Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, merci d’avoir accepté notre interview exclusive pour la Lettre Pro de l’ARS Guyane, à l’occasion de son 400e numéro. Connaissiez-vous cette Lettre ?
J’ai découvert à mon arrivée au ministère l’existence de cette Lettre Pro, et j’ai plaisir à la parcourir parfois. C’est un outil formidable car j’y vois les idées et solutions trouvées par les professionnels face à des problèmes parfois très complexes, liés notamment à la géographie très particulière du territoire, l’enclavement, les inégalités sociales et territoriales de santé. On voit combien les professionnels guyanais ont des réflexes « terrain » très ancrés, avec l’aller-vers, la médiation en santé par exemple, en même temps qu’un grand investissement dans le développement de l’offre de soins, sur le Littoral comme sur l’Intérieur, et enfin un dynamisme de la recherche en santé très palpable.
Q - Concernant l’offre de soins justement, vous savez probablement que Saint-Georges, Grand-Santi et Maripasoula vont être dotés d’hôpitaux de proximité, avec pour chacun d’eux un service de médecine H24, une offre de radiologie et de biologie. Que pensez-vous de ces projets ?
Je suis très attentivement ce dossier, qui va constituer une véritable avancée pour la Guyane. C’est un modèle dans le maillage du territoire et la gradation de l’offre. Je félicite les équipes qui travaillent depuis plusieurs mois sur la création de ces hôpitaux de proximité, et je leur assure que le ministère de la Santé sera au rendez-vous pour les financements nécessaires. D’ores et déjà l’ARS a débloqué 1,6 million pour l’investissement, et le ministère a augmenté le budget des CDPS de 3,4 millions, soit +20%. Je prévois d’accentuer l’effort pour accompagner la montée enc harge progressive des Hôpitaux de proximité courant 2023. Pour autant, et comme la Lettre Pro l’a plusieurs fois rappelé, ces projets nécessitent un investissement des collectivités et des partenaires : les logements, les transports, le numérique doivent aussi se développer pour permettre à ces hôpitaux – et à leurs équipes – de bien fonctionner. Mais je perçois une vraie volonté collective donc je suis optimiste.
Q - Et concernant le projet de CHU, entendez-vous les arguments selon lesquels on pourrait y aller par étape, en commençant par Cayenne, ou privilégiez-vous toujours un projet d’emblée multi-site, c’est-à-dire avec Saint-Laurent et Kourou ?
Je sais que des discussions sont en cours sur le territoire à ce sujet et je m’en félicite, c’est important de peser chaque option pour trouver le meilleur chemin.Néanmoins je souligne que le projet de CHU de Guyane est un projet territorial, qui concerne l’ensemble de la Guyane et qui doit donc prendre en compte les besoins et spécificités de l’ensemble du territoire. Ce sont donc toutes les équipes hospitalières qui doivent discuter et décider ensemble de leur avenir commun, pour développer les soins à la population guyanaise,mais aussi pour l’enseignement et la recherche en santé, dont je connais la grande qualité. En effet, la réflexion sur l’universitarisation ne peut que se baser sur un projet médico-soignant partagé par l’ensemble des communautés.
Q - Mais la Guyane rencontre un véritable problème de démographie médicale, en particulier chez les libéraux. En quoi la convention médicale en cours de négociation peut aider le territoire ?
La négociation commence en effet et j’en ai défini le mois dernier les lignes directrices. Le premier axe que j’ai posé consiste à agir de manière déterminée contre toutes les inégalités d’accès à la santé, qu’elles soient territoriales, sociales ou financières. Ici en Guyane vous êtes tout particulièrement concernés par ces questions. Il faut que la future convention permette de libérer du temps médical, notamment via le partage des tâches et la coopération avec les autres professions de santé. Il faut aussi qu’elle soutienne le développement du numérique en santé, au service des patients et des professionnels. Parallèlement, la Guyane doit poursuivre ses efforts pour mieux se faire connaître, elle offre des opportunités intéressantes pour les professionnels de santé. Le travail collectif via les maisons de santé pluridisciplinaires et la toute nouvelle CPTS de Guyane participent directement à l’attractivité et la fidélisation. On sait aussi que l’accès à la formation est un facteur important pour les jeunes médecins, et en ce sens le dynamisme des équipes en place et de l’université de Guyane (à travers les DU notamment) peuvent être décisifs.Je me réjouis de l’augmentation importante du nombre d’internes qui choisissent la Guyane et je suis sûr que beaucoup d’entre eux décideront de choisir de rester, ou même de revenir plus tard.Je sais aussi que vous travaillez sur un projet de conciergerie, pour faciliter l’arrivée et l’intégration des nouveaux professionnels de santé, et je vous encourage car c’est une très bonne idée.
Q - Les professionnels de santé hospitaliers ce sont aussi les PADHUE…
Oui la Guyane a une longue expérience d’accueil, de formation et de qualification des praticiens à diplôme hors Union Européenne. Certains d’entre eux font d’ailleurs de très belles carrières, et tous participent au dynamisme des établissements de santé guyanais. Les résultats des PADHUE aux EVC sont d’ailleurs très bons, ce qui témoigne d’un grand investissement de ces professionnels, et des confrères et consoeurs qui les accompagnent souvent pendant plusieurs années. C’est aussi ça la caractéristique de votre futur CHU : un CHU qui donne sa chance à des professionnels du monde entier, et qui, avec exigence et accompagnement, leur donne toutes les clés pour réussir.
Q - Quels autres aspects remarquables reconnaissez-vous au système de santé guyanais, par rapport à celui des autres régions de France ?
Je sais qu’en Guyane les professionnels de santé sont très sensibles à la santé publique, à la prévention, et à tout ce qui relève des liens entre la santé animale, environnementale et humaine, ce que l’on appelle la logique « One Health ». J’ai le sentiment que, plus qu’ailleurs, les professionnels de ces différents champs se connaissent, se parlent et travaillent ensemble. Je l’ai vu lors des récents cas d’hantavirus, où les équipes ont tout de suite décidé d’unir leurs forces, y compris avec les élus locaux. C’est un très bon point, et nous avons sûrement des enseignements à tirer de ce qui peut vous apparaître banal mais qui ne l’est pas tant que ça !
Et puis je sais aussi que vous accordez une place de plus en plus importante à la médiation en santé, et que vous avez même créé un diplôme d’université pour renforcer les compétences et le réseau des médiateurs. J’ai la conviction que la médiation en santé, qui mobilise des non soignants pour accompagner les personnes vulnérables vers la prévention et le soin, est essentielle pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales en santé. Et on l’oublie souvent : les médiateurs apprennent aussi beaucoup aux soignants et enrichissent la relation de soin. Avec la ministre déléguée Agnès Firmin Le Bodo nous venons de lancer une mission destinée à renforcer la médiation en santé et l’aller-vers, qui sera confiée à Philippe Denormandie. Cette mission apprendra beaucoup de l’expérience guyanaise.
Enfin, en tant qu’ancien urgentiste, je connais de longue date le caractère remarquable de la médecine d’urgence en Guyane, dans cette région qui comporte tant de zones difficilement accessibles. Là encore vous avez développé une expertise majeure en matière de soins d’urgence en milieu isolé et d’évacuation sanitaire. Grâce au professionnalisme des professionnels de premier recours et de toute la chaîne du secours à personne, vous parvenez à traiter des situations parfois très périlleuses. J’ai d’ailleurs remarqué vos travaux sur le stress des professionnels dans les services d’urgence, et votre coopération déjà de grande qualité avec vos homologues urgentistes indonésiens, que le ministère de la Santé a décidé de soutenir financièrement.
Q - Et concernant la prévention ? Vous avez tenu à ajouter ce terme à l’intitulé de votre ministère...
Oui, et d’ailleurs l’ARS en Guyane consacre plus d’un tiers de son budget (le Fonds d’intervention régional) à la prévention et promotion de la santé, alors que c’est deux fois moins en moyenne dans les autres ARS. Et c’est nécessaire car les enjeux de la prévention sont tout à fait majeurs en Guyane, qui est particulièrement touchée par les maladies chroniques, comme le diabète et l’obésité, et aussi par les sujets de santé sexuelle et de santé mentale. Au niveau national je souhaite renforcer le financement de la prévention, mais aussi fixer des objectifs concrets : je souhaite ainsi par exemple réduire les cancers évitables de 150.000 à 60.000 par an d'ici 2040. Je me félicite de la récente feuille de route « cancer » que vous avez définie collégialement, et je retiens notamment vos efforts en matière de vaccination HPV chez les jeunes filles et les jeunes garçons, d’autant que la prévalence du HPV est très élevée en Guyane. Je souligne aussi votre investissement collectif en matière de prévention et de dépistage des IST, et de prise en charge des patients HIV, y compris vos travaux transfrontaliers avec le Brésil et le Surinam dans ce domaine.
Je me dois aussi de citer, car il ne faut pas les oublier, la prévention des maladies respiratoires en particulier le covid mais aussi la grippe. La Guyane a connu une période plutôt calme au plan du covid mais cela ne doit pas faire oublier les gestes barrière et la vaccination, d’autant que l’on perçoit une reprise des contaminations ces derniers jours.
Q - Et concernant les arboviroses ? Le territoire a connu des épidémies dans le passé, c’est aussi un sujet sensible…
Oui la prévention concerne aussi les arboviroses et je serai attentif à la réforme en cours, qui va confier à l’ARS Guyane le pilotage de la lutte anti vectorielle. La dengue, le zika, le chikungunya, la fièvre jaune, le virus oropouche ou encore le mayaro virus ont circulé en Guyane, et une nouvelle épidémie est toujours possible. Alors que redémarre votre saison des pluies, c’est le moment d’appliquer les gestes de prévention utiles, en supprimant les gîtes larvaires autour de chez soi.Enfin concernant le paludisme je rappelle que le ministère de la santé a donné son accord à l’OMS pour que l’ARS Guyane participe en son nom à l’initiative « Élimination du paludisme en 2025 » visant en enrayer la transmission du paludisme dans la région des Guyane.
Q - Vous avez plusieurs fois évoqué les sujets transfrontaliers et internationaux, c’est quelque chose qui compte pour vous au plan de la Santé ?
Oui, dans le monde d’aujourd’hui on ne peut plus penser la santé à l’échelle d’un seul territoire ni d’un seul pays. Et on le sait particulièrement en Guyane, qui connaît des flux de population importants notamment avec ses voisins. La collaboration qui s’engage entre le CHOG et l’hôpital d’Albina, les travaux sur la veille sanitaire transfrontalière brésilienne qui sont engagés avec l’État de l’Amapà, vos échanges et vos travaux de recherches avec des équipes internationales montrent que vous l’avez tous et toutes compris. Et puis en Guyane plus qu’ailleurs en France,vous vivez dans une zone où peuvent émerger de nouvelles maladies, ce qui vous donne une responsabilité particulière en matière de surveillance sanitaire, une responsabilité qui repose sur la coopération entre les professionnels de santé de première ligne, les biologistes, les spécialistes des maladies infectieuses et tropicales dont votre territoire peut être fier, et avec le ministère de la Santé dans son ensemble qui est à vos côtés.
Source https://www.guyane.ars.sante.fr, le 9 décembre 2022