50 patients se trouvaient aux urgences pour seulement 30 places. Pas moins de 50 % des lits d’hospitalisation d’urgence étaient fermés par manque de personnel et 26 personnes ont attendu plus de douze heures sur un brancard.

Un homme de 81 ans a attendu plus de vingt-deux heures sur un brancard avant de mourir. Ce drame s’est produit malgré la politique de régulation que vous avez mise en place. Celle-ci a conduit le personnel à faire grève, notamment au CHU de Bordeaux. Le problème ne réside pas tant dans les flux de patients que dans le manque de lits et de soignants.

Dans son rapport d’évaluation de la mission flash, le syndicat Samu-Urgences de France indiquait clairement que la non-disponibilité des lits en aval des services d’urgence restait le principal dysfonctionnement. Par conséquent, il faut ouvrir des lits. Les urgences ne souffrent pas d’un problème de régulation, mais d’un manque de moyens et d’attractivité des métiers.

À cet égard, le PLFSS pour 2023 reste insuffisant, malgré la fin annoncée des économies. La Fédération hospitalière de France (FHF) estime que l’augmentation du volet hospitalier de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) est insuffisante pour absorber l’inflation, les mesures du Ségur, la revalorisation du point d’indice et le paiement des heures supplémentaires ; elle ne permettra aucune embauche supplémentaire, alors qu’il est crucial d’augmenter le ratio de deux soignants par patient.

Eu égard aux conséquences mécaniques des coûts que je viens d’évoquer et compte tenu de l’avis de la FHF, envisagez-vous de revaloriser l’Ondam afin de répondre enfin aux causes structurelles des difficultés de l’hôpital ?

Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle la nécessité de bien respecter votre temps de parole : quand bien même les dépassements n’excèdent pas cinq secondes, un tel écart, au regard du nombre d’intervenants, entraîne finalement un décalage important.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Le plafond de l’Ondam est relevé afin d’accorder des moyens financiers supplémentaires par rapport à l’année précédente. L’Ondam tel qu’il figure dans le PLFSS pour l’année 2023 ne comprend aucune mesure d’économie reposant sur l’hôpital ; au contraire, les dépenses relatives aux établissements sont en hausse de 4,1 %, soit 4 milliards d’euros supplémentaires par rapport au budget de l’année 2022.

Dans les prochaines années, nous continuerons à porter une attention particulière à ce volet de l’Ondam, d’une part pour mettre en œuvre des réformes relatives à l’organisation des soins et pour défendre une ambition d’excellence, d’autre part pour garantir l’attractivité des métiers.

Ce niveau d’Ondam permettra aussi, sur cette période, de faire face à l’inflation, toujours croissante, en apportant un soutien financier tant aux professionnels de santé qu’aux établissements afin de résister à l’augmentation des charges hors rémunération des personnels.

Par ailleurs, pour soutenir les hôpitaux et les personnels, nous lançons, dans le cadre du volet « Santé » du CNR, un chantier pour mieux vivre à l’hôpital, afin d’aborder le sujet des conditions de travail. L’enjeu est de permettre aux soignants actuellement en exercice de retrouver le sens de leur engagement, de façon qu’ils restent en poste et que les jeunes aient envie de rejoindre les établissements de santé.

L’Ondam prévu pour l’année 2023 est bien supérieur à celui des années précédentes. Pour le budget de l’année 2016, son taux de progression avait été fixé à 1,8 %, et à 2,2 % pour 2017. Avec une progression prévue pour l’année 2023 de 3,7 %, hors dépenses de crise, le Gouvernement investit donc massivement dans notre système de santé.

Mme le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Madame la ministre, beaucoup d’annonces, beaucoup de consultations, comme celle du CNR, ont été mises en avant ; pourtant, peu de mesures structurelles répondent à la crise de l’accès aux soins en France, et, en particulier, au problème des déserts médicaux. Pourtant, l’organisation territoriale des soins représente un enjeu majeur pour répondre aux besoins de santé de notre population, permettant une meilleure articulation, nécessaire, entre acteurs de ville et acteurs hospitaliers.

La question cruciale de l’engorgement des services hospitaliers est connue depuis longtemps. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’au moins 30 % des passages de patients à l’hôpital auraient pu être évités par une régulation préalable. Or, depuis la décision de l’ancien ministre de la santé Jean-François Mattei, en 2002, de supprimer l’obligation de garde des médecins libéraux, une érosion constante de cette permanence des soins s’observe.

Le volontariat n’est plus suffisant pour répondre à la demande sur le territoire, en particulier dans les déserts médicaux. Je reprendrai la question de ma collègue Laurence Cohen : à quand une permanence des soins ambulatoires (PDSA) obligatoire pour l’ensemble des médecins, généralistes compris ?

Au regard de cette situation, votre gouvernement a mis en place cet été différents dispositifs, à la suite d’une – énième – mission flash sur les urgences et les soins non programmés, pilotée par le professeur Braun, comme s’il s’agissait de découvrir les problèmes rencontrés par nos hôpitaux.

Face à des problèmes structurels, vous répondez encore et toujours par des mesures prises dans l’urgence – pour ne pas dire dans la précipitation – en fixant des objectifs de court terme.

Je souhaite centrer mes interrogations sur les mesures qui ont établi une majoration SNP (soins non programmés) pour les actes effectués par les médecins généralistes après régulation. Ce type de consultation – comme vous l’avez évoqué – est soumis à un supplément de 15 euros. Malheureusement, selon MG France, le cadre de cette régulation inclut les actes effectués par SOS Médecins, mais apparemment pas ceux des CPTS, ce qui est incompréhensible ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Nous avons souhaité encourager cet été les médecins libéraux à prendre leur part dans la prise en charge des soins non programmés.

Pour cela, nous avons suivi la recommandation, issue de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés, de créer une majoration en attribuant à titre dérogatoire et temporaire un supplément de 15 euros pour tout acte effectué par un médecin libéral à la demande de la régulation du Samu et du SAS pour un patient qui ne fait pas partie de sa patientèle habituelle.

Cette majoration n’a été utilisée que par 4 % des généralistes libéraux, sur un total d’environ 50 000 actes. Beaucoup de médecins généralistes nous ont cependant signalé qu’ils prenaient en charge des soins non programmés sans que ceux-ci soient nécessairement orientés par le Samu ou les SAS.

Nous sommes en train d’analyser ces données pour déterminer le meilleur schéma de financement des soins non programmés.

Je tiens à mettre en avant la mobilisation des médecins libéraux cet été. Dans beaucoup de territoires, ils ont monté des organisations pour permettre la prise en charge, de manière temporaire, des soins non programmés, afin de soutenir le système hospitalier particulièrement en tension. Cela a très bien fonctionné.

Mme le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Henno. Madame la ministre, lorsque nous abordons le sujet des urgences hospitalières et des soins non programmés, une question vient à l’esprit : comment en sommes-nous arrivés là ?

Au-delà du constat, il nous faut apporter des réponses au problème autour duquel nous tournons, à savoir le temps médical disponible.

Cela relève pourtant de l’évidence : le temps médical disponible assurera la « bientraitance » des patients et permettra que les personnels soignants retrouvent ce qui fonde leur dévouement : apporter des soins dans des conditions dignes.

Les dernières politiques publiques visent à redonner du temps médical. Le bouquet de solutions est de plus en plus large, mais, dans le même temps, l’accès aux médecins généralistes est de plus en plus difficile sur nos territoires, a fortiori les soirs et les week-ends, notamment en province, où grandit un sentiment d’abandon face au droit fondamental à l’accès à la santé pour tous.

Dans son bilan de l’année 2021, le Conseil national de l’ordre des médecins précisait que « le taux de participation global des médecins généralistes à la permanence des soins ambulatoires […] est » – malheureusement ! – « reparti à la baisse ». Il constate ainsi que « 36 % des territoires de permanence de soins sont couverts par moins de 10 médecins volontaires » et « 20 % des territoires de permanence de soins sont couverts par moins de 5 médecins volontaires ». Cela est grave !

Pas loin de chez moi, nos amis belges ont mis en place une permanence de médecine générale sur le même site que leur service d’accueil des urgences, avec un accès unique et un triage commun. Ainsi, les urgences traitent des urgences et les médecins généralistes traitent de ce qui est de leur compétence, à savoir le suivi médical.

Face à l’urgence, chacun doit prendre sa part. La méthode que je viens de citer, madame la ministre, pourrait être bénéfique. La santé des Français en dépend.

Par conséquent, ma question est la suivante : le Gouvernement entend-il soutenir l’ouverture de ce type d’unités, dont les équipes seraient constituées de médecins généralistes volontaires, voire réinstaurer l’obligation de garde des médecins généralistes pour assurer l’efficience de ces structures ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Nous avons assurément à nous inspirer des bonnes pratiques mises en œuvre dans les pays voisins, notamment en Belgique. Les services des urgences en Wallonie reposent souvent sur un modèle d’accueil par une infirmière dont les fonctions sont assez proches du dispositif de l’infirmier organisateur de l’accueil, déployé en France.

La régulation des appels d’urgence en Belgique ne comprend pas de régulation médicale comme en France ; je crois que, sur ce point, nous devons garder la plus-value du système français, lequel associe les opérateurs dédiés, les assistants de régulation médicale et des médecins présents dans les centres de régulation.

Nos voisins belges sont malheureusement confrontés aux mêmes problèmes que les nôtres, rencontrant les mêmes difficultés à recruter dans les hôpitaux et faisant face à des taux d’absentéisme élevés. Le gouvernement fédéral a adopté des mesures, au mois de juillet 2022, destinées à contrer le manque de personnel soignant dans les hôpitaux, en favorisant la reprise d’activité de soignants retraités.

De même, le ministre fédéral des affaires sociales et de la santé publique de Belgique a annoncé au mois de juin 2022 un new deal visant à réformer l’organisation de la médecine générale en Belgique, partant du constat du nombre insuffisant de médecins généralistes et, dès lors, de la nécessité d’améliorer l’accessibilité à l’égard des patients.

Par conséquent, les difficultés que nous rencontrons ne nous sont pas propres : nos voisins européens connaissent les mêmes. En recherchant les bonnes initiatives dans nos territoires ou chez nos voisins, nous pourrons construire ensemble des solutions durables.

Quant à la problématique de la permanence des soins, nous sommes conscients des enjeux. Le ministère abordera ce sujet avec les médecins lors des négociations de la prochaine convention médicale en mettant sur la table la question de la responsabilité commune. C’est ensemble que nous trouverons des solutions.

Mme le président. La parole est à Mme Florence Lassarade. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Florence Lassarade. Madame la ministre, dans un contexte de démographie médicale tendue, notre système de santé connaît de fortes tensions qui frappent notamment les services d’urgences. Ma question portera sur la crise des urgences en Gironde.

Au sud du département, les urgences vitales dépendent d’une seule équipe : celle des urgences mêmes et du Smur du site de Langon du Centre hospitalier Sud Gironde.

Pendant toute la période estivale, ce service a assuré ses missions, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans fermer ses portes. Une fois de plus, le service d’urgences a tenu grâce aux professionnels de santé, malgré des conditions d’exercice très difficiles.

Cet investissement est lié à une équipe d’urgentistes fidèle à l’esprit hospitalier, investie dans le système depuis plusieurs années. Les internes du service y sont encadrés dans leurs apprentissages. Le stage aux urgences du site de Langon est plébiscité par les internes de Gironde.

Pour motiver les jeunes internes urgentistes à intégrer cet hôpital de périphérie, un plan d’accompagnement hospitalier a été élaboré. L’objectif est de leur faire découvrir une médecine polyvalente, exigeante et difficile sur un vaste territoire, une médecine cependant riche et intéressante, permettant de se sentir porté par une solidarité d’équipe.

Or, ces jeunes spécialistes de la médecine d’urgence qui ont pourtant apprécié venir travailler à Langon se tournent ensuite vers les centres hospitaliers voisins qui proposent des contrats très lucratifs sur le long terme.

Madame la ministre, la situation du service des urgences de l’hôpital de Langon n’est pas un cas isolé. Il ne faudrait pas en arriver à la situation des urgences d’Arès, sur le bassin d’Arcachon, qui viennent de fermer leurs portes pour un mois, faute de médecins !

Aussi, madame la ministre, envisagez-vous une valorisation des gardes des urgentistes à la hauteur de l’engagement fourni et de leur activité à très haute responsabilité, afin de maintenir et de consolider les services d’urgences dans les territoires périphériques ? Quelles sont vos propositions pour lutter contre le recours massif à l’intérim, dont le coût est prohibitif ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, comme vous l’indiquez, le service des urgences de Langon a continué à assurer ses missions 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sans fermer ses portes. Il faut en premier lieu saluer l’engagement des soignants de cet établissement pour le faire fonctionner.

Au sujet de la concurrence des rémunérations, l’ARS Nouvelle-Aquitaine a analysé la situation, notamment après avoir pris connaissance des départs vers l’hôpital de Marmande. Il ressort que cet hôpital ne pratique pas des conditions statutaires ou de rémunération dérogatoires à la réglementation.

J’en profite pour souligner le rôle remarquable cet été du centre hospitalier de Sud Gironde pour venir en appui des évacuations de population dans le cadre des incendies massifs du département.

L’enjeu de la rémunération et de la valorisation des gardes est bien sûr un des facteurs de reconnaissance. À ce titre, les recommandations de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés permettent de reconnaître pour la première fois la pénibilité du travail de nuit, en mettant notamment en place pour trois mois un doublement des indemnités de sujétion en raison du travail nocturne pour les personnels paramédicaux, et une majoration de 50 % applicable aux personnels médicaux.

De manière plus globale, le ministre de la santé et de la prévention a annoncé hier, lors du lancement du volet « Santé » du CNR, l’ouverture d’un chantier au niveau national pour mieux vivre à l’hôpital. Il aura vocation à aborder ces sujets relatifs aux conditions de travail.

Créons les conditions pour que les soignants actuellement en exercice retrouvent le sens de leur engagement, pour que les jeunes se sentent accueillis dès la première heure de leurs études en santé, dès le premier jour de leur stage, afin qu’ils aient envie de rejoindre les établissements de santé, et que les plus expérimentés aient envie d’y rester.

Je reviendrai à présent sur la lutte contre les dérives de l’intérim, qui est un sujet majeur. Face à de telles pratiques, le risque est grand que se fissure profondément l’esprit d’équipe dans nos hôpitaux.

La députée Stéphanie Rist a fait adopter, par la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, l’encadrement des rémunérations : il est temps de la mettre en application. Le ministre de la santé a annoncé un calendrier : à compter du printemps 2023, il ne sera plus possible de payer démesurément un intérimaire. D’ici cette échéance, les situations à risque devront être identifiées dans les territoires, avec le concours des ARS.

Parce que les hôpitaux nous le demandent également, il ne sera plus possible à la sortie de sa formation de soignants de démarrer son exercice professionnel par de l’intérim. Il s’agit de l’une des mesures inscrites dans le PLFSS pour l’année 2023.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, le pire a été évité grâce à l’investissement exceptionnel des soignants, mais notre système de santé est à bout de souffle.

Les personnels n’ont pas d’espoir d’amélioration de leurs conditions de travail. Il est à craindre que l’hémorragie de démissions à l’hôpital continue, ce qui entraînerait encore des fermetures de lits et de services.

À Morlaix, par exemple, entre arrêts de travail et postes non pourvus, ce sont les gardes et les remplacements qui sont difficilement assurés, et ce malgré la surmajoration des heures supplémentaires.

En oncologie, des chimiothérapies sont pratiquées dans les couloirs ; les services sont embolisés ; les patients demeurent aux urgences : le retour à domicile est compromis face au manque d’ambulanciers.

Malgré cela, l’ARS Bretagne déclare, le 21 septembre 2022, dans un grand quotidien, que « l’été s’est globalement bien passé »: quel mépris, quel déni de la réalité !

Six millions de Français n’ont pas accès à un médecin traitant ; 15 000 personnes dans le Finistère n’ont pas de médecin référent. Dès lors, l’hôpital absorbe de plus en plus de soins non programmés ; pourtant, une baisse du nombre des médecins généralistes est annoncée jusqu’en 2030.

Le système de santé dans son ensemble est à revoir. Depuis la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, nous alertons sans cesse sur la disparition de l’offre de soins dans les territoires. Nous proposons en vain des solutions qui devront nécessairement être coercitives, pour que l’offre de soins hospitaliers et de médecine de ville soit au plus près des besoins réels.

Il ne doit plus y avoir de place pour les « mercenaires » de la médecine – comme les appelait Mme Buzyn – qui mettent à mal les budgets des petits hôpitaux du fait de leurs exigences financières exorbitantes.

Madame la ministre, il y a urgence : quelles décisions pensez-vous prendre immédiatement pour les Françaises et les Français qui n’ont plus accès aux soins médicaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Si le ministère dont j’ai l’honneur d’avoir la charge s’intitule ministère de l’organisation territoriale et des professions de santé, c’est bien parce que le Président de la République et la Première ministre, après ces quatre mois de campagne, ont pris conscience, comme tout le monde ici, de l’urgence à agir. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Pourquoi une urgence ? Parce que les décisions prises lors du dernier quinquennat sont des mesures de temps long et qu’elles ne produisent pas encore l’effet escompté.

Pourquoi une urgence ? Parce qu’après deux ans de crise sanitaire, nous avons des personnels soignants qui sont épuisés.

Pourquoi une urgence ? Parce que nous vivons un phénomène sociétal. Les nouveaux entrants sur le marché du travail, les nouveaux médecins, ne souhaitent plus travailler comme leurs prédécesseurs : actuellement, un médecin qui part à la retraite doit être remplacé par trois autres !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous racontez des conneries !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je ne pense pas raconter de conneries, madame la sénatrice. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. On n’est pas à l’Assemblée nationale, ici !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous sommes vraiment dans une situation où l’urgence à agir est là.

Nous travaillons depuis le mois de juillet avec les collectivités territoriales, les professionnels de santé ; quant au CNR, il n’est pas chargé d’établir un énième diagnostic. Nous proposons déjà dans le PLFSS des mesures.

J’insiste : il est urgent de travailler ensemble pour permettre à nos personnels, sur les territoires, de répondre aux besoins de soins de nos concitoyens. Malgré la suppression du numerus clausus, il faut compter dix ans pour former un nouveau médecin.

Mme Laurence Cohen. Il faut aussi des moyens pour l’université !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous abordons avec les professionnels tous les sujets, notamment l’évolution des formations : laissez-nous encore quelques mois pour pouvoir y répondre. Ce n’est pas le ministère de la santé seul qui édictera des mesures qui s’appliqueront sur les territoires : elles devront s’adapter à chacun d’entre eux, et nous devons faire œuvre collective. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.

M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Pensez aux élus locaux, tous les jours sollicités face à des administrés qui ne reçoivent pas de réponses à leurs questions.

Je m’occupe de ces sujets depuis dix ans ; je peux vous dire que les réponses sont toujours les mêmes, à savoir des augmentations salariales, des stages, mais jamais de vraies réponses dans les territoires où des administrés ne disposent plus actuellement de médecins.

La situation est extrêmement grave ; il y a urgence à apporter immédiatement de vraies réponses. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Sol. « J’ai mal, j’ai mal, j’ai mal. J’ai 90 ans, j’ai mal ; j’attends au fond d’un couloir depuis vingt-quatre heures sur un brancard inconfortable que l’on vienne me prendre en charge.

« J’ai mal, mal de savoir que ma grand-mère, mon père, ma femme ou mon enfant souffrent, et d’attendre interminablement des nouvelles les concernant.

« J’ai mal de ne pas pouvoir gérer l’afflux de patients au risque d’entraîner une perte de chances de survie, mal de voir mon serment d’Hippocrate bafoué par le poids des normes, par la charge administrative et le manque de moyens humains. »

Comme vous le savez, madame la ministre, nos services d’accueil des urgences, véritables vitrines des établissements, sont en souffrance. Toute une chaîne d’hommes et de femmes en pâtit, alors que l’accueil, la qualité et la sécurité de la prise en charge devraient naturellement s’imposer à tous.

Cependant, nous ne voyons pas dans nos territoires d’améliorations significatives : je le regrette. Les prévisions démographiques en matière de vieillissement ne rassurent pas : flux à prendre en charge dans un contexte de désertification médicale, médecine de ville essoufflée, dégradation des conditions de travail.

Cet été, le président du Samu-Urgences de France nous a rappelé que le Smur et le Samu Centre 15 étaient aussi en grande difficulté de fonctionnement. Le nombre de prises en charge aux urgences a doublé en vingt ans, passant de dix à vingt millions.

J’interrogeais ici même Mme Buzyn en 2018 sur l’ensemble de ces préoccupations : à l’heure actuelle, les mêmes problèmes remontent, non seulement du terrain, mais aussi des enquêtes. En effet, le Samu-Urgences de France pointait récemment l’insuffisance de lits d’avals et de soins de suite et de réadaptation (SSR), la fermeture de certains services d’urgences ou les inquiétants départs en masse de nos soignants.

Alors, madame la ministre, qu’allez-vous faire pour éviter la fuite de nos personnels, épuisés depuis la crise sanitaire, pendant laquelle ils ont tout donné ? Qu’allez-vous faire pour lutter contre la désertification médicale, qui aggrave l’engorgement aux urgences ?

Mme le président. Il faut conclure.

M. Jean Sol. Qu’allez-vous faire pour mettre enfin en adéquation les rémunérations avec les niveaux de formation et les diplômes de nos personnels soignants ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Nous avons tous mal à notre système de santé. Voilà pourquoi nous travaillons, voilà pourquoi nous allons devoir avancer tous ensemble.

Dans le cadre du volet « Santé » du CNR, je l’ai déjà dit, le groupe de travail « Mieux vivre à l’hôpital » interroge clairement les modalités d’accompagnement de nos personnels soignants, l’attractivité des métiers, afin de leur redonner du sens.

Deux ans de crise sanitaire ont accéléré les défaillances du système. Au risque de me répéter et de vous répéter : former un médecin prend dix ans ; or, cela fait deux ans que nous avons supprimé le numerus clausus…

En attendant, que faisons-nous pour répondre aux besoins de santé de nos concitoyens ? Il nous faut dégager du temps médical : tel est le sens des mesures qui sont prises, notamment le déploiement des assistants médicaux.

Il nous faut améliorer les processus de coopération entre tous les professionnels : nous œuvrons en ce sens, notamment dans le cadre des CPTS.

Il nous faut réenchanter tous les métiers de la santé et les rendre attractifs : tel est le sens du chantier que nous allons ouvrir au ministère sur les formations, initiales comme continues…

Mme Laurence Cohen. Nous demandons des moyens !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. … de toutes les professions, et non pas uniquement de celle de médecin généraliste.

Nous le savons tous : notre système de santé ne va pas bien. L’origine du problème ne date pas de 2022. Il s’agit peut-être de la conséquence d’une faillite collective, remontant à plusieurs années.

Il faut que ministère et élus se retrouvent tous ensemble ; l’intitulé de mon ministère mentionne à cette fin l’organisation territoriale : élus, professionnels, usagers, ensemble nous réglerons les problèmes en nous organisant de façon territoriale ; nous apporterons des réponses, territoire par territoire.

Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Belin. Madame la ministre, par votre expérience et votre engagement, vous connaissez la réalité des souffrances et du désespoir dans nos urgences ; vous connaissez également les attentes, les peines.

Vous connaissez aussi la réalité des lits fermés ; rien qu’au CHU de Poitiers, dans le département où je suis élu, 271 lits ont été perdus cet été. À un moment donné, il faudra que vous nous disiez la réalité du nombre de lits perdus depuis quelques années…

Vous connaissez le désespoir des territoires qui se sentent abandonnés, des hôpitaux de proximité où règne l’impression que les politiques de santé sont désertées. Pardon de prendre les exemples que je connais le moins mal : dans le département de la Vienne, à Loudun ou Montmorillon, il n’y a plus de services d’urgence.

La différence entre urgences ou soins non programmés est compliquée quand quelqu’un vient, en souffrance, un dimanche… Il attend une réponse ; dans ces territoires-là, il n’y en a pas. Nous faisons face à cette aberration !

Ma question est simple : elle tient en cinq mots. Quelle est votre stratégie territoriale ?

Que comptez-vous faire sur ces territoires que vous avez oubliés ? Comment allez-vous leur répondre, à la suite de la mission flash ? Suivant quel calendrier ? À vous de nous indiquer votre stratégie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. Pierre Ouzoulias. Le Conseil national de la refondation ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. L’agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine tient, en lien avec la préfecture de la Vienne, des réunions territoriales hebdomadaires pour assurer un suivi resserré des tensions hospitalières rencontrées par le CHU. Ces tensions engendrent une diminution des effectifs de l’équipe territoriale d’urgences, qui fonctionne sur les quatre sites.

Le CHU de Poitiers, je le souligne, se mobilise particulièrement dans la recherche de professionnels de santé. Les urgences de Loudun et de Montmorillon, que vous avez citées, font l’objet d’un suivi et d’une vigilance toute particulière pour limiter au maximum les gardes non couvertes et organiser un accès régulé des patients. Sur les deux sites, l’accueil des patients est organisé de la manière suivante : lorsque les gardes ne peuvent être couvertes, la régulation est assurée par le Centre 15 ; la population est informée de la nécessité de ne pas se rendre aux urgences, mais d’appeler le 15. Sur site, si une personne se présente, un accueil est organisé par une infirmière qui sollicite le Centre 15 pour déterminer la réorientation à effectuer,…

M. Laurent Burgoa. Quelle est votre stratégie ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. … que ce soit une orientation vers Poitiers ou vers une autre structure hospitalière, un renvoi vers le médecin traitant ou la programmation d’une consultation le lendemain.

Pour répondre précisément à votre question, cher ancien confrère (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.), je souhaite vous dire que j’étais dimanche face aux maires ruraux : les territoires ne sont pas oubliés. Je le redis : si le ministère dont j’ai l’honneur d’avoir la charge porte une telle titulature, c’est bien parce que la conscience est prise que les solutions ne se décréteront pas uniquement de l’avenue Duquesne pour être immédiatement appliquées dans les territoires.

Répondre aux questions et trouver les solutions face aux besoins de santé se fera avec les élus, avec les territoires, avec les collectivités et avec les professionnels de santé. La solution qui serait valable dans votre commune ne serait pas valable au Havre, à Montpellier ou à Marseille. Les problématiques sont différentes, les situations sont différentes : notre travail, qui a déjà commencé, se décline territoire par territoire.

Tel est le sens de nos déplacements, le ministre Braun et moi-même, dans vos territoires, afin de venir à votre rencontre. Il s’agit de voir quelles sont les solutions qui fonctionnent, et celles qui ne fonctionnent pas, pour comprendre pourquoi.

Mme Laurence Cohen. Le diagnostic, nous le connaissons depuis longtemps !

Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin, pour la réplique.

M. Bruno Belin. Madame la ministre, ma chère consœur, faites de ces hôpitaux de proximité une chance et une priorité. Leur ressenti est d’être victime d’un délestage ; or, réorienter les patients vers tel CHU est, vous-même l’avez dit, un non-sens.

Il s’agit d’un non-sens écologique : nous menons une stratégie bas carbone et nous mettons les gens sur les routes, bloquant des pompiers !

Il s’agit d’un non-sens territorial : nous avons des coquilles vides dans des hôpitaux de proximité.

Il s’agit d’un non-sens, surtout, en matière de santé : la perte de temps, c’est de la perte de chances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Amel Gacquerre, Victoire Jasmin et Émilienne Poumirol applaudissent également.)

Mme Laurence Cohen. Bravo !

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Entre anciens confrères, monsieur le sénateur, sachez que l’enjeu des hôpitaux de proximité et des hôpitaux périphériques est pour moi essentiel. L’enjeu des formations et de l’évolution des formations – je vous l’ai dit – est primordial.

Nous réussirons si nous pouvons faire en sorte que nos internes qui se forment ne fassent pas tout leur stage dans les CHU. Il faut qu’ils puissent aller le mener dans les hôpitaux périphériques et dans les hôpitaux de proximité. Nous travaillons actuellement là-dessus ; ce n’est pas facile de tout vous expliquer.

Ce chantier est ouvert : mettons les internes dans les hôpitaux de proximité et dans les hôpitaux de périphérie. Un bon nombre d’entre eux pourront après s’y installer ; nous éviterons ainsi les écueils qui ont été soulevés.

Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin.

M. Bruno Belin. Chiche, madame la ministre ! Je vous attends dans les territoires ruraux dont vous venez de parler ! Je veux bien qu’on fasse des stages : mais il faut encore qu’il y ait des maîtres de stage !

Mme Victoire Jasmin. Voilà !

M. Bruno Belin. Il faut encore qu’il y ait des médecins pour former ! L’apprentissage ne se fera pas en cyber…

Je vous attends dans les meilleurs délais au sein des territoires ruraux, dans les hôpitaux de proximité, pour que vous veniez voir la réalité.

Mme le président. La parole est à Mme Sylviane Noël.

Mme Sylviane Noël. Madame la ministre, avec plus de 20 millions de passages par an, les services d’urgences de nos hôpitaux sont engorgés au plus haut point, confrontés à un double effet ciseaux : d’une part, la pénurie de soignants, plus grave que jamais, d’autre part, une forte augmentation du recours aux urgences pour nos compatriotes.

En effet, pour des millions de Français, le recours aux urgences est une absolue nécessité, faute de pouvoir bénéficier des services d’un médecin traitant. La médecine de ville ne semble plus, désormais, en capacité de remplir de façon efficiente son rôle de soins de premier recours, souffrant d’un maillage déséquilibré et incomplet de l’ensemble du territoire.

Face à cette situation préoccupante, j’aurais souhaité vous entendre au sujet d’autres propositions. D’une part, que pensez-vous d’une participation plus large des médecins libéraux à la permanence des soins, via les CPTS, puisque cette permanence repose essentiellement, à l’heure actuelle, sur les hôpitaux, s’agissant des week-ends et des jours fériés ? D’autre part, une réforme de la libre installation des médecins généralistes fait-elle partie des pistes envisagées par le Gouvernement pour tenter de lutter contre les déserts médicaux et remédier à l’inégale répartition des médecins généralistes ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Cela a été dit à plusieurs reprises, nous devons améliorer la situation de la permanence des soins, laquelle est une mission de service public, qui doit être assurée partout sur le territoire. Nous souhaitons placer les médecins en situation de responsabilité collective sur la question de la permanence des soins.

Deux solutions se présentent à nous : soit les professionnels de santé s’organisent par eux-mêmes et remplissent le tableau de garde selon leurs contraintes – la CPTS peut être le bon échelon pour ce faire –, soit c’est à l’État, en cas de non-couverture, de prévoir une organisation idoine pour assurer aux Françaises et aux Français l’accès à des soins non programmés en soirée ou le week-end. À cet égard, le code de la santé publique permet déjà de réquisitionner des médecins en cas de défaillance.

Beaucoup demandent à revenir sur la libre installation. On nous oppose régulièrement que les enseignants, par exemple, sont bien contraints de se rendre partout sur le territoire. Il me semble toutefois que cette comparaison ne fonctionne pas. Par ailleurs, je ne crois pas à l’efficacité de l’obligation. Notre objectif est d’inciter plus fermement, et idéalement de convaincre. Nos territoires sous-dotés méritent de voir des médecins s’y installer volontairement et s’y investir.

Oui, nous devons travailler à d’autres modalités d’installation des médecins sur le territoire. Nous avons d’ailleurs prévu d’insérer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale un nouveau dispositif simplifié en matière d’aide à l’installation, élaboré en concertation avec les représentants des élus locaux, des professionnels de santé et des administrations dans le cadre d’un comité local. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, pour la réplique.

Mme Sylviane Noël. Merci de votre réponse, madame la ministre.

J’aimerais aborder à présent la seconde partie de mon intervention, qui concerne la pénurie de soignants, dont les causes sont diverses, nombreuses et anciennes. Les réponses à cette problématique sont également complexes et multiples.

Il m’est cependant impossible de ne pas profiter de ce temps de parole pour vous sensibiliser de nouveau sur la réintégration des milliers de soignants et pompiers suspendus ou interdits d’exercice depuis plus d’un an dans notre pays. Cette situation n’est plus tenable !

La quasi-totalité des pays ont abandonné cette mesure. Vous laissez même aujourd’hui aux soignants le libre choix de recourir au nouveau vaccin contre la covid-19. Dans ces circonstances, le maintien de cette mesure est incompréhensible et semble relever davantage de la punition et de l’obstination que de la justification sanitaire.

Notre système de santé est à l’agonie : nous ne pouvons plus nous passer du moindre soignant. Ma question est simple : quand envisagez-vous de lever cette mesure, …

Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Sylviane Noël. … qui engendre encore davantage de dysfonctionnements et d’engorgement ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Madame Noël, je vous rappelle que la réplique est censée vous permettre de rebondir sur la réponse du Gouvernement, non de poser une seconde question.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je veux dire à celles et à ceux qui pensent que la réintégration des soignants constituerait la réponse miracle aux problèmes d’effectifs de l’hôpital qu’ils se trompent.

Que les choses soient claires : cette question ne concerne que quelques centaines de personnes, qui ont refusé de se protéger pour protéger les autres, sur plus de 300 000 soignants.

Je préfère retenir le sens citoyen et l’éthique des professionnels de santé au contact des Français les plus fragiles. Il faut rendre hommage à tous les professionnels mobilisés, qui ont accompli leur devoir avec courage.

Les avis du conseil scientifique et de la Haute Autorité de santé qui ont été rendus sont favorables au maintien de l’obligation de vaccination contre le covid-19 des personnels exerçant dans les établissements de santé et médico-sociaux. Nous avons toujours géré cette crise en nous basant sur les recommandations des scientifiques ; nous n’allons pas y déroger aujourd’hui.

Mme le président. La parole est à Mme Sylviane Noël.

Mme Sylviane Noël. Rassurez-vous, madame la présidente, je ne poserai pas de troisième question. (Sourires.)

Madame la ministre, je ne peux que me désoler de cette obstination, qui finit par nous conduire dans le mur. Encore aujourd’hui, des étudiants en médecine sont suspendus. Cette situation ne nous permet pas d’aborder dignement les enjeux de l’hôpital en termes d’effectifs et donne encore un argument, par exemple, aux nombreux soignants de Haute-Savoie qui choisissent d’exercer en Suisse, où l’obligation vaccinale a été levée.

J’aimerais que l’on m’explique le sens du maintien de cette mesure. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Madame la présidente, madame la ministre, la situation de notre système de santé n’a jamais été aussi préoccupante, avec de nombreuses fermetures de lits, notamment dans les urgences des Hauts-de-France.

Deux raisons ressortent des différents constats, rapports ou missions. La première concerne le déficit d’attractivité des carrières médicales hospitalières, en dépit de la réforme du statut unique. En effet, l’équité de temps et de rémunération au sein d’un même service n’est toujours pas une réalité. Demi-journée de travail, temps continu, seuil du statut unique, plages additionnelles, activité mixte et activité libérale intrahospitalière, recours à l’intérim sont autant d’occasions, pour un même service, de faire cohabiter des rémunérations disparates et d’aggraver les tensions.

Or c’est le sentiment d’appartenance à une équipe médicale solidaire qui peut faire accepter les difficultés inhérentes à la profession. Dans les Hauts-de-France, les effectifs partent vers la Belgique ou le Luxembourg. Que comptez-vous mettre en place pour redonner du sens à l’action de ces professionnels ?

La seconde raison concerne la gestion des flux des urgences, question inhérente à la pénibilité et au sens de l’activité. Comment le Gouvernement permet-il le décloisonnement entre la médecine de ville et l’hôpital général, avec l’objectif de fluidifier le parcours de soins des Français et de désengorger les urgences ? À côté des grands CHU, les hôpitaux de proximité, comme cela a déjà été dit, et la médecine de ville doivent être organisés pour assurer le même service à une patientèle de l’urgence en milieu rural ou sans ressource.

Ce qui est possible aux urgences, comme le tiers payant, doit aussi être vrai et facilité en première ligne. Quel dispositif d’implantation des praticiens en ville prévoyez-vous ?

En l’état actuel, les personnels qui ont quitté le secteur de la santé ne sont pas près d’y revenir. Allons-nous pouvoir arrêter l’hémorragie en réactivant la médecine de ville, avec le retour des gardes et le soutien aux installations obligatoires – ou pas – en ville, y compris pour les Ehpad, les services d’urgence restreignant l’accès des patients, faute de personnel, comme dans la Somme ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. La réforme du statut unique cherchait bien à atteindre l’objectif que vous décrivez pour amener davantage de cohésion au sein d’un même service.

Pour autant, les conditions d’exercice et les sujétions demeurent hétérogènes. Il est nécessaire de pouvoir reconnaître les situations individuelles.

De même, le recours à des professionnels de santé libéraux vise à renforcer des équipes confrontées à de fortes difficultés de recrutement. Les professionnels de santé qui sont ainsi intervenus dans les établissements ont conservé, en parallèle, les charges de leur cabinet et de leur activité hospitalière. Pour favoriser leur engagement, il était justifié de pouvoir les indemniser de manière appropriée.

En ce qui concerne l’intérim, nous avons tracé un chemin. Nous allons appliquer la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, d’ici au printemps 2023, et encadrer la rémunération. De même, comme je l’ai déjà souligné, il ne sera plus possible, à la sortie de sa formation de soignant, de démarrer son exercice professionnel en intérim. Cette mesure figurera dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.

Vous avez raison, monsieur le sénateur : une partie du flux des urgences peut être prise en charge si l’on fluidifie la réponse aux soins non programmés en ville. Tel est l’objet du service d’accès aux soins, qui se déploie progressivement sur le territoire national. Nous devons en accélérer la mise en place. Ce service a vocation à aider les citoyens à s’orienter au sein de notre système de santé pour obtenir la réponse la plus adaptée à son besoin de santé.

Pour compléter ce schéma, nous devons mieux partager la réponse aux soins non programmés entre l’ensemble des professionnels de santé. C’est la logique des transferts de compétences. Les ordres professionnels, qui sont en train de travailler sur ces sujets, doivent nous faire part très rapidement de leurs propositions.

Ce n’est que collectivement, avec les médecins, les infirmiers, les pharmaciens, les kinésithérapeutes et les autres professionnels, que nous pourrons contribuer à mieux répondre aux soins non programmés.


Source http://www.senat.fr, le 11 octobre 2022