Interview de Mme Isabelle Rome, ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, à France 2 le 25 novembre 2022, sur la lutte contre les violences faites aux femmes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Isabelle Rome - Ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances ;
  • Jeff Wittenberg - Journaliste

Média : France 2

Texte intégral

JEFF WITTENBERG
Bonjour Isabelle ROME.

ISABELLE ROME
Bonjour.

JEFF WITTENBERG
Ce 25 novembre, on le disait en ouverture du journal de 7h30, en cette journée pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, vous êtes notre invitée alors que les chiffres, en France, sont particulièrement inquiétants, dramatiques même, en ce qui concerne les violences conjugales, le nombre de féminicides en 2022 a déjà atteint le nombre de 100, plus de 120 disent aussi le collectif, notamment « Nous toutes », c'est autant déjà qu'en 2021, comment vous expliquez ces chiffres, est-ce que c'est l'échec notamment des politiques publiques que vous portez pourtant depuis des années ?

ISABELLE ROME
Alors, ces chiffres bien sûr demeurent inquiétants, et ce malgré des efforts sans précédent effectués depuis les cinq dernières années, depuis que le président de la République a déclaré l'égalité entre les femmes grande cause du quinquennat. Il faut bien reconnaître que des moyens inédits ont été mis en termes de formation, des policiers, des gendarmes, 160.000 agents formés, en termes aussi d'outils de protection des victimes, par exemple les téléphones "grave danger" qui ont été multipliés par 10, la mise en place d'un nouveau dispositif, le bracelet anti-rapprochement, ou aussi on pourrait parler du nombre de places d'hébergement d'urgence, +80 % de places depuis cinq ans, et nous en aurons encore 1000 de plus d’ici 2023.

JEFF WITTENBERG
Alors pourquoi le phénomène augmente-t-il en dépit de ces efforts ?

ISABELLE ROME
Alors, je pense qu'il y a plusieurs choses, cela signifie que nous ne devons pas baisser les bras, que nous devons continuer, renforcer, et surtout continuer à former, former, former, voire spécialiser le plus possible les acteurs qui doivent intervenir, la Première ministre a annoncé le doublement des enquêteurs spécialisés, et donc il faut continuer. Et puis aussi il faut aussi dire que nous allons tout faire pour mieux protéger encore, mais il faut aussi agir en amont, notamment en matière de prévention et d'éducation.

JEFF WITTENBERG
Vous allez vous rendre aujourd'hui à Dijon avec le président de la République, le Garde des Sceaux aussi, Eric DUPOND-MORETTI, vous allez voir une école de gendarmerie, vous allez rencontrer des magistrats, vous êtes vous-même magistrate au départ, des victimes, mais est-ce que vous allez annoncer de nouveaux moyens, par exemple les associations de victimes disent qu'en Espagne, depuis des années, on consacre beaucoup plus de milliards qu'on ne le fait en France, et cela produit des résultats, vous aviez promis notamment une justice spécialisée sur ces questions de violences conjugales, où on est sa mise en oeuvre ?

ISABELLE ROME
Alors, la Première ministre a confié fin septembre une mission à deux parlementaires, une députée, Emilie CHANDLER, une sénatrice, Dominique VERIEN, pour effectuer un état des lieux du traitement judiciaire des violences et effectuer toutes les préconisations pour mettre en place une justice…

JEFF WITTENBERG
Excusez-moi de vous couper, une mission, un état des lieux, est-ce que c’est suffisant face à un phénomène aussi grave ?

ISABELLE ROME
Non, alors justement, l’idée est de pouvoir proposer des solutions pour rendre la justice encore plus efficiente, plus réactive, et plus spécialisée, mais aussi avec le souci d'assurer la proximité, justement avec les victimes, ce qui compte c'est de protéger le mieux possible les victimes, d'avoir un parcours de protection intégrale de la victime, comme en Espagne.

JEFF WITTENBERG
Il y a le numéro d'appel 39.19, on le rappelle, 24/24h, 7/7 jours, qui enregistre une hausse des appels, mais combien de violences conjugales passent sous les radars finalement, avec des femmes, des conjoints, qui n'osent pas, ou qui ne peuvent pas, alerter lorsque la situation l'exige ?

ISABELLE ROME
Vous avez rappelé tout l'impact du 39.19, qui d'ailleurs, depuis deux ans, est ouvert 7/7 jours, et je le répète aussi pour les auditeurs, les auditrices, et 24/24h…

JEFF WITTENBERG
Mais ça ne suffit pas manifestement.

ISABELLE ROME
Pour justement faire en sorte que les victimes révèlent les faits il faut aussi qu’une information large soit diffusée, donc c'est le cas notamment prenant cette semaine, mais tout au long de l'année il faut informer, et puis il faut aussi former davantage toutes ces personnes qui peuvent être en contact avec des victimes, pour les aider à révéler ces faits et ne jamais les laisser isolées dans leur souffrance.

JEFF WITTENBERG
Dans ce contexte comment réagissez-vous aux derniers développements qui mettent en cause un député, Adrien QUATENNENS, député de La France insoumise, alors que de nouvelles accusations émanent de son épouse, qui est en instance de divorce, qui l'accuse de violences physiques et morales depuis des années, il dément catégoriquement, la France insoumise, son parti, attend une décision de justice pour statuer sur son retour à l'Assemblée, qu'en pensez-vous, vous la ministre déléguée à cette question ?

ISABELLE ROME
Eh bien je pense que cette affaire est en cours, donc il faut attendre la décision de justice qui sera rendue en décembre, si j'ai bien entendu. Moi je voudrais dire tout de même deux choses, c'est que moi je ne souhaite jamais que ces affaires de violences faites aux femmes, qui sont graves, soient l'objet d'instrumentalisation politique, et puis enfin je dirais aussi que donner une gifle à sa femme n'est jamais un acte anodin et doit interroger.

JEFF WITTENBERG
La France insoumise, on en parlait à l'instant, est à l'origine de la proposition d'inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution, qui a été votée hier à l'Assemblée nationale à une très large majorité en première lecture, 367 voix contre 22, reste à acquérir le vote du Sénat, qui est réputé plus conservateur, à faire aussi un référendum sur cette question, ça veut dire que la route pour une constitutionnalisation de l'IVG est encore longue.

ISABELLE ROME
Je me réjouis déjà de cette victoire hier à l'Assemblée nationale, et une victoire transpartisane, ce qui montre que sur les droits des femmes on a une large majorité de l'Assemblée nationale, et je m'en réjouis, et puis maintenant le débat parlementaire va continuer, c'est la démocratie, il faudra convaincre le Sénat, et puis…

JEFF WITTENBERG
Mais vous pensez que ça se fera à l’arrivée ?

ISABELLE ROME
Moi j’y crois fortement et nous ferons tout, et vous savez aussi…

JEFF WITTENBERG
Mais pourquoi c’est si important que l'IVG soit dans la Constitution, l'IVG a priori on n'est pas aux Etats-Unis, n'est pas menacée en France ?

ISABELLE ROME
Alors, il est fondamental que ce droit soit protégé par ce rempart de la Constitution afin que l'on ne puisse pas revenir dessus trop facilement, comme ça a été le cas d'ailleurs aux Etats-Unis, nous devons protéger ce droit…

JEFF WITTENBERG
Parce qu’en France aussi il y a des menaces ?

ISABELLE ROME
Je pense que les menaces elles existent partout, à l'heure où les conservatismes montent partout dans le monde il faut protéger, il faut verrouiller les droits des femmes, qui ne sont jamais définitivement acquis, je ne cesserai de le rappeler, et je ne cesserai de les défendre.

JEFF WITTENBERG
Alors, vous allez vous rendre à Dijon aujourd'hui, avec le président MACRON, on l'a dit, pour parler de la lutte contre les violences faites aux femmes, vous vous y attendez, il s'y attend aussi, vous allez être interpellée, il sera interpellé, sur les développements de ce qu'on appelle l'affaire McKinsey puisque le Parquet national financier, on l'a appris hier, va lancer une enquête sur les financements des campagnes du candidat Emmanuel MACRON, avec peut-être un lien avec des contrats publics qui ont été accordés au cabinet de conseil McKinsey. Que dit l'ancienne magistrate que vous êtes, laissons faire la justice ?

ISABELLE ROME
L’ancienne magistrate que je suis dit qu'effectivement la justice est indépendante et qu'elle fera son travail.

JEFF WITTENBERG
Oui, mais au-delà de ça, est-ce que par exemple il est normal constitutionnellement, selon vous, que le président de la République soit protégé par une immunité, et qu'il n'ait pas à répondre à la justice avant la fin de son mandat, est-ce que ça juridiquement et éthiquement ça vous paraît normal ?

ISABELLE ROME
Je suis une magistrate et je respecte la Constitution et la loi.

JEFF WITTENBERG
Mais sur le fond ?

ISABELLE ROME
Le fond c’est le respect de la Constitution, de la loi et de l'indépendance de la justice, qui va faire son travail.

JEFF WITTENBERG
Est-ce qu'il est normal que des cabinets de conseil soient recrutés, de façon aussi élevée, par l'Etat, par les comptes publics ?

ISABELLE ROME
Ecoutez, moi je ne sais pas, je ne connais pas les différents aboutissements, la seule chose que je peux dire c'est qu'il faut attendre et laisser la justice faire son travail.

JEFF WITTENBERG
Mais vous vous attendez à une interpellation publique aujourd'hui, on se souvient que l'affaire McKinsey avait quand même pollué un petit peu la campagne d'Emmanuel MACRON, certains lui reprochant ses liens avec ce cabinet de conseil ?

ISABELLE ROME
Ecoutez, nous sommes dans une démocratie, la justice est indépendante, et la presse est libre, et c'est une bonne chose.

JEFF WITTENBERG
Mais aujourd'hui vous êtes aussi une femme politique, vous êtes membre d’un gouvernement.

ISABELLE ROME
Oui, mais j’assume tout à fait le fait aussi…

JEFF WITTENBERG
Donc vous gardez votre confiance finalement au président par rapport à cette affaire ?

ISABELLE ROME
Moi je vais être aux côtés du président aujourd'hui, ce que je sais c’est qu’il est pleinement mobilisé à la tâche, pleinement engagé sur les sujets, en tout cas que je porte, puisqu’il l’incarne particulièrement d'ailleurs en se déplaçant aujourd'hui sur cette thématique des violences faites aux femmes, donc en fait…

JEFF WITTENBERG
Mais ce sera audible, le message sera audible, il ne risque pas d’être télescopé par cette affaire ?

ISABELLE ROME
Ecoutez, je pense qu'il est assez fort aussi pour porter ce message de lutte contre les violences faites aux femmes, de droits des femmes, et pour le reste c'est la démocratie.

JEFF WITTENBERG
C’est la démocratie et la justice, comme vous l'avez dit tout à l'heure, merci beaucoup Isabelle ROME, donc ministre délégué à l'Egalité entre les femmes et les hommes, mais aussi à la Diversité et à l'Egalité des chances, c’est votre titre complet…

ISABELLE ROME
Tout à fait.

JEFF WITTENBERG
Bonne journée, bon déplacement à Dijon et à bientôt.

ISABELLE ROME
Merci à vous.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 28 novembre 2022