Texte intégral
1. Des voix s’élèvent souvent, en particulier en provenance d’Europe centrale et orientale, pour dire que la France, compte tenu de sa force, pourrait aider l’Ukraine encore davantage, notamment en lui fournissant plus d’armes. Êtes-vous d’accord avec cette critique ? Y a-t-il un domaine dans lequel la France pourrait faire davantage pour aider l’Ukraine ? Est-ce qu’elle va faire plus ?
La France est aux cotés de l’Ukraine depuis les tous premiers instants de cette guerre, et nous l’aidons sur tous les plans. Sur le plan économique avec plus de 2 milliards d’euros d’aide bilatérale. Sur le plan humanitaire, où nous avons été le premier pays à envoyer de l’aide dans le cadre européen. Et sur le plan militaire, nous sommes le 5e pays à fournir le plus d’aide. Nous fournissons des armes soigneusement choisies qui répondent aux besoins exprimés des ukrainiens, comme les canons Caesar ou des véhicules blindés. Nous allons également fournir très prochainement des systèmes de défense anti-aérienne et des moyens d’artillerie supplémentaires. Sur les plans humanitaires et financiers, nous allons aussi donner un nouvel élan pour aider l’Ukraine à passer l’hiver : à l’initiative des Présidents Macron et Zelensky, nous organisons une conférence internationale pour la résilience de l’Ukraine le 13 décembre 2022 à Paris. Avec les bailleurs internationaux, nous allons, travailler sur quatre axes prioritaires : la santé, l’alimentation, l’eau et évidemment l’énergie, dont la Russie fait un instrument de guerre en bombardant délibérément les infrastructures ukrainiennes. Dans l’ensemble de ces secteurs, nous rechercherons des engagements financiers mobilisables très rapidement mais aussi de l’aide en nature (achat de générateurs ou de groupes électrogènes, réparation et isolation des centres collectifs d’hébergement…). La conférence de Paris visera aussi à mettre en place un mécanisme de coordination entre les bailleurs afin de s’assurer que la mobilisation de la communauté internationale s’ajuste au plus près aux besoins les plus urgents de la population ukrainienne. Elle sera également couplée avec un forum pour mobiliser le secteur privé sur ces enjeux.
Notre soutien à l’Ukraine s’inscrit aussi dans la cadre de la mobilisation historique de l’Union européenne face à la guerre menée par la Russie. Sur le plan militaire avec notre participation à la Facilité européenne de paix et à la mission de formation des militaires ukrainiens, sur le plan économique, et sur le plan humanitaire, en contribuant notamment au mécanisme européen de protection civile, et dans le cadre de l’accueil des réfugiés ukrainiens qui bénéficient du mécanisme de protection temporaire.
2. Sur le plan militaire, l’Ukraine enregistre actuellement de nombreux succès. Que doit faire l’Union européenne pour s’assurer que Kiev parvienne à maintenir cette évolution ?
Comme vous le savez, la guerre que la Russie mène à l’Ukraine est une guerre d’usure. De ce fait l’enjeu principal est d’assurer la capacité à durer des forces ukrainiennes. Pour cela, nous avons deux outils européens essentiels. Le premier est la Facilité européenne de paix, qui finance la fourniture d’équipements et d’armes pour l’armée ukrainienne, mais aussi leur maintenance, et aide ainsi à la régénération des forces ukrainiennes. Votre pays, la Slovaquie y contribue, tout comme la France et l’Allemagne qui assurent près de la moitié du budget de cette facilité. La facilité européenne de paix, c’est à ce jour plus de 3 milliards d’euros qui permettent à chaque pays de se faire rembourser une partie de leurs dons d’armes à l’Ukraine. Il est donc essentiel de poursuivre les efforts dans ce cadre. L’autre outil essentiel c’est la nouvelle mission européenne de formation des militaires ukrainiens, qui va permettre de renouveler leurs bataillons avec des compétences spécialisées. En France, nous allons accueillir plus de 2000 militaires dans ce cadre, pour les former dans des domaines différents, répondant ainsi aux besoins des forces armées ukrainiennes. 400 soldats ukrainiens ont déjà été formés, notamment à l’utilisation des équipements que nous livrons.
3. L’invasion de la Russie a absolument interféré avec l’architecture de sécurité européenne. Elle a également montré que l’Ukraine n’aurait pas été en mesure de faire face à la guerre avec le seul soutien européen. Du point de vue de la France, quelles sont les premières leçons pour la sécurité de l’Europe à tirer du conflit ?
Je pense que cette façon de voir les choses, selon laquelle l’Europe serait impuissante à aider l’Ukraine à se défendre, ne correspond pas du tout à la réalité. Face à la guerre en Ukraine, la vérité est que nous avons fait plus d’Union européenne et plus d’OTAN ! Et nous en sommes fiers. Ces derniers mois, et en particulier, sous présidence française du Conseil de l’UE, nous avons beaucoup avancé, pour renforcer la capacité des Européens à se défendre et à protéger leurs alliés : d’abord, nous avons défini un cadre ambitieux d’action de l’UE dans le domaine de la défense avec l’adoption de la Boussole stratégique, premier livre blanc européen en matière de sécurité. Nous sommes aussi parvenus à mobiliser 3 Mds d’€ pour organiser la livraison d’armes à l’Ukraine, via la Facilité européenne de paix. En parallèle, nous avons adopté, en un temps record, plusieurs paquets de sanctions contre la Russie, qui ont un fort impact sur l’économie russe. Nous contribuons également à la lutte contre l’impunité, en aidant la justice ukrainienne à faire la lumière sur les exactions commises par la Russie. Donc vous le voyez, l’Europe est tout sauf impuissante ! Les leçons que nous tirons de ce conflit, c’est que l’Union européenne et l’OTAN sont deux piliers essentiels à notre sécurité collective, qui se renforcent l’une l’autre et que nous devons continuer de mobiliser conjointement en soutien de l’Ukraine.
4. La France est-elle satisfaite des solutions trouvées au niveau européen, notamment sur les prix de l’énergie, mais aussi sur l’inflation et d’autres questions financières ?
Les prix de l’énergie que subissent les ménages, les entreprises et les collectivités dans nos pays sont trop élevés. Nous avons donc soutenu tous les efforts européens pour faire baisser les prix : en coordonnant le remplissage de nos stocks de gaz dès cet été ; en nous fixant des objectifs de réduction de la consommation d’électricité et de gaz ; et plus récemment en créant une plateforme d’achat commun du gaz, notamment dans la perspective de la reconstitution de nos stocks pour l’hiver 2023-24… Beaucoup a donc été fait, mais il nous faut aller encore plus loin ; faisant baisser efficacement les prix du gaz et, surtout, en brisant le cercle vicieux entre prix du gaz et prix de l’électricité. Cette dernière réforme est essentielle, alors que nous incitons nos citoyens à passer par exemple à la mobilité électrique. Au-delà des prix de l’énergie, nous attendons également de nouvelles propositions de la Commission pour avancer sur la mise en œuvre de mécanismes européens de solidarité financière, afin d’éviter toute fragmentation économique, comme demandé par le dernier Conseil européen.
5. La récente rencontre entre le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz a montré, selon les termes de l’Élysée, que l’amitié entre Paris et Berlin reste vivante. Cependant, le moteur franco-allemand fonctionne-t-il vraiment en ce moment, ou voyez-vous aussi des problèmes dans cette relation et quelles en sont les raisons ? Le paquet économique allemand de 200 milliards ou le refus de plafonner les prix du gaz ne semblent pas avoir beaucoup plu à la France...
La relation franco-allemande reste bien évidemment un "moteur pour l’Europe" et je crois que nous sommes entrés dans une nouvelle phase, avec des projets communs sur l’Europe de la défense, sur l’espace, en matière industrielle... Notre dialogue n’a jamais été aussi dense, à tous les niveaux. Après l’entretien qu’ont eu le 26 octobre le Président de la République et le Chancelier Scholz, la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna a accueilli son homologue à Paris et le Président lui-même s’est entretenu avec Annalena Baerbock, ainsi qu’avec le vice-chancelier Robert Habeck et le Ministre des Finances, Christian Lindner. Le Ministre de l’Economie et des Finances a lui aussi reçu ses homologues. J’ai accompagné la Première ministre lors de son voyage à Berlin le 25 novembre pour y rencontrer le Chancelier et le vice-chancelier. Nos différences de points de vue ne nous empêchent pas de dialoguer, bien au contraire, et c’est ce qui fait la force de notre relation. Sur l’énergie, par exemple, nous nous sommes mis d’accord sur les contours de notre solidarité énergétique. Cela fournira un cadre à nos échanges ; nous importons en effet actuellement de l’électricité et nous livrons depuis octobre du gaz à l’Allemagne. Nous sommes aussi en train de préparer les 60 ans du traité de l’Elysée, ce traité bilatéral qui avait scellé la réconciliation entre la France et l’Allemagne après la Seconde guerre mondiale, que nous allons célébrer le 22 janvier autour d’initiatives et de projets concrets.
6. Dans la perspective du 30ème anniversaire des relations diplomatiques entre la Slovaquie et la France, quels sont, selon vous, les principaux domaines de coopération et ceux que Paris souhaiterait approfondir ?
Nous sommes fiers en France de la grande relation d’amitié et de confiance que nous avons tissée depuis 30 ans avec la Slovaquie. Nous partageons une communauté de vues sur l’Europe, sur l’avenir de nos démocraties, sur la réponse à apporter à la guerre de la Russie contre l’Ukraine. J’admire en particulier le combat de votre Présidente, Mme Zuzana Caputova, pour la défense de l’Etat de droit, pour lutter contre la corruption, pour protéger les journalistes. Je sais à quel point elle est une personnalité inspirante pour les jeunes générations en Slovaquie et je pense que nous avons besoin de tels modèles pour donner espoir à la société civile européenne. C’est pour cela que je suis heureuse d’être à Bratislava ce 29 novembre, où je vais échanger avec mon homologue M. A Stancik, sur les pistes de coopération franco-slovaques dans le cadre européen, pour répondre aux attentes de nos citoyens, français et slovaques, sur ces sujets essentiels pour l’avenir de nos démocraties.
Source https://sk.ambafrance.org, le 5 décembre 2022