Déclarations de MM. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et Olivier Becht, ministre chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, sur la politique de l'immigration, au Sénat le 13 décembre 2022.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Gérald Darmanin - Ministre de l’intérieur et des outre-mer ;
  • Éric Dupond-Moretti - Garde des Sceaux, ministre de la justice ;
  • Olivier Dussopt - Ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion ;
  • Olivier Becht - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l'étrange

Circonstance : Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat au Sénat

Texte intégral

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à la politique de l’immigration.

(…)

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un honneur de pouvoir dire quelques mots après Mme la Première ministre dans ce débat portant sur la politique migratoire de notre pays, alors qu’un projet de loi sera examiné en premier lieu par la Haute Assemblée.

Ce texte, que je défendrai en lien parfait avec M. le garde des sceaux, prévoit quatre thèmes : la fermeté, la simplification, l’intégration et le travail ; je laisserai évidemment le ministre du travail développer le quatrième.

Le premier thème est la fermeté. Comme l’a dit le Président de la République dans sa campagne électorale, comme la Haute Assemblée l’a déjà réclamé et comme la Première ministre vient de le signifier, nous avons actuellement trop de difficultés à expulser des personnes sur notre sol dont nous ne voulons plus et qui commettent des actes délictuels graves, criminels ou qui sont fichés par nos services de renseignement.

Ces difficultés sont causées non pas par la jurisprudence des tribunaux ni par les engagements constitutionnels ou conventionnels de notre pays, mais par les règles que nous avons nous-mêmes fixées dans les années 2000, dans un contexte qui n’était pas celui que nous connaissons aujourd’hui.

Aussi s’agit-il de mettre dans la loi de la République la fin des réserves d’ordre public, c’est-à-dire la fin de la fin de la double peine, qui empêche le ministre de l’intérieur et les préfets d’expulser du territoire national toute personne ayant commis des actes graves. Je parle de personnes condamnées de façon définitive par les tribunaux à plus de cinq ans de prison pour des actes qui relèvent souvent des crimes : violences envers des femmes, des enfants ou des personnes dépositaires de l’autorité publique, trafics de stupéfiants, etc.

Aujourd’hui, il existe sept réserves d’ordre public ; nous proposons de n’en conserver qu’une, conformément à l’engagement international que nous avons défendu s’agissant des mineurs. Il appartient en effet à l’autorité judiciaire de suivre les mineurs qui commettent des actes délictuels ou criminels.

Nous proposons de lever les autres restrictions à l’expulsion des étrangers qui commettent des délits graves ou des actes criminels et d’inscrire dans la loi la possibilité pour le préfet de présenter ces personnes à l’expulsion, en respectant évidemment l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cet article prévoit un équilibre entre, d’un côté, le respect de la vie privée et familiale et le droit au séjour et, de l’autre, la défense de la sûreté nationale et la préservation de la sécurité publique.

Nous disons que nous ne devons pas nous autocensurer dans la loi et empêcher ces expulsions. Au total, 4 000 expulsions pourraient être prononcées et exécutées chaque année. Or nous n’en sommes qu’à 3 100 depuis deux ans, comme l’a rappelé Mme la Première ministre. Il appartient au juge de confirmer que l’équilibre entre la vie privée et familiale et les impératifs de sécurité nationale est respecté.

Nous proposerons donc au Parlement de supprimer ces réserves d’ordre public et d’effectuer un copier-coller de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

J’évoquerai à présent l’augmentation du nombre de places dans les centres de rétention administrative. Le Gouvernement a accepté, dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), un amendement du député Éric Ciotti tendant à augmenter de 3 000 le nombre de ces places. De tels centres sont nécessaires pour expulser plus facilement les étrangers qui commettent des actes de délinquance ou qui sont fichés pour radicalisation.

Les centres de rétention administrative présentent aujourd’hui une spécificité. Selon les dernières estimations, 92 % des personnes qui y sont placées ont un casier judiciaire ou sont suivies par les services de renseignement. Les étrangers en situation irrégulière qui sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), mais qui ne présentent pas de danger pour nos concitoyens n’y sont plus placés. D’autres formules sont privilégiées, comme l’assignation à résidence.

En tant que ministre de l’intérieur, j’ai aussi demandé que les enfants ne soient progressivement plus placés dans ces centres. C’est désormais le cas, sauf à Mayotte, territoire spécifique s’il en est ; nous en reparlerons au cours du débat.

À la demande de Mme la Première ministre et du Président de la République, nous inscrirons dans le texte que nous vous présenterons l’interdiction de placer des mineurs dans des centres de rétention administrative. Une fois que ce texte aura été voté, l’assignation à résidence sera la règle.

Outre leur aspect carcéral, les centres de rétention administrative ont pour spécificité d’accueillir des publics dangereux pour nos concitoyens, ce qui justifie l’augmentation considérable du nombre de places dans ces centres. En 2022, nous avons augmenté de 450 le nombre de ces places, malgré les contraintes liées au covid, et nous créerons celles qui ont été prévues par le Parlement dans la Lopmi. Celle-ci sera promulguée par le Président de la République dans quelques jours. Les mineurs, je le répète, n’auront plus à connaître ce type de rétention.

J’en viens à mon deuxième thème, les mesures de simplification, qui sont – Mme la Première ministre l’a souligné – inspirées directement du rapport du sénateur Buffet, président de la commission des lois. Celui-ci prévoit en effet de réduire de douze à quatre le nombre de procédures possibles pour contester des actes administratifs pris par les préfets de la République.

Les délais d’attente et les recours suspensifs empêchent notre pays de mener une politique d’immigration digne de ce nom. Nous n’arrivons pas à faire exécuter correctement les lois de la République. Lorsque les tribunaux nous donnent raison au bout d’un an ou deux, les personnes ne sont souvent plus expulsables, notamment parce qu’elles ont désormais une vie privée et familiale sur le sol de la République. Elles ont par exemple eu des enfants.

En revanche, pour ceux que nous accueillons au titre du droit d’asile, un an ou deux, c’est beaucoup trop long. Il leur faut travailler et s’intégrer pour pouvoir vivre dans le pays qui les accueille.

Nous proposerons donc une modification de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Le garde des sceaux reviendra sur cette question. Il s’agit pour nous de territorialiser la CNDA et d’instaurer un juge unique. Nous avons entendu la demande du Conseil d’État et de la CNDA de conserver une instance collégiale pour les arrêts de principe. Le texte que nous présenterons répondra, me semble-t-il, à la demande du Conseil d’État. Mais nous souhaitons, dans un souci d’efficacité et de rapidité, que l’immense majorité des décisions puissent être prises par un juge unique.

Par ailleurs, nous mettrons en place la visioconférence, et nous simplifierons le lien entre le refus de la demande d’asile – 70 % des demandes d’asile sont refusées – et la décision d’obligation de quitter le territoire français. Conformément à l’annonce du Président de la République lors de sa campagne électorale, le refus de la demande d’asile, soit par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), soit par la CNDA en cas d’appel, vaudra obligation de quitter le territoire français. Le tribunal administratif aura ensuite quinze jours pour juger l’acte ainsi contesté.

Aujourd’hui, un demandeur d’asile doit attendre entre un an et un an et demi, voire deux ans pour obtenir une réponse. La loi Collomb a permis de réduire les délais de traitement des demandes par l’Ofpra de neuf mois à cinq mois, mais les délais de la CNDA sont malheureusement un peu trop longs, faute de moyens et de simplification, comme nous l’avons déjà dit. Ce que nous voulons, c’est que la demande d’asile complète de n’importe quel demandeur puisse être traitée en moins de neuf mois.

D’autres mesures de simplifications sont prévues. Elles sont très largement inspirées du rapport de François-Noël Buffet, qui, je le crois, a été approuvé à l’unanimité par la commission des lois de votre assemblée.

Le troisième thème sur lequel je souhaite m’attarder est celui de l’intégration. Vous avez voté dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur une augmentation de 25 % des crédits relatifs à l’intégration, soit une hausse de plus de 100 millions d’euros, notamment pour l’apprentissage du français.

Comme l’a rappelé Mme la Première ministre, 25% des étrangers en situation régulière sur notre sol parlent très mal le français et ont par conséquent beaucoup de mal à s’intégrer. Certes, des cours de français sont obligatoires, mais l’obtention d’un titre de séjour n’est pas conditionnée à la réussite d’un examen sanctionnant cet apprentissage.

Nous proposons donc que l’obtention d’un titre de séjour soit conditionnée à la réussite, et non pas simplement au passage, d’un examen de français et à l’adhésion aux valeurs de la République, conformément à ce que nous avons prévu dans la loi confortant le respect des principes de la République. En cas d’échec à cet examen, qui concernerait 270 000 personnes par an, le titre de séjour ne serait pas délivré, quand bien même il s’agirait d’une immigration familiale.

L’apprentissage du français est évidemment très important. Le ministre du travail reviendra sur le sujet, ainsi que sur les obligations que nous pourrons imposer. De telles dispositions relèvent du domaine réglementaire par le ministère de l’intérieur et demandent une révolution dans l’organisation des préfectures. Ces dernières doivent cesser de vérifier les titres de séjour de personnes qui sont depuis de nombreuses années sur le sol national, qui travaillent et qui n’ont pas de casier judiciaire. Ces titres doivent être délivrés automatiquement.

Il faut par conséquent concentrer le travail de l’intégralité des agents des préfectures d’abord sur les primo-arrivants. Il faut s’assurer que ces personnes parlent bien le français, qu’elles sont désireuses de s’intégrer, qu’elles peuvent avoir accès à un métier qui leur permette de faire vivre leur famille dans des conditions d’intégration acceptables. Le travail des agents doit ensuite être d’améliorer l’exécution des obligations de quitter le territoire français et de retirer leur titre de séjour à toute personne ayant un casier judiciaire.

Depuis la circulaire que j’ai prise à la demande du Président de la République, 92 000 titres de séjour ont été refusés ou retirés à des étrangers qui avaient une difficulté avec les règles de la République. L’étape suivante est de s’assurer que ces étrangers quittent bien le territoire national. Pour cela, il faut que les préfectures cessent d’ennuyer administrativement ceux qui ne posent aucun problème à la République et qu’elles se concentrent plus largement sur ceux qui lui en posent. Je pense que c’est ce que demandent les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a souhaité Mme la Première ministre, le Sénat est aujourd’hui réuni pour débattre d’un sujet important, extrêmement complexe, qui peut se résumer au fond en une question simple : comment, et sous quelles conditions, accueillir, sur notre sol français des femmes et des hommes de nationalité étrangère ?

L’immigration, à l’évidence, est un phénomène qu’il faut envisager de façon globale et pragmatique : globale, car la question de l’immigration implique de nombreux périmètres ministériels, comme en témoigne la présence au banc du Gouvernement de plusieurs de mes collègues ; pragmatique, car pour trouver des solutions, il faut se départir de tout dogmatisme, de toute démagogie et, bien sûr, de tout angélisme.

Depuis longtemps, le ministère de la justice travaille avec tous les autres ministères impliqués sur la question de l’immigration et, plus particulièrement, sur les procédures administratives et pénales applicables aux étrangers.

De quoi parlons-nous exactement ?

Il s’agit tout d’abord de réfléchir à une simplification du traitement du contentieux des étrangers. Ce contentieux constitue l’activité principale des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Comme le souligne avec acuité le rapport Stahl publié en 2020, sous l’égide du Conseil d’État, il faut avant tout rechercher " une plus grande efficacité des mesures juridictionnelles ".

Cette réflexion rejoint celle du président de la commission des lois, François-Noël Buffet, qui, dans son excellent rapport (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains), fait le triple constat d’un " droit des étrangers devenu illisible ", de " procédures inefficaces " et d’un " manque de moyen des services de l’État pour les mettre en œuvre ".

Fort d’un diagnostic partagé tant par la juridiction administrative que par les parlementaires, le Gouvernement va, comme l’a indiqué mon collègue Gérald Darmanin, ouvrir prochainement le chantier de la réforme du contentieux des étrangers. Il n’y aura évidemment aucune question taboue. Ainsi, la réforme du contentieux de l’asile devra également être mise à l’ordre du jour.

Toutes ces questions sont en débat aujourd’hui et le seront lors de l’examen du projet de loi. Je sais évidemment que vous aurez à cœur de bâtir une procédure à la fois efficace et respectueuse de nos principes.

Pour résumer le propos en une phrase, je dirais ceci : la protection des droits et la protection qu’offre le droit, oui ; l’instrumentalisation du droit et le dilatoire, non !

Le second axe de travail que je vous propose concerne la sphère pénale.

Laissez-moi tout d’abord insister sur un constat que nous faisons lucidement. Oui, il y a des étrangers délinquants. Oui, il y a des étrangers dans nos prisons ; de ce point de vue, nous sommes dans la moyenne européenne.

M. François Bonhomme. Cela nous rassure…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mais l’écrasante majorité des personnes que nous accueillons sur notre sol aiment notre pays et en respectent les lois. Je dis cela avec force, car il ne faut pas accepter des amalgames parfois faciles ou des généralisations entre l’immigration et la délinquance.

Pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs, je me garderai de tout angélisme, et je souhaite que nous puissions, dans le cadre du projet de loi annoncé, permettre à notre droit pénal d’être plus efficient à l’égard des étrangers qui ne respectent ni nos lois ni notre pacte républicain.

Pour y parvenir, il nous faut réfléchir à un élargissement de la peine d’interdiction du territoire français. Il s’agit aujourd’hui d’une peine complémentaire, prévue pour de nombreuses infractions qui sont les plus graves : crimes contre l’humanité, infractions terroristes ou atteintes volontaires à la vie, par exemple.

Pourquoi ne pas harmoniser les conditions d’interdiction judiciaire du territoire français avec celles des mesures d’expulsion ? N’est-il pas légitime qu’un juge correctionnel puisse protéger notre territoire et nos concitoyens aussi bien qu’un préfet qui décide de l’expulsion d’un étranger délinquant ?

Pourquoi également ne pas explorer l’élargissement du champ infractionnel de cette peine complémentaire, en prenant évidemment toutes les précautions qui s’imposent, car cet élargissement ne pourra pas avoir lieu sans que soient garantis les grands principes de l’État de droit, auxquels nous sommes tous particulièrement attachés ?

Ces pistes sont sérieusement à l’étude.

C’est tout l’enjeu des débats qui vous attendent : être ferme à l’égard des étrangers qui s’affranchissent de nos règles tout en garantissant à chaque femme, à chaque homme qui souhaite s’installer régulièrement sur notre territoire un examen individualisé de sa situation personnelle et familiale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les Français nous regardent. Il est de notre responsabilité collective de nous montrer à la hauteur de leurs attentes bien légitimes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, une politique d’intégration doit naturellement envisager le travail comme un outil essentiel, car il est, selon nous, la seule manière durable pour un étranger arrivant sur notre territoire d’assurer sa subsistance. Par ailleurs, le contexte professionnel facilite grandement l’apprentissage de la langue et de la culture d’un peuple.

La France a, comme de nombreux pays, besoin de talents étrangers. Cela ne signifie aucunement que nous sommes déliés de notre obligation de former et d’accompagner nos compatriotes résidant sur notre territoire ; c’est une priorité dans notre marche vers le plein emploi. Cela signifie simplement que nous devons accompagner cette politique d’un recours subsidiaire au recrutement d’étrangers non communautaires pour faire face à nos besoins en compétences.

En réalité, nous le savons, nous avons déjà des procédures permettant l’introduction de main-d’œuvre étrangère, de talents venus de l’étranger. Nous savons aussi délivrer des titres de séjour à des personnes présentes depuis plusieurs années sur le territoire. Mais nous ne pouvons pas nous soustraire plus longtemps à une analyse lucide de notre système. Force est de constater qu’il est inefficace par plusieurs aspects, injuste par d’autres.

Notre système est inefficace, car il ne permet pas à de nombreux étrangers arrivés régulièrement sur notre territoire de se former et d’être accompagnés, puis d’exercer un emploi. Cela se voit dans les chiffres relatifs à la politique de l’emploi : au premier trimestre 2022, le taux de chômage des personnes étrangères était de 13 %, contre 7,5 % pour l’ensemble de la population. Ce rapport ne varie ni en période de crise ni en période de croissance.

Nous enfermons dans l’illégalité des étrangers présents depuis longtemps sur notre territoire et travaillant notamment dans des secteurs en tension. Ils sont pourtant essentiels à la prospérité et au développement de notre pays. Ils sont le plus souvent déclarés, ils paient des impôts, des cotisations. Mais leur situation relève parfois de la traite des êtres humains.

L’absence de droit au séjour les rend vulnérables et précaires. Il arrive aussi que des employeurs peu scrupuleux les obligent à travailler parfois plusieurs semaines sans repos ou encore à être hébergés dans des conditions indignes. Ce constat ne vaut évidemment pas généralisation, mais nous savons que de telles situations existent.

Progresser sur le sujet, c’est progresser sur l’ensemble des conditions de travail en supprimant ces situations du pire et en revenant à un socle commun pour l’ensemble des salariés.

Ce constat partagé nous oblige. Nous devons sortir du système perdant-perdant. Il nous incombe de faire plus pour lutter contre le travail illégal et le travail dissimulé.

Des étrangers présents depuis plusieurs années sur le territoire, travaillant depuis plusieurs mois en France et exerçant un métier en tension sont en situation irrégulière, sans porte de sortie. Ils travaillent, s’intègrent, veulent s’intégrer ou sont intégrés. Ils demeurent pourtant sans droit au séjour ni au travail.

Nous souhaitons que ces étrangers puissent obtenir un titre temporaire, pour une année renouvelable. Il faut leur permettre de travailler légalement dans un secteur en tension de main-d’œuvre. Ils pourront ensuite s’insérer dans un parcours plus classique, toujours par le travail et par la langue. Cela s’appelle tout simplement l’intégration. C’est ce que nous voulons promouvoir, comme le ministre de l’intérieur et moi l’avons déjà indiqué.

Certains feignent de penser que nous allons ainsi favoriser le travail des étrangers au détriment des Français. C’est faux par construction. Les secteurs en question ont besoin de main-d’œuvre. Les étrangers dont nous parlons ne prennent le travail de personne. Ils occupent un emploi pour lequel il est bien difficile de recruter. Par ailleurs, nous n’avons pas abandonné l’important effort de formation de l’ensemble des actifs et notre objectif de plein emploi.

L’introduction de ce titre de séjour est d’ailleurs une demande forte de nombreuses entreprises, qui souhaitent pouvoir accompagner la régularisation de celles et ceux qui travaillent pour elles.

Dans ce même état d’esprit, nous avons d’ores et déjà entamé la révision de la liste existante des métiers en tension. Elle comporte quelques incongruités, quelques manques. Les métiers de la restauration y sont par exemple aujourd’hui peu présents, tout comme ceux de la propreté. Cette liste devra donc demain être plus en phase avec la réalité des tensions de recrutement.

Si l’on observe la part des emplois en tension occupés par des étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou en situation irrégulière, on ne peut que constater la lenteur et la faiblesse des sanctions infligées.

C’est une certitude, la lutte contre le travail illégal passera par des sanctions applicables plus facilement et plus rapidement.

Il existe aujourd’hui des sanctions pénales, que nous ne prévoyons pas de modifier, car elles sont nécessaires au traitement des situations les plus graves, lorsque sont manifestes l’intentionnalité et la dégradation des conditions de travail.

Il existe aussi des sanctions administratives. Je pense par exemple à la possibilité pour les préfets de fermer un établissement pour une durée maximale de trois mois. C’est une sanction lourde, dont nous devons faciliter l’application.

Il nous faut aussi une sanction administrative calibrée pour être plus systématique, comme une amende de plusieurs milliers d’euros par emploi illégal. Cette sanction n’aurait pas un caractère automatique, mais serait déployée en fonction de l’appréciation d’un certain nombre de critères comme les ressources, les charges, mais aussi, et peut-être surtout, l’intentionnalité, le contexte et la gravité.

Enfin, l’intégration passe à l’évidence par la langue, comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur. Or bien des employeurs comptent sur la main-d’œuvre étrangère pour faire tourner leur entreprise. Il ne serait donc pas anormal qu’ils contribuent à la réussite de l’intégration de leurs salariés par la langue.

Nous avons ouvert un dialogue avec les partenaires sociaux pour examiner avec les opérateurs de la formation, par le financement de la formation continue et par la possibilité de libérer des heures sur le temps de travail, la façon dont nous pourrions mettre à contribution les employeurs pour la formation en français de leurs salariés étrangers.

Nous abordons ce débat sans naïveté, en voulant ne plus être les complices passifs d’injustices existantes. En ce qui concerne le travail des étrangers, nous agissons sans naïveté ni idéalisme, mais en faisant preuve de réalisme et avec la volonté de protéger les travailleurs comme les chefs d’entreprise qui n’ont pas d’autre choix. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, à l’issue de ce débat, de vous livrer quelques éléments relatifs à notre politique étrangère – ils ont été en partie abordés durant la discussion générale.

Comme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, que je représente ce soir, à sa demande, l’a rappelé la semaine dernière devant l’Assemblée nationale, la question migratoire est un élément central dans la conduite de notre politique étrangère.

À cet égard, trois principes nous guident en matière migratoire : attractivité et organisation des mobilités légales, solidarité avec les plus vulnérables et fermeté face aux flux irréguliers.

La France souhaite défendre une vision équilibrée en matière migratoire. Tout d’abord, nous sommes attachés au développement d’une migration légale, avantageuse pour notre pays. Ensuite, nous veillons tout particulièrement au renforcement de notre attractivité à l’égard des étudiants et des talents. Nous avons cette année atteint le chiffre record de 400 000 inscriptions d’étudiants étrangers en France et de 12 000 délivrances de visas, dans le cadre des passeports talents.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre, permettez-moi de vous dire que notre politique de visas n’est en rien arbitraire, mesdames, messieurs les sénateurs. Elle a pour objet de renforcer l’attractivité et le rayonnement de notre pays.

Nous défendons également avec force et constance le droit international. Au reste, nous nous enorgueillissons d’être l’un des pays les plus engagés pour l’asile au monde.

Nous sommes attachés à la protection des migrants, au respect de leurs droits fondamentaux ; nous coparrainerons, à la demande du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le prochain Forum mondial sur les réfugiés, prévu en décembre 2023. Ce même souci de la protection des migrants nous conduit à lutter avec force contre les trafics et la traite des êtres humains.

En effet, et c’est la contrepartie naturelle de l’ouverture et de la générosité de notre pays, nous sommes intransigeants sur le respect de nos lois et de nos valeurs. C’est la raison pour laquelle nous sommes engagés à lutter avec la même force contre l’immigration irrégulière, pour le retour, la réadmission et la réintégration dans leurs pays d’origine des migrants irréguliers.

La France, sur la question migratoire, comme sur bien d’autres questions, cherche donc à défendre une vision équilibrée.

Nous souhaitons atteindre cet objectif en lien avec nos partenaires africains. La stratégie « migrations et développement » de la France couvre plus de 55 pays, majoritairement africains. En 2021, le montant des projets engagés par la France s’est élevé à plus de 1,5 milliard d’euros, financés conjointement par la France et d’autres partenaires principalement européens.

Nous prônons également cette vision équilibrée dans le cadre européen et multilatéral. C’est dans cet esprit que la ministre de l’Europe et des affaires étrangères a participé hier à Bruxelles au lancement de deux initiatives de l’Équipe Europe (TEI, en anglais Team Europe Initiatives), consacrées à deux routes migratoires, celle de la Méditerranée centrale et celle de la Méditerranée occidentale. Lancées par la France, l’Espagne et l’Italie, ces initiatives associent les moyens des institutions européennes et des États membres.

Pour chacune de ces routes migratoires, environ 1 milliard d’euros ont été investis, afin de mettre en place des instruments tendant à resserrer une coopération euro-africaine globale, pour lutter contre les filières d’immigration irrégulière et pour organiser les retours, mais également pour combattre les causes profondes des migrations irrégulières, pour protéger les migrants ou encore pour favoriser la migration légale.

La France a soutenu fortement l’objectif européen de consacrer 10% des moyens d’intervention extérieure de l’Union à des projets liés aux migrations. Cela représente, au total, près de 10 milliards d’euros sur la période 2021-2027.

Nous avons donc intérêt à inscrire notre action dans une logique coopérative, indispensable à une meilleure maîtrise des flux migratoires. Nous devons construire ensemble des partenariats bénéfiques, pour nous-mêmes comme pour les pays d’origine. C’est la raison pour laquelle la France a aussi pris la présidence du forum mondial sur la migration et le développement, dont le sommet se tiendra à Paris, au début de l’année 2024.

Enfin, nous réfléchirons – ensemble – plus particulièrement aux effets du changement climatique sur la mobilité humaine, en adoptant une approche transversale et inclusive, en suivant une méthode fondée sur le dialogue et l’anticipation, dans un esprit à la fois de solidarité et de responsabilité.

Tel est l’équilibre que nous visons pour notre politique migratoire, qui fait pleinement partie de notre politique étrangère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre. Je reviendrai brièvement sur le projet de créer un titre de séjour spécifique pour les métiers en tension, à la suite de l’intervention de M. François-Noël Buffet. En inscrivant cette mesure dans la loi, notre objectif est justement de pouvoir débattre au sein du Parlement des critères d’accès à ce nouveau titre de séjour.

La circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls, établit, pour les demandes d’admission exceptionnelles, des conditions d’ancienneté – régulière ou irrégulière – de son séjour dans notre territoire et dans l’emploi qu’il exerce, mais elle oblige également l’employeur à accompagner cette démarche, au risque de payer une taxe à l’Ofii.

Au contraire, nous souhaitons instaurer un titre de séjour qui permettra à un salarié de solliciter une demande de régularisation, s’il est en mesure de prouver qu’il satisfait aux règles d’ancienneté dans son activité et de présence sur le territoire.

Quels seront les bons critères en la matière ? Voilà ce qu’il nous reste à préciser dans la loi, afin de contrôler l’utilisation de ce nouveau titre, de sorte qu’il ne se transforme pas en un outil de régularisation massive – monsieur le sénateur Buffet, n’ayez pas de crainte à ce sujet, tel ne sera pas le cas, parce que, justement, le choix des critères nous en gardera.

Ce sera un titre d’un an renouvelable. Il sera attaché non pas à un emploi – nous avons fait ce choix pour répondre à un certain nombre d’interrogations –, mais bien à l’exercice d’un emploi dans un secteur en tension – plusieurs dizaines de métiers sont en tension, selon la liste établie par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la Dares.

Dans ce cadre, une personne qui aurait régularisé sa situation au moyen de ce nouveau titre, mais qui aurait perdu son emploi, sera désormais en mesure d’en retrouver un dans l’un des secteurs en tension ou dans un autre ; dans ce cas, il faudra qu’elle sollicite un titre de séjour pour un motif économique, et, à cet égard, qu’elle réponde aux exigences – nous les connaissons – fixées par la loi en vigueur.

Monsieur Bonnecarrère, je ne partage pas totalement votre inquiétude, ou plutôt l’objectif que vous fixez, en matière de rémunération. Selon vous, ce titre devrait être réservé aux salariés dont le niveau de rémunération, au moment de leur recrutement, serait supérieur à la moyenne de la branche dans laquelle ils exercent.

Votre proposition pose, à mes yeux, deux difficultés : la première, c’est que les salariés dont nous parlons sont déjà présents sur le territoire et travaillent depuis au moins plusieurs mois, ce qui suppose que leur niveau de salaire a déjà été fixé ; la seconde tient au fait que les situations, nous le savons, sont extrêmement hétérogènes.

Par ailleurs, j’ajouterai qu’il faut veiller à ce que cette disposition n’ouvre pas, pour ainsi dire, une trappe à bas salaires. Monsieur le sénateur, nous pouvons nous retrouver sur ce point. (M. Philippe Bonnecarrère acquiesce.) Néanmoins, nous ferions tomber dans une telle trappe le salarié qui dépend de son employeur parce que sa situation n’a pas été régularisée, d’autant plus si ce dernier est indélicat… Mais nous aurons l’occasion d’en débattre de nouveau.

Enfin, madame Carrère, nous ne voulons pas que la précarité s’installe dans ces situations ou que les étrangers soient employés à moindre coût.

Dès lors que le salarié sera régularisé – concrètement, s’il possède une carte de séjour pluriannuelle –, sa situation deviendra pérenne. L’employeur aura alors l’obligation de participer à sa formation, notamment pour l’apprentissage du français. Pour cela, l’employeur devra soit lui libérer du temps, soit lui permettre d’aménager son temps de travail, pour qu’il puisse participer à cette formation.

Au contraire, nous cherchons, au travers de ce projet de loi, le bon équilibre, pour que ce titre de séjour sécurise les employeurs – ceux-ci sont régulièrement confrontés à des situations dans lesquelles ils ne se savent pas que l’étranger en situation régulière qu’ils emploient n’a pas vu son titre de séjour être renouvelé –, et pour que les travailleurs, qui sont souvent exploités de façon dramatique, puissent se sortir d’une telle situation de dépendance.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. En complément des explications de M. le ministre du travail, je répondrai aux différents orateurs sur les points qui relèvent de mon domaine de compétences.

Monsieur le président Buffet, vous avez fait nombre de propositions, qui recoupent, pour certaines d’entre elles, les mesures que nous avons introduites dans le projet de loi que nous sommes en train de préparer et qui doit encore faire l’objet d’un avis du Conseil d’État.

Monsieur Laurent, à ce sujet, nous nous sommes vus récemment avec les membres de votre groupe – nous rencontrerons prochainement aussi le groupe communiste de l’Assemblée nationale –, mais je tiens à préciser que nous souhaitons attendre la fin des concertations politiques et des débats prévus par l’article 50-1 de la Constitution avant d’avancer. Ce n’est qu’alors que nous transmettrons le texte au Conseil d’État, avant sa délibération en conseil des ministres et son examen par le Parlement.

À ce jour, les avis convergent sur plusieurs mesures ; d’autres n’ont pas été reprises dans notre projet de loi, à la suite des arbitrages rendus par le Président de la République et la Première ministre – je pense à l’aide médicale d’État et aux mesures relatives aux étrangers malades, puisque nous en débattons chaque année dans le cadre du PLFSS et du PLF, vous le savez mieux que quiconque, mesdames, messieurs les sénateurs.

J’en profite pour vous rappeler simplement que les chiffres présentés par différents orateurs à la tribune à propos du titre de séjour " étranger malade " ne sont pas tout à fait exacts, si je puis me permettre ; ce point n’enlève rien au fait que la France est le seul pays à offrir de tels critères d’admission, mais là n’est pas la question.

Nous avons procédé à une réforme de ce titre, dans la loi Collomb, puis au travers de certaines dispositions introduites dans les projets de loi de financement de la sécurité sociale et dans les projets de loi de finances. En vérité, si 5 000 titres d’étrangers malades ont bien été délivrés en 2019 – contre près de 6 850 en 2016 –, leur nombre ne s’élève plus qu’à quelque 3 700 cette année, soit une baisse de 45 % par rapport à 2017, au moment où le Président de la République a été élu, et de 25 % par rapport aux années qui ont précédé la covid.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je le répète, seulement 3 700 titres d’étrangers malades sont délivrés aujourd’hui, essentiellement à des personnes atteintes du VIH, qui viennent de pays où les thérapies contre cette maladie ne sont pas connues.

Monsieur le président Buffet, nous avons instauré, vous le savez, une procédure à laquelle doit se soumettre chaque étranger délinquant, détenu dans un centre de rétention administrative, qui, en raison de sa maladie, sollicite la demande de titre de séjour " étranger malade ", pour un motif que l’on pourrait qualifier d’" humanitaire " : désormais, un médecin de l’Ofii, totalement indépendant, procède au diagnostic de la pathologie et vérifie s’il existe ou non une thérapie dans le pays d’origine du demandeur. Si tel n’est pas le cas, nous lui accordons l’asile, conformément à notre engagement ; à l’inverse, si une thérapie existe, le demandeur est expulsé.

L’opportunité du titre peut être mise en cause dans le cadre de ce projet de loi, comme celle de tous les titres de séjour du reste, mais je pense que les termes du débat seront différents de ceux qui ont été défendus il y a cinq ans.

Je ne reviens pas sur la question de l’AME – les différents arguments ont été opposés –, qui ne sera pas inscrite dans le projet de loi, je le rappelle, car nous en débattons chaque année au moment de l’examen des textes financiers.

En ce qui concerne les exécutions des mesures d’éloignement – les OQTF – le débat devient totémique et les slogans brandis ne correspondent pas tout à fait à la réalité…

Mesdames, messieurs les sénateurs, les services du ministère de l’intérieur, tout comme vous dans vos rapports de 2019 et 2020, estiment le nombre de mesures qui ont été exécutées à partir des informations dont ils disposent ; ce n’est pas la même chose que présenter le nombre de mesures réellement exécutées !

Je m’explique : ce que nous connaissons, c’est le nombre des personnes qui ont quitté l’espace Schengen. C’est un point important, puisque cela veut dire que lorsqu’un étranger quitte la France, après avoir reçu une OQTF, ou toute autre mesure d’éloignement, pour rejoindre la Belgique, par exemple, nous ne le savons pas !

À Tourcoing, on ne compte pas moins de dix-sept points de passage avec la Belgique et aucun contrôle à la frontière… Quand les personnes devant quitter le territoire national se rendent dans un État membre de l’espace Schengen sans qu’il y ait de contrôle aux frontières, nous ne sommes pas informés de leur sortie.

Il est vrai, et nous en reparlerons, que le système d’entrée-sortie de Schengen (ESS) et le règlement Etias nous permettront à l’avenir d’en être informés, mais, à ce jour, ce n’est pas le cas.

Par ailleurs, nous ne pouvons dénombrer que les personnes bénéficiant de l’aide au retour volontaire, accompagnées par l’Ofii, ou celles qui ont reçu une OQTF, exécutée par la police aux frontières, parce que le consulat du pays en question a délivré un laissez-passer, ou, tout simplement, parce que le passeport permet aux policiers aux frontières de les embarquer dans un avion, afin de les accompagner dans leurs pays.

Nombreux sont les étrangers qui respectent les lois de la République. Ceux-là, quand ils voient qu’ils ne sont pas bienvenus sur le sol de la République, parce qu’ils ont fait l’objet d’une OQTF ou d’une aide au retour volontaire, contre lesquelles ils peuvent avoir déposé un certain nombre de recours, quittent le territoire national, sans jamais se signaler à la préfecture ni à la police aux frontières. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie le conteste.) Si, madame la sénatrice, c’est tout à fait vrai !

C’est d’ailleurs pour cette raison que la circulaire que j’ai prise, à la suite de différents faits divers sur lesquels je ne reviendrai pas, permet justement d’indiquer le nombre de personnes inscrites dans le fichier des personnes recherchées, afin que, lorsqu’elles passent entre les mains de la police aux frontières, nous sachions exactement combien d’entre elles sont parties.

Le nombre d’OQTF que vous avez cité – quelque 121 000 personnes en 2021 – ne correspond pas au nombre de mesures individuelles qui ont réellement été prises ; c’est simplement le nombre de mesures prises, tout court ! En effet, certaines personnes ont fait l’objet de plusieurs mesures individuelles – une OQTF, parfois deux, accompagnée d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF), par exemple –, ce qui entraîne plusieurs mesures.

Si nous comparons le nombre de personnes renvoyées dans des pays étrangers et le nombre de mesures prises, nous ne pouvons évidemment pas atteindre une parfaite adéquation, puisque, je l’ai dit, certaines personnes – jusqu’à 20% des personnes inscrites dans les fichiers dits " des mesures administratives " – ont fait l’objet de plusieurs dispositions d’ordre individuel.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Tout va bien, donc…

M. Gérald Darmanin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je citerai, à mon tour, les chiffres que nombre d’entre vous ont déjà utilisés : aucun gouvernement n’a jamais atteint une proportion supérieure à 20% d’exécutions effectives d’OQTF.

Monsieur le président Buffet, en 2011 et 2012, des années qui n’étaient pas mauvaises, si je puis dire, quelque 85 000 mesures ont été prises. Plus précisément, en 2011, les services ont dénombré quelque 7 970 reconduites aux frontières, contre 6 284 en 2012.

Si je prends l’exemple de l’année 2021, mes services ont dénombré 124 000 mesures – toutes mesures administratives confondues, et en incluant également les personnes ayant fait l’objet de plusieurs mesures administratives. Dans l’hypothèse où ce chiffre est partagé par tous, il faut alors le comparer avec les quelque 116 984 reconduites qui ont été rendues effectives. C’est plus du double des reconduites réalisées par le passé, alors même que le nombre des mesures ordonnées, lui, n’a pas doublé.

Monsieur le président Buffet, nous avons eu à peu près le même taux d’exécution, comme l’a rappelé le président Patriat. Sous le quinquennat du Président Hollande, il est vrai, la situation s’est beaucoup détériorée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mais oui ! C’est sans doute à cause de M. Dussopt… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame de La Gontrie, je vais vous répondre, ne vous inquiétez pas. Ne hâtez pas ma réponse, car je crains qu’elle ne vous déplaise… (Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Jean-Yves Leconte protestent.)

Sous le quinquennat Hollande, donc, sur les 100 000 mesures prises, seulement 7 000 reconduites aux frontières ont été rendues effectives. À cette époque, la situation s’est détériorée, nous le voyons bien.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Puis Zorro est arrivé !

M. Gérald Darmanin, ministre. Quant à nous, nous avons réalisé la meilleure année en matière d’exécutions des reconduites aux frontières, si je puis m’exprimer ainsi, et ce malgré les difficultés liées à la situation en Syrie.

Mesdames, messieurs les sénateurs qui siégez sur les travées de droite, je ne vous ferai pas l’affront de rappeler que le président Sarkozy, lors de son quinquennat, n’avait pas été confronté aux mêmes difficultés que nous rencontrons actuellement en Libye, en Afghanistan et au Soudan : sur tous les fronts, les difficultés diplomatiques se sont multipliées – je rappelle simplement ce point pour expliquer le contexte du quinquennat du président Macron.

Pour autant, malgré les difficultés diplomatiques que nous rencontrons, notamment à cause de pays en guerre, je constate que l’année 2019, avant la covid, a connu le meilleur taux de reconduites aux frontières.

Est-ce suffisant ? Non, car 20%, cela veut toujours dire qu’un cinquième seulement des mesures prises a été rendu effectif. Aussi, nous devons repenser totalement le système des reconduites aux frontières, des OQTF et du placement.

Monsieur Bonnecarrère, vous avez fait allusion au système d’entrée-sortie de Schengen qu’il faut mettre en place ; M. Leconte a d’ailleurs évoqué le règlement Etias (système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages). La France est prête à mettre en place ces textes.

À chaque conseil Justice et affaires intérieures, je le répète sans cesse, nous nous interrogeons sur les causes du report de la date d’entrée en vigueur du système de contrôle des entrées et des sorties des frontières extérieures de l’espace Schengen, car il est très important : pour tout étranger et tout citoyen de l’espace Schengen, grâce à une fiche de présence sur le territoire européen, nous pourrons suivre entrées et sorties et éviter les doublons de demandes de titre de séjour.

Etias est également essentiel, car il instaure l’interopérabilité entre toutes les polices européennes, ce qui rend possible un contrôle du pays d’origine, de l’entrée et de la sortie pour tous les étrangers. Ainsi, grâce à cette action lancée sous le précédent quinquennat, nous lutterons mieux contre le risque terroriste.

Cependant, si la France est le seul pays à instaurer le système EES, cela ne sert pas à grand-chose. Nous ne ferons que rallonger les délais d’attente à nos frontières, particulièrement dans les ports et aéroports, sans qu’aucun pays européen nous accompagne. Nous mettrons donc en place le système EES quand tous les pays seront prêts, et le plus rapidement possible – je suis tout à fait d’accord avec vous sur ce point.

Je suis le dossier de près au sein de mon ministère et je puis vous assurer que la France ne souffre ni de lacunes en développement informatique ni d’un manque de volonté. En revanche, tous les pays de l’Union européenne ne partagent pas le même entrain.

L’ouverture récente de l’espace Schengen, qui sera bientôt confirmée par les chefs d’État et de gouvernement, n’améliore pas la situation.

La sortie de nos amis britanniques de l’espace Schengen, alors qu’ils étaient, comme membres de l’Union européenne, l’un de ses partisans, va poser un certain nombre de problèmes, notamment pour le port de Douvres et pour les citoyens de pays tiers. Mon homologue britannique me demande sans cesse de reporter la mise en œuvre de ce système EES, ce à quoi le ministère de l’intérieur est opposé.

Monsieur le président Buffet, nous sommes aussi d’accord au sujet de l’examen sur les valeurs de la République, complémentaire de l’examen de langue française. Nous vous proposerons de nouvelles dispositions législatives, que nous sommes prêts à améliorer.

Le refus d’asile et l’OQTF constituent deux actes administratifs différents – nous en reparlerons avec le Conseil d’État. Un recours reste possible contre l’OQTF – je parle sous le contrôle du garde des sceaux –, mais nous souhaitons qu’il soit soumis à conditions et particulièrement réduit dans le temps.

Monsieur Leconte, vous nous avez proposé une chronique, ou plutôt une plaidoirie contre votre propre bilan. Il n’y aurait pas assez d’agents dans les préfectures. Vous avez tout à fait raison : vous avez supprimé 11 000 agents en cinq ans. (M. Jean-Yves Leconte s’exclame.)

Oui, monsieur Leconte, c’est bien vous qui les avez supprimés ! La Cour des comptes elle-même le dit ; tout le monde le dit.

M. Jean-Yves Leconte. Vous êtes aux affaires depuis plus de cinq ans !

M. Gérald Darmanin, ministre. Quand j’étais ministre des comptes publics, sous l’autorité d’Édouard Philippe, nous avons mis fin aux suppressions de postes dans les préfectures. Et depuis que je suis ministre de l’intérieur, dans les gouvernements de Jean Castex et maintenant d’Élisabeth Borne, nous augmentons le nombre d’agents dans les préfectures – vous avez mal suivi la loi de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), même si je suis fort heureux que vous l’ayez votée en première lecture. Vous, vous avez supprimé 11 000 postes !

M. Jean-Yves Leconte. Vous aviez sept ans pour changer la donne !

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, je vous en prie, je vous ai écouté avec attention : ce sont bien 11 000 postes que vous avez supprimés. Et ensuite vous nous dites, comme le coq de Chantecler qui pense qu’il fait se lever le soleil, qu’il est terrible de voir les gens mal reçus en préfecture. Si vous n’aviez pas supprimé tous ces postes lorsque vous étiez en responsabilité, il en serait allé autrement.

J’en viens aux contrôles aux frontières : ils seraient contraires au droit européen et scandaleux, dites-vous. Mais qui a mis en place ces contrôles aux frontières en 2015 ? Qui donc ? Je ne me rappelle plus très bien…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et qui les remet en place chaque fois ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Trois fois, sous des gouvernements de gauche, vous avez demandé ces contrôles aux frontières. Huit pays ont rétabli ces contrôles. (M. Jean-Yves Leconte proteste.)

Permettez-moi de vous répondre, monsieur Leconte !

M. Alain Richard. M. Leconte a vraiment du mal à écouter…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ça pique…

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce sont là des vérités que vous ne voulez pas entendre. Vous devriez rencontrer plus souvent Bernard Cazeneuve, car vous êtes manifestement bien éloigné de la politique qu’il défendait lorsqu’il exerçait la responsabilité du ministère de l’intérieur.

M. Thomas Dossus. C’est sûr !

M. Gérald Darmanin, ministre. Et je ne cite même pas Manuel Valls,…

M. Thomas Dossus. On vous en remercie !

M. Gérald Darmanin, ministre. … car vous nous feriez une crise d’urticaire. Vos deux ministres de l’intérieur défendaient exactement ce que nous défendons : vous devriez plutôt vous en réjouir. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Jean-Yves Leconte protestent.)

Cinq de vos camarades sociaux-démocrates ont instauré des contrôles aux frontières de l’Union européenne. Pourquoi ? Non pas pour des raisons migratoires, mais pour lutter contre le terrorisme.

Si nous avons rétabli les contrôles aux frontières dans la période récente, c’était après l’attaque de la basilique de Nice, qui a entraîné la mort de trois personnes. À l’époque, personne – en ces jours de procès des auteurs des attentats de Nice, vous n’irez pas dire le contraire – ne contestait notre souhait de retrouver la maîtrise de nos frontières.

Quant aux visas Balladur, combien de temps avez-vous été en responsabilité ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et vous ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Mais moi, je ne suis pas contre la suppression de ces visas ! Voilà toute la différence entre nous ! (Vives exclamations sur les travées du groupe SER.)

M. Alain Richard. Chers collègues, pourriez-vous écouter le ministre sans crier ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous pensez, monsieur le sénateur, qu’il faut permettre à tous les étrangers présents à Mayotte de venir sur le sol réunionnais et sur le sol métropolitain. On voit bien que vous n’êtes pas allés très souvent à Mayotte. Allez le dire à vos collègues mahorais ! La situation à Mayotte est totalement insolite, chacun en est convaincu.

Les visas Balladur s’appellent ainsi parce qu’ils ont été instaurés sous le Premier ministre du même nom. Cela ne rajeunira personne… À l’époque, je n’étais même pas en classe de sixième, mais vous, monsieur le sénateur, vous faisiez déjà de la politique. (Murmures.)

Vous dites qu’il existe deux types d’asiles, mais vous confondez les sujets : il y a l’asile d’un côté et l’immigration de l’autre. Quand 70% des demandes d’asile reçoivent une réponse négative après leur passage devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), c’est bien qu’il existe un problème d’orientation, monsieur le sénateur !

Il faut soit fermer les yeux, soit être extrêmement naïf pour ne pas voir qu’il existe, d’une part, des gens qui méritent absolument l’asile, et, d’autre part, des personnes qui utilisent l’asile pour rester illégalement sur le territoire de la République. Chacun le sait ! Rencontrez les agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), ils vous le diront, sans la moindre idéologie.

Notre travail est entravé : les personnes éligibles à l’asile mettent beaucoup trop de temps à l’obtenir et vivent ainsi une très grande paupérisation, parce que tous ceux qui ne sont pas éligibles à l’asile utilisent cette procédure comme une voie d’immigration illégale. C’est la vérité première, et beaucoup l’ont dit. C’est si vrai que je n’ai qu’à vous renvoyer aux précédents débats parlementaires : Manuel Valls et Bernard Cazeneuve défendaient la même position.

Vous affirmez que, depuis 1982, quelque trente textes ont été examinés : tous, vous faites ainsi le procès de votre propre passé. En un quinquennat, nous n’en avons présenté qu’un seul !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et quel est son bilan ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Si trente textes ont été pris en quarante ans, c’est parce que la situation est difficile, en raison d’une jurisprudence complexe, des engagements internationaux de la France et des phénomènes migratoires liés à la déstabilisation de certains pays. Quoi qu’il en soit, les trente textes en quarante ans ne sont pas un argument valable, puisque nous n’en avons présenté qu’un seul en six ans.

Enfin, vous avez parlé des personnes en situation irrégulière, que nous acceptons en trop grand nombre et que nous n’avons pas régularisées.

En 2012, lorsque M. Hollande est arrivé aux responsabilités, 208 000 irréguliers sur le territoire national étaient inscrits à l’aide médicale d’État (AME). Par nature, nous ne connaissons pas exactement le nombre d’irréguliers, mais l’AME reste le chiffre le moins contestable, car un grand nombre d’irréguliers s’y inscrivent pour pouvoir se faire soigner.

En 2017, ils étaient 315 000, ce qui représente une augmentation de plus de 100 000 personnes sous votre responsabilité ! Certes, sous le quinquennat du président Macron, ce chiffre est passé de 315 000 à 350 000, notamment car nous ne pouvions pas, en 2020 et 2021, renvoyer des étrangers dans leur pays à cause de la crise de la covid, l’espace aérien étant fermé.

Cette augmentation est certes importante et elle mérite d’être régulée, monsieur le président de la commission des lois, mais elle n’a rien à voir avec l’augmentation exponentielle que vous avez connue, monsieur le sénateur Leconte.

À l’époque, d’ailleurs, vous n’avez pas eu le courage, contrairement à notre Première ministre et au ministre du travail, de proposer des régularisations par le biais d’une loi. Vous avez préféré faire passer la circulaire Valls, dont je rappelle qu’elle proposait 30 000 régularisations – 23 000 au titre du rapprochement familial et 7 000 au titre du travail.

Ne donnez pas des leçons de régularisation et d’humanité quand vous n’avez pas été capables, en votre temps, d’assumer vos responsabilités. Sur de tels sujets, il faut être plus constructif et objectif, monsieur le sénateur.

Monsieur Laurent, il ne s’agit pas de généraliser le juge unique au sein de la CNDA, mais de l’autoriser – voilà qui est très différent – et de laisser à la CNDA le choix de sa formation.

Soit elle considère que les affaires sont simples, aussi bien pour accorder l’asile que pour le refuser – voyez le cas des Ivoiriens, par exemple, dont l’immense majorité ne bénéficie pas de l’asile sans que cela pose de question de principe –, et elle statue sous la forme du juge unique.

Soit il s’agit de cas complexes – orientation sexuelle, réfugiés issus de pays divisés, comme le Soudan, ou encore la situation des ressortissants d’Afghanistan qui ont fui les talibans, à l’origine de la jurisprudence Kaboul –, et nous laissons alors à la CNDA la possibilité de siéger en formation collégiale ou en formation de juge unique.

Bref, le Gouvernement ne propose pas la généralisation du juge unique : au contraire, il laisse le choix à la cour. Cette demande est formulée en partie par le Conseil d’État lui-même, dans le rapport de son ancien vice-président Bruno Lasserre. Certes, vous ne disposez pas encore du texte du Gouvernement, mais permettez-moi de vous corriger : il ne s’agit en rien de généraliser le juge unique.

Monsieur Benarroche, j’ai bien compris les interrogations de votre groupe, mais il n’est pas possible de dire que des milliers de places d’hébergement sont supprimées à Calais.

Au contraire, des milliers de places d’hébergement sont libres, à Calais et sur toute la côte d’Opale – je le dis devant tous les élus de ce secteur, d’autant que j’en suis un moi-même. Ce qui est vrai, c’est que, en laissant les migrants en marge dans des jungles ou auprès des passeurs, nous faisons le jeu de ces derniers : dans toutes les villes du Nord-Pas-de-Calais, les passeurs expliquent qu’il ne faut pas accepter les hébergements, pour garder les migrants sous la main, en leur promettant de les faire passer de l’autre côté de la frontière.

Je salue la proposition du garde des sceaux, à savoir requalifier de délit en crime les agissements des passeurs, avec des peines allant jusqu’à vingt ans de prison. C’est une bonne chose, et j’espère un vote unanime sur ce texte. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas dire que l’État ne fait pas son travail d’hébergement et d’accompagnement à Calais. D’ailleurs, nous aurions bien aimé que beaucoup nous accompagnent pour encourager les migrants à accepter les hébergements proposés.

Monsieur Benarroche, si la proposition des groupes de gauche du Sénat est de faire pour les demandeurs d’asile ce que nous faisons pour les Ukrainiens, ce sera idéologiquement difficile pour vous. En effet, nous ne donnons pas l’asile aux Ukrainiens ! Nous leur accordons, très rapidement, une protection pour trois ans, puis ils repartent.

Si votre proposition est de mettre fin au droit d’asile et d’accorder une protection temporaire pendant un, deux ou trois ans, vous serez bien plus à droite que ceux que vous dénoncez. Tout cela est bien paradoxal.

Madame la sénatrice Benbassa, je ne répondrai pas à vos provocations ; elles sont difficiles à entendre, car elles sont insultantes pour une partie d’entre elles. Je répondrai seulement à la dernière ; vous avez évoqué mes deux grands-pères, pour vous demander si je serais ici devant vous s’ils n’avaient pas été accueillis en France. Je vous trouve bien mal renseignée !

L’un de mes grands-pères est né en Algérie, du temps où ce territoire était français. Il s’est engagé dans l’armée coloniale à 14 ans ; il ne savait ni lire ni écrire, et la France lui a énormément apporté. En 1962, il a choisi notre pays. Il était un militaire de carrière et un Français de volonté. Oui, évidemment, pour ces Français de volonté, le Gouvernement est tout à fait prêt à construire de belles histoires.

Mon second grand-père était un juif maltais, né en Tunisie. Il est venu en France dans les années 1930, pour travailler dans les mines. Il a ensuite rencontré ma grand-mère, et ainsi me voilà, manifestement pour votre plus grand plaisir… Oui, avec le texte que nous proposons, ce grand-père, qui est venu exercer en France un métier difficile, aurait été régularisé et naturalisé.

Mes deux grands-pères avaient de grandes qualités : ils aimaient la France, ils étaient travailleurs et ils n’avaient pas de casier judiciaire. Donc, oui, avec une telle loi, je serais bien là devant vous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)


source http://www.senat.fr, le 2 janvier 2023