Interview de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe, à Radio J le 19 décembre 2022, concernant sur la politique de l'environnement et la question énergétique au sein de l'Union européenne, les relations commerciales euro-américaines et les problèmes de corruption.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Laurence BOONE, bonjour.

LAURENCE BOONE
Bonjour Christophe.

CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue. Nous allons parler de l'Europe bien entendu, un peu de cette Coupe du monde quand même, nous n'avons pas gagné. On a beaucoup vu le président de la République les consoler sur le terrain, dans les vestiaires, certains disent ce n'était pas son rôle, qu'en pensez-vous ?

LAURENCE BOONE
Je pense qu'il est comme tout le monde, il adore le foot, il a été passionné par cette Coupe du monde, comme nous, on a tous suivi, ça vous a fait rêver, ça m'a fait rêver, ça fait parler votre humoriste, et c'est pour une fois quelque chose qui a réuni tous les Français, et puis c'est une super équipe, et si j'en crois les connaisseurs, comme moi, elle a joué collectif, et ça a marché.

CHRISTOPHE BARBIER
Oui, ce n'est pas toujours le cas, en Europe notamment, on va en reparler. Alors, un accord européen pendant ce week-end a surpris un peu tout le monde, un accord sur le marché des droits à polluer, c'est-à-dire qu'on va vers la fin des droits gratuits pour les pollueurs, expliquez-nous.

LAURENCE BOONE
En fait c'est assez simple. On s'est engagé à décarboner notre économie, pour décarboner notre économie il faut marcher sur deux jambes, la première c'est investir dans les technologies propres, les voitures propres, isoler votre maison, je vous rappelle que deux tiers de MaPrimeRénov' est financé par l'Europe, donc offrir aux personnes des biens et des services qui n'utilisent pas de carbone, ça c'est ce qu'on est en train de faire tout de suite. Ce qu'on a voté aussi ce week-end c'est qu'en 2028, quand on aura ces biens disponibles, et à des prix raisonnables, à ce moment-là on ira taxer les biens qui émettent du carbone, et pour protéger nos entreprises, nos entreprises européennes et les emplois qui vont avec, on taxera les entreprises extérieures qui elles utilisent toujours du carbone.

CHRISTOPHE BARBIER
Donc il y a bien à la fois de l'écologie et du protectionnisme dans cette mesure ?

LAURENCE BOONE
Non, il y a de l'écologie et de l'influence, on est 510 millions de consommateurs en Europe, on est parmi les pays les plus riches du monde, si des entreprises extérieures veulent exporter, en Europe, leurs biens, ou leurs services, on les met dans les mêmes conditions que nos entreprises à nous, et puis ça va les motiver, ça va forcément les motiver pour faire des choses décarbonées, parce que si elles veulent avoir accès à notre marché c'est ce qu'elles vont devoir faire in fine.

CHRISTOPHE BARBIER
Quand les conditions vont se durcir pour les secteurs les plus pollueurs, est-ce que ça ne va pas créer une crise économique, je pense à des secteurs comme le transport routier, ou bien l'immobilier de bureau ?

LAURENCE BOONE
C'est une très bonne question et c'est pour ça qu'on marche sur les deux jambes, parce que d'ici à 2028, ça ça ne va pas entrer en œuvre avant de 2028, et ça ne rentrera en œuvre que si on estime qu'on est prêt. D'ici à 2028 on développe, on développe les voitures électriques, on va faire baisser leur prix, forcément, il y en aura plus, on développe les batteries, on développe les systèmes d'hydrogène, on débloque tout ce qui est décarboné, de façon à ce que, en 2028, vous puissiez avoir disponible ce qu'il faut et ne pas prendre la taxe sur la figure.

CHRISTOPHE BARBIER
C'est demain matin 2028, est-ce qu'on ne sera pas obligé quand même d'étaler ce calendrier ?

LAURENCE BOONE
Eh bien il y a une clause, si on voit qu'on n'est pas prêt, on ajustera les paramètres, voire on pourra reculer.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-il vrai, comme on le lit dans certains commentaires, que les conséquences sociales, c'est-à-dire les colères populaires possibles, ont joué sur la décision des dirigeants pour avoir un calendrier souple comme celui-là ?

LAURENCE BOONE
Non, je crois… d'abord évidemment on n'est pas idiot, on l'espère, l'épisode des Gilets jaunes montre qu'il faut effectivement avoir le plus possible d'alternatives à des produits carbonés si vous voulez que les personnes que vous taxez se dirigent vers les produits non carbonés, d'où la première jambe dont je vous parlais, investir dans les voitures propres, dans des maisons bien isolées, investir dans du fioul, pour les avions, qui va être vert, etc.

CHRISTOPHE BARBIER
Le sommet européen de la fin de semaine dernière a aussi renouvelé… vous vouliez ajouter quelque chose.

LAURENCE BOONE
Oui, pardon, on a aussi mis en place – pareil, on apprend des erreurs – un fonds social pour le climat qui lui va servir aux ménages à évolué dans leurs emplois ou à acheter ce qu'il faut, qui est décarboné, et aux entreprises à s'adapter.

CHRISTOPHE BARBIER
On subventionne un peu cette transition.

LAURENCE BOONE
Exactement.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, je disais que le sommet européen a aussi renouvelé son soutien à l'Ukraine en fin de semaine dernière, 18 milliards d'euros supplémentaires promis, on a l'impression qu'on donne de l'argent parce qu'on ne peut plus donner d'armes, parce qu'on n'a plus grand chose à donner.

LAURENCE BOONE
Alors - vous êtes un peu dur - on fait plusieurs choses. D'abord un soutien humanitaire, il faut quand même rappeler que c'est des personnes qui sont en train de se prendre des drones dessus, de voir leur énergie, leur électricité/eau, se faire couper, donc déjà on les accueille, d'une part, ça c'est le soutien humanitaire. On fait un soutien financier d'autre part, parce que si vous êtes aujourd'hui en Ukraine, vous n'avez plus d'électricité, pour un ménage sur deux, il n'y a plus d'eau, vous n'avez plus d'infrastructures routières, donc ce soutien budgétaire, ces 18 milliards dont vous parlez, il sert à rétablir l'électricité, apporter des générateurs, faire que les hôpitaux puissent fonctionner, évidemment ils vendent moins, ils produisent moins, donc ils servent à payer les fonctionnaires des hôpitaux, des écoles, qui travaillent toute l'année, payer les retraites des personnes, etc., ça c'est pour qu'ils tiennent, parce que l'arme de Vladimir POUTINE c'est quand même d'affamer et de les plonger dans le froid, on est un peu revenu un siècle en arrière quand même, donc cet argent-là c'est pour qu'ils tiennent cet hiver. Et puis il y a le soutien militaire, qui est aussi très important, la France a livré 18 canons Caesar, elle va en livrer encore plus, et il est aussi essentiel, pour qu'ils puissent reconstruire leurs forces armées, on fait aussi de la formation des soldats ukrainiens pour qu'ils puissent utiliser toutes les armes qui leur sont données.

CHRISTOPHE BARBIER
Le sommet européen devait aussi réformer le mode de calcul des prix de l'énergie, notamment des prix de l'électricité, est-ce qu'on a échoué ?

LAURENCE BOONE
Pas du tout. Rappelez-vous, où on en était il y a six mois, il y a six mois on craignait de ne pas avoir d'énergie pour cet hiver et d'avoir des factures totalement explosives, alors les prix ont augmenté, ça c'est sûr…

CHRISTOPHE BARBIER
Et ils vont augmenter encore en janvier, puisqu'on aura moins le bouclier tarifaire dans notre pays.

LAURENCE BOONE
Ils vont augmenter de façon beaucoup plus modérée qu'ailleurs, je sais bien que ça ne rassure pas tout le monde, mais je veux dire ici que vraiment on a freiné de façon spectaculaire cette augmentation, maintenant il faut se remettre dans le contexte d'il y a six mois. Vladimir POUTINE ferme les robinets du gaz, complètement, il ferme les robinets du gaz, et nous on a toujours besoin de gaz, donc les prix commencent à augmenter, et là qu'est-ce qu'on a fait depuis six mois, on a rempli les stocks de gaz, pas de pénurie, on a fait baisser la consommation, 10 %, tous les Français ont baissé leur consommation en moyenne de 10 %, c'est exceptionnel, bravo à eux, les prix ont donc commencé à baisser. Maintenant, est-ce que ça va assez loin ? Non, ça ne va pas assez loin, il faut qu'on continue de faire baisser les prix, c'est ce que vont faire les ministres de l'Énergie, Agnès PANNIER-RUNACHER aujourd'hui à Bruxelles…

CHRISTOPHE BARBIER
Ils vont trouver un système de calcul qui permet de baisser les prix ?

LAURENCE BOONE
Ce n'est pas un système de calcul, en fait c'est des mécanismes assez simples. D'abord on va regrouper les gros énergéticiens pour qu'ils achètent ensemble du gaz à des partenaires fiables, comme la Norvège ou les États-Unis, parce que quand vous êtes un, c'est bien, vous pouvez négocier, mais quand vous êtes 10 vous négociez mieux…

CHRISTOPHE BARBIER
Comme pour les vaccins.

LAURENCE BOONE
Exactement, ça c'est la première chose, et la deuxième chose c'est qu'effectivement ils vont travailler sur un mécanisme qui va permettre de couper les hausses brutales de prix du gaz pour faire baisser ce prix du gaz, et ça, ça devrait aussi marcher. Et puis enfin on est l'Europe, l'Europe c'est la solidarité, on parlait de jouer collectif avec le foot, c'est la même chose, on a un système de solidarité, depuis cet été l'Allemagne nous fournit de l'électricité, et nous nous fournissons du gaz à l'Allemagne.

CHRISTOPHE BARBIER
Et ça tiendra même s'il y a un pic de froid en fin janvier-début février ?

LAURENCE BOONE
Eh bien là on est bien parti pour, et à nouveau je salue vraiment les efforts de tous les Français qui ont baissé leur consommation, parce que ça ça a été un élément clé, avec bien sûr le reste, mais un élément clé de la baisse et de pouvoir passer l'hiver tranquille.

CHRISTOPHE BARBIER
La consommation baisse aussi parce que des entreprises se sont mises à l'arrêt, parce que l'énergie était trop chère, ça l'économiste doit y voir le signe d'une récession future.

LAURENCE BOONE
Alors, l'économiste elle vous dit regardez ce qu'on a fait pendant la crise Covid, on a dû mais des entreprises à l'arrêt, des personnes ont dû arrêter de travailler, on a mis en place un mécanisme européen pour protéger ces entreprises, pour qu'elles ne mettent pas la clé sous la porte et que pour que les personnes continuent d'être payées, on est en train de travailler exactement à la même chose pour les entreprises qui doivent arrêter temporairement leur production, ça c'est une des choses sur laquelle le président de la République a énormément insisté au Conseil européen de vendredi.

CHRISTOPHE BARBIER
Pour la stratégie globale, économique, face à la guerre en Ukraine, les Français et les Allemands devaient tenir un sommet stratégique fin octobre, il a été repoussé parce qu'on n'est pas d'accord, quand est-ce qu'on va se mettre d'accord avec nos voisins ?

LAURENCE BOONE
Mais… la question c'est est-ce qu'on arrive à discuter des sujets et à trouver des accords ? Et oui, il y a des sujets sur lesquels on n'est pas d'accord parce qu'on ne part pas du même point. Vous prenez une énergie…

CHRISTOPHE BARBIER
Eux c'est le gaz, nous c'est le nucléaire.

LAURENCE BOONE
Exactement, donc il faut qu'on arrive à faire converger ça pour, comment on fonctionne dans un marché de l'énergie européen, où on a à la fois les volumes dont on a besoin, à un prix qui soit raisonnable et qui nous permette cette solidarité, ça c'est une vraie question sur laquelle on est en train de travailler. On a fait la même chose sur la Défense, si vous avez vu maintenant on a le SCAF, ce système aérien du futur militaire, on fait la même chose sur la gouvernance de l'Union européenne, puisqu'on va l'élargir, on fait la même chose, on décline ça sur tout un tas de sujets.

CHRISTOPHE BARBIER
Mais souvent les Allemands font cavalier seul, ils ont mis 200 milliards, là, sans nous demander notre avis.

LAURENCE BOONE
Alors, je rappelle que nous avions mis 100 milliards, on avait commencé plus tôt, et je crois, je crois, qu'on a oublié de leur passer un coup de fil avant aussi.

CHRISTOPHE BARBIER
Les torts sont partagés en quelque sorte.

LAURENCE BOONE
Oui, et maintenant l'Union européenne a des règles d'aides d'État, donc qui ne peuvent pas mettre de l'argent différemment de ce qu'on est en train de faire, et puis là, vous regardez ce qui se passe aux États-Unis, avec ce qu'on appelle "l'Inflation Reduction Act", qui est un programme de subventions massives aux énergies vertes, la France et l'Allemagne, avec l'Union européenne, travaillent ensemble pour répondre point par point, donc secteur par secteur, à tout ce que viennent de faire les Américains.

CHRISTOPHE BARBIER
Et ça va être une réponse hostile aux Américains ou est-ce qu'on va trouver avec eux un point d'accord pour qu'ils assouplissent leur fameux "Inflation Reduction Act" ?

LAURENCE BOONE
On va éviter d'être hostile tout de suite, ce n'est pas forcément le plus productif, et donc non, d'abord le président est allé aux États-Unis, a commencé à en discuter, il y a des clauses, des choses, qu'on peut améliorer, dans lesquelles les Américains sont prêts à discuter, et puis ensuite, on va être tout à fait pragmatique et pas du tout naïf, et là o on verra qu'il y a excès de subventions américaines, on répondra, soit avec des subventions, soit avec des baisses d'impôts, soit en taxant les produits qui viennent en Europe.

CHRISTOPHE BARBIER
Le Parlement européen est dans la tempête depuis quelques jours, la corruption d'élus importants semble avérée, est-ce que la culpabilité du Qatar vous semble acquise ?

LAURENCE BOONE
Alors, il y a une investigation en cours et ce n'est pas à moi de…

CHRISTOPHE BARBIER
Mais il y a eu des aveux déjà du compagnon d'Eva KAILI, donc…

LAURENCE BOONE
Moi ce qui m'inquiète c'est ce que ça jette comme ombre sur la démocratie européenne. On veut des institutions dans lesquelles on a confiance, qui représentent vraiment l'État de droit, et de ce point de vue d'ailleurs Roberta METSOLA, la présidente du Parlement européen, a été exemplaire, elle a tout de suite dit qu'elle s'engageait pleinement à contribuer à faire la lumière et à renforcer la solidité des institutions.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors c'est quoi renforcer, il faut surveiller tous les élus, mettre un policier derrière chaque député européen ?

LAURENCE BOONE
Mais pas du tout, je vous rappelle que nous avons en France, par exemple, un système qui s'appelle la Haute Autorité de transparence de la vie publique, on a un système qui… la loi Sapin 2 qui regarde le lobbying fait par les entreprises auprès de l'exécutif et du législatif, eh bien les institutions européennes doivent regarder si elles sont à la hauteur de ce type de mécanismes éthiques, et sinon les mettre en place.

CHRISTOPHE BARBIER
Et sanctionner plus sévèrement ceux qui sont pris la main dans le sac ?

LAURENCE BOONE
Il y a une chose qu'on fait… Chaque ministre a son Conseil européen, puisque ça touche tous les sujets, nous qu'on fait c'est qu'on regarde l'État de droit et les processus anticorruption, donc on regarde, et on va approfondir ce que font les institutions européennes en matière d'anticorruption, et on va avancer pour aller plus loin, plus vite, il y a déjà des recommandations qui sont faites, donc oui on va contrôler, voir si c'est adéquat, et si ça ne l'est pas, renforcer.

CHRISTOPHE BARBIER
On se mettra d'accord à 27 là-dessus ou il y aura des mauvais élèves ?

LAURENCE BOONE
On va se mettre d'accord à 27, comme on a fait par exemple quand on a fait des procédures État de droit pour certains pays, comme la Hongrie ou la Pologne, et où les choses évoluent et avancent, ça marche.

CHRISTOPHE BARBIER
Laurence BOONE, merci et bonne journée.

LAURENCE BOONE
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 décembre 2022