Interview de M. Clément Beaune, ministre chargé des transports, à RMC le 11 octobre 2022, sur les difficultés d'approvisionnement des stations-service et l'augmentation des prix des carburants.

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Média : RMC

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
L'invité du jour, c'est vous Clément BEAUNE. Bonjour.

CLÉMENT BEAUNE
Bonjour Apolline de MALHERBE.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le ministre des Transports, vous faites partie de ces ministres en charge du dossier de cette France bloquée avec ces pénuries à la pompe. Vous étiez d'ailleurs hier soir avec quelques autres ministres autour de la Première ministre, convoqués à Matignon pour tenter de voir une sortie de crise. Ma première question, c'est de savoir si vous êtes en lien avec les différents protagonistes de la grève. Est-ce qu'il y a un accord en vue. On sait que chez ESSO, qui est une partie du problème de la grève, deux syndicats se sont mis d'accord pour reprendre le travail et lever les blocages. Est-ce que ça pourrait être le cas aussi chez TOTAL ?

CLÉMENT BEAUNE
On l'espère. D'abord dire que la situation est évidemment difficile et ça fait maintenant pour des millions de Français plusieurs jours que c'est extrêmement difficile. Et donc il faut en sortir, il y a un blocage qui aujourd'hui ne peut plus être toléré, ne peut plus être supporté par les Français. Il y a en effet un dialogue social qui a repris parce qu'aussi nous avons mis la pression, qui a permis pour ESSO – puisqu'il y a deux entreprises, vous avez raison, qui sont concernées par ces grèves et par ces blocages : ESSO et TOTAL – des raffineries et des dépôts à chaque fois. Pour ESSO, il y a eu un accord hier en fin de journée et donc ça devrait permettre notamment dans l'ouest de la France, c'est là que les raffineries sont concernées, en Normandie notamment et ça approvisionne en partie l'Ile-de-France, de débloquer dans la journée une partie de la situation. Ça met toujours du temps, je veux être honnête, même quand il y a une reprise. On va vérifier que c'est le cas aujourd'hui après cet accord. Ça met un peu de temps pour que le déblocage de l'approvisionnement se fasse. Chez TOTAL, la situation est plus bloquée. Il y a un dialogue social qui est toujours enlisé. Nous avons repris avec, en effet, les ministres concernés : la ministre de l'Énergie, moi-même, la Première ministre elle-même, la pression sur les parties concernées pour que le dialogue social reprenne et surtout que les blocages cessent. Parce que, je veux le dire, l'essence elle ne s'est pas évaporée, elle est bloquée. Et donc il faut la débloquer pour que les Français puissent en avoir au quotidien.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais dans un sens, Clément BEAUNE, quand vous dites : il y en a de l'essence, on sent bien que ç'a été un peu le problème, et au début de cette crise vous avez mis un peu de retard à l'allumage. C'est-à-dire que l'idée, c'était tellement de ne pas dire pénurie pour soi-disant ne pas inquiéter les Français que vous avez un peu loupé le coche quand même, non ?

CLÉMENT BEAUNE
Écoutez, moi je veux bien qu'on refasse tout le film, l'essentiel aujourd'hui c'est de débloquer la situation. Moi je crois ne jamais avoir caché comme mes collègues du gouvernement la réalité de la situation. Simplement la situation s'est aggravée, en effet, au cours du week-end et on peut là aussi refaire le film. L'idée c'est d'agir et de débloquer. Mais j'insiste, Apolline de MALHERBE, parce que je sais que ç'a parfois été mal compris donc je le regrette. Ç'a été mal compris ou mal dit, il faut le dire honnêtement. Quand on dit en fin de semaine qu'il n'y a pas de pénurie, ça veut dire qu'il n'y a pas de problème d'approvisionnement dans notre pays. Évidemment les gens qui n'ont pas d'essence à la station-service ou de gasoil à la station-service, on ne peut pas leur dire qu'il n'y a pas de problème.

APOLLINE DE MALHERBE
Eux, vous leur dites qu'il n'y a pas de pénurie, ils ont du mal à comprendre.

CLÉMENT BEAUNE
Non, mais il y a un problème. On ne va pas tourner autour du pot. Il y a un énorme problème. Il y a une situation difficile, il y a une galère qui s'est accentuée dans le week-end qui est difficile pour les citoyens. Si j'avais dit ou si le porte-parole du gouvernement avait dit vendredi : il y a pénurie - les montants ont un sens quand on est membre du gouvernement - on aurait sans doute provoqué encore plus des ruées vers les stations-service et créé par notre responsabilité une situation plus difficile. Donc on peut tout refaire, simplement maintenant on agit depuis plusieurs jours et il faut débloquer enfin et que ceux qui sont responsables des blocages prennent ces responsabilités et débloquent.

APOLLINE DE MALHERBE
Pour agir il y a deux questions. Il y a la question du déblocage éventuel des raffineries et puis il y a la question aussi de réquisition, d'interdiction éventuellement de plein et de limiter l'accès à la pompe. IL n'y avait pas de scénario ? C'est-à-dire que là on entend ce matin les taxis qui, dès 4 heures 30 demandent à eux aussi être prioritaires. Il y avait hier SOS Médecins qui est intervenu sur notre antenne qui disait : on redoute de ne pas pouvoir aller voir les patients. On s'étonne qu'il n'y ait pas eu de scénario. C'est-à-dire quand une grève commence, est-ce que vous n'aviez pas anticipé ? Là ils vous appellent, les différentes associations, en vous disant : est-ce qu'on peut être prioritaire ? Il n'y a pas une liste préalable dite de professions prioritaires ?

CLÉMENT BEAUNE
Si. Pour être très clair, malheureusement notre pays a déjà connu une situation comme ça, notamment il y a une dizaine d'années en 2010.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais dans un sens, vous auriez pu apprendre des leçons.

CLÉMENT BEAUNE
Mais Apolline de MALHERBE, il y a des listes mais après il y a la vraie vie. Il y a la vie locale. Donc tous les jours avec Agnès PANNIER-RUNACHER, nous avons les préfets des départements et régions concernés. Le Pas-de-Calais est la situation la plus difficile encore aujourd'hui. Ce n'est pas la même chose de faire la liste de priorités dans le Pas-de-Calais et en Seine-et-Marne, parce qu'il y a des départements où c'est le transport scolaire qui est le plus critique et où il y a les besoins les plus forts. Il y a des départements où c'est les taxis qui font du transport sanitaire, dans ces cas-là c'est eux qu'on priorise. Donc il y a une référence, je vous rassure, il y a évidemment les scénarios et puis ensuite on adapte parce que c'est ça aussi la réactivité. J'étais encore hier soir pendant plus d'une heure avec les fédérations des transports routiers. Heureusement parce que justement nous avons donné une priorité aux professionnels dans beaucoup de cas, la France ne connaît pas en plus des difficultés d'approvisionnement alimentaire ou autre. Heureusement, parce qu'on a donné cette priorité aux professionnels dans beaucoup de stations-services même si les difficultés persistent.

APOLLINE DE MALHERBE
Le mot réquisition a été prononcé, une forme d'ultimatum hier par Élisabeth BORNE qui dit : si d'ici deux, trois jours les blocages ne sont pas levées, nous pourrions alors nous-mêmes les lever. Ça veut dire quoi ?

CLÉMENT BEAUNE
Il n'y a pas de tabou et toutes les options sont sur la table parce que l'idée, c'est évidemment de débloquer la situation.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc ça veut dire que vous pourriez comme en 92 envoyer des chars ?

CLÉMENT BEAUNE
Non. On n'est pas… On a fait le choix, la Première ministre hier soir, de dire : il y a un dialogue social qui a repris chez ESSO, il a porté ses fruits, il devrait - on va le vérifier - améliorer une partie de la situation dans les jours qui viennent, dans les heures qui viennent.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que si d'ici jeudi ou vendredi ça n'est pas débloqué, vous irez débloquer vous-mêmes.

CLÉMENT BEAUNE
Mais nous prendrons des mesures supplémentaires. On verra lesquelles sont appropriées. On prendra des mesures supplémentaires évidemment. On ne va pas laisser la France sans carburant et la situation s'enliser. Aujourd'hui il nous semble qu'il y a un problème qui est grave mais qui est localisé et bien identifié chez TOTAL. Il faut que le dialogue social reprenne, qu'il y ait un accord. On ne va pas laisser pourrir la situation encore, donc s'il n'y a pas d'accord on prendra des mesures.

APOLLINE DE MALHERBE
Et il y a aussi ces prix à la pompe qui augmentent. Plus 7 centimes pour le sans plomb 98, plus 11 centimes pour le gazole. Ça c'est la moyenne mais on entendait tout à l'heure des auditeurs qui nous disaient que c'était encore plus nette et jusqu'à 30 centimes d'augmentation dans certains départements. Sébastien nous a justement appelés au 32 16, vous êtes dans le Val-d'Oise. Bonjour Sébastien, chauffeur de bus.

SEBASTIEN, AUDITEUR DU VAL-D'OISE
Oui, bonjour Apolline, bonjour Monsieur le ministre.

APOLLINE DE MALHERBE
Le ministre vous écoute.

CLÉMENT BEAUNE
Bonjour.

SEBASTIEN
Monsieur le ministre, j'entendais à l'instant que vous disiez donc que le carburant était bloqué. Mais est-ce que vous comptez faire aussi bloquer les tarifs ? Parce que là ce matin, j'ai été mettre du carburant. Le gasoil est à 2,35 euros dans une station BP et le sans plomb à côté est à 2,47 euros. Donc à un moment, il faudrait peut-être siffler la fin de la récréation et arrêter de laisser les prix flamber comme ça parce que c'est infernal. Tout augmente mais là ça devient ingérable.

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a une forme d'abus. Est-ce que certains profitent de la situation ? C'est un peu votre question, Sébastien.

CLÉMENT BEAUNE
Vous avez raison Sébastien, on voit deux choses, pour essayer d'être le plus concret possible. On voit que, parce qu'il y a des stations-service qui ne sont pas approvisionnées en carburant et donc il y a ce problème, il y a des prix qui augmentent. Quand vous avez un produit plus rare, les prix augmentent. Donc une des raisons pour lesquelles on veut débloquer la situation aussi, c'est pour éviter cette hausse mécanique des prix liée à ces difficultés d'approvisionnement. Et 2, il y a en effet sans doute dans un certain nombre de cas des gens qui profitent de la situation, qui disent : vous êtes un professionnel routier…

APOLLINE DE MALHERBE
Qui ? Des distributeurs ?

CLÉMENT BEAUNE
Peut-être des distributeurs je discutais hier avec des professionnels routiers, c'est la même chose que pour les particuliers. Ils constatent ces phénomènes et nous disent : parfois on nous dit c'est plus cher, le contrat il faut le revoir. Donc ça c'est inacceptable. Nous avons lancé avec la ministre de la Transition énergétique hier des contrôles qui vont être commencés dès aujourd'hui pour vérifier qu'il n'y a pas des phénomènes de spéculation qui s'ajouteraient aux difficultés. Il faut être très clair : tout ça, ça se résout par le déblocage. Donc il n'y a qu'une seule issue à la crise, c'est la fin du mouvement social et le déblocage.

APOLLINE DE MALHERBE
Soit les grévistes débloqueront eux-mêmes, soit vous ferez en sorte…

CLÉMENT BEAUNE
Nous ne laisserons pas en tout cas le blocage perdurer, c'est clair. Et je le dis aussi parce qu'il y a cette inquiétude, il y a des ristournes. On parlait du prix du carburant, Sébastien nous l'évoquait. On a pris des mesures très fortes. L'État d'ailleurs complété par TOTAL, les 30 centimes et les 20 centimes, 50 centimes au total. Les jours de blocage d'accès au carburant qu'on est en train de vivre aboutiront à des prolongements, c'est ce que nous demandons à TOTAL, des ristournes autant…

APOLLINE DE MALHERBE
Un prolongement des ristournes.

CLÉMENT BEAUNE
C'est ce que nous demandons puisque vous savez que les ristournes baissaient à partir de début novembre, donc on est en train de regarder avec le Ministère de l'Économie, avec le Ministère de l'Énergie, si on ne peut pas du côté de TOTAL demander…

APOLLINE DE MALHERBE
La partie TOTAL, c'est-à-dire les 20 centimes de ristourne à la pompe chez TOTAL.

CLÉMENT BEAUNE
La partie TOTAL, exactement, qu'elle prolonge de quelques jours qui correspond au moment où les Français n'ont pas pu bénéficier, parce qu'ils n'avaient pas accès au carburant, de cette ristourne.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 octobre 2022