Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de notre délégation aux outre-mer, sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale.
Les orateurs de la délégation ayant demandé le débat se sont partagé le temps de parole.
(…)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d'abord à saluer le travail substantiel des rapporteurs et à vous remercier de m'avoir invité.
À la question de savoir si les outre-mer sont à la hauteur des enjeux, je répondrais que c'est la prise en compte des outre-mer partout et tout le temps, par l'ensemble des décideurs publics français, qu'il nous faut améliorer, et pas simplement sur la mer. Il y a là un enjeu fort.
La France dispose du deuxième espace maritime mondial ; elle le doit à ses outre-mer. Mieux : elle est le seul pays au monde à être présent sur les quatre océans. Cette profondeur stratégique unique lui confère un rôle central dans le concert international.
Le premier enjeu de la place des outre-mer dans la stratégie maritime est effectivement celui de la souveraineté. Les vastes espaces maritimes et littoraux de la France d'outre-mer sont aussi des joyeux de la biodiversité marine et littorale, qui s'étend du pôle Nord au pôle Sud, de la forêt boréale de Saint-Pierre-et-Miquelon aux colonies de manchots empereurs des Terres australes, en passant par le merveilleux lagon de Mayotte. Ces joyaux, que je connais tous, sont convoités. En plus, ils font face au défi du changement climatique. Leur préservation doit constituer une priorité absolue.
Par ailleurs, les outre-mer sont très dépendants de la mer pour assurer le développement économique et la vie quotidienne des populations. La création de valeur, qui est désormais mon leitmotiv, passe nécessairement par le développement d'une économie bleue durable et résiliente et par des ports en bonne santé.
Votre rapport met au premier plan l'enjeu de la souveraineté. C'est une priorité que je partage. Si la France n'est pas capable d'assurer sa pleine souveraineté dans ses espaces maritimes, il est inutile de parler d'environnement et, plus encore, de développement économique. Assurer la souveraineté de nos espaces maritimes, c'est d'abord être en capacité de les surveiller par la terre, par la mer et dans les airs. La France assure une présence militaire permanente dans la quasi-totalité des territoires, y compris ceux qui sont inhabités. Cette présence est plus forte dans le canal du Mozambique, où les enjeux de souveraineté sur la mer sont plus importants, qu'au large de la Guyane.
Depuis 2017, la marine nationale déploie de nouveaux navires mieux adaptés aux besoins des outre-mer. C'est un renouvellement sans précédent : treize nouveaux bâtiments dédiés uniquement aux outre-mer auront été livrés au 1er janvier 2026.
Les moyens aériens traditionnels sont, eux aussi, en cours de renouvellement. Ceux-ci doivent être complétés par d'autres équipements, comme les drones ; le ministère des armées y travaille.
Nos vastes ZEE donnent à la France des droits exclusifs d'exploration, d'exploitation, de préservation et de gestion des ressources. Il faut les protéger contre les appétits de tout un chacun à l'extérieur, mais également mieux les connaître.
On met souvent en avant le fait que les outre-mer représentent 97 % de notre espace maritime. Mais on oublie souvent que leur part dans la biodiversité française est de 80 %. Pourtant, s'il est un domaine où les outre-mer devraient être montrés en exemple, c'est bien celui de la protection de la biodiversité.
Comme vous le savez, la France prend des initiatives fortes pour la protection des coraux et des mangroves. Grâce à la réserve naturelle nationale des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), notre pays a déjà atteint l'objectif de classer 30 % de ses espaces maritimes et terrestres en aires protégées. C'est un apport considérable des outre-mer à la stratégie française.
Préserver la biodiversité, c'est aussi mieux la connaître. Les îles Éparses constituent de magnifiques espaces d'observation du changement climatique et font l'objet de débats internationaux. Avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, je signerai bientôt une feuille de route permettant de pérenniser les efforts de la recherche dans ces îles. Les moyens importants du plan France 2030 consacrés à la connaissance des grands fonds marins ont pleinement vocation à être utilisés dans les outre-mer. Je pense ici au Pacifique, mais aussi à la surveillance du volcan sous-marin de Mayotte.
La connaissance et la protection des milieux marins figurent au cœur des perspectives de développement de l'économie bleue. Celle-ci occupe déjà une part non négligeable de l'économie des outre-mer. Dans les départements et régions d'outre-mer, elle représente ainsi entre 5 % et 10 % du PIB. Elle est principalement centrée sur le triptyque port – beaucoup reste à faire –, pêche et tourisme, ces trois domaines devant s'adapter aux enjeux du XXIe siècle : changement climatique et souverainetés économique, énergétique et alimentaire.
La fonction centrale des ports dans l'approvisionnement des territoires doit être consolidée. Ceux-ci doivent également accélérer leur transition écologique. L'activité des bateaux de croisière sera développée uniquement si tous les ports sont électrifiés. À défaut, il y aura des réactions hostiles, et cela ne marchera pas.
J'ai la conviction que les grands ports ultramarins peuvent jouer le rôle d'accélérateurs de la transition énergétique outre-mer, notamment en termes d'emploi de carburants alternatifs. Les ports veulent également s'adapter aux évolutions des normes de transport. Je pense aux annonces récentes de la Compagnie maritime d'affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM) sur la desserte des Antilles ; nous y reviendrons.
Le secteur de la pêche figure au cœur du défi de l'autonomie alimentaire dans les outre-mer. Il est ahurissant que plus de 80 % du poisson consommé aux Antilles soit importé. Les pêcheurs ultramarins doivent pouvoir pêcher mieux. C'est le sens de notre combat en faveur du renouvellement des flottes.
L'économie bleue dans les outre-mer comprend aussi des secteurs en devenir, comme l'industrie navale ou les énergies marines renouvelables, pour lesquelles les outre-mer font preuve d'excellence ; c'est déjà le cas de la Polynésie, et cela le sera bientôt pour la Guyane.
Il est difficile de résumer en quelques minutes 97 % de la puissance maritime française. Je vous remercie de la faire valoir dans le cadre de votre rapport et de ce débat ; c'est fondamental. Si ces sujets ne sont pas suffisamment évoqués, nous en sommes tous responsables.
La création de valeur dans les outre-mer, mon leitmotiv, et la définition d'une feuille de route économique pour chaque territoire sont au cœur de la mission que le Président de la République m'a confiée. Je m'attelle à la remplir. Il y aura nécessairement une forte nuance bleue, tant la mer est liée aux outre-mer, et réciproquement.
L'État – c'est votre souhait, et c'est le mien – accompagnera les territoires dans le développement d'une économie bleue durable et résiliente, pour que les outre-mer soient réellement au cœur de la stratégie maritime de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)
- Débat interactif -
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Le port de Saint-Pierre-et-Miquelon est le dernier port d'intérêt national ultramarin directement géré par un service déconcentré de l'État, la direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM).
Tous les acteurs dénoncent unanimement l'absence de cohérence et, parfois, de coordination dans la prise de décisions, et des infrastructures vieillissantes nécessitant une rénovation ou d'importantes opérations de maintenance. Les besoins sont structurels et les atouts demeurent inexploités. Pourtant, le maintien des liaisons maritimes est vital pour l'archipel, ne serait-ce que pour le ravitaillement de la population. L'absence de stratégie de l'État en matière d'économie bleue est particulièrement frappante pour l'archipel et le condamne au repli.
La stratégie nationale adoptée en 2017 prévoyait l'élaboration d'un document stratégique par bassin. Celui-ci n'a jamais vu le jour, malgré l'élaboration d'un diagnostic. Sur mon territoire, la création d'un établissement public portuaire, souhaitée par l'ancienne ministre de la mer, n'est pas la réponse aux difficultés. Le simple respect des institutions existantes comme le conseil portuaire serait déjà un minimum.
Le rapport de la préfiguratrice du grand port maritime formule des hypothèses de recettes inquiétantes, que je ne cautionnerai jamais. Je pense aux droits d'anneaux de plaisance exorbitants ou à une possible taxe sur les transports locaux de passagers à bord des ferries. Il est prévu que l'équilibre d'ensemble repose sur un nombre d'usagers insuffisant.
Avant même d'évoquer la gouvernance, l'État doit livrer sa vision sur la place qu'il souhaite accorder à notre archipel en matière maritime.
Monsieur le ministre, pouvez-vous me confirmer que Saint-Pierre-et-Miquelon fera partie de la stratégie nationale et qu'il y aura un ambitieux volet de remise à niveau des infrastructures fortement dégradées de l'archipel ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Artano, vous connaissez mon attachement à cet archipel.
La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, a habilité le Gouvernement à créer par voie d'ordonnance un grand port maritime à Saint-Pierre-et-Miquelon. Entre 2017 et 2022, l'État a investi 30 millions d'euros, dont 6 millions d'euros pour la rénovation des digues, 15 millions d'euros pour la construction d'un quai de croisière et 3 millions d'euros pour engager la rénovation des quais de Miquelon et celle des quais de commerce à Saint-Pierre.
Les discussions en vue d'autres investissements seront menées lors du prochain contrat de plan, que nous allons bâtir ensemble.
Faut-il un grand port maritime géré directement par l'État sous la forme d'une concession ? Nous aborderons ce sujet lors de mon prochain déplacement à Saint-Pierre-et-Miquelon, et nous déciderons ensemble en optant pour ce qui sera le plus efficace ; il n'y a aucun interdit.
La desserte maritime, interne comme externe, en passagers comme en marchandises, est un vrai sujet. Le droit en la matière est clair. Dans son avis du mois de juin dernier, le Conseil d'État a rappelé que le transport des marchandises relevait de l'État et que celui des passagers relevait de la collectivité territoriale.
À la suite de la réunion du 7 septembre dernier avec le Président de la République, peut-être faudra-t-il envisager des évolutions.
Le préfet a engagé, à ma demande et à celle du secrétaire d'État chargé de la mer, un travail conjoint avec la collectivité territoriale en vue d'expérimenter le transport de fret par les ferries de la collectivité sur une courte durée. Nous devons travailler avec nos voisins et, souvent, amis canadiens. Ce sera l'objet principal de mon déplacement à Miquelon, qui aura lieu à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour la réplique.
M. Stéphane Artano. Certes, l'État a investi 15 millions d'euros dans un port de croisière, dont aucun acteur local ne voulait. C'était une décision de Manuel Valls, alors Premier ministre, qui n'avait pas tenu compte de l'avis des instances existantes, comme le conseil portuaire. Une telle somme aurait pu être utilisée pour préserver les quais de commerce ou les digues. Or cela n'a pas été le cas.
Plutôt que de s'interroger sur la création d'un grand port maritime à Saint-Pierre-et-Miquelon, posons-nous les questions des investissements structurants visant à sécuriser les approvisionnements de l'archipel.
M. Bernard Fournier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac.
Mme Marta de Cidrac. Ainsi que différents orateurs l'ont rappelé, la préservation environnementale du milieu marin et de sa biodiversité figure parmi les enjeux de notre stratégie maritime. Et n'oublions pas, bien entendu, son importance géopolitique, économique, scientifique ou énergétique.
Détentrice du deuxième domaine maritime mondial, la France possède de nombreux atouts pour bâtir sa stratégie maritime, qui passe également par une prise en compte accrue de nos spécificités ultramarines. Toutefois, leur statut de régions ultrapériphériques (RUP), qui marque leur appartenance à l'Union européenne, est source d'un certain nombre de contraintes liées à l'insularité et à l'éloignement de l'Hexagone. Une législation européenne, certes pertinente pour le continent, leur interdit de traiter et d'exporter des déchets dans leur zone de proximité géographique.
Derrière ce sujet se cachent de sérieuses menaces pour l'environnement et la biodiversité de milieux naturels souvent uniques au monde. Chacun sait à quel point les écosystèmes insulaires sont fragiles : l'histoire est là pour nous le rappeler.
Monsieur le ministre, ces problématiques sont connues. Il est urgent d'agir. Il me semble que beaucoup d'entre nous partagent ce constat. Au-delà du déploiement d'une économie circulaire adaptée à nos outre-mer, quel dialogue comptez-vous engager, notamment à l'échelon européen, pour que nos spécificités ultramarines soient entendues ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, je suis heureux de constater qu'une élue des Yvelines s'intéresse à l'outre-mer. Mais cela ne m'étonne pas de vous. Si tout le monde faisait de même, on progresserait !
La gestion des déchets dans les outre-mer est un vrai sujet. Voilà quelques mois, j'ai constaté lors d'un déplacement que Mayotte envoyait des déchets en métropole. Ce système est un peu ahurissant.
Le problème est le même que pour de nombreuses décharges implantées le long du littoral français, pas seulement ultramarin. La hausse du niveau de la mer et l'érosion des traits de côte augmentent le risque que ces déchets se retrouvent en mer. Ce n'est pas acceptable. Lors du One Ocean Summit qui s'est tenu à Brest, le Président de la République s'est engagé à traiter le problème des décharges abandonnées sur les littoraux sous dix ans, avec un premier financement de 30 millions d'euros.
Parmi les 55 décharges prioritaires identifiées, 14 sont situées outre-mer. Le travail a débuté, notamment à l'Anse Charpentier en Martinique.
Le sujet principal – vous l'avez souligné –, ce sont les normes européennes. Certains d'entre vous le savent, je me rendrai à Bruxelles les 16 et 17 novembre prochains pour faire appliquer l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) en vue d'une sorte de "ratissage" des normes inadaptées. J'ai demandé à mes services d'en lister une vingtaine.
De plus, nous devons travailler partout sur les combustibles solides de récupération (CSR) ; je ne connais pas exactement l'avancée du dossier en Guadeloupe et je sais que des problèmes financiers sont apparus à La Réunion. En plus d'être une bonne mesure, le recours à ces combustibles contribue à faire des économies d'énergie.
Au-delà des mots, il me semble que tous nos concitoyens ultramarins sont favorables au réemploi des objets. Je compte favoriser l'émergence d'une économie circulaire dans tous mes déplacements. Je sais qu'un rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer est en cours sous l'égide de Viviane Malet. Comme d'habitude, d'importantes marges de progrès sont possibles. Nous écouterons tous les points de vue.
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.
Mme Marta de Cidrac. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je compte sur vous pour être un interlocuteur exigeant auprès des instances européennes.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. La stratégie maritime nationale doit répondre à une double contrainte : assurer notre souveraineté et protéger notre patrimoine. La France doit être en mesure de contrôler ses espaces marins, qui constituent un important facteur de développement.
Il est facile d'oublier que notre territoire s'étend à l'Atlantique nord, aux Caraïbes, à l'océan Indien, à l'océan Pacifique ou encore aux TAAF. Comme vous l'avez rappelé, la quasi-totalité de la ZEE se situe autour de nos territoires ultramarins.
Ces espaces font d'ores et déjà l'objet d'une compétition entre les États, particulièrement dans la région indo-pacifique. Des contentieux territoriaux et maritimes se multiplient à mesure que le centre de gravité du monde se déplace. Dans cette zone, et partout où se trouvent ses intérêts, la France doit maintenir une présence et des capacités crédibles. Compte tenu de l'immensité des espaces maritimes, il semble bien illusoire de penser que la France peut à elle seule développer des capacités militaires semblables à celles de la Chine ou des États-Unis. Notre pays a des moyens bien plus limités.
Toutefois, la voie de la coopération avec les puissances qui partagent nos intérêts nous est ouverte. Je pense à l'accord militaire de soutien logistique conclu au mois de juin dernier entre la France et Singapour. Nos deux pays bénéficient ainsi de leur complémentarité mutuelle.
La France est le seul pays de l'Union européenne à disposer de territoires dans la zone indo-pacifique, mais toute l'Europe y a des intérêts.
Monsieur le ministre, de nouveaux partenariats européens et internationaux sont-ils envisageables pour renforcer notre stratégie maritime et mieux protéger nos ressources outre-mer ?
On entend parfois que le nouveau porte-avions ne se ferait pas. Pouvez-vous également nous rassurer à cet égard ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Guerriau, la défense de la souveraineté, notamment mais pas seulement maritime, de nos outre-mer est une priorité ; vous êtes nombreux à l'avoir souligné.
Sommes-nous en mesure d'y parvenir seuls ? Pour partie, oui ! Le ministre des armées, qui connaît bien l'outre-mer, veille à affecter des moyens visant à assurer notre présence dans les outre-mer dans le cadre de la loi de programmation militaire et la définition de notre stratégie militaire.
La question qui se pose – je rencontrerai prochainement le ministre et le chef d'état-major des armées – est celle de l'équilibrage entre une présence terrestre et une présence maritime. La présence terrestre est indispensable en Guyane et sur les îlots du canal de Mozambique. Dans les autres territoires, c'est un accompagnement. Il faut développer la présence du régiment du service militaire adapté (RSMA). Mais, en Guadeloupe, il semble plus utile de renforcer nos forces maritimes que de prévoir la présence massive de troupes de l'armée de terre.
Sébastien Lecornu, qui a d'ailleurs été ministre des outre-mer, m'a confirmé voilà quelques jours que le porte-avions se ferait en coopération avec plusieurs pays européens, comme cela a pu être le cas en matière aéronautique.
Comme je vous l'ai déjà indiqué, je me rendrai à Bruxelles les 16 et 17 novembre prochains pour évoquer l'article 349 du TFUE, la pêche – j'aurai l'occasion de me fâcher devant la Commission européenne –, les RUP et la défense de la biodiversité. J'ai reçu voilà peu l'ambassadrice d'Australie à Paris. Elle est prête à coopérer sur ces sujets et vient d'ailleurs d'ouvrir un consulat général à Nouméa. Avec Catherine Colonna, nous favorisons l'ouverture de consulats généraux de pays amis dans les outre-mer français en vue de renforcer la défense collective de cette richesse française, européenne et mondiale que représentent ces territoires.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.
Je tiens beaucoup à la notion de partenariat, mais je souhaite que notre porte-avions porte haut les couleurs de la France. Je voudrais vraiment être rassuré sur le sujet.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, le Morbihan s'intéresse aussi aux outre-mer !
Comme vous l'avez souligné, ceux-ci représentent 80 % de la biodiversité française et regroupent 93 % de nos aires marines protégées. Ces zones sont riches d'une biodiversité exceptionnelle, et la valeur des récifs coralliens et des mangroves est inestimable. Pourtant, contrairement aux recommandations de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ni la pêche industrielle ni le chalutage de grand fond, qui constitue une véritable menace pour la biodiversité, ne sont interdits dans la plupart de nos aires marines. Ces pratiques sont seulement prohibées dans les aires marines strictement protégées. Or la France accuse un retard important dans le déploiement de ces zones. En 2021, lors du One Planet Summit, le Gouvernement s'est fixé l'objectif de 10 % de zones du territoire national sous protection forte en 2030, alors que ce pourcentage s'élève dès aujourd'hui à 39 % pour le Royaume-Uni et à 24 % pour les États-Unis.
Comme l'a rappelé le rapport de la délégation aux outre-mer, ces aires protégées doivent disposer de moyens importants pour être effectives. Or ceux de la marine nationale ou de l'Office français de la biodiversité (OFB) sont aujourd'hui très insuffisants dans les outre-mer. Les parcs naturels marins de Martinique, de Mayotte ou des îles Glorieuses ne comptent qu'un seul agent pour 2 000 kilomètres carrés d'océan.
Monsieur le ministre, alors que la COP15 de la convention sur la diversité biologique des Nations unies débutera dans quelques semaines à Montréal, quels moyens le Gouvernement mettra-t-il en œuvre, en lien avec les collectivités, pour protéger la biodiversité outre-mer et rendre effectif l'objectif de 10 % de ces zones placées sous protection forte ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, sur l'objectif, il n'y a aucun souci ; la question porte sur les moyens à mettre en œuvre.
Le rapport entre la France et sa ZEE est extraordinaire dans le monde : il y a – nous venons de l'évoquer – un problème de coopération.
L'armée a obtenu 3 milliards d'euros supplémentaires dans la loi de programmation militaire. C'est considérable. Nous ne pourrons pas faire dix fois plus.
Le principe de l'interdiction totale est à réfléchir. Je préfère une exploitation raisonnée des ressources à une interdiction totale. Je pense à la pêche à la légine dans les TAAF. Privilégions la coopération en vue de fixer des objectifs raisonnables que nous pouvons tenir dans la durée. La réponse réside dans la coopération. Compte tenu du rapport entre la surface de ses terres émergées et celle de ses ZEE, la France n'y arrivera pas seule.
Le canal du Mozambique est le seul endroit où notre souveraineté terrestre est contestée. Nous signerons bientôt avec les Pays-Bas une convention pour régler une contestation portant sur une petite partie de la frontière à Saint-Martin.
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Je salue nos collègues Marie-Laure Phinera-Horth, Annick Petrus et Philippe Folliot pour leur excellent rapport sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale. Le travail qu'ils ont fourni est de grande qualité.
Au-delà des recommandations formulées par nos collègues, auxquelles souscrit notre groupe, le rapport met en avant la place prépondérante de la pêche traditionnelle ou artisanale en outre-mer, a fortiori en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane.
Malheureusement, ce secteur est confronté à de nombreuses difficultés. Il doit faire face au vieillissement de la profession. En Guadeloupe, 65 % des actifs travaillant dans le secteur de la pêche sont âgés de plus de 50 ans. La dégradation des conditions de travail conduit à une importante perte d'attractivité du métier, qui est amplifiée par de faibles rémunérations, de l'ordre de 500 euros à 600 euros. Enfin, le vieillissement de leur flotte complète le tableau des difficultés auxquelles font face nos pêcheurs.
Sur ce dernier point, le soutien public à l'augmentation des capacités des moyens de pêche est en principe contraire au droit de l'Union européenne. Le Président de la République, Emmanuel Macron, et Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, s'étaient toutefois engagés à autoriser le financement du renouvellement des flottes de pêche dans les régions ultrapériphériques, lors de la conférence des présidents de RUP organisée à Cayenne en 2017.
Monsieur le ministre, vous avez rencontré au mois de septembre le commissaire européen à l'environnement, aux océans et à la pêche, afin d'attirer son attention sur l'urgence du renouvellement de la flotte de pêche des RUP et sur l'impérieuse nécessité d'aider nos pêcheurs. Pourriez-vous nous indiquer l'état d'avancement des négociations sur cette question, qui suscite une forte attente de la filière ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je vous remercie d'avoir posé cette question, qui est effectivement centrale.
La pêche, ce sont des emplois et de la souveraineté alimentaire. J'ai rappelé tout à l'heure la part qu'occupent les poissons importés dans les outre-mer.
Monsieur le président, si vous le permettez, je prendrai quelques secondes supplémentaires pour détailler la situation en cours à Mayotte. Les réglementations s'additionnent, à tel point que les pêcheurs en pirogue sont contraints d'utiliser des engins de plage, ce qui est interdit, pour pouvoir se rendre dans leurs zones de pêche habituelles. Je me suis mis en colère lorsque j'ai pris connaissance de ce problème, et j'ai donné des instructions claires à la direction générale des affaires maritimes pour que la situation change. Le préfet Thierry Suquet m'a dit qu'il y serait mis un terme très rapidement.
Grâce à l'action du Président de la République, l'État peut verser des aides en vue du renouvellement d'une partie de la flotte dans chaque département et région d'outre-mer. Cela a été confirmé durant la présidence française de l'Union européenne. Malgré cela, le commissaire européen et certains de ses fonctionnaires exigent au préalable un inventaire précis, qui durera cinq ans si l'on veut respecter les normes européennes. L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) contribuera à la réalisation de cet inventaire. Le coût sera assez élevé.
Que faire en attendant ? J'ai indiqué au commissaire européen – il est letton – que je préférais les pêcheurs au poisson. Cessons de considérer que les pêcheurs ultramarins seraient là uniquement pour nuire à l'écologie maritime ! Pendant ce temps, des pêcheurs hauturiers provenant d'autres pays ratissent tranquillement au large des côtes de la Guyane, de La Réunion et de Mayotte.
Avec le secrétaire d'État chargé de la mer, Hervé Berville, nous avons décidé d'écrire au commissaire européen en vue d'obtenir une autorisation précise – ou plutôt, dans son esprit, une dérogation aux règles européennes –, territoire par territoire, type de pêche par type de pêche et type de bateau par type de bateau. Le courrier, dont l'élaboration a suscité quelques difficultés, partira demain. Le commissaire européen m'a promis que notre demande serait examinée par le conseil scientifique de la Commission européenne au mois de novembre. Avec mon accord, une collectivité a décidé de verser l'aide avant la décision de la Commission. Le conflit pourrait alors être tranché devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Je trouve insupportable d'en arriver là. Il me semble logique qu'une collectivité aide ses pêcheurs à construire leur bateau. Sans bateaux, pas de pêcheurs.
Je suis plutôt confiant. La discussion avec le commissaire européen a été franche. J'adresserai une copie de cette lettre à tous les députés européens et à tous les parlementaires ultramarins pour qu'ils soutiennent notre demande, qui me semble fondée. C'est une injustice : les bateaux mauriciens et espagnols peuvent ratisser tranquillement au large de Mayotte, tandis qu'on nous interdit de construire des bateaux ! Je vous prie de bien vouloir excuser la fermeté de ma réponse.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Quelle place réelle voulons-nous donner à nos outre-mer face aux enjeux géopolitiques d'aujourd'hui ?
Grâce à nos forces de souveraineté outre-mer présentes sur les quatre océans, la France appartient au club très restreint des États disposant d'une présence militaire globale ; elle y figure même à la troisième place.
Ces forces assurent cinq fonctions stratégiques : protection du territoire national ; prévention des conflits ; connaissance et anticipation ; intervention ; dissuasion. Convenons-en : ce ne sont pas des fonctions accessoires.
Pourtant, les forces outre-mer sont placées en bas de la liste des priorités des armées, avec une fatigue criante des équipements et des effectifs en précarisation presque continue depuis la fin de la guerre froide.
Dans un environnement opérationnel contraint par de nombreux défis se profile un risque important de rupture capacitaire, qui pourrait entraîner l'État à ne plus pouvoir remplir effectivement l'ensemble de ses missions et fonctions stratégiques.
Le rapport de mes éminents collègues propose en conséquence de faire des outre-mer la priorité de l'actualisation de la loi de programmation militaire.
Pouvons-nous compter sur vous, monsieur le ministre, pour faire avancer cet aspect des choses ? Est-il prévu d'actualiser et de rééquilibrer, prochainement et rapidement, nos capacités militaires outre-mer pour retrouver cet indispensable socle capacitaire, mais également pour moderniser et adapter nos forces à la géopolitique du XXIe siècle et faire de nos outre-mer de véritables points d'appui ? C'est indispensable.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. À la question : "Pouvez-vous compter sur moi ?", la réponse est oui ! Je me bats au sein du Gouvernement, de même que, en relation avec mon prédécesseur, Sébastien Lecornu, je fais en sorte de renforcer la présence de notre marine militaire outre-mer. J'ai confiance dans le fait que nous allons y arriver. La situation n'est pas aussi dégradée, me semble-t-il, que vous le dites.
Comme une question sur les ports de pêche va bientôt m'être posée, je vous répondrai à cette occasion sur le sujet…
Mme Gisèle Jourda. Peut-on compter sur vous pour faire des outre-mer des points d'appui dans notre stratégie militaire, notamment dans la zone indo-pacifique ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Je l'ai dit : M. Lecornu et moi-même sommes en phase sur ce point, en accord avec le Président de la République, qui attache la plus grande importance à la défense de nos territoires situés dans cette zone, de leur domaine maritime, de leurs ports, de leur agriculture. Le message est le même que pour les autres collectivités d'outre-mer : à côté de leur défense militaire, il faut veiller au bien-être de leurs populations.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le ministre, le 4 janvier 2022, le Sénat débattait en séance publique de la souveraineté maritime française. Le mois suivant était publié le rapport qui fonde notre débat d'aujourd'hui ; il est consacré à la place des outre-mer dans cette souveraineté maritime. Ce rapport, particulièrement riche, évoque les différents enjeux, notamment sécuritaires, économiques, énergétiques, environnementaux et climatiques.
Nous considérons effectivement que le combat pour la préservation des océans est important. Mais quel sens donner à notre souveraineté maritime si nous ne portons pas un regard particulier sur ces territoires ?
Ce qui saute aux yeux à la lecture du rapport, c'est l'absence de référence à ceux qui sont en première ligne, c'est-à-dire, notamment, les populations et leurs élus.
Comment donner toute la place aux outre-mer sans répondre à leurs besoins ? Si nous voulons valoriser la présence de la France, il est nécessaire d'agir vite, de donner des moyens humains, capacitaires, et de rassembler l'ensemble des acteurs pour une réelle réflexion stratégique.
Il est important de répondre, avec les élus, aux manques de moyens pour surveiller ces territoires, par exemple en leur octroyant du matériel amphibie, essentiel en cas de catastrophe naturelle, en comblant le manque de frégates de surveillance ou en accélérant l'adaptation aux nouvelles technologies, par exemple par l'utilisation de drones marins.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté, mais je veux vous interroger sur ces points.
Comment mettre en œuvre une nouvelle politique de la mer et agir en faveur d'une meilleure protection et gouvernance des océans sans ouvrir son élaboration aux populations et sans renforcer les partenariats régionaux ?
La question de l'ingénierie est abordée dans le rapport. Ne pensez-vous pas que la mise en place d'un organe commun dédié à cette expertise serait utile ? D'autant plus que la Cour des comptes nous pousse à développer les capacités propres d'expertise des collectivités d'outre-mer. Que comptez-vous mettre en place pour y remédier ?
L'abstention a été très forte lors des élections présidentielle et législatives. Ce n'est pas un bon signe…
La mer n'est pas un nouvel eldorado, comme l'indique le rapport. Cette référence aux enquêtes prédatrices doit être abandonnée au profit d'une conception rassembleuse, respectueuse des hommes et des éléments.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Premier élément de réponse, à la suite de l'appel de Fort-de-France du 7 septembre, je peux vous indiquer que les stratégies pour la création de valeur dans les outre-mer se construiront avec les élus. Des courriers explicitant notre démarche ont été rédigés.
C'est bien dans cette différenciation-responsabilisation des collectivités d'outre-mer que se trouve une partie de la réponse, la mer entrant bien évidemment dans notre stratégie.
Deuxième élément de réponse, une étude prospective sur l'économie bleue dans les départements et régions d'outre-mer vient d'être finalisée. Les orientations qui s'en dégagent seront partagées avec tous les territoires afin d'alimenter nos futurs échanges.
C'est bien à la demande du ministère chargé des outre-mer – je l'indique d'autant plus volontiers que je n'étais pas en fonction à ce moment-là – qu'ont été inscrits dans la stratégie nationale pour la mer et le littoral le tourisme côtier, avec une dimension ultramarine spécifique, le rôle des canaux et des mangroves, notamment pour la défense du climat, et l'aquaculture.
Je le répète, l'étude prospective sur l'économie bleue dans les départements et régions d'outre-mer sera un des éléments des discussions qui vont s'engager à la suite de l'appel du 7 septembre. Néanmoins, et je le dis très honnêtement, je ne suis pas tout à fait certain qu'il faille interroger toute la population sur la présence ou non d'un porte-avions, de corvettes ou de frégates dans les océans. En revanche, l'associer à travers une démarche de responsabilisation-différenciation, ce que nous sommes en train de faire, me semble une évidence, en admettant que la stratégie bleue fait partie d'une stratégie globale.
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Monsieur le ministre, ma collègue Nassimah Dindar, qui a dû s'absenter et qui m'a demandé de la remplacer, souhaitait vous interroger sur un certain nombre de points. En particulier, elle avait prévu de vous poser une question, essentielle à ses yeux, sur l'ouverture des outre-mer à leur environnement régional.
La France est membre d'un certain nombre d'organisations internationales. À cet égard, quelle est la réelle stratégie de notre pays en la matière ? Le Gouvernement a-t-il la volonté d'associer les collectivités territoriales ultramarines aux échanges qui ont lieu au sein de ces différentes instances à l'échelle régionale ?
L'un de vos prédécesseurs a marqué l'histoire de la République : Michel Rocard, alors ministre du plan, avait choisi de soustraire les échanges entre les outre-mer et l'Hexagone au principe de l'exclusif. Pouvez-vous donc nous rassurer quant à la place des collectivités territoriales au sein de ces conférences régionales ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, c'est le leitmotiv du Président de la République et de Gérald Darmanin, avec qui je travaille quasi quotidiennement sur ces questions : oui, il faut casser le lien biunivoque entre la France hexagonale et les territoires ultramarins, qui doivent pouvoir exister dans leur environnement !
Néanmoins, il est vrai que les situations diffèrent selon les zones géographiques. Dans le Pacifique, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie disposent déjà de la capacité de nouer des accords, notamment des accords de libre-échange.
En accord avec Mme la Première ministre et le ministre de l'intérieur, nous nous employons, en relation avec les présidents des collectivités concernées, à ouvrir les territoires, nos îles, à leur environnement régional, y compris par des accords, notamment commerciaux, d'État à État.
Quelles seraient les conséquences pour la France d'un accord de libre-échange avec, par exemple, Anguilla ? Il n'y a pas de solution pour les territoires ultramarins s'ils ne sont pas dans leur environnement. Tous les élus que j'ai rencontrés sont d'accord sur ce point.
Je m'en suis entretenu avec Mme Colonna. Je ferai de même demain avec mon collègue chargé du commerce extérieur.
Ce matin, j'ai rencontré François Asselin, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), car cela se joue non pas seulement entre les élus des territoires et l'État, mais également avec les chefs d'entreprise, qui doivent y aller "plein pot". Ont été évoqués des problèmes de normes. Nous travaillons à une modification de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Le sujet est global. Création de valeur, insertion dans l'environnement, rôle des collectivités, rôle des entreprises : c'est cet ensemble qui est au cœur de la mission que m'a confiée le Président de la République ; à tout le moins, c'est le sens de la feuille de route que m'a tracée M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer, stratégie validée par Mme la Première ministre.
Monsieur le sénateur, je vous communiquerai cette lettre de mission, que j'ai déjà transmise à plusieurs de vos collègues.
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour la réplique.
M. Philippe Folliot. Monsieur le ministre, cet enjeu est important, parce que les choses bougent. Ainsi, dans la partie sud de l'océan Indien, l'île Maurice se rapproche de l'Inde, la Chine a des visées sur les Seychelles et la Tanzanie, tandis que Madagascar flirte avec la Russie. Par conséquent, les collectivités doivent être associées à ces questions géostratégiques, mais pas seulement. Ainsi, comment pouvons-nous être crédibles si nous n'avons pas une vision globale ? Par exemple, les Comores bénéficient de notre aide au développement. Or l'on sait très bien que l'émigration clandestine y est très importante, comme elle l'est depuis le Suriname vers la Guyane. Ces enjeux sont essentiels.
(Mme Laurence Rossignol remplace M. Alain Richard au fauteuil de la présidence.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, nos outre-mer permettent à la France de disposer d'une véritable richesse en matière de biodiversité marine. Ces territoires représentent ainsi 80 % de la biodiversité nationale et englobent des enjeux particuliers, comme la protection des coraux et des mangroves.
Cette biodiversité est pourtant plus que jamais menacée par le dérèglement climatique. Ces dernières années, l'acidification des océans liée au réchauffement climatique a engendré des épisodes de plus en plus importants et récurrents de blanchiment des coraux.
Entre 2009 et 2018, 14 % des coraux de la planète ont disparu, soit 11 700 kilomètres carrés.
Ces écosystèmes jouent un rôle essentiel de nurserie pour les poissons, et leur perte provoque d'ores et déjà un véritable effondrement de la chaîne alimentaire, qui se répercute sur l'accès à la nourriture, ainsi que sur les activités économiques, comme la pêche et le tourisme.
Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), si le réchauffement climatique atteint 1,5 degré, entre 70 % et 90 % des récifs coralliens pourraient disparaître, ce taux atteignant 99 % si le réchauffement atteint 2 degrés.
Notre pays dispose de la deuxième zone économique exclusive au monde, qui représente 8 % des mers du globe. À ce titre, il est de notre responsabilité d'agir en faveur de la protection de la biodiversité et de ces zones.
Depuis 2010, la France a renforcé la création d'aires marines protégées, qui ne représentaient que 0,8 % de la zone économique exclusive en 2009, contre 24 % dix ans plus tard.
Néanmoins, le rapport de la mission d'information sénatoriale met en exergue le manque de moyens humains et matériels pour protéger de manière effective ces zones. Je souhaiterais donc connaître les actions menées par le Gouvernement pour protéger cette biodiversité menacée. Quels sont, concrètement, les moyens mis à disposition des aires marines protégées ? En fait, il s'agit de garantir notre souveraineté sur nos espaces maritimes, notamment avec le concours des forces armées, mais aussi de tous ceux qui agissent pour la préservation de la biodiversité.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, la question que vous soulevez est au cœur de nos débats. Je vais donc m'efforcer de vous apporter des éléments de réponse supplémentaires.
Oui, les outre-mer ont un rôle exemplaire à jouer dans la protection de la biodiversité. L'objectif de classer 30 % des espaces terrestres et maritimes sous juridiction française en aires protégées a déjà été dépassé grâce à l'extension de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises, qui, avec 1,5 million de kilomètres carrés, est désormais la deuxième plus grande aire marine protégée au monde. Il nous appartient désormais de les préserver.
Autre dossier : la protection des îles Éparses de l'océan Indien. Le parc naturel marin de Mayotte est le plus grand de France.
Notre pays entend poursuivre ses efforts en la matière, dans la perspective de la prochaine conférence des Nations unies sur les océans, que notre pays organisera et accueillera, en liaison avec le Costa Rica, pays exemplaire en matière d'écologie et de défense de l'environnement.
Dans la dynamique du One Ocean Summit organisé à Brest cette année, je m'attacherai à ce que les outre-mer y prennent toute leur place.
En relation avec Françoise Gaill et Olivier Poivre d'Arvor, nous tentons de mettre sur pied une sorte de "GIEC des océans". Ce projet, lancé voilà deux ans, est très complexe, mais je pense que nous allons pouvoir progresser.
Par ailleurs, j'ai rencontré M. Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), à qui j'ai demandé de m'indiquer dix actions exemplaires faciles à mener et qui feraient la fierté des outre-mer et la fierté de la France. À six d'entre elles j'ai donné mon agrément, même si elles nécessitent quelques financements.
Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé, monsieur le ministre.
La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Je remercie tout d'abord la délégation sénatoriale aux outre-mer, et particulièrement son président, Stéphane Artano, d'avoir pris l'initiative d'organiser un tel débat.
Monsieur le ministre, à la suite du passage de la violente tempête Fiona en Guadeloupe les 23 et 24 septembre dernier, je souhaite vous interroger au sujet de la politique littorale menée par le Gouvernement pour prendre en compte les effets du réchauffement climatique en outre-mer.
Le réchauffement climatique constitue un des défis fondamentaux de la stratégie maritime nationale. Son impact sur l'habitat littoral est très important en outre-mer, où les rives sont de plus en plus urbanisées.
Les outre-mer sont des territoires pour la plupart insulaires, en proie à de violents aléas naturels, particulièrement d'origine maritime, désormais plus fréquents et plus dévastateurs du fait du bouleversement climatique. Aux tempêtes, il faut ajouter les échouages réguliers d'algues sargasses.
Face à cet enjeu climatique, il convient de revoir les orientations des documents stratégiques de bassin maritime (DSBM) pour y inclure une fiche sur l'habitat littoral.
Cette bande littorale, héritage du passé colonial de la France, fait encore partie du domaine maritime de l'État et bénéficie à ce titre de garanties spécifiques. Ainsi, elle ne peut pas être cédée sans une procédure de déclassement particulière.
Les agences des 50 pas géométriques sont donc des acteurs essentiels, comme l'a souligné le rapport de la délégation sénatoriale consacré au logement dans les outre-mer, qui évoque également la question de l'habitat indigne, particulièrement aux Antilles.
L'urgence est donc le relogement de ces familles sans droit ni titre exposées à un risque naturel majeur, de plus en plus prévisible compte tenu des différents aléas.
Monsieur le ministre, je souhaite connaître les actions que vous entendez engager pour clarifier et pérenniser les missions de ces agences des 50 pas géométriques, mais aussi pour protéger les familles.
Dans un rapport récent, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), préconisait de "reconsidérer le cadre de l'action publique sur les 50 pas géométriques".
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice Jasmin, vous le savez, je connais ce sujet.
Il est prévu de reporter à 2025 le transfert de la zone des 50 pas géométriques aux collectivités territoriales. La question est particulièrement complexe à Saint-Martin.
D'ici là, il convient, d'une part, de finaliser la cartographie desdites zones, ce qui nous permettra d'engager le processus de régularisation là où c'est possible – il faut savoir ce qui est régularisable au profit des habitants –, et, d'autre part, d'engager les démarches en vue du relogement des personnes habitant en zone dangereuse.
Pour ce qui concerne Saint-Martin, je m'en suis entretenu avec le président Mussington et Mme Petrus. Je me rendrai sur place la semaine prochaine ; je ne passerai pas par la Guadeloupe, je m'en excuse (Sourires.), mais je m'y déplacerai en novembre. Le message sera celui-ci : on délimite pour régulariser et reloger, puis on transfère.
Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui.
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le ministre, à mon tour, je tiens à saluer les travaux de nos trois collègues : ils dressent le constat que la nation française peine à valoriser cet immense potentiel, situé à 97 % dans ses outre-mer.
Je souscris pleinement aux recommandations du rapport pour faire face aux défis qui nous attendent demain, défis assurément maritimes dans notre zone.
Mon interrogation porte plus particulièrement sur la zone indo-pacifique, au vu de l'actualité dans cette partie de la planète devenue un centre de gravité stratégique, économique et financier. On ne peut que rappeler que la France détient un statut majeur dans cet espace maritime grâce à ses territoires ultramarins et à sa ZEE.
Aujourd'hui, les Américains se mobilisent fortement à nouveau dans la zone face à l'expansionnisme de la Chine. Ainsi, la semaine dernière, la Polynésie française, représentée par son président, Édouard Fritch, a été invitée par le président Biden à participer, en sa qualité de membre à part entière du Forum des îles du Pacifique, au rassemblement organisé à Washington de tous les États insulaires de la zone.
En effet, les États-Unis confirment leur appui et leur soutien financier aux États insulaires pour les aider dans leur vulnérabilité liée au réchauffement de la planète et pour une meilleure et plus grande coopération à leur développement durable.
Ainsi, alors que l'Océanie est convoitée, alors que les enjeux géostratégiques prennent une importance grandissante, est-il envisagé un renforcement de nos bases militaires dans nos collectivités d'outre-mer, plus particulièrement en Polynésie française, où, depuis l'arrêt des essais nucléaires, les moyens maritimes de l'armée ont été redéployés en grande partie hors de notre territoire ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, je me suis entretenu avec le président Fritch pendant qu'il se trouvait à Washington. Avec l'aide de notre ambassadeur Philippe Étienne, nous sommes parvenus à un accord prenant acte de la nécessaire présence de la France dans cette zone grâce à ces territoires ultramarins, en veillant néanmoins à ce qu'ils ne prennent pas parti sur certaines questions, par exemple la présence, empreinte d'activisme, de la Chine dans le détroit de Taïwan.
En tout cas, depuis le Brexit, la France est le seul pays membre de l'Union européenne présent dans la région. D'où l'importance de la coopération européenne.
Je ne peux pas me prononcer à la place du ministre des armées, mais je rappelle que la marine nationale a largement renouvelé les équipements dont elle dispose dans les territoires ultramarins : pas moins de treize navires neufs ont été mis en service, dont neuf dans la zone indo-pacifique, trois à La Réunion, trois en Polynésie et trois en Nouvelle-Calédonie.
À ce jour, pas moins de quatre frégates patrouillent dans la zone, et je ne compte pas les missions effectuées dans les zones exclusives ultramarines par les bâtiments de la marine basés dans l'Hexagone.
Au-delà de la question des moyens, l'enjeu essentiel est de renforcer les coopérations avec nos partenaires amicaux. Il faut multiplier les exercices militaires conjoints, lutter contre la pêche illégale, renforcer les moyens de réponse aux catastrophes naturelles et aux effets du changement climatique, stimuler la diplomatie économique, essayer d'impliquer davantage l'Europe dans notre stratégie régionale. Ce sera le sujet de la réunion qui se tiendra à Nouméa le 22 novembre prochain autour des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) de l'Union européenne, si la Commission accepte toujours d'accorder les crédits nécessaires à l'association qui en est à l'initiative.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Petrus.
Mme Annick Petrus. Monsieur le ministre, à ce jour, le secteur de la pêche ne constitue pas encore une véritable filière agricole à Saint-Martin. À la fin de 2021, vingt et un pêcheurs professionnels seulement exerçaient sur l'île. La pêche constitue une activité non régulière dont une part significative est informelle ; environ un tiers.
Elle a une valeur traditionnelle et artisanale, essentiellement liée au loisir ou à la subsistance. L'île possède un marché aux poissons qui fournit les restaurateurs et les habitants en produits locaux.
Une part importante de la consommation provient également d'Anguilla, île voisine. L'absence d'équipements de transformation du poisson ne permet malheureusement pas de répondre à une demande locale croissante.
Dans le cadre de l'économie bleue, de la structuration du secteur de la pêche et de ses acteurs, le décret du 10 juin 2016 offre un cadre réglementaire à la création d'un comité territorial des pêches à Saint-Martin, en donnant notamment à la chambre consulaire interprofessionnelle de Saint-Martin la possibilité d'installer, d'animer et d'organiser cette structure.
Si le comité n'existe pas à ce jour, un processus de conventionnement est en cours, et sa mise en œuvre est attendue par les professionnels du secteur, notamment le syndicat des marins-pêcheurs et des aquaculteurs.
Afin de développer le secteur du nautisme à Saint-Martin et toutes les activités qui y sont liées, la collectivité achève un programme de formation lié à aux métiers de la mer, afin de sensibiliser et de former nos jeunes saint-martinois.
Grâce au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp) couvrant la période 2021-2027, il devrait être possible de dégager une enveloppe de 3,8 millions en faveur du secteur. Toutefois, l'État pourrait-il nous accompagner financièrement, notamment pour l'aménagement de deux points de débarquement, la mise en place d'une zone technique de pêche, mais aussi pour aider à l'installation de jeunes pêcheurs et dans le renouvellement et la modernisation de la flotte ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Je précise que le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa) prend la suite du Feamp. Les crédits en faveur de Saint-Martin passeront de 700 000 euros à 3,8 millions d'euros pour la période 2021-2027. J'ai confiance dans notre capacité à les déployer rapidement.
Autre sujet : avant la fin du mois, je l'espère, nous notifierons à Bruxelles le détail du régime d'aide au renouvellement de la flotte de Saint-Martin, ce qui n'avait été fait jusqu'à présent.
Certes, le même problème d'effectivité se posera, mais nous serons alors dans le cadre du projet global que je négocie avec Bruxelles.
Il faut donc, premièrement, pour ce qui concerne le fonds de 3,8 millions d'euros, que nous agissions avec le comité que vous avez évoqué, deuxièmement, que Saint-Martin entre dans le système d'aide au renouvellement de la pêche – à cette fin, commençons par notifier le régime d'aides afin qu'il s'applique à ce territoire –, et, troisièmement, que ce système fonctionne. Je vous renvoie à ma précédente intervention.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, les îles Éparses, situées dans le canal du Mozambique et dépendantes de l'administration des TAAF, représentent seulement 43 kilomètres carrés de surface terrestre cumulée. Mais leurs eaux sous juridiction française totalisent plus de 640 000 kilomètres carrés, soit environ 6 % du territoire maritime français.
De par leur isolement, ces îles n'ont jamais été perturbées par l'activité humaine. Elles sont de ce fait des sanctuaires pour une exceptionnelle biodiversité marine et l'étude d'écosystèmes encore fonctionnels. Les arrêtés de 1975 et de 1994 les classent en réserves naturelles et y interdisent toute pêche.
Cette zone est l'une des régions d'aire primaire constituant l'avenir du patrimoine mondial marin. Elle doit être protégée et préservée, ce que la France s'attache à faire grâce au déploiement d'une présence militaire permanente.
Or, depuis cinquante ans, les îles Éparses font l'objet d'une double contestation territoriale de la part de Madagascar et de l'île Maurice. Leurs ressources halieutiques, énergétiques et minières, que la France s'est attachée à ne pas exploiter, suscitent des convoitises et des revendications.
Les îles Éparses sont donc devenues, pour la France, un enjeu de souveraineté. Entendez-vous poursuivre les efforts engagés par le président François Hollande et son homologue malgache pour négocier une solution équilibrée répondant aux enjeux de sécurité, de défense de la biodiversité et de lutte contre la pêche illicite dans cette zone ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, l'ensemble des îles du canal de Mozambique sont effectivement une richesse extraordinaire. La possession française fait l'objet de contestations territoriales.
Sur ce sujet, le président Macron est clairement sur la même ligne que le président Hollande : la défense de la souveraineté française.
La commission mixte avec Madagascar se réunira très prochainement pour parler de ce différend territorial ; nous n'allons pas déclencher une guerre tout de suite ! Parallèlement, une feuille de route applicable à l'ensemble des organismes de recherche actifs sur les îles Éparses sera signée très bientôt.
Vous l'avez souligné, l'armée française, notamment notre armée de terre, y est présente. Il n'est absolument pas dans l'intention du Président de la République de baisser la garde, tant s'en faut. Négocions avec Madagascar – c'est l'objet de la commission mixte qui va se réunir – et rendons ces îles utiles en matière de recherche. La feuille de route sera signée dans les tout prochains jours ou, du moins, avant la fin de l'année.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, avec trois de mes collègues sénateurs, j'ai participé à la tournée de souveraineté dans les îles Éparses. J'ai pu constater combien ces territoires, petits, mais précieux, qui aiguisent les appétits des puissances étrangères, sont directement liés à la place stratégique de la France.
Je suis d'accord avec vous : nous devons nous montrer vigilants, poursuivre notre gestion avec détermination et réaffirmer la souveraineté de la France sur ces îles.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, les précédents orateurs l'ont rappelé : grâce à ses forces de souveraineté, la France est présente sur tous les océans. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage aux 8 500 personnels militaires déployés sur l'ensemble des océans et, au-delà, à tous les personnels civils qui contribuent à l'accomplissement de leurs missions.
Les zones de responsabilité permanente dont nous avons la charge concernent une quarantaine de pays avec lesquels nous entretenons des partenariats et coopérations. Ces États sont souvent en voie de développement.
En quoi et comment l'Agence française de développement (AFD) vient-elle en soutien de nos forces de souveraineté ? De quelle manière coopère-t-elle avec elles au profit des pays avec qui elles sont en relation ? Et parvient-elle, ce faisant, à faciliter l'exercice de leurs missions par une meilleure acceptation et compréhension de leur présence ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je suis en relation fréquente avec l'AFD, notamment avec son directeur général, M. Rioux, et je donne la priorité à son action dans les territoires ultramarins. Je pense notamment au Pacifique, où nous avons réellement besoin de cet organisme.
Avec M. Rioux et Mme la ministre Catherine Colonna, nous sommes convenus de travailler précisément à ces coopérations pour aider les pays concernés.
C'est l'un des sujets du dossier de l'immigration. D'après mes informations, à Madagascar, le SMIC chargé est d'environ 40 euros. Je ne sais même pas si le SMIC existe dans les îles des Comores. À Saint-Domingue, le salaire chargé d'un travailleur du tourisme s'élève à 400 euros. En Guadeloupe, monsieur Lurel, on est un peu au-delà, et heureusement !
C'est l'intérêt de la France de travailler avec ces pays pour qu'ils se développent et pour que les salaires y augmentent. À cette fin, nous devons mieux insérer les économies ultramarines dans leur zone régionale.
L'action de l'AFD doit être coordonnée avec notre propre objectif de développement. Je me suis accordé sur ce point avec M. Rioux, au-delà de l'amélioration de l'action de l'AFD sur un certain nombre de points, dans les territoires eux-mêmes.
Ainsi, je travaille actuellement avec lui à un système d'affacturage public qui permettrait aux petites entreprises de bénéficier d'un apport de trésorerie dans l'attente de leur paiement par les collectivités territoriales. En général, ces dernières payent, mais elles mettent un peu de temps à acquitter leurs factures, ce qui entraîne d'importants écarts de trésorerie. Cet affacturage public apporterait un bol d'air considérable aux économies ultramarines.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, je me réjouis que vous soyez en relation avec l'AFD, mais – pardonnez-moi de vous le dire – cela ne suffit pas.
Je me suis rendu il y a peu à La Réunion. J'ai remis ce matin à la commission des finances un rapport sur l'engagement de nos forces de souveraineté.
Ce qui m'a été dit très clairement, c'est que les difficultés que nous pouvons rencontrer avec les pays voisins pourraient être largement atténuées si l'action de nos forces de souveraineté et, de manière plus générale, la présence française étaient mieux coordonnées avec la politique de coopération, en particulier avec le travail de l'AFD.
J'entends votre engagement, mais il y a beaucoup de progrès à faire : je compte sur vous !
Mme la présidente. La parole est à Mme Vivette Lopez.
Mme Vivette Lopez. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse du débat qui nous rassemble aujourd'hui.
La mer, ses richesses et les perspectives qui y sont liées méritent de s'inscrire profondément dans notre pays. La stratégie maritime 2023-2029 doit s'y employer.
À cet égard, je m'attacherai plus particulièrement à la préconisation n° 7 du rapport de notre délégation aux outre-mer : il s'agit de développer les classes Enjeux maritimes dans les établissements scolaires, par des partenariats avec les grandes fondations et les personnalités engagées dans le monde maritime.
En effet, il serait judicieux de pousser notre jeunesse vers le large en l'incitant, par le biais de projets scolaires, à s'inscrire dans des démarches de sensibilisation aux enjeux maritimes. C'est souvent grâce aux jeunes vocations que les projets décisifs prennent vie, qu'ils aient trait à la science, à l'industrie, à l'aménagement du territoire ou encore à la défense.
Je tiens d'ailleurs à saluer le commandant et l'équipage du Marion-Dufresne, qui, en collaboration avec l'Ifremer, ont embarqué avec eux une centaine de jeunes de Mayotte et de La Réunion pour mieux leur faire connaître la mer et les métiers qui s'y rattachent. Leur aventure a duré un mois.
Les classes Enjeux maritimes sont nées au lycée français de Barcelone de la rencontre de deux femmes issues du monde de l'enseignement et de l'industrie navale. Elles ont pour vocation de faire prendre conscience à des élèves de quatrième, de troisième et de seconde qu'ils sont les citoyens d'une grande puissance maritime. Il s'agit également de leur donner les clés de lecture pour comprendre que les mers et les océans sont les théâtres de tous les défis de demain, qu'ils soient écologiques, économiques ou géopolitiques.
Cette création est très récente, mais vingt-sept projets sont déjà lancés à l'échelle nationale. Dans mon département, trois établissements se sont engagés. En revanche, je constate avec regret qu'une seule classe est répertoriée à ce jour dans l'ensemble de nos territoires d'outre-mer.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Vivette Lopez. L'éducation nationale prend actuellement toute sa part de cette ambition maritime.
Pouvez-vous m'indiquer les orientations que vous entendez prendre pour créer de telles classes outre-mer…
Mme la présidente. Concluez !
Mme Vivette Lopez. … et ainsi développer cet attrait ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame Lopez, je constate que la Vidourle est devenue un enjeu ultramarin, et je m'en réjouis ! (Sourires.)
Les outre-mer montrent la voie – c'est bien normal – du développement des classes Enjeux maritimes dans les établissements scolaires.
Vous avez salué l'initiative Écoles bleu outremer, et je vous en remercie. Le mérite de ce projet en revient avant tout au ministère de l'outre-mer, qui l'a organisé de A à Z, avec, bien sûr, l'aide de tous les participants.
Nous allons tenter de renouveler, d'autant que ce fut un succès, d'ailleurs suivi d'une réunion des divers chefs de service, qui ont ainsi été sensibilisés au sujet. C'était, de plus, sur le canal de Mozambique, dont beaucoup ici se préoccupent.
Je vous signale le projet de construction d'un lycée de la mer à La Réunion. L'ouverture de cet établissement est prévue pour la rentrée 2027. La construction d'un lycée professionnel maritime est également prévue à Mayotte, pour une ouverture prévue en 2028.
Nous sommes en train de réformer notre système de subvention aux diverses associations. Pour en savoir davantage, il vous suffit de téléphoner au ministère et de demander ma directrice adjointe de cabinet, qui est chargée de tous les sujets éducatifs. Je puis vous assurer que vous recevrez un bon accueil.
Enfin, je suis prêt à me rendre dans le Gard – vous savez combien ce département est cher à mon cœur – pour expliquer tout l'intérêt de cette démarche dans les établissements scolaires.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Au terme de ce débat, je souhaite évoquer le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, texte qui arrivera au Sénat dans quelques jours et dont je suis le rapporteur. En effet, je voudrais aborder la place des énergies marines renouvelables dans les territoires ultramarins.
Manque de gisements fonciers, faible interconnexion aux réseaux électriques continentaux, dépendance aux énergies fossiles importées, vulnérabilité face au changement climatique… tous ces facteurs rendent l'accélération de la transition énergétique plus urgente encore en outre-mer que dans l'Hexagone.
La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a fixé un objectif d'autonomie énergétique des départements d'outre-mer d'ici à 2030, via une croissance rapide des énergies renouvelables.
Force est de constater que cet objectif ne sera pas atteint : en moyenne, les énergies renouvelables représentent toujours moins de 30 % du mix électrique dans ces territoires, avec de fortes variations que l'on peut évidemment comprendre. En Guyane, le mix électrique est composé à plus de 50 % d'énergies renouvelables, tandis qu'à Mayotte et à la Martinique, le taux demeure inférieur à 10 %.
D'après une étude menée en 2020 par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l'autonomie énergétique serait atteignable dans nos outre-mer d'ici à 2035, à condition d'accompagner dans la durée le développement des énergies renouvelables, non seulement terrestres, mais maritimes, en particulier l'éolien offshore et l'énergie thermique des mers.
Selon cette étude, au maximum de leur potentiel, les énergies marines renouvelables pourraient représenter jusqu'à 30 % du mix électrique à Mayotte et en Guyane, 10 % à La Réunion, en Guadeloupe et à la Martinique.
Or, pour l'heure, ces énergies occupent une place très marginale dans nos territoires ultramarins, alors même que la France leur doit la richesse de son domaine maritime. Il existe pourtant un vaste potentiel, qu'il s'agisse de l'éolien offshore posé ou d'énergies plus émergentes comme l'éolien flottant, l'énergie houlomotrice et hydrolienne ou l'énergie thermique des mers.
Les expériences novatrices existent, mais elles sont rares et se heurtent à des difficultés techniques et financières. En parallèle, la nécessité d'adapter les technologies aux spécificités de chaque territoire ralentit le développement de filières industrielles pérennes.
Monsieur le ministre, à l'heure où nos outre-mer œuvrent à la révision de leurs programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE), que prévoit le Gouvernement pour accentuer le développement des énergies marines renouvelables, au-delà du texte qui s'annonce, dans l'ensemble de ces territoires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, vous l'avez dit vous-même : tout commence par les PPE. Or seule La Réunion l'a fait l ! Je lance donc un appel : tous ces territoires doivent accélérer la signature des PPE. On ne peut pas sans cesse changer de partition. Il faut arrêter de tourner en rond !
Les énergies renouvelables, auxquelles je suis extrêmement favorable, seront prises en compte dès lors qu'il y aura des PPE, que ce soit de gré à gré ou dans le cadre d'appels d'offres.
J'ai fait part de mon mécontentement au ministère de la transition énergétique, car, jusqu'à présent, les appels d'offres sur les énergies renouvelables de base n'étaient pas lancés. Ce sera bientôt chose faite.
Cela étant, ces appels d'offres ne doivent pas cacher l'absolue nécessité, quel que soit le développement des énergies renouvelables, de garder une énergie bioliquide et les grandes usines qu'elle implique.
Cette énergie est indispensable pour stabiliser et sécuriser les approvisionnements. C'est tout le problème en Guyane, avec la centrale du Larivot ; il en est de même en Corse et dans les autres zones non interconnectées (ZNI).
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) agit en ce sens, de même que le Gouvernement, au travers de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). En complément des énergies renouvelables, il faut accepter de payer une usine fonctionnant au minimum, afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement.
J'en viens aux énergies marines outre-mer. Lorsque j'étais président de la CRE, les décisions étaient, à ma demande, prises en comité interministériel de la mer. Ainsi, dès lors qu'une PPE entrait en vigueur, toutes les études relatives à l'implantation d'éoliennes en mer étaient financées par la CSPE. Mais encore faut-il que les PPE soient votées…
Enfin, les régions ultramarines doivent être fières des innovations qu'elles recèlent en matière d'énergie. Je pense aux Sea Water Air Conditioning (SWAC) de La Réunion, à la centrale à hydrogène de Saint-Laurent-du-Maroni et à nombre d'initiatives encore. Mais l'État ne saurait tout faire : les opérateurs ont aussi un rôle à jouer et – j'y insiste –, pour qu'ils puissent entrer en action, il faut que les PPE soient votées. Pardonnez-moi mon léger mouvement d'humeur à ce sujet…
source http://www.senat.fr, le 13 octobre 2022