Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur les défis et priorités de la politique économique de la France, à Paris le 5 janvier 2023.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Vœux aux acteurs économiques

Texte intégral

Je suis toujours aussi heureux de vous retrouver pour ma sixième cérémonie de vœux à Bercy. Même lieu, même décor, même ministre. La stabilité règne.

Stabilité ne veut pas dire immobilité.

Je suis plus motivé que jamais pour affronter les nombreux défis de 2023. Croyez-moi, nous ne risquons pas de nous ennuyer.

Chacun voit bien que la conjoncture économique est difficile : la prolongation de la guerre en Ukraine, l'évolution des prix de l'énergie, la réouverture désordonnée de la Chine font peser un risque majeur sur la croissance mondiale.

Dans ce contexte, l'économie française résiste.

Les entrepreneurs français ont créé près de 300 000 emplois sur les trois premiers trimestres de 2022, et près d'1 million d'entreprises sur l'ensemble de l'année. Je tiens à les remercier et à remercier tous les salariés qui créent de la valeur par leur travail dans notre pays.

Nous affichons aussi une croissance acquise de 2,5 % en 2022, et nous devrions conserver une croissance positive en 2023.

En 2023, nous aurons trois défis majeurs à relever : l'inflation, l'industrie verte, les finances publiques.

Le premier défi, c'est l'inflation.

La France a gagné la première manche contre l'inflation.

Grâce au bouclier énergétique mis en place avec le président de la République dès octobre 2021, nous avons gardé un niveau d'inflation parmi les plus faibles de la zone euro.

Le pouvoir d'achat des ménages a été protégé, mieux que dans la plupart des pays voisins.

Je mesure néanmoins à quel point la flambée des prix alimentaires pénalise certains de nos compatriotes. Et je tiens à saluer le monde associatif, qu'il s'agisse des Restos du Coeur, du Secours Populaire, du Secours Catholique ou de toutes les autres banques alimentaires, pour la mobilisation totale de leurs bénévoles.

La générosité du monde associatif joue un rôle majeur dans notre cohésion nationale. Je tiens à les en remercier.

Il nous faut désormais gagner la seconde manche de la lutte contre l'inflation.

Non plus seulement limiter les effets de l'inflation, mais la faire baisser dans les mois qui viennent.

Les conditions sont réunies pour que l'inflation se stabilise puis recule courant 2023. Le prix de gros des matières premières commence à baisser. Même chose pour les prix du fret maritime. Les effets de ces baisses devraient se répercuter en bout de chaîne sur les prix à la consommation.

Cette situation nouvelle justifie que nous passions à des mesures plus ciblées pour les ménages comme pour les entreprises.

Je veux être clair : 2023 ne marquera pas le retour du "quoi qu'il en coûte". Le "quoi qu'il en coûte" a été la bonne politique au bon moment face à la crise de la Covid en 2020.

Le "quoi qu'il en coûte" serait la mauvaise politique au mauvais moment, face à la crise de l'inflation. Elle ne ferait qu'alimenter davantage la hausse des prix.

Pour les ménages, la véritable protection contre l'inflation c'est le travail, et un travail bien rémunéré.

La question du partage de la valeur sera donc portée par la majorité dans les semaines qui viennent.

Nous organiserons avec Stéphane Séjourné et Pascal Canfin une convention sur ce sujet en février. Quand une entreprise a les moyens de verser des dividendes, elle doit en faire bénéficier ses salariés. Nous travaillerons sur des propositions concrètes, dans le prolongement de ce qui a été fait depuis près de six ans sur l'intéressement, la participation et l'actionnariat salarié.

Pour les entreprises, la meilleure réponse ce sont des aides sur les TPE et les PME les plus fragilisées par l'explosion des prix du gaz et de l'électricité.

À toutes les petites entreprises, boulangeries, boucheries, fromageries, restaurants, traiteurs, blanchisseries, laveries, qui sont confrontés à une hausse de leurs factures d'énergie, je veux dire une chose simple : nous sommes là, avec Olivia Grégoire, pour vous soutenir.

Vous pouvez solliciter une aide financière sur le guichet qui a été ouvert sur le site impots.gouv.fr.

Vous devez signaler à vos fournisseurs d'énergie que vous êtes une petite entreprise et que vous avez droit à une réduction de 20 % en moyenne, au titre de l'amortisseur. Ils vont vous écrire, répondez-leur.

Au total, vous bénéficierez d'une remise allant jusqu'à 40 % sur votre facture d'électricité.

Nous soutenons nos entreprises autant que nos voisins européens. La part des aides aux entreprises représente 2,7 % du PIB en France, contre 2,1 % en Allemagne.

Je sais que malgré ces aides, des TPE, qui ont signé un mauvais contrat au mauvais moment à un tarif excessif, sont dans une situation intenable. Nous travaillons à des solutions avec les fournisseurs.

La relocalisation industrielle, voilà le deuxième défi de 2023.

Je devrais plutôt dire le défi du XXIe siècle. Celui dont dépend la puissance de la nation française, comme la puissance du continent européen. Pour bien comprendre l'enjeu, nous devons comprendre le moment où nous sommes : un tournant historique dans la mondialisation.

Chaque État, chaque continent, a tiré les conséquences de la crise du Covid et des ruptures des chaînes d'approvisionnement. Nous voulons tous désormais construire notre indépendance sur les biens industriels les plus stratégiques : médicaments, batteries électriques, semi-conducteurs, énergie, hydrogène, données numériques. Sur ce dernier sujet, je tiens d'ailleurs à saluer l'engagement de Jean-Noël Barrot.

L'indépendance industrielle et la souveraineté sont les nouveaux leitmotivs de la politique mondiale. Tant mieux. La France a toujours défendu ces principes.

Ce mouvement se conjugue avec une accélération de la crise climatique qui nous oblige à décarboner rapidement notre industrie et à bâtir sans délai une industrie verte pour le futur.

Dans ce grand moment mondial, comme il en arrive un par siècle, la France et l'Europe n'ont plus une minute à perdre pour opérer une véritable révolution idéologique.

Nous devons défendre une mondialisation respectueuse de la souveraineté des nations, attachée à la lutte contre les inégalités, protectrice du climat.

Avec le président de la République, avec la Première ministre, nous engagerons donc la France dans une réindustrialisation verte rapide, massive, planifiée.

Avec un objectif : que la France devienne la première nation de l'industrie verte en Europe.

Avec une stratégie : la politique de l'offre verte.

À cette fin, au niveau national, j'ai proposé au président de la République et à la Première ministre d'inscrire, dans le cadre de la planification France Nation Verte, un projet de loi sur l'industrie verte.

Tous mes services, mais aussi les opérateurs de l'État comme la BPI et la Caisse des dépôts, seront mobilisés sur cet objectif. Je tiens à remercier Eric Lombard et Nicolas Dufourcq pour leur engagement.

Des groupes de travail sont déjà constitués avec des parlementaires, des élus, des chefs d'entreprise, des représentants associatifs. Je les ai réunis hier. La méthode sera la même que pour la loi PACTE : écoute, dialogue, concertation. Une consultation en ligne sera également prévue.

Je remercie le président de la commission des affaires économiques Guillaume Kasbarian, les parlementaires, les élus, et tous les membres de la société civile qui participent à ces travaux.

Je remercie Roland Lescure de son engagement sur ce projet de loi.

Ce projet de loi aura vocation à accélérer les processus d'autorisation des nouveaux sites industriels, à favoriser la commande publique nationale, à financer l'innovation industrielle avec France 2030, à réorienter l'épargne et à créer un environnement fiscal plus attractif pour l'industrie verte. Il complétera la baisse de 8 Md€ des impôts de production sur deux ans, décidée dans le projet de loi de finances 2023.

La condition impérative pour réussir cette réindustrialisation verte, c'est aussi notre indépendance énergétique. Elle passe par la sobriété dont savent désormais faire preuve les Françaises et les Français, par le déploiement des énergies renouvelables et par la relance rapide de notre parc nucléaire.

L'énergie est la question économique majeure du 21e siècle. Elle est la condition de la souveraineté.

Je tiens ici à remercier l'ensemble des agents d'EDF et leur président, Luc Rémont, pour leur mobilisation qui a permis le retour sur le réseau des 44 GW.

Nous tiendrons notre objectif de 45 GW pour janvier.

Au niveau européen, nous continuerons à plaider avec mon homologue Robert Habeck pour un Inflation Reduction Act européen, qui simplifie les PIIEC, qui accélère les procédures d'aides, qui favorise la production industrielle verte, qui mette en place la taxe carbone aux frontières.

Dans la réforme indispensable du marché européen de l'énergie, nous porterons également le principe du découplage du prix du gaz et du prix de l'électricité. Nous voulons que les premières mesures de réforme soient effectives dès 2023. Nous refusons de continuer à payer l'électricité nucléaire décarbonée au prix de l'électricité produite à partir des énergies fossiles.

Au niveau international, nous plaiderons enfin pour une meilleure prise en compte des intérêts européens dans la mise en place de l'IRA américain. Nous renforcerons la protection de nos technologies et de nos entreprises.

Le seuil de déclenchement du contrôle des investissements étrangers en France sera définitivement fixé à 10 % de prise de participation, au lieu de 25 %.

Le troisième défi, c'est le rétablissement de nos finances publiques.

Avec Gabriel Attal, nous ferons tout ce qui est nécessaire pour le relever.

Il y a en France une ivresse de la dépense publique. Comme si la dépense publique effaçait toute difficulté, réglait tout problème, enjolivait la réalité.

Cette ivresse est une illusion. Elle conduit tout droit à la gueule de bois, qui porte un nom : les taux d'intérêt. Pour la première fois depuis 15 ans, les taux d'intérêt ont dépassé les 3 % en France.

Le moment est donc venu d'engager à nouveau le rétablissement des finances publiques, comme nous l'avions fait en 2017 et 2018 sous l'autorité du président de la République.

Nous le ferons progressivement mais fermement.
Nous le ferons parce que c'est nécessaire pour la France.
Nous le ferons pour tenir nos engagements européens.
Nous le ferons pour respecter la promesse du président de la République, dont je suis comptable : pas d'augmentation des impôts, pas de dette supplémentaire.
Nous le ferons avec une méthode nouvelle.

Cette méthode passera par l'engagement dès le mois de janvier 2023 de revues des dépenses publiques.

Ces revues permettront d'identifier les économies nécessaires au respect de notre trajectoire de finances publiques.

Elles seront menées chaque année et leurs conclusions seront transmises au plus tard le 1er avril, afin de nourrir de manière anticipée les travaux parlementaires et budgétaires.

Pour être efficaces, ces revues de dépenses publiques devront concerner toutes les dépenses publiques, sans exception : celles de l'État, mais aussi celles des collectivités locales et de la sphère sociale.

Nous lancerons également en février 2023 des "Assises des finances publiques", qui réuniront des économistes, des grands témoins internationaux, des représentants du monde économique, des parlementaires et des élus locaux.

Ces assises se tiendront à Bercy. Elles auront vocation à présenter les premiers chantiers structurels d'économies.

Cette exigence d'équilibre vaut pour les comptes de la nation. Elle vaut aussi pour les comptes sociaux.

C'est ce qui nous conduit à engager une réforme des retraites pour atteindre l'équilibre financier d'ici 2030.

J'observe avec étonnement que les Républicains, qui avaient pris l'engagement pendant la campagne présidentielle de décaler l'âge légal de départ à la retraite à 64 ou 65 ans, se posent encore des questions sur le soutien à apporter ou non à cette réforme.

J'ai envie de leur dire : "Ne vous posez pas trop de questions". Soyez fidèles à ce qui devrait toujours guider nos décisions politiques : l'intérêt supérieur de la nation.

L'intérêt supérieur de la nation est d'engager sans délai une réforme pour garantir la solidarité entre les générations.

Je ne peux pas imaginer que les Républicains ne restent pas fidèles à leurs promesses de campagne, comme nous le sommes avec le président de la République.

Au-delà de ces défis, je voudrais pour finir partager deux convictions personnelles.

La première, c'est que la France est en train de gagner une bataille idéologique majeure sur la conception de l'économie.

L'économie doit être au service d'une politique. L'économie doit être au service de l'intérêt général.

Nous avons toujours défendu cette idée qui est en train de prendre corps aujourd'hui sous nos yeux.

Quand nous mettons en place une fiscalité sur les géants du numérique, quand nous mettons en place la taxation minimale à l'impôt sur les sociétés, nous défendons une idée plus juste et plus efficace de la fiscalité internationale.

Quand nous mettons en place un code de conduite sur les influenceurs, nous faisons en sorte que ce nouveau domaine d'activité prometteur respecte des règles communes.

Quand nous planifions notre production énergétique pour les prochaines décennies, nous remettons l'État au cœur des décisions économiques stratégiques.

C'est ce nouveau partage des rôles entre l'État, garant de l'ordre public économique et chargé du long terme, et la liberté indispensable des entreprises, que nous avons toujours défendu.

Il fera de la France une grande nation économique au XXIe siècle.

Ma deuxième conviction, c'est que les démocraties sont plus efficaces que les régimes autoritaires.

À tous ceux qui, pendant la crise du Covid, nous ont expliqué que seuls les régimes autoritaires seraient en mesure de gagner la bataille contre l'épidémie, je leur dis : "Vous avez eu tort". Les démocraties sont non seulement plus justes, plus respectueuses des libertés, mais aussi plus efficaces pour combattre les épidémies.

À tous ceux qui nous ont dit, que les régimes autoritaires seraient plus prospères économiquement que les démocraties, je leur dis : "Vous avez eu tort". Les démocraties sont plus efficaces que les régimes autoritaires pour créer de la croissance et créer des emplois.

À tous ceux qui nous ont expliqué que la bataille technologique serait gagnée par les régimes autoritaires, je leur dis encore : "Vous avez eu tort". Ce n'est que par la confrontation des idées, l'émulation entre les startups et les grandes entreprises, la libération des énergies créatives, l'ouverture, que les technologies se développent. C'est là encore la marque et la force des démocraties.

Alors si j'avais un dernier vœu à formuler pour 2023, c'est celui de croire plus que jamais dans nos valeurs démocratiques de respect mutuel, de confrontation raisonnable et surtout de liberté.

Encore bonne année à toutes et à tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 6 janvier 2023