Interview de M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, à Radio J le 13 octobre 2022, sur les difficultés d'approvisionnement dans les stations-service, la discussion au Parlement du budget pour 2023, la fonction publique, la laïcité à l'école et la sobriété énergétique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Stanislas GUERINI, bonjour.

STANISLAS GUERINI
Bonjour.

CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue. La situation doit revenir à la normale la semaine prochaine. Dans son interview télévisée hier, le Président de la République n'a-t-il pas pris un risque ?

STANISLAS GUERINI
Il a affiché un volontarisme, très clair. Nous, on fait tout pour que la situation puisse revenir à la normale. Et il a surtout rappelé la primauté du dialogue social. C'est bien normal dans deux entreprises privées que le patronat et les salariés, dont certains sont en grève, se parlent, essayent de trouver un accord. Quand ils trouvent un accord, c'est le cas chez EXXON, qu'on puisse l'appliquer.

CHRISTOPHE BARBIER
Donc réquisition pour ceux qui rejettent l'accord ?

STANISLAS GUERINI
Donc réquisition, et c'est là où le Gouvernement prend ses responsabilités. Et une situation dans une entreprise où li y a un accord majoritaire et un syndicat minoritaire ne souhaite pas suivre et continue à bloquer, alors, le Gouvernement prend ses responsabilités parce qu'on pense aux 22 millions de personnes qui tous les jours prennent leur voiture pour aller travailler, tiens, pour aller rendre des services publics. Et cette situation n'est pas acceptable, elle n'est pas supportable.

CHRISTOPHE BARBIER
Donc, sur TOTAL, on va voir sans doute le même scénario. La CGT refuse les négociations proposées par la Direction.

STANISLAS GUERINI
Tout est dans les mains, je crois, là aussi du dialogue social. Il y a des discussions qui ont commencé timidement, peut-être pas assez rapidement. Donc, enfin, le dialogue social se passe chez TOTAL ; il doit aller au bout.

CHRISTOPHE BARBIER
Et vite.

STANISLAS GUERINI
Et vite, bien entendu. Et je crois que le Gouvernement a fait la démonstration qu'il était prêt à prendre ses responsabilités.

CHRISTOPHE BARBIER
Le Président a d'ailleurs clairement mis en cause la CGT pour son jusqu'au-boutisme. Alors, excusez-moi, vous vous adressez, vous aussi, à la CGT directement ?

STANISLAS GUERINI
Bien entendu. J'ai déjà été interrogé en disant qu'ils ont une grande responsabilité de ne pas bloquer le pays. On peut avoir des revendications, on peut réclamer un plus juste partage de la valeur par exemple dans une entreprise. Ce n'est pas inouï de porter un message comme cela. Mais bloquer le pays, c'est une autre affaire. Principalement et singulièrement quand, dans une entreprise, il y a eu un accord majoritaire avec des organisations qui, elles, acceptent de sortir de la grève. Il faut savoir arrêter une grève. Vous connaissez cet adage.

CHRISTOPHE BARBIER
Maurice THOREZ, quand on a obtenu gain de cause.

STANISLAS GUERINI
Bien sûr, mais en l'occurrence chez EXXON parce que le dialogue social a pu avoir lieu, il y a eu des avancées et je crois qu'il y a eu gain de cause en l'occurrence.

CHRISTOPHE BARBIER
En ce moment, les services de l'État ont du mal à faire rouler leurs véhicules ou il y a des réserves ?

STANISLAS GUERINI
C'est compliqué, comme pour tout le monde, mais il y a des réserves stratégiques, il y a des décisions qui ont été prises de débloquer les réserves stratégiques, de faire rouler les camions le week-end. Donc il y a des solutions qui sont devant nous mais évidemment que la situation, elle est plus complexe pour tout le monde.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que le patronat ne doit pas aussi comprendre qu'il est maintenant temps d'ouvrir de vraies négociations sur les salaires ?

STANISLAS GUERINI
Je pense qu'il a une part de responsabilité bien sûr, importante. Moi, j'ai toujours plaidé pour à la fois soutenir les entreprises. Je pense qu'on mène une politique de l'offre, une politique qui porte ses fruits. On est depuis maintenant quelques années le pays qui est le plus attractif d'Europe. Tout ça, ce n'est pas venu par hasard, c'est parce qu'on a une certaine constance.

CHRISTOPHE BARBIER
Les investissements ont suivi ?

STANISLAS GUERINI
Parfois en se faisant critiqué parce qu'on baisse les impôts des entreprises, on baisse aussi des impôts des ménages. Mais la question qui se pose, c'est évidemment le meilleur partage de la valeur.

CHRISTOPHE BARBIER
Les actionnaires ont été récompensés vite…

STANISLAS GUERINI
Vous savez, moi, j'ai travaillé une loi qui a permis de mettre zéro taxe, zéro impôt dans les petites entreprises, dans les PME, pour faire de la participation et de l'intéressement. Utilisons ces outils, ils ne sont pas encore suffisamment utilisés. Je crois que c'est des bons outils pour pouvoir, dans des années exceptionnelles, les énergéticiens connaissent une année exceptionnelle pour des raisons que chacun comprend bien ici, mieux partager la valeur, verser des primes. On a pris la décision de défiscaliser, d'augmenter la prime MACRON qu'on peut verser jusqu'à 6 000 euros pour certains cas dans certaines entreprises. Évidemment que le patronat a une responsabilité.

CHRISTOPHE BARBIER
Année exceptionnelle, dividendes et bénéfices exceptionnels, un amendement taxant ces super dividendes a été adopté cette nuit, alors contre l'avis du Gouvernement, avec des voix du PS, avec des voix RN, avec des voix Renaissance. Comment interprétez-vous ? Ce qui passe pour un camouflet pour vous ?

STANISLAS GUERINI
Vous voyez, si je suis cohérent, je ne suis pas favorable.

CHRISTOPHE BARBIER
Pourquoi ?

STANISLAS GUERINI
Je crois que ça n'est pas une bonne idée parce que je viens d'exprimer une forme de constance, et je pense que ça a de la valeur, y compris dans la vie économique du pays. Il faut donner de la lisibilité. Nous, notre politique, et on ne va pas s'en excuser, c'est de baisser les impôts des entreprises pour pouvoir créer de l'emploi, pour pouvoir créer de la valeur. Ensuite, ça n'empêche pas d'être très exigeant sur le partage de la valeur. Donc, moi, je ne suis pas pour que, à travers un amendement dans la nuit, on recrée une taxe surprise comme cela. On a un effort. Il y a tout un mécanisme qui a d'ailleurs inspiré l'Europe, pour pouvoir récupérer une partie de la rente des énergéticiens, mais c'est différent. Et je le fait valoir à votre antenne ce matin que créer une taxe comme ça, sans créer égard, par une belle nuit dans un beau débat sur le PLF qui remet en cause, je crois, une forme de cohérence de la politique fiscale et économique de ce Gouvernement.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, s'il y a cette créativité législative en ce moment, c'est parce que tout le monde se dit : de toute façon, il y aura un 49-3 qui va tout balayer ; autant voter ce qu'on peut voter avant que ce 49-3 arrive.

STANISLAS GUERINI
Oui. Je ne pense pas que ce soit une bonne manière de réfléchir. Quelle est la position du Gouvernement ? C'est une position de dialogue, d'enrichissement du texte. C'est ce qui a été fait depuis le début avec l'opposition et la majorité évidemment. Les ministres, Gabriel ATTAL, Bruno LE MAIRE, ont reçu l'ensemble des parlementaires, les oppositions notamment, en amont du texte pour dire quels sont les sujets sur lequel vous voulez faire des propositions, sur lequel avancer ? Donc il y a la possibilité d'enrichir ce texte. Je crois qu'on confond d'une certaine façon le 49-3, c'est-à-dire le fait d'utiliser un outil démocratique et de se soumettre à la confiance du Parlement, avec l'idée de ne rien prendre, de ne prendre aucun enrichissement. Ça n'est pas vrai. Le 49-3 peut tout à fait être appliqué sur un texte enrichi, intégrant des amendements qui ont été portés par la majorité et par l'opposition. Donc, mon message ce matin, c'est de travailler, travailler sincèrement dans l'intérêt général, pas dans des postures politiciennes, et de faire des propositions pour enrichir, y compris le texte budgétaire.

CHRISTOPHE BARBIER
La présidente des LR par intérim, Annie GENEVARD disait hier à ce micro : "Il n'y aura pas de motion de censure des LR et nous ne voterons pas de motion de censure". Vous êtes rassuré ?

STANISLAS GUERINI
Moi, je n'ai pas être rassuré ou pas. Vous voyez, je suis ministre de la Fonction publique, c'est-à-dire des agents de la Fonction publique. Moi, je vois très bien ce que c'est qu'un budget. Un budget, c'est ce qui - dans le pays - permet de payer des fonctionnaires, permet de payer des policiers, des soignants, dans les hôpitaux. Ce n'est pas une petite affaire un budget. Et donc nous avons besoin de faire voter un budget. Les outils qui sont à notre disposition sont des outils légitimes pour faire avancer notre pays, pour continuer à protéger les Français, pour continuer à investir. C'est ça notre posture et, nous, notre responsabilité. Donc, moi, je n'ai pas à être inquiet ou pas inquiet. J'ai, avec l'ensemble du Gouvernement, à être volontariste, déterminé, pour faire avancer notre pays.

CHRISTOPHE BARBIER
Dans le cadre de la Fonction publique, comment envisagez-vous la problématique salariale ? Il y a eu la revalorisation du point d'indice, quelle est la prochaine étape ?

STANISLAS GUERINI
D'abord, effectivement, on a fait une étape qui était importante. Moi, j'ai porté la plus forte revalorisation du point d'indice depuis 1983.

CHRISTOPHE BARBIER
Il y avait des années de gel…

STANISLAS GUERINI
C'était le début du quinquennat de François MITTERRAND, 3,5 points d'augmentation du point d'indice.

CHRISTOPHE BARBIER
Mais l'inflation est à 5,6.

STANISLAS GUERINI
Oui, c'est vrai mais à ces 3,5 points, il faut ajouter ce qui sont les augmentations moyennes dans la Fonction publique : 1,5 point en moyenne cette année. Ça veut dire qu'il y a eu 5 % d'augmentation moyenne des rémunérations dans la Fonction publique. Pas beaucoup de grandes entreprises qui ont augmenté les rémunérations de cette façon-là. Ça correspond à peu près à l'inflation. Là aussi, je prends des pincettes moyennes que nous vivons dans le pays. L'INSEE, à la fin de l'année, 5,4 %.

CHRISTOPHE BARBIER
Et demain ?

STANISLAS GUERINI
Mais j'ai été très clair, nous avons - et c'est ma principale priorité - un grand défi qui est celui de l'attractivité dans la Fonction publique. Oui, moi, je le dis de façon très cash : le nombre de candidats au concours dans la Fonction publique, il a été divisé par deux depuis dix ans. Donc on a besoin, il faut le dire. Moi, je m'adresse aussi à toutes celles et ceux qui nous écoutent, aux jeunes notamment, de gens motivés pour venir travailler, à servir l'intérêt général du pays. Il n'y a pas de plus grande mission à nous aider, par exemple, à faire la transition écologique. Donc cette question de l'attractivité, elle se joue aussi sur la fiche de paie. Et je mènerai l'année prochaine, avec les organisations syndicales, une réforme justement des carrières et des rémunérations dans la Fonction publique.

CHRISTOPHE BARBIER
Pour attirer de nouveaux talents ?

STANISLAS GUERINI
Pour qu'on puisse mettre à plat la façon dont on rémunère nos agents publics dans le pays, pouvoir bâtir des carrières plus attractives, plus évolutives où l'on puisse aussi basculer d'un pôle à la Fonction publique à un autre pôle à la Fonction publique. C'est un grand défi qui est devant nous mais je crois qu'il faut absolument le relever parce que c'est le défi sur lequel tout le reste repose, notre capacité à porter des services publics efficaces pour nos concitoyens. Donc c'est ma priorité.

CHRISTOPHE BARBIER
Pas facile, par exemple, d'être prof ? Un prof alsacien a été menacé pour avoir parlé laïcité dans sa classe ? Un parent d'élève l'a même rappelé, Samuel PATY. Qu'est-ce qu'on fait ?

STANISLAS GUERINI
C'est terrible. Il faut évidemment faire maintenant de la plus grande fermeté.

CHRISTOPHE BARBIER
Ça se punit ça ? Ce genre de menace, ça se punit ?

STANISLAS GUERINI
Menace de mort ? Heureusement que je vous réponds que ça se punit dans notre pays, c'est l'évidence. Je crois que le quinquennat précédent est un quinquennat d'électrochoc terrible pour voir que des faits communautaristes qui parfois été classés dans la catégorie un peu banal du quotidien. Ils avaient malheureusement - et on l'a vu avec Samuel PATY - une ligne directe avec les actes les plus terribles de terrorisme islamiste.

CHRISTOPHE BARBIER
Zéro tolérance.

STANISLAS GUERINI
Il ne faut pas avoir de tolérance. Jean-Michel BLANQUER portait ce message ; il disait : "Il faut mettre fin au pas de vagues" qui avait été parfois un peu coutume dans nos institutions.

CHRISTOPHE BARBIER
Et son successeur est un peu moins…

STANISLAS GUERINI
Ce n'est pas vrai.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous vous sentez très ferme. OK.

STANISLAS GUERINI
Je crois qu'il a endettement qui est plein et entier. Pap NDIAYE a pu le réaffirmer hier à l'Assemblée nationale, il l'a fait à maintes reprises depuis qu'il a été nommé ministre de l'Éducation nationale. Il est extrêmement clair et extrêmement ferme sur nos principes républicains. Et je voudrais vous dire quelque chose : je crois qu'il y a eu un moment d'émotion, c'était le moment le plus émouvant de la question à la séance de questions au Gouvernement mardi, quand il a salué son collègue professeur d'histoire Samuel PATY. Je pense que ce moment-là, il a fait résonner dans tous les bancs de l'Assemblée nationale ce sentiment urgent de faire vivre et de défendre nos principes républicains. Je peux vous garantir que Pap NDIAYE, il est en première ligne pour ça.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors vous devez convertir l'État à la sobriété énergétique. Vous voulez un État exemplaire. Vous allez former à partir de la semaine prochaine des dizaines de milliers de cadres. Qu'est-ce qui va se passer ?

STANISLAS GUERINI
Il va se passer quelque chose de très simple : on va consacrer du temps à former celles et ceux qui dans la Fonction publique ont le plus de leviers de décisions entre leurs mains. On va former les 25 000 cadres dirigeants de la Fonction publique. Et on va le faire, pas dans un petit webinaire, une heure chrono d'un écran ; non, va consacre environ deux jours à travailler avec eux, à comprendre les grands enjeux, et surtout à voir comment est-ce qu'on peut rentrer dans une logique d'action, service administratif par service administratif.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors leur mission, ce sera quoi ?

STANISLAS GUERINI
Voir ce qu'il convient de faire, rénover les bâtiments, changer le parc de véhicules, de véhicules pour que nos agents puissent justement rouler, aller en service. On en parlait il y a quelques secondes. Donc on lance le plan le plus ambitieux qui n'ait jamais été porté à la formation, à la transition écologique dans la Fonction publique. Ça démarre dès la semaine prochaine avec les directrices, les directeurs d'administration centrale et on va former d'ici à 2024 tous les cadres dirigeants de la Fonction publique d'État pour pouvoir transformer.

CHRISTOPHE BARBIER
Avec des objectifs chiffrés ?

STANISLAS GUERINI
Bien sûr. J'ai présenté la semaine dernière le plan de sobriété pour l'État : baisser de 10 % notre consommation énergétique. Ça peut paraître un peu théorique quand je le dis comme ça, mais si on réussit c'est l'équivalent de la consommation de tous les habitants de Montpellier pendant un an d'économies d'énergie qu'on va aller chercher. C'est motivant. C'est-à-dire qu'on peut réussir. On peut réussir parce qu'on roulera un petit peu moins vite sur l'autoroute quand on sera dans son véhicule de service, parce qu'on tiendra nos températures de chauffage. Quand le réseau sera en tension, on ira même demander un effort supplémentaire d'être à 18 degrés pour les agents et pour les bâtiments publics. Tout ça, ce sont des efforts du quotidien, ce sont des changements de pratique, de culture aussi mais ils nous permettent d'enclencher non pas simplement la sobriété à court terme, mais la planification écologique. Ce quinquennat, ça doit être celui de l'accélération et du changement d'échelle sur cette dimension.

CHRISTOPHE BARBIER
Stanislas GUERINI, merci. Bonne journée.

STANISLAS GUERINI
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 octobre 2022