Interview de M. Clément Beaune, ministre chargé des transports, à BFMTV le 23 décembre 2022, sur la grève à la SNCF pendant le week-end de Noël et les problèmes à la RATP.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : BFM TV

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Clément BEAUNE.

CLÉMENT BEAUNE
Bonjour Apolline de MALHERBE.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le ministre des Transports, et ce matin, de nombreux Français sont coincés dans les gares, de nombreux Français ont dû renoncer, renoncer à prendre le train pour aller voir leurs familles. Une grève commence aujourd'hui et qui se poursuit en ce week-end de Noël. En urgence hier soir, la Direction de la SNCF a reçu les syndicats. La proposition qui a été faite, c'est 120 € de prime supplémentaire pour les contrôleurs, passer de 600, donc, à 720 €, 200 embauches supplémentaires et un statut unique pour les contrôleurs. A l'heure qu'il est, est-ce que vous savez si le Collectif des contrôleurs a répondu ?

CLÉMENT BEAUNE
Je veux quand même dire un mot, vous l'avez dit, puisque la grève a commencé hier soir, plus pratiquement ce matin, pour des centaines de milliers de Français qui espéraient partir en train, rejoindre leurs familles. Je le vois dans mon propre entourage, c'est la galère. Certains ont cherché à trouver une solution alternative, mais ça a été du stress, ça a été compliqué, parfois coûteux, certains n'en ont pas trouvé, et donc je sais qu'au moment où on se parle, pour le week-end de Noël, c'est un répit qui était attendu et qui n'est pas trouvé par un certain nombre de familles.

APOLLINE DE MALHERBE
Et c'est fichu ? C'est-à-dire est-ce qu'aujourd'hui, on imagine bien que ça ne va pas reprendre aujourd'hui, mais est-ce qu'il y a encore une chance pour que demain, après-demain, il y ait des trains qui étaient annulés, qui roulent finalement ?

CLÉMENT BEAUNE
Je veux être très honnête, ça peut arriver marginalement, mais la galère de ce week-end elle est là, elle a été annoncée dès le début de semaine, c'est une forme de moindre mal, pour que l'organisation face à la galère soit la plus anticipée possible, ça ne compense pas évidemment le problème de trains, et on a mis des solutions en place, on pourra peut-être en reparler sur le covoiturage et d'autres, mais c'est la galère, et ça ne va pas changer fondamentalement pour ce week-end, il faut être clair sur ce point. Les discussions portent sur le week-end prochain, pour éviter d'ajouter une crise à une crise.

APOLLINE DE MALHERBE
Je vous pose la question : est-ce que le Collectif a réagi aux annonces qui ont été faites par la Direction de la SNCF hier soir ?

CLÉMENT BEAUNE
Pas à ma connaissance, mais je vais être très clair aussi, la discussion qui doit reprendre, que le gouvernement a incité à reprendre, que la Direction de la SNCF a réorganisé hier, avec les quatre organisations syndicales représentatives, c'est-à-dire élues par les cheminots. Il y a une démocratie sociale…

APOLLINE DE MALHERBE
Eh bien c'est tout le problème, on va voir si elles représentent vraiment non seulement ce mouvement, mais aussi les cheminots.

CLÉMENT BEAUNE
Oui, mais il est très important qu'on se situe dans le cadre du dialogue social, et donc ce n'est pas avec le Collectif, avec d'ailleurs beaucoup de personnes mal identifiées, anonymes, etc., que la discussion se fait, que la Direction négocie, c'est avec les organisations syndicales. Maintenant, évidemment le but c'est que ce Collectif qui a créé le problème et la galère pour ce week-end, revienne à une forme de raison, et évite évidemment des grèves pour le week-end suivant.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais, ce que vous pointez là, on va revenir bien sûr sur les conséquences concrètes sur la grève ce week-end, sur l'éventuelle grève du lendemain du réveillon du Nouvel An, mais ce que vous pointez là, tout de suite, en disant : la discussion elle est avec les quatre organisations syndicales légitimes, représentatives, elles ne représentent pas ce mouvement.

CLÉMENT BEAUNE
Mais alors attention, il faut être très prudent là-dessus. Moi je défends justement ce dialogue social…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais du coup vous vous retrouvez à parler à des gens qui ne sont pas ceux qui font grève, donc c'est quand même un système un petit peu inefficace.

CLÉMENT BEAUNE
Oui, mais non, ce n'est pas la prime à celui qui crée son collectif dans son coin, c'est d'ailleurs un problème de société en général. On voit qu'on a tous les ingrédients de ce qu'on a pu connaître sur le plan politique avec les Gilets jaunes, ce qu'on connaît en ce moment dans d'autres pays. Au Royaume-Uni, il y a beaucoup de collectifs qui se créent. Je respecte parfois le malaise, les difficultés qui sont exprimées par certains, mais ça ne peut pas être chacun crée son collectif dans son coin, et qu'on tourne, les syndicats, les représentants. Parce que qu'est ce qui s'est passé à la SNCF ? C'est très intéressant. Il y a eu des élections professionnelles il y a un mois, il y a 2 tiers des cheminots, c'est assez rare pour être souligné dans une entreprise, 2 tiers des cheminots qui ont participé à ces élections professionnelles, des 10 dizaines de milliers de femmes et d'hommes de la SNCF qui ont voté, qui ont élu…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc, quand vous dites représentations syndicales, qui sont représentatives, elles le sont, à la SNCF en tout cas plus encore qu'ailleurs.

CLÉMENT BEAUNE
C'est la démocratie sociale, il y a un vote, et il y a eu des mouvements sociaux. Moi j'ai dit : il faut éviter les difficultés le premier week-end de départs en vacances. On les a évitées par le dialogue social, parce qu'il y a eu un accord entre syndicats et Direction, une responsabilité des syndicats qui ont levé les difficultés, les préavis, pour le week-end dernier.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais vous vous retrouvez… C'est une situation, je comprends très bien la théorie, c'est-à-dire que je comprends très bien que vous disiez, par principe, par principe on continue nous à parler avec les organisations syndicales…

CLÉMENT BEAUNE
Pas nous, la Direction de la SNCF.

APOLLINE DE MALHERBE
La direction de la SNCF, en tout cas vous invitez la Direction de la SNCF à poursuivre ce dialogue avec les organisations syndicales. Les syndicats, qui eux-mêmes, et j'en veux pour preuve Laurent BERGER qui était à ce même micro hier matin, qui se désolidarisait de manière très claire, très nette, des grévistes de ce week-end…

CLÉMENT BEAUNE
Oui, c'était nécessaire.

APOLLINE DE MALHERBE
… mais le résultat, c'est que vous vous retrouvez hier soir avec un dialogue entre la Direction de la SNCF et des syndicats, qui eux-mêmes ensuite vont appeler le Collectif, mais en fait c'est une histoire à trois bandes, plus personne ne se parle.

CLÉMENT BEAUNE
Non, bien sûr, et puis le résultat de toute façon c'est que c'est la galère pour les gens, et c'est ça qu'on veut éviter, pour être très clair, au-delà des coulisses et des négociations.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, enfin les coulisses elles sont importantes, là…

CLÉMENT BEAUNE
Mais bien sûr, vous avez raison.

APOLLINE DE MALHERBE
… parce que c'est peut-être une nouvelle forme de violences sociales ou de discussions sociales, ou alors de syndicalisme.

CLÉMENT BEAUNE
On a mis une très forte pression sur la Direction de la SNCF pour reprendre les discussions, pour reconnaître le malaise des chefs de bord ou des contrôleurs, parce qu'il y a des difficultés objectives, et c'est un métier qui peut être été mal considéré dans l'entreprise SNCF ces dernières années. Il faut entendre ça, et c'était le sens des discussions via les syndicats hier. Mais si on ne remet pas les choses dans un cadre de légitimité, de représentation, et c'est tout ça qu'il faut faire, c'est difficile, eh bien là je crois qu'on ferait une erreur et que ce n'est pas abstrait, c'est très concret, on se préparerait, parce que moi c'est ma responsabilité de ministre des Transports. Si on dit : je crée mon collectif, j'ai des avantages supplémentaires, je n'écoute plus les syndicats, je ne participe plus au dialogue social, eh bien toutes les entreprises…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais vous avez beau dire ça, ils le font.

CLÉMENT BEAUNE
Mais…

APOLLINE DE MALHERBE
En fait, vous dites, ça ne peut pas être la prime au collectif, mais enfin le collectif se crée, il ne vous demande pas la permission.

CLÉMENT BEAUNE
Ça, je confirme, mais il faut aussi, on est dans un moment où il y a des tensions dans une société, où il peut y avoir des mouvements sociaux ici ou là, il faut garder ce cadre. Je sais que c'est compliqué, il faut éviter d'abord la grève le 31 décembre et le 1er janvier, ça c'est l'obsession, on y reviendra, mais il faut garder un cadre de dialogue social, et je le redis aussi, je le dis à l'intention des grévistes eux-mêmes, je le dis pour les cheminots et les cheminotes, dont beaucoup d'ailleurs, je veux le souligner aussi, se sont mobilisés, y compris parfois en remplacement de leurs collègues grévistes, pour que les trains partent néanmoins ce week-end. Si on casse le dialogue social, on se prépare à des moments extrêmement difficiles. Et le dialogue social à la SNCF, en plus, je veux le souligner, il a fonctionné avec les syndicats ces dernières semaines, puisqu'il y a quand même eu encore le 7 décembre…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais comment vous pouvez dire ça ?

CLÉMENT BEAUNE
Eh bien parce que…

APOLLINE DE MALHERBE
Clément BEAUNE, comment vous pouvez dire que ça a fonctionné, alors qu'on se retrouve avec la grève ?

CLÉMENT BEAUNE
Non mais pardon…

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a bien un truc qui n'a pas fonctionné.

CLÉMENT BEAUNE
Bien sûr, le suis d'accord, mais je veux dire ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné. Ce qui a fonctionné, c'est la discussion, je le dis aussi pour les personnels de la SNCF, les discussions avec leurs syndicats, qu'ils ont choisis, elles ont permis des augmentations qui ne sont quand même pas négligeables, vous en conviendrez, de 6 % pour 2023, et l'été dernier je venais d'arriver au ministère des Transports…

APOLLINE DE MALHERBE
Et pourtant, cette augmentation, elle n'a pas été signée par ce collectif.

CLÉMENT BEAUNE
Alors, il y a un problème spécifique sur les contrôleurs. Ça veut dire aussi qu'il faut parfois entendre d'un certain nombre de malaises et de problèmes spécifiques, qui ne sont pas seulement d'ordre financier d'ailleurs, dans notre société, lors de la connaissance…

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a aussi la question du statut par exemple, ça, ça fait partie de ce qui a été obtenu cette nuit.

CLÉMENT BEAUNE
Pas seulement du statut, mais effectivement du métier de contrôleur, de chefs de bord, ça on peut l'entendre. Mais moi je suis très clair, quand je dis "le dialogue social a fonctionné", c'est, il a permis des avancées sociales, il a permis d'éviter, heureusement d'ailleurs, un mouvement social le week-end dernier, qui était le plus chargé au moment du départ en vacances, j'avais dit qu'on aurait des trains, on a réussi à en avoir. Et donc il ne faut pas lâcher ça, parce que moi je dis aux grévistes : vous avez une responsabilité très lourde de l'image de la SNCF, de l'image du service public ferroviaire, de l'image auprès des Français. La SNCF c'est une belle entreprise, elle a été réformée, ça a été des efforts pour les cheminots, et aujourd'hui on casserait ça ? On ne peut pas se permettre ça, et donc il faut remettre les choses dans un cadre de dialogue social. Quand je dis que ça marche, c'est que ça permet de protéger les travailleurs et c'est ça qui permet de protéger les Français, parce que ce n'est pas du coup le grand désordre, il faut éviter ce grand désordre, et je ne lâcherai pas, l'ambition de négociations, mais aussi l'exigence de responsabilités. On ne négocie pas avec les gens anonymes, on négocie avec les syndicats.

APOLLINE DE MALHERBE
Et je précise en effet, que par exemple celui qui a créé ce collectif de contrôleurs, se fait appeler Olivier, mais qu'on ne connaît pas son nom de famille et qu'il refuse de le donner.

CLÉMENT BEAUNE
Vous voyez bien, vous avez raison, mais c'est très important, Apolline de MALHERBE, on ne peut pas être dans une société, je ne cible pas tel ou tel, dans une entreprise publique comme la SNCF ou dans un secteur privé, vous imaginez, la négociation politique, sociale, syndicale, se ferait comme ça à travers des pseudonymes ou des interpellations sur les réseaux sociaux ? On voit bien que dans notre société, il y a cette tentation individualiste, déresponsabilisante, il faut remettre de l'exigence, du respect du service public et de la responsabilité.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est une forme, pour vous, d'individualisme ce qu'il se passe là, en ce moment, ce week-end ?

CLÉMENT BEAUNE
Oui, encore une fois il y a deux choses…

APOLLINE DE MALHERBE
De refus du collectif.

CLÉMENT BEAUNE
Oui. Il y a deux choses. Moi je comprends encore une fois, sans refaire toute l'histoire de la SNCF, qu'il y a un malaise particulier, j'allais presque identitaire, d'une profession, que parfois même les usagers respectent mal, qui est celui qu'on appelle contrôleur, et qui en fait, fait beaucoup plus que contrôler un billet, s'assure de la sécurité à bord et d'autres choses. Donc ça il faut l'entendre, il faut le comprendre, et c'était peut-être une des causes profondes qui a été mal vue, être par tout le monde, dans ce problème qu'on vit aujourd'hui, qui est très concret pour les Français. Mais là où je dis oui à la responsabilité, oui au collectif, oui à l'éthique, c'est qu'on s'organise. Il y a des élections, il y a des syndicats, c'est comme au niveau politique, c'est dans ce cadre et c'est ce seul cadre qui peut marcher.

APOLLINE DE MALHERBE
Clément BEAUNE, est-ce que le week-end du Nouvel An sera sauvé ?

CLÉMENT BEAUNE
Écoutez, on fait tout pour. On fait tout pour et on a depuis hier soir un espoir beaucoup plus sérieux de le préserver et de le sauver. Je suis prudent, parce qu'il y a des discussions qui sont en cours. Ce qui s'est passé hier soir c'est très important, les quatre organisations syndicales, avec la Direction, 4 heures et demie de discussions…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais encore une fois, tant que vous n'avez pas de réaction du Collectif des contrôleurs…

CLÉMENT BEAUNE
Mais vous avez raison, c'est pour ça que je suis prudent.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est comme un dialogue de sourds.

CLÉMENT BEAUNE
Non, mais parce qu'on voit bien justement que cette discussion, avec les organisations syndicales, permet des avancées. Ça ne parle peut-être pas à tout le monde, mais une Direction métier c'était très attendu par les chefs de bord, d'avoir une augmentation des primes ce n'est pas négligeable, d'avoir 200 emplois supplémentaires ce n'est pas négligeable, tout ça ce sont des avancées sérieuses, donc j'appelle maintenant les organisations syndicales à la responsabilité, je crois qu'elles le sont, revenir vers la Direction en disant "on est d'accord", et lever le préavis. Et lever le préavis d'ici midi.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous leur demandez de lever le préavis. Alors attention…

CLÉMENT BEAUNE
C'est ça l'accord. C'est ça l'accord, c'est des avantages et la levée du préavis.

APOLLINE DE MALHERBE
Là-dessus Clément BEAUNE, il y a quand même une petite forme de complicité entre les syndicats et ce collectif, parce que je vais redonner le cadre : pour pouvoir faire grève, il faut quand même avoir déposé un préavis. Le Collectif en tant que tel ne peut pas déposer de préavis puisqu'il n'est pas syndicat. Ce préavis il est donc déposé par les syndicats, qui eux-mêmes dénoncent la grève du Collectif, c'est-ce que le journal Les Echos, je trouve de manière assez imagée, appelle la grève Bernard l'ermite, c'est-à-dire qu'en fait il y a le Collectif qui utilise la coquille des syndicats. Est-ce qu'au fond ce n'est pas une manière pour les syndicats d'être quand même complices ?

CLÉMENT BEAUNE
Je ne le crois pas, et s'il y a ambiguïté il faut être très clair maintenant, et donc c'est ça qu'on appelle les syndicats à faire d'ici la fin de matinée, c'est de dire très clairement, il y a eu des négociations, par les syndicats, avec la direction, elles sont positives, elles s'ajoutent à toutes les mesures que j'ai évoquées, les +6 %, donc c'est un plus.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous demandez aux syndicats de lever ce préavis de grève, y compris s'ils n'ont pas de réponse du collectif ?

CLÉMENT BEAUNE
De toute façon je ne sais pas ce qu'ils vont faire ce matin avec le collectif, c'est leur affaire, c'est leur responsabilité syndicale, ce que je les appelle à faire c'est être dans un cadre de responsabilité, de dialogue social, il y a eu un accord, avec quatre heures et demi de négociation hier, l'accord c'est sous condition de levée du préavis, et donc les appels, après ils prennent les contacts qu'ils souhaitent, ça ce n'est pas mon travail, je ne m'immisce pas, mais c'est de dire, d'ici midi, je l'espère bien, "nous sommes d'accord avec ce qui a été discuté", par eux-mêmes, "et nous appelons, enfin nous levons", parce que ça c'est leur responsabilité directe, "les préavis de grève pour le week-end du Nouvel An", c'est ça qu'on leur demande…

APOLLINE DE MALHERBE
Voilà donc l'appel que vous lancez ce matin. Clément BEAUNE, vous avez parlé d'une "giletjaunisation" du mouvement, est-ce qu'il faudrait davantage encadrer le droit de grève ?

CLÉMENT BEAUNE
Alors, si c'est restreindre le droit de grève, je ne le crois pas, en revanche, et c'est ce qu'a demandé aussi le président de la République au gouvernement, au ministre des Transports que je suis, c'est qu'on réfléchisse à des dispositifs qui sont bons pour les usagers, à la fin les Français qui veulent prendre le train ils se fichent de savoir comment ça marche dans l'arrière-cuisine, ils veulent qu'il y ait un train, ou qu'il y ait les transports publics, et donc il faut sans doute faire évoluer un certain nombre de dispositifs, y réfléchir, d'alerte sociale, d'anticipation, c'est là-dessus que, je pense, il faut travailler.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire quoi dans les faits ça ?

CLÉMENT BEAUNE
Ça veut dire par exemple que, c'est une réforme qui avait été faite il y a déjà quelques années, qu'on ne découvre pas, déjà, la veille qu'on a un problème social…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais ça c'est déjà le cas, donc qu'est-ce que vous feriez davantage, qu'est-ce que vous feriez de plus ?

CLÉMENT BEAUNE
Pardon, Apolline de MALHERBE, c'est aujourd'hui 48 heures, on peut discuter pour avoir des délais un peu plus longs, c'est une possibilité, on peut aussi imaginer qu'il y ait une négociation plus longue avant des difficultés sociales, c'était aussi une des avancées de la loi précédente, c'est-à-dire qu'il y avait toujours une obligation de négociation avant de recourir à la grève en dernier recours, donc, je ne veux pas être trop prescriptif, il faut aussi mener cette discussion, je le dis, dans le cadre d'un dialogue social, c'est-à-dire il faudra discuter, après cette crise, avec les organisations syndicales, en disant…

APOLLINE DE MALHERBE
Cette crise elle crée un précédent, en tout cas elle…

CLÉMENT BEAUNE
Oui, en tout cas il faut… il y a eu des cas, vous savez, je viens d'une famille d'infirmiers, d'infirmières, il y a eu des collectifs d'infirmiers dans les années 90, qui étaient parfois hors syndicats, ce n'est pas complètement nouveau, mais il faut entendre ce qui se passe là, et qui est une difficulté pour les syndicats, pour la direction, d'anticipation, et donc il faut remédier à ça.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'on pourrait imaginer un système à l'italienne ? quand on regarde en Italie, en Italie le droit de grève est tout à fait constitutionnel également, mais avec des périodes qui sont sanctuarisées, des périodes où on n'a pas le droit, quand on travaille dans les transports, que ce soit dans le privé, comme dans le public, qu'on soit taxi ou qu'on soit cheminot, on n'a pas le droit de faire grève au moment des fêtes, entre le 19 décembre et le 7 janvier, on n'a pas le droit de faire grève autour de la fête nationale, on n'a pas le droit de faire grève au moment des départs en vacances de l'été, du 27 juin au 4 juillet, on n'a pas le droit de faire grève quasiment tout le mois d'août, parce qu'on considère que c'est un moment où les Italiens ont besoin de se déplacer. Est-ce que sanctuariser quelques périodes, et en l'occurrence sanctuariser Noël, pourrait être envisagé ?

CLÉMENT BEAUNE
Alors, on parle beaucoup depuis hier de l'exemple italien, parce qu'on regarde ce qui se passe à l'étranger ; je veux dire aussi d'ailleurs, encore une fois, qu'il y a beaucoup de pays qui ont des grèves extrêmement dures, y compris des pays qui n'ont pas cette tradition, comme le Royaume-Uni, en ce moment, donc ce n'est pas un cas que français ; mais il faut dire toute la vérité sur le cas italien. Les périodes qui sont sanctuarisées, ça dépend beaucoup des secteurs, et c'est le fruit d'une négociation sociale, c'est-à-dire…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que vous pourriez rouvrir des négociations…

CLÉMENT BEAUNE
Ce que je veux dire par là c'est que ce n'est pas prévu…

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous pourriez aller vers une nouvelle loi sur le dialogue social ?

CLÉMENT BEAUNE
On verra, c'est trop tôt pour en parler…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous n'êtes pas contre ?

CLÉMENT BEAUNE
L'urgence, l'urgence c'est de régler le problème du week-end prochain, après je pense que c'est par le dialogue social qu'il faut faire un retour sur ce qui s'est passé. On voit bien que la direction, de grandes entreprises publiques, ne voit pas exactement venir ces mouvements, que les syndicats eux-mêmes n'ont pas vu venir ces mouvements, et que du coup les Français subissent, donc il faut se poser cette question, moi je ne veux pas être prescriptif parce que ça serait une erreur, je pense aujourd'hui, et ça créerait des tensions supplémentaires, mais qu'il y ait, comme en Italie, des discussions sociales, ce n'est pas venu de la loi, c'est venu de discussions sociales, pour dire on fait autrement, on anticipe mieux, il y a des périodes où on évite, etc., ça peut se faire par le dialogue social, il faut le regarder.

APOLLINE DE MALHERBE
Sur la question du remboursement, vous avez mis en place un système très généreux pour ceux qui se retrouvent aujourd'hui dans cette situation de galère, avec des billets qui sont parfois remboursés, enfin qui sont systématiquement d'ailleurs, remboursés à 200 %, y compris pour ceux qui ont quand même réussi à prendre d'autres billets, dans ces cas-là non seulement ils voyagent, mais en plus ils se font rembourser à 200 % le billet. Est-ce que vous pourriez élargir ça, en faire un principe désormais, je pense aux grèves à la RATP par exemple, se faire rembourser à 200 % son passe Navigo quand il y a grève ?

CLÉMENT BEAUNE
Vous savez ce n'est pas magique…

APOLLINE DE MALHERBE
Ce n'est pas magique, mais si on le fait pour les uns, pourquoi on ne le fera pas pour les autres ?

CLÉMENT BEAUNE
Pardon, ce que je voulais dire c'est que cet argent il est pris dans l'entreprise, donc avec ça…

APOLLINE DE MALHERBE
Et comme c'est une entreprise publique, il est quand même pris quelque part à l'État.

CLÉMENT BEAUNE
Oui, enfin ou par l'usager, ou par le contribuable à la fin ; là je pense, et j'ai demandé à la SNCF de faire un geste qui était inédit, qui était exceptionnel, et qui était justifié, parce qu'on a une situation exceptionnelle, avec une fatigue des gens qui est accumulée après le Covid, il y a déjà eu des grèves à Noël, mais là on voit bien qu'il y a une colère et une exaspération tout à fait particulière et légitime, donc c'était un geste exceptionnel, je ne pense pas qu'il faille faire systématiquement la même chose, mais en revanche, c'est une orientation que j'ai demandée à la SNCF, comme à nos grands services publics des transports, ça vaut aussi pour la RATP, je pense que la qualité de service, le respect du voyageur, l'information du voyageur, ou l'indemnisation du voyageur, c'est des choses qu'on doit renforcer et améliorer, pas forcément le même geste, parce que là c'est une situation très exceptionnelle. Mais je prends un autre exemple. Moi je me suis battu parce que les TER des Hauts-de-France, il n'y en n'a pas assez, et il y a des galères depuis le mois de septembre pour les gens dans les Hauts-de-France, on n'en parle pas beaucoup, mais c'est très important, la SNCF a fait une réduction de 30 % de l'abonnement pour les prochains mois, par respect pour l'usager qui n'a pas eu le service auquel il avait droit.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand vous avez fait les comptes vous arrivez à peu près à combien, ça va coûter combien ?

CLÉMENT BEAUNE
C'est un peu trop tôt pour le dire, on le saura sans doute après la grève du week-end, parce qu'il y a encore des ajustements, la SNCF a parlé de quelques dizaines de millions d'euros, c'est sans doute autour d'une centaine de millions, on le saura en début de semaine exactement.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous allez ré-autoriser les avions sur les petites lignes, quand vous entendez, depuis trois jours, des Français qui disent "moi c'est fini, ça suffit, je me suis fait avoir à chaque fois, je ne prendrai plus de billets de train", mais qu'ils voient qu'il n'y a pas non plus d'alternative, il y a certaines lignes sur lesquelles il n'y a pas d'alternative parce qu'on n'a plus ces lignes, ou on n'aura plus ces lignes d'avion, est-ce que vous allez revenir sur cette décision ?

CLÉMENT BEAUNE
Non. Il y a trois lignes, pour être précis, qui ont été supprimées pour des raisons écologiques, quand il y a une alternative ferroviaire de moins de 2 heures 30. Non, le combat, il ne faut pas se tromper, c'est de trouver… c'est que le train marche, c'est que le train soit là, c'est que le train soit plus accessible…

APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais tout le monde est d'accord, tout le monde veut que le train marche.

CLÉMENT BEAUNE
Oui, mais du coup la bonne solution…

APOLLINE DE MALHERBE
Le problème c'est que dans les faits…

CLÉMENT BEAUNE
Mais je suis d'accord, et c'est pour ça qu'on se bat, pour éviter ce genre de grève, pour éviter les grèves au Nouvel An, pour remettre du dialogue social, pour investir dans un certain nombre de nouvelles lignes. Je prends un exemple très simple. Aujourd'hui la plupart des gens font Paris-Toulouse en avion, c'est le mode de transport le plus utilisé, eh bien si on veut être cohérent, je le dis d'ailleurs à certains écologistes qui s'y opposent, on est en train de développer une ligne à grande vitesse entre Paris et Toulouse, pour qu'il y ait demain, ça prendra une dizaine d'années, il y ait une alternative ferroviaire, de bonne qualité, rapide, à l'avion. Donc il faut continuer dans cette direction, il ne faut pas qu'une crise sociale nous détourne d'un objectif écologique, mais évidemment il faut que le train circule, que le train soit confortable, que le train soit à l'heure.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais parfois on se demande quand même si vous n'êtes pas en train de lancer des grands projets alors que ce qu'on a déjà sous les yeux ne fonctionne pas, j'en veux pour preuve les annonces sur le RER dans dix grandes villes, je trouve ça super, tout le monde est pour, mais est-ce qu'il ne suffirait pas déjà de commencer par faire marcher les RER qui existent ?

CLÉMENT BEAUNE
Vous avez raison Apolline de MALHERBE, mais c'est les deux. Moi je pense que le secteur des transports a trop souffert, effectivement…

APOLLINE DE MALHERBE
Il souffre en ce moment.

CLÉMENT BEAUNE
Mais il a trop souffert longtemps de grands projets lointains, il faut les faire quand même, notre pays a développé son réseau ferroviaire comme ça, les trains qui circulent aujourd'hui ça a été un projet de 10 ans ou 20 ans, parfois des décennies avant. Je prends l'exemple de l'Ile-de-France. Il y a des galères aujourd'hui, il faut y remédier, j'y reviens dans un instant, mais ça n'empêche pas, ça ne doit pas empêcher le fait qu'on a besoin de lignes supplémentaires et qu'on est en train de développer, avec le Grand Paris, quatre lignes de métro supplémentaires, ça ne veut pas dire…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais les lignes qui existent aujourd'hui, l'Ile-de-France, je veux dire plus personne ne peut prévoir, ceux qui ont besoin de prendre le RER ou le métro, pour aller travailler, ne sont jamais sûr d'arriver à l'heure.

CLÉMENT BEAUNE
C'est pour ça qu'il ne faut pas lâcher, ça serait une erreur, l'investissement pour demain, 2024 il y aura une ligne 14 qui traversera l'Ile-de-France du nord au sud, c'est très important, et en plus elle est automatique, mais ça ne veut pas dire qu'on ne doit pas régler le problème aujourd'hui, c'est pour ça que la feuille de route de Jean CASTEX à la tête de la RATP en particulier, c'est de recruter massivement. Parce que ce qui fait que vous avez un temps d'attente insupportable aujourd'hui, indigne - soyons clairs - dans le bus et dans le métro parisien sans parler de la grande couronne en Ile-de-France et de quelques autres régions, c'est la pénurie de conducteurs et de chauffeurs. Et donc l'urgence au-delà des grands projets, sans les exclure ; c'est de recruter maintenant. C'est de recruter et former.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est indigne dites-vous, et ça va l'être combien de temps encore ?

CLÉMENT BEAUNE
Écoutez, ça va se rétablir progressivement. On ne recrute pas et on ne forme pas un conducteur de bus et de métro en deux, trois jours parce qu'il y a des questions de sécurité.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais ce n'est pas seulement des problèmes de chauffeurs. Je vais vous donner un exemple. Hier sur la ligne 8, le métro était à l'arrêt et le chauffeur lui-même, le conducteur du métro disait au micro : "écoutez, on est désolé mais vous êtes des habitués. Il y a une avarie de matériel - donc là ce n'était pas un problème de conducteur - il y a une avarie de matériel", et j'ai regardé sur le fils de la ligne 8 : ça arrive au minimum une, deux, trois, quatre fois par jour. Ça, c'est des avaries de matériel.

CLÉMENT BEAUNE
Il y a plusieurs problèmes mais le vrai gros problème qui fait que, par rapport aux années précédentes, vous le vivez peut-être, la situation est beaucoup plus dégradée à Paris et en Ile-de-France, c'est des problèmes de recrutement avant tout. Et donc la première urgence, c'est simple, elle est de former et de recruter davantage. Aujourd'hui pour vous donner une illustration, il y a deux fois plus de personnes en formation à la RATP pour devenir conducteur de bus, conducteur de métro qu'une année normale avant Covid, donc il y a un rattrapage.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc on peut espérer…

CLÉMENT BEAUNE
Au printemps qu'il y ait une vraie amélioration, mais je sais que c'est insupportable pour beaucoup de gens mais je mentirais – ce n'est pas l'État qui l'organise, c'est la région - mais je mentirais si je disais que demain on trouve 1 000 conducteurs comme ça. Ce n'est pas exact.

APOLLINE DE MALHERBE
Un peu de patience, un peu de patience donc encore, jusqu'au printemps pour que ça s'améliore en Ile-de-France. Mais vous nous le dites ce matin Clément BEAUNE, vous avez encore bon espoir de sauver les trains.

CLÉMENT BEAUNE
On fait tout pour, on s'engage et c'est un combat que je mènerai chaque heure comme je l'ai fait depuis le début de la semaine bien sûr aussi pour les Français.

APOLLINE DE MALHERBE
Pour le week-end donc du réveillon du Nouvel An. Clément BEAUNE, ministre des Transports, merci d'être venu dans ce studio répondre à mes questions.

CLÉMENT BEAUNE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 janvier 2023