Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la guerre en Ukraine et aux conséquences pour la France.
Après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe, puis à Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à M. le ministre des armées pour leur répondre.
La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a huit mois, la Russie a attaqué l'Ukraine.
Cette guerre est illégale, contraire à toutes les règles du droit international.
Cette guerre est destructrice. Elle provoque chaque jour plus de dommages et de victimes.
Cette guerre est cynique. Elle est le fruit de mensonges, et la Russie utilise sans vergogne la manipulation et les pires chantages.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce conflit touche d'abord un pays, l'Ukraine, et son peuple.
Depuis huit mois, autour du président Zelensky, du Premier ministre Chmyhal et des forces armées, les Ukrainiens résistent aux assauts russes. Mieux, ils les repoussent. Leur courage force l'admiration. Leur héroïsme force le respect.
Malgré les morts, malgré les drames, le peuple ukrainien se bat et n'a jamais rien cédé.
Je veux commencer, au nom du Gouvernement, et j'en suis sûre, en votre nom à tous, par dire notre soutien et notre solidarité pleine et entière envers le peuple ukrainien. (Applaudissements.)
Mais, nous le savons, ce qui se joue dans ce conflit dépasse largement les frontières de l'Ukraine. Le Président de la République l'a dit : ce conflit engage notre responsabilité à tous.
En Ukraine, ce sont nos valeurs qui sont attaquées. Vladimir Poutine l'a reconnu lui-même : en menant cette guerre, c'est notre modèle démocratique qu'il vise. Ce sont les droits de l'homme qu'il veut faire flancher.
Alors, nous devons montrer que nos valeurs sont fortes et que l'on ne peut pas s'en prendre sans conséquence à la démocratie.
Cette guerre est un moment de vérité. L'ordre international est bouleversé. L'espoir d'une paix durable en Europe est balayé. Certaines grandes puissances montrent qu'elles sont prêtes à tout pour s'imposer.
Face à cela, nous avons un devoir de solidarité : solidarité envers les Ukrainiens qui risquent leur vie, solidarité entre Européens qui doivent faire bloc face à la Russie et penser leur avenir ensemble, solidarité entre alliés qui doivent agir conjointement pour dissuader la Russie d'aller plus loin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce conflit dure et va durer. L'attaque russe a des conséquences très concrètes pour notre pays, pour nos concitoyens. Des conséquences dont nous n'avons malheureusement pas fini de mesurer les effets.
Il était donc important de nous retrouver et de débattre de ce conflit et de ses conséquences pour notre pays.
Je souhaite commencer par un point sur la situation opérationnelle.
L'attaque russe a été synonyme d'un déchaînement de violence, en dépit de toutes les règles. Les civils, les écoles, les hôpitaux, les centres commerciaux et même les convois humanitaires sont pris pour cibles sans discernement.
Les frappes russes se poursuivent. Les grandes villes, notamment Kiev, sont prises pour cible par des attaques de drones ou des tirs de missiles de croisière sur des zones résidentielles. L'objectif de ces tirs n'est pas militaire : il est de détruire et de terroriser.
Les Russes mènent par ailleurs une attaque ciblée contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes. Les frappes sur la centrale de Sud-Ukraine et l'occupation militaire de la centrale de Zaporijia par les Russes font courir des risques majeurs à l'Ukraine, à l'Europe, et à la Russie elle-même.
La situation à Zaporijia nous préoccupe en particulier. Nous soutenons la proposition du directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) d'établir une zone de protection autour de la centrale. Ce serait une étape vers la démilitarisation, la cessation complète des tirs, ainsi que le retrait des équipements militaires russes.
Les discussions en ce sens doivent naturellement respecter la souveraineté ukrainienne et son intégrité territoriale.
Depuis le 10 octobre, c'est l'ensemble du réseau électrique ukrainien qui est en péril. Un tiers du parc énergétique ukrainien a déjà été mis hors d'usage par l'armée russe.
Dans les territoires occupés, on assiste à des transferts de population forcés, y compris d'enfants.
Là où l'armée ukrainienne progresse, la libération s'accompagne de la découverte de massacres et de charniers, comme à Boutcha au printemps, et plus récemment à Izioum. Ce sont des actes choquants, révoltants, monstrueux. Ce sont des violations barbares des lois de la guerre. La Russie devra en répondre.
Nous sommes déterminés à ce que les crimes commis par la Russie soient documentés, jugés et punis. La France y contribue.
Au-delà du champ de bataille, la Russie mène une guerre sur tous les fronts. Je pense aux cyberattaques. Je pense aux manipulations de l'information.
Parmi les dernières manipulations de la Russie, je note les propos invraisemblables du ministre de la défense russe sur l'utilisation d'une bombe sale par l'Ukraine. Ce n'est rien d'autre qu'un mensonge supplémentaire de Moscou pour légitimer l'escalade.
N'ayons aucun doute : la Russie est prête à aller plus loin. Poutine n'hésite pas à menacer d'utiliser toutes les armes à sa disposition. Il continuera à le faire.
Malgré la violence et les méthodes de la Russie, l'Ukraine repousse aujourd'hui l'assaut russe. Dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk, l'avancée russe a été arrêtée.
Une contre-offensive a commencé, avec des résultats visibles. L'armée ukrainienne a réussi des percées dans les régions de Kharkiv et de Lyman, et progresse également dans le sud, dans la région de Kherson. À date, on compte 600 villages libérés par l'Ukraine.
Face à cela, Vladimir Poutine a répondu par de nouvelles décisions cyniques. C'est le cas de la mobilisation partielle qu'il a décrétée le 21 septembre. Une mobilisation qui a été suivie de contestation et de départs massifs vers l'étranger.
C'est aussi le cas de la mascarade des référendums truqués dans les régions de l'est de l'Ukraine. Vladimir Poutine fait semblant de croire qu'une parodie de démocratie pourrait camoufler une annexion illégale. Mais la France, par la voix du Président de la République, l'Union européenne et l'Assemblée générale des Nations unies ont toutes condamné cette annexion illégale et refusé de la reconnaître.
Malgré les fragilités russes, ne croyons pas un instant que la fin des combats soit proche. La mobilisation russe apportera de nouveaux soldats sur le front. L'arrivée de nouvelles troupes russes en Biélorussie nous préoccupe collectivement. La Russie est prête à tout.
Et ce n'est pas sur un champ de bataille, mais autour d'une table de négociation que nous trouverons une issue à cette guerre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en attendant que les conditions d'une sortie du conflit soient réunies, nous avons un devoir : aider l'Ukraine autant que nous pouvons, sans entrer en guerre avec la Russie.
Dès le début du conflit, en s'adressant aux Français, le Président de la République avait prévenu : cette guerre marquait une rupture, et nous n'avions pas fini d'en mesurer les effets.
Pourtant, nous n'avons pas hésité une seconde à agir. Si nous n'avions pas agi en Européens, en alliés, en nation libre et fidèle à ses valeurs, nous aurions ouvert la porte à un ordre international brutalisé où la fin justifie tous les moyens. Nous aurions laissé penser que les démocraties étaient faibles. Nous aurions planté les germes de conflits futurs qui nous auraient menacés encore plus directement.
Alors, depuis le début du conflit, avec l'Europe et avec les alliés, nous avons décidé de livrer du matériel militaire à l'Ukraine.
Dès la fin du mois de février, notre pays a commencé les livraisons d'armement. Nous avons d'abord livré des armes individuelles, des munitions et du carburant. Puis sont venus s'ajouter des équipements plus lourds, comme des canons Caesar et des véhicules blindés.
Nous poursuivons aujourd'hui nos efforts. Nous allons livrer très prochainement des systèmes antiaériens comme le Crotale, et nous étudions l'envoi de moyens d'artilleries supplémentaires comme des lance-roquettes unitaires.
Nous continuons également à agir en Européens. L'Union européenne a d'ores et déjà mobilisé 2,5 milliards d'euros au titre de la Facilité européenne pour la paix pour apporter du matériel militaire à l'Ukraine. Les Vingt-Sept viennent de décider d'y ajouter 500 millions d'euros de plus.
Par ailleurs, nous soutenons le lancement d'une mission d'assistance militaire de l'Union européenne, qui va permettre de dispenser des formations aux forces armées ukrainiennes.
L'objectif de cette mission est, dans un premier temps, de former 15 000 militaires ukrainiens. La France en accueillera 2 000.
Il fallait trouver un moyen de faciliter l'acquisition par l'Ukraine de matériel répondant au mieux à ses besoins. Le Président de la République a ainsi annoncé au début du mois la mise en place d'un fonds spécial, doté de 100 millions d'euros, pour permettre à l'Ukraine de commander des matériels directement auprès de nos industriels. Ce fonds s'ajoute à la part française de financement de la Facilité européenne pour la paix.
Les premières commandes ont déjà été passées. Nos industriels doivent s'engager fortement pour y répondre.
Au-delà, la France agit en allié fiable et crédible. Dès les premiers jours du conflit, à la demande du Président de la République, nous avons renforcé notre dispositif sur le flanc est de l'Otan.
La semaine dernière, nous avons annoncé un nouveau renforcement de notre dispositif militaire dans le cadre des missions de réassurance de l'Alliance.
Dans les prochains jours, nous allons projeter des chars Leclerc en Roumanie, où nous sommes nation-cadre de la mission de l'Otan. En Lituanie, des Rafale seront déployés avant la fin de l'année et pour quatre mois. Nos véhicules de combat d'infanterie Griffon les plus modernes iront en Estonie.
Cette présence en Roumanie et dans les États baltes illustre l'engagement avec nos alliés. La Russie pensait trouver l'Otan faible et divisée, elle l'a ressoudée.
Mais notre soutien militaire n'est qu'une partie de notre action. Dès les premiers jours de la guerre, avec l'Union européenne, nous avons pris des sanctions fortes.
Là encore, Vladimir Poutine croyait diviser l'Europe. Elle a fait face et montré son unité et sa détermination face à la crise. Je dirai même plus : bien malgré lui, le président Poutine a renforcé l'Europe.
Le premier paquet de sanctions a été adopté en moins de vingt-quatre heures. En tout, huit paquets ont été adoptés jusqu'à présent.
Notre objectif est le même depuis le début : rendre le coût de la guerre insupportable pour la Russie ; frapper durement son économie pour l'empêcher de financer son offensive.
Nous avons pris des sanctions massives et de tous ordres : financières, bancaires, commerciales, mais aussi contre la propagande russe et contre les dirigeants et les oligarques. Avec le huitième paquet adopté, ce sont près de 1 300 personnes directement touchées par des gels d'avoirs ou des interdictions de voyage en Europe.
L'Europe n'a pas reculé devant les décisions courageuses. Je pense notamment à l'embargo sur les importations de charbon, de pétrole brut et de produits raffinés russes. Avec les prix élevés de l'énergie, Moscou préserve l'illusion. Mais les faits sont là : les sanctions fonctionnent.
L'économie russe est entrée en récession et elle sera durablement affectée. Par son obstination, Vladimir Poutine hypothèque l'avenir de son pays et appauvrit son propre peuple.
Nous sommes fermes. Nous n'hésitons pas non plus à sanctionner ceux qui soutiennent la guerre du président russe. Vendredi dernier, l'Union européenne a ainsi sanctionné l'Iran, qui a fourni des drones à la Russie pour mener ses exactions.
Abandonner les sanctions, ce serait abandonner l'Ukraine, ce serait aussi trahir nos valeurs. Je veux être très claire : les sanctions continueront tant que Vladimir Poutine s'évertuera dans sa spirale belliqueuse.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre soutien à l'Ukraine passe par les livraisons de matériel, par les sanctions, mais il s'incarne aussi dans une action humanitaire résolue.
En France, plus de 200 millions d'euros ont été mobilisés, et 2 500 tonnes de matériel livrées.
Nous nous sommes également organisés pour accueillir les Ukrainiens chassés par la guerre. Plus de 100 000 ont été accueillis, et près de 19 000 enfants ont été scolarisés. Cela s'est fait rapidement, efficacement, dignement.
Nous avons pu agir grâce à l'action rapide et exemplaire de l'Europe. Dès le 3 mars, les Vingt-Sept ont accordé la protection temporaire aux déplacés ukrainiens. C'est une première. Quelque 4 millions de personnes en bénéficient aujourd'hui à l'échelle européenne.
Je sais également que notre action humanitaire aurait été impossible sans l'élan de solidarité nationale qui s'est engagé depuis huit mois.
Je pense à nos organisations non gouvernementales (ONG), à nos entreprises, et, bien sûr, à nos compatriotes : ceux qui accueillent des déplacés ukrainiens chez eux recevront prochainement une aide.
Je pense aussi, et je le dis tout particulièrement devant le Sénat, à nos collectivités. Elles ont été mobilisées, engagées. Elles permettent l'accueil et la scolarisation des déplacés ukrainiens. Elles sont indispensables face à cette crise, et avec vous, je veux saluer leur action.
Notre soutien à l'Ukraine est également diplomatique.
L'Ukraine fait pleinement partie de la famille européenne. Lors du Conseil européen, en juin, le statut de pays candidat à l'Union européenne lui a été accordé à l'unanimité. Le chemin de l'adhésion est long, exigeant. Il n'y aura pas de procédure accélérée ou de critères au rabais. Ce ne serait dans l'intérêt de personne, ni de l'Union européenne ni de l'Ukraine.
Sans préjudice de ce processus d'adhésion, la Communauté politique européenne proposée par le Président de la République se met en place. Elle permettra à tous ses membres, dont l'Ukraine, de bénéficier de coopérations concrètes, par exemple dans les domaines de l'énergie, des infrastructures ou de la sécurité.
La première réunion de la Communauté politique européenne, le 6 octobre à Prague, a été un succès. Quelque quarante-quatre chefs d'État et de gouvernement y ont pris part. La pertinence de ce format a été unanimement saluée.
C'est une première étape de très bon augure pour la deuxième réunion de cette nouvelle communauté prévue en Moldavie au semestre prochain.
Enfin, soutenir l'Ukraine, c'est accompagner sa reconstruction.
On évalue pour l'instant à près de 350 milliards d'euros les besoins du pays pour se reconstruire. C'est un défi colossal. Un défi d'autant plus important que ce montant va sans doute encore s'accroître.
L'Ukraine ne réussira pas seule. Nous serons, en Français et en Européens, à ses côtés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous le savons tous, les conséquences de la guerre dépassent largement les frontières de l'Ukraine. Aussi, depuis février, le Gouvernement agit sans relâche pour limiter l'impact du conflit sur notre pays.
Le premier défi est énergétique.
La guerre et l'arrêt quasi total des livraisons de gaz russe vers l'Europe ont provoqué des tensions d'approvisionnement et de nouvelles hausses de prix.
Rappelons que c'est bien la Russie qui a lancé cette guerre. C'est elle qui nous pousse à répondre en retour. C'est encore elle qui fait du gaz et de l'énergie un objet de chantage.
En outre, tout indique que des actes de sabotage graves et irresponsables ont été commis contre les gazoducs Nord Stream 1 et 2. Une enquête internationale indépendante est en cours, et il ne m'appartient pas de tirer des conclusions ici.
Je veux néanmoins le dire : nous répondrons avec nos partenaires de manière ferme et unie à cette attaque contre les infrastructures énergétiques européennes.
Dans ce contexte, nous sommes prêts à affronter les mois qui viennent.
Comme j'ai eu l'occasion de le préciser devant vous lors de notre débat sur la politique énergétique, nous avons anticipé la situation. Grâce à notre action préventive, grâce à la sobriété et à la solidarité européenne, nous nous sommes mis en mesure de traverser l'hiver sans coupure.
Nous travaillons aussi, vous le savez, pour limiter l'impact de la montée des prix sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens.
Très tôt, nous avons pris des mesures fortes, les plus protectrices d'Europe. Le bouclier tarifaire a permis de bloquer les prix du gaz et de limiter la hausse des prix de l'électricité pour les ménages, les très petites entreprises et les plus petites communes.
Le mois dernier, j'ai annoncé que le bouclier tarifaire serait prolongé. Alors que les prix auraient dû doubler, la hausse sera limitée à 15 %.
Au-delà des ménages, nous devons protéger les entreprises et les collectivités face à la hausse des prix. Je sais que c'est un sujet sur lequel vous êtes particulièrement mobilisés.
Nous voulons d'abord traiter le problème à la racine, en faisant baisser les prix.
Le Président de la République est pleinement investi pour trouver une solution européenne. Le Conseil européen des 20 et 21 octobre a ouvert la voie à plusieurs mesures.
Pour faire baisser les prix, nous avons mis en place des outils pour favoriser les achats communs de gaz. Nous travaillons aussi à un mécanisme visant à limiter la hausse du prix de l'électricité. Nous défendons, vous le savez, l'extension à toute l'Europe du dispositif qui a permis de diviser par deux, voire trois, les prix en Espagne.
Plus largement, nous devons engager une réforme structurelle du marché de l'électricité pour que ses prix reflètent mieux et durablement la réalité des coûts de production.
En parallèle, nous travaillons pour protéger les entreprises et les collectivités face à la flambée des prix de l'énergie. Le Gouvernement présentera des mesures en ce sens d'ici à la fin de la semaine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des réponses d'urgence, nous devons tirer toutes les conséquences de cette guerre et préparer l'avenir.
Ce conflit nous a rappelé l'importance de notre souveraineté française et européenne.
Nous devons tout d'abord bâtir une souveraineté énergétique en accélérant notre sortie des énergies fossiles. Nous y parviendrons par une stratégie ambitieuse fondée sur la sobriété, le nucléaire et les énergies renouvelables.
Hier soir et aujourd'hui, vous avez examiné en commission le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Je suis convaincue que nous pourrons trouver des points d'accord et avancer sur ce texte ensemble.
Nous devons ensuite bâtir notre souveraineté alimentaire.
Dès le mois de mars, des mesures ont été prises avec l'appui de l'Union européenne pour protéger les agriculteurs et les consommateurs. Nous agissons également en Français et en Européens pour faciliter l'acheminement des exportations agricoles ukrainiennes.
Par ailleurs, nous prendrons le chemin de la souveraineté alimentaire grâce aux investissements de France 2030 et à la future loi d'orientation et d'avenir pour l'agriculture.
Enfin, cette guerre nous prouve une fois de plus l'urgence de consolider notre souveraineté stratégique.
À l'échelon national, la guerre nous conforte dans la décision de poursuivre les efforts engagés dans le cadre de la loi de programmation militaire actuelle. Le Président de la République a réaffirmé son ambition : disposer d'armées au meilleur niveau, prêtes à agir et à prendre l'ascendant dans tous les milieux.
Une analyse poussée a été menée dans le cadre de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale qui a fait l'objet d'échanges avec les commissions compétentes des deux assemblées.
Sur ce fondement, une nouvelle loi de programmation vous sera présentée au premier semestre 2023.
Enfin, cette guerre a prouvé une fois de plus l'importance du multilatéralisme et la nécessité d'une autonomie stratégique européenne.
Sous présidence française du Conseil de l'Union européenne, ces derniers mois ont été l'occasion d'avancées historiques.
La Facilité européenne pour la paix a été utilisée pour aider directement un pays attaqué à se défendre. Nous avons acté notre volonté de renforcer les investissements européens en matière de défense par l'adoption de la boussole stratégique. Nous nous sommes engagés collectivement, lors du sommet de Versailles en mars, à réduire nos dépendances.
Ce conflit a marqué le réveil géopolitique de l'Europe. Nous savons désormais qu'il nous faut peser pour faire valoir nos valeurs et notre modèle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce conflit dure, mais il devra trouver une issue. Après la guerre, l'Ukraine devra être libre et souveraine. Après cette guerre, la Russie sera toujours notre voisine. Elle est et restera une grande puissance. Seule la diplomatie permettra de trouver une sortie durable à ce conflit.
C'est la raison pour laquelle nous maintenons des canaux d'échange avec la Russie. Des négociations devront se tenir lorsque l'Ukraine estimera que le moment est venu et qu'elle sera en mesure de faire pleinement entendre sa voix.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette guerre a bousculé beaucoup de nos certitudes. Elle a changé profondément et durablement l'ordre mondial. Elle a rappelé que la démocratie est un acquis fragile, et que nos valeurs devaient être défendues.
Alors avec l'Europe, avec les alliés, la France restera aux côtés de l'Ukraine jusqu'au bout. Nous ne céderons rien face à l'agresseur russe, et nous continuerons toujours à protéger les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, UC, SER, GEST et Les Républicains.)
(…)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, avant de réagir aux propos qui ont été tenus à cette tribune, de remercier l'ensemble des orateurs qui se sont exprimés. Je vous prie également d'excuser Mme la Première ministre, qui se rend en ce moment même à l'Assemblée nationale.
Je commencerai par revenir sur l'une des inquiétudes qu'a relayées, au nom de la commission, le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. J'ai déjà eu l'occasion d'y répondre, mais qu'il me soit permis d'y revenir et d'informer ainsi l'ensemble de vos travées.
Certains doutent et se demandent, avec angoisse peut-être, si nous ne nous dépouillons pas de nos propres moyens et jusqu'à quel point nous abaissons notre standard de sécurité et de protection de la France et des Français. D'un côté, certains nous invitent à donner plus ; de l'autre, certains nous appellent parfois à la prudence.
Nous aurons évidemment l'occasion de discuter de la réalité de nos stocks, mais je tiens à dire que nous ne faisons pas de cessions qui mettraient la nation française en danger. Nous faisons preuve de pragmatisme, nous regardons la réalité de nos stocks et nous nous appuyons sur les conseils que nous donnent évidemment nos généraux, les chefs d'état-major des différentes armées et le chef d'état-major des armées.
Ensuite, oui, nous tirons des conclusions opérationnelles de nos livraisons. À cet égard, la livraison à l'Ukraine de 18 canons Caesar, dont il a été question à de nombreuses reprises ce soir – soyez-en remerciés – est un bon cas pratique. Nous en avons commandé de nouveaux au mois de juillet dernier. Le Président de la République se rendra d'ailleurs demain dans le Cher, où il visitera l'usine Nexter.
Le véritable sujet, c'est la fameuse économie de guerre. Cette terminologie peut parfois susciter des interrogations, je le conçois. En situation de conflit de haute intensité, il nous faut compléter nos stocks plus vite, alors que les filières de l'armement étaient habituées à des « élongations » entre l'amont et l'aval. L'Ukraine le constate à travers le soutien qu'elle reçoit de l'Occident ; la Russie, qui a des problèmes d'organisation, l'apprend à ses dépens, et c'est tant mieux.
Nous avons donc là un sujet industriel à traiter. Nous reviendrons sur cette question dans les temps prochains.
Notre base industrielle et technologique de défense (BITD), héritée de l'après-guerre – du gaullisme évidemment et de Pierre Mendès France, dont on vient de célébrer la pensée il y a quelques jours – nous permet, on le voit bien, de n'être complètement alignés ni sur Moscou, ni sur Washington, ni demain sur Pékin. Toutefois, cette autonomie stratégique va devoir désormais être assortie d'une plus grande réactivité.
Soyons honnêtes, le don des canons Caesar a pu déstabiliser les plans de formation dans certains régiments d'artillerie, mais la déstabilisation de la formation de quelques artilleurs n'a pas pour conséquence, et ne voyez aucun mépris dans mon propos, d'abaisser les standards de sécurité de la France.
J'évoquerai à présent l'état de nos moyens, mais nous y reviendrons dans les prochains jours lors de l'examen du projet de loi de finances. Nous n'avons pas attendu l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et c'est une fierté française, pour augmenter les moyens de nos armées. Force est de reconnaître, quelles que soient nos opinions, que cette décision date de 2017, la loi de programmation militaire ayant été votée en 2018. Pour ma part, je vous proposerai dans les tout prochains jours une marche à 3 milliards d'euros. Le Président de la République aura l'occasion d'apporter des précisions sur les futures marches que nous sommes en train d'élaborer, avec vous d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs.
Ne nous laissons pas guider par les annonces des uns ou des autres. Les Allemands investissent 100 milliards dans leur défense, très bien. Dont acte. C'est une bonne chose. Les Américains, comme nous d'ailleurs, font des efforts similaires à bien des égards. Je le répète, nous n'avons pas attendu l'invasion de l'Ukraine pour cela.
Je ne ferai pas de politique en disant que, oui, nous pourrions donner plus à l'Ukraine si nos moyens avaient été renforcés bien plus tôt. En effet, monsieur le président Cambon, nous payons, vous avez raison, les coupes successives dans les budgets, les fameux « dividendes de la paix », comme on les appelle si bien, mais aussi la révision générale des politiques publiques (RGPP) selon les uns, les diminutions de crédits en matière de dissuasion nucléaire, selon les autres. Toutes ces questions font de la loi de programmation militaire une loi de réparation.
Il va toutefois désormais nous falloir aller plus loin et faire preuve de beaucoup plus d'ambition, d'autant que notre format d'armée correspond – je le dis devant Alain Richard, ancien ministre de la défense – aux menaces auxquelles nos armées ont été confrontées depuis la dissolution du Pacte de Varsovie. Elles ont essentiellement été employées pour lutter contre le terrorisme militarisé.
On redécouvre aujourd'hui ce qu'est l'artillerie, ce que sont les tirs en profondeur, autant de techniques de combat qui avaient moins d'utilité en Afrique, il faut le dire. La situation aujourd'hui justifie la recomplétude de nos stocks, mais aussi la montée en puissance de nos armées. Il nous faudra dissuader sur les terrains à la fois nucléaire et conventionnel, tout en étant toujours capables de nous projeter, en Afrique par exemple, dans le cadre de missions de lutte contre le terrorisme, à la demande de pays amis, et d'assumer nos responsabilités, notamment à l'Otan.
À cet égard, Mme la Première ministre l'a dit, comme certains orateurs, que je remercie : nous sommes présents en Estonie et, bien sûr, en Roumanie.
Comme je l'ai déjà dit devant la commission, je réfute l'idée selon laquelle l'armée française ne pourrait tenir que « quelques jours » en cas de conflit de haute intensité ou qu'elle ne pourrait tenir qu'une ligne de front de 80 kilomètres. Merci au président Cambon de me donner l'occasion de le dire.
De telles affirmations sèment le doute chez les Français sur notre capacité à nous défendre. Or la voûte nucléaire et la dissuasion nucléaire, qui coûtent de l'argent et que les contribuables financent tous les ans depuis les années 1960, produisent des effets qu'on ne peut pas nier et balayer d'un revers de main.
Dire que l'armée française pourrait avoir des difficultés pour tenir un front plusieurs jours à l'étranger dans le cadre d'alliances, par exemple en tant que nation-cadre, n'est pas fondé. Certains raccourcis journalistiques sont malheureux, car ils sous-entendent que notre armée n'est pas capable de défendre la nation française. Or ceux qui se sont déployés à ses côtés savent que ce n'est pas vrai. Attention à ne pas entretenir de confusion ! À cet égard, je sais pouvoir compter sur la sagesse du Sénat pour que certaines vérités soient rétablies.
J'en viens à la réalité de l'aide de la France à l'Ukraine, sur laquelle plusieurs choses ont été dites. De fait, nous assumons la discrétion, certains éléments n'ayant pas à être communiqués à la Fédération de Russie. En outre, les Ukrainiens nous demandent parfois eux-mêmes une telle discrétion.
Permettez-moi de donner quelques éléments de méthodologie sur les classements tels qu'ils ont été publiés ici ou là.
En général, ces classements ne tiennent compte que de ce qui est déclaré, non de ce qui est réellement livré – je ne veux pas être désobligeant avec certains de nos alliés, parfois très proches de nous…
Je le certifie devant le Sénat : pour notre part, nous livrons tout ce que nous promettons et nous promettons tout ce que nous pouvons livrer. Les Ukrainiens ayant des difficultés à s'y retrouver dans ce concours Lépine de promesses, nous leur devons d'être sérieux et de ne pas faire preuve de cynisme.
Par ailleurs, certains pays font des amalgames : ils valorisent les coûts de transport, de formation, de carburant, ce que nous ne faisons pas. D'autres, y compris certains membres de l'Otan, valorisent leur contribution à l'Ukraine en tonnage, en poids de matériel réellement donné. Il faut nous garder d'emprunter ce virage, qui pourrait nous conduire à manquer de sérieux. Je le répète, nous agissons sans cynisme, avec beaucoup de rigueur.
J'ajoute que tout est fait sur la base de déclarations. Beaucoup de choses sont promises, mais ne sont pas livrées. Les engagements ne sont pas toujours suivis d'effets, ce qui pose d'autres difficultés.
Pour notre part, conformément à la doctrine que le Président de la République a fixée au Gouvernement, nous livrons des armes utiles. À ce stade du conflit, l'armée ukrainienne à des besoins de plus en plus spécifiques. Il a ainsi beaucoup été question de défense sol-air ces derniers jours. La France s'apprête donc à livrer des Crotale. De même, on a beaucoup parlé d'artillerie, d'équipements individuels, parfois non létaux. Le fonds de 100 millions d'euros que le Président de la République vous proposera d'inscrire dans la loi permettra de tailler un costume sur mesure aux forces armées ukrainiennes.
Les premières demandes qui sont faites portent sur des véhicules de transport de troupes, des éléments de génie, par exemple pour traverser des fleuves, bref, des besoins très concrets, qui devraient être satisfaits assez rapidement.
Vous m'avez également interrogé à de nombreuses reprises, mesdames, messieurs les sénateurs, certains sur Wagner, d'autres sur la guerre informationnelle, d'autres enfin sur le chantage à l'énergie. Nous aurions pu également parler davantage du chantage aux matières premières agricoles, qui concerne malheureusement beaucoup de pays amis, notamment sur le pourtour méditerranéen.
Oui, nous sommes déjà dans cette drôle de guerre qu'est l'hybridité. La France y est-elle prête ? Nous avons déjà rendu compte devant le Parlement de nombreuses stratégies à l'œuvre. Ce type de guerre est-il nouveau ? Oui ! C'est en marchant que l'on apprend, donc il nous faudra aller plus loin. La loi de programmation militaire nous le permettra.
Qu'est-ce que l'hybridité ? C'est le détournement de vecteurs civils à des fins militaires, comme les terroristes avaient déjà commencé à le faire. Cela signifie que la réponse ne peut pas se limiter à une augmentation du budget des armées. Les attaques cyber sur les hôpitaux que nous avons connues ces dernières semaines montrent bien la complexité de ce type de guerre. Cela signifie aussi qu'il faut préparer l'ensemble de la Nation à la résilience.
Certains territoires de la République – et je me tourne vers le ministre délégué chargé des outre-mer – seront sûrement plus vulnérables à l'hybridité, du fait de l'« élongation », de la tyrannie des distances ou de la structure même des systèmes d'information.
Il nous faudra revenir sur tous ces sujets, qui nous obligent, notre génération, mais également celles qui viendront. Monsieur le président, nous aurons pour cela besoin du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement relative à la guerre en Ukraine et aux conséquences pour la France.
Source http://www.senat.fr, le 3 novembre 2022