Interview de M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, à Europe 1 le 6 janvier 2023, sur la politique de la santé, les services publics, la réforme des retraites et le rapport des Français au travail.

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Média : Europe 1

Texte intégral

DIMITRI PAVLENKO
Bonjour Stanislas GUERINI, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, bienvenue sur Europe 1. Stanislas GUERINI, rentrée sociale agitée. Le Président de la République va présenter tout à l'heure ses vœux aux professionnels de santé. C'est vraiment chaud à l'hôpital entre la triple épidémie qui une fois de plus met à genoux, la grève des généralistes depuis le 26 décembre, les labos qui promettent eux aussi un janvier noir et puis voilà que Force ouvrière appelle à une grève illimitée à l'hôpital à partir du 10 janvier. Stanislas GUERINI, que peut bien dire le Président pour apaiser tout le monde ? Je ne vais pas vous demander les annonces qu'il va faire, vous ne me les donnerez pas mais enfin les mots à trouver ?

STANISLAS GUERINI
D'abord ce sont des mots pour les soignants, pour celles et ceux qui travaillent dans notre système de santé, qui travaillent à l'hôpital ; on a fait des efforts considérables ces dernières années pour revaloriser notamment leur rémunération. Est-ce que cela est suffisant ? Est-ce que ça règle toutes les difficultés notamment d'organisation du système de santé ? La réponse est clairement non. Et donc au-delà même de la fiche de paye, des questions de conditions de travail, d'usure professionnelle, de complexités parfois administratives qui se passent dans nos hôpitaux, c'est aussi ça qui est insupportable pour nos soignants. Et donc on est depuis longtemps en réalité, depuis quelques décennies, dans une forme de cercle vicieux à l'hôpital où plus il y a de difficultés, plus c'est difficile aussi de recruter ; moi c'est à ça que je suis confronté en tant que ministre de la Fonction publique et puis plus c'est difficile de recruter, plus les conditions sont difficiles en elles-mêmes ensuite à l'hôpital, dans nos services publics pour ceux qui restent. Et donc c'est à ce cercle vicieux-là qu'il faut réussir à mettre un terme. François BRAUN, le ministre de la Santé, s'y engage avec beaucoup d'énergie, prend des mesures d'urgence d'une certaine façon pour régler les problèmes de plus court terme mais effectivement, c'est le système de santé dans son ensemble qu'il faut réussir à remettre à plat pour trouver des solutions pérennes.

DIMITRI PAVLENKO
Je lis dans le journal Le Parisien que le Président va annoncer une refondation de l'hôpital alors qu'on a déjà un conseil national de la refondation santé qui travaille sur ce sujet depuis trois semaines ; ça pose la question quand même de la méthode présidentielle. Je lis aussi toujours dans cet article du Parisien : des députés de la majorité qui disent "voilà, on va encore tout à apprendre à la télévision, on ne sait pas ce que va dire le chef de l'État"

STANISLAS GUERINI
C'est normal que le chef de l'État, dans un moment de difficultés, que vous avez rappelées, telles que nous les connaissons pour notre système de santé, pour l'hôpital, s'exprime, adresse ses vœux aux personnels de santé, donne un cap, ait une vision. C'est l'attendu pour le président de la République. Mais ensuite, effectivement, il faut qu'on puisse sur des grands services publics aussi changer de méthode ; c'est ça l'esprit du Conseil national de la refondation, c'est pouvoir se dire qu'on a besoin à la fois de vision, de cap, de mesures nationales et puis on a besoin au plus près du terrain - et c'est ça l'objet de ces conseils nationaux de la refondation territoriaux - hôpital par hôpital, bassin de vie par bassin de vie, de mettre en œuvre des solutions ; pas de faire des grandes concertation - effectivement vous avez raison de ce point de vue-là, faites depuis bien longtemps - mais donner la parole à celles et ceux à qui on ne la donne pas toujours, à l'hôpital, les soignants, le personnel de terrain, leur dire : qu'est-ce que vous, vous connaissez comme solutions ? S c'est le cas, on met en œuvre et on le fait en acceptant une idée qui est celle de la différenciation territoriale parce que les problématiques ne sont pas pareilles en fonction d'un bassin de vie métropolitain par exemple ou d'un territoire plus rural. C'est cet équilibre qu'il vous réussir à trouver.

DIMITRI PAVLENKO
Je vous donne ce chiffre, Stanislas GUERINI, vous l'avez sans doute vu, c'est ce sondage dans Les Echos ce matin : 51 % des Français, donc plus d'un sur deux, déclare avoir un accès compliqué long ou partiel aux services de santé.

STANISLAS GUERINI
Il n'y a pas besoin de sondage… pardonnez-moi, pour savoir ça ! On les connaît, les difficultés !

DIMITRI PAVLENKO
Sauf que par rapport à octobre 2021, donc il y a moins de deux ans, on est en hausse de 19 points ; on était à un sur trois, c'est plus d'un sur deux aujourd'hui. Donc extension du domaine de l'insécurité.

STANISLAS GUERINI
Mais bien sûr que notre système de santé est en difficulté mais vous avez rappelé vous-même qu'il a été percuté par un certain nombre de crises : sitôt relevé de la crise du Covid, on rebascule dans un cycle d'épidémies qui viennent rattraper au fond notre système de santé…

DIMITRI PAVLENKO
Mais c'est du déclin ou c'est du dérèglement ? La France baisse ou elle se détraque !!

STANISLAS GUERINI
Je pense qu'il y a eu des décennies de sous-investissements dans l'hôpital, dans le système de santé et d'une organisation d'un système de soins qui ne fonctionnait pas, qui était faite… on ne va pas rentrer dans tous les détails techniques, de tarification à l'acte, qui sous-investissait totalement dans la prévention, c'est là où le bât blesse dans notre système de santé en France. C'est ces différenciations au fond structurelles de notre système de santé qu'il faut qu'on puisse faire aujourd'hui. Ça ne se fait pas en un jour, c'est à ça qu'on s'engage. On y met des moyens, on y met des milliards d'euros et on a investi dans nos services publics comme jamais – vous avez entendu hier le ministre de la Justice, dire l'investissement que nous faisons inédit dans la justice - vous savez que nous recrutons des policiers et des gendarmes comme on ne l'a pas fait depuis des décennies ; on met les moyens pour pouvoir mieux rémunérer les professeurs du pays…

DIMITRI PAVLENKO
Vous allez rester sur ce rythme de milliards qui s'empilent les uns sur les autres alors que de l'autre côté, Bruno LE MAIRE et on sait qu'Élisabeth BORNE est très consciente du sujet, on commence à avoir un petit sujet quand même d'endettement, de dette publique et le chéquier… on arrive un petit peu au bout là !

STANISLAS GUERINI
Il faut investir dans nos services publics ; il faut investir pour mieux rémunérer les agents du service public là où on en a besoin, de façon aussi ciblée ; les professeurs ne sont pas assez payés dans notre pays, c'est un fait ; il n'y a pas d'investissement plus rentable au fond qu'on puisse faire pour notre pays que d'investir dans notre système éducatif, mais cet investissement ne doit pas être aveugle, il ne doit pas se faire sans questionner l'organisation de nos services publics, sans continuer à les transformer - moi c'est ce que je fais matin midi et soir - à les rendre plus accessibles, à mettre plus de moyens, peut-être un petit peu moins dans des administrations centrales, un peu plus derrière des guichets parce que c'est ça qu'attendent nos concitoyens et réinvestir dans nos services publics.

DIMITRI PAVLENKO
C'est ça se mettre du côté des gens ? C'est la formule qu'a employée le président de la République en Conseil des ministres mercredi. Elle est étonnante, cette formule, "du côté des gens" !

STANISLAS GUERINI
Ça veut dire moins s'intéresser - et vous m'y invitez vous-même ce matin - à parler en milliards d'euros mais comprendre les situations concrètes que vivent nos concitoyens.

DIMITRI PAVLENKO
Mais sur les milliards, moi, la question que je vous posais Stanislas GUERINI parce que c'est un ressenti, je pense populaire, de dire : mais ces milliards, d'abord certains se demandent d'où ils sortent ; on en sort beaucoup et on a l'impression que ça ne sert à rien.

STANISLAS GUERINI
Nous réorganisons notre système, nous réinvestissons et c'est parfois quand on est en train de faire des réformes courageuses, quand on est en train de mener ce travail-là justement en inversant d'une certaine façon une certaine tendance qui a été celle pour nos services publics de tout externaliser, de réfléchir simplement en essayant de supprimer un nombre de fonctionnaires - c'était ça au fond l'alpha et l'oméga de la pensée, de doctrines d'action publique – eh bien on est en train très profondément, je crois, de la changer ; ça veut dire que les conditions pour pouvoir faire ça, je vais vous parler extrêmement clairement ce matin, c'est de mener des réformes en regardant de façon lucide là où sont les dépenses dans notre pays - elles le sont en matière de redistribution sociale, elles le sont par exemple sur notre système de retraite bien évidemment - ça fait partie des dépenses qui sont très importantes quand on regarde la structuration de notre modèle social. Donc il faut à la fois réinvestir dans le service public, réinvestir dans les agents qui mènent le service public - je crois beaucoup à ça - et en même temps - j'assume ce terme-là - mener des réformes structurelles, des réformes pour maintenir et préserver notre modèle social aussi.

DIMITRI PAVLENKO
Vous parlez de la réforme des retraites, justement vous avez rencontré, Stanislas GUERINI, les trois premiers syndicats de fonctionnaires – CGT, Force ouvrière, CFDT…

STANISLAS GUERINI
Je rencontre tous les syndicats cette semaine…

DIMITRI PAVLENKO
Voilà. Quel bilan, quelles impressions vous tirez de ces entrevues ? Juste une phrase tirée de la presse : Force ouvrière dit : "notre principal objectif" - et ça je crois, qu'ils vous l'ont dit les yeux dans les yeux, "c'est de faire échouer la réforme". Ça commence bien !!

STANISLAS GUERINI
Il y a une forme de clarté au fond… il n'y a pas de surprise sur le fait que nous avons un désaccord sur le fait même d'augmenter l'âge de départ part à la retraite ; je ne cherchais pas à créer du consensus sur un point que je sais ne pas être consensuel avec les organisations syndicales…

DIMITRI PAVLENKO
Mais croyez-vous pouvoir justement faire accepter ça en échange de certaines contreparties ? Vous avez proposé par exemple de réintroduire un système de retraite progressive.

STANISLAS GUERINI
C'est pour ça que je vous dis : une fois qu'on s'est dit ça, on a acté d'une certaine façon un désaccord sur la question de l'augmentation de l'âge de départ à la retraite, justement, il faut montrer que cette réforme-là doit nous permettre d'améliorer notre système de retraite et de le faire pour la fonction publique ; il y a beaucoup de choses à améliorer. J'ai eu des discussions, je le dis très sincèrement, qui sont très riches, avec les organisations syndicales ; vous mentionniez à l'instant cette question de la retraite progressive ; en deux mots, comment est-ce qu'on peut aménager une fin de carrière avec quelqu'un qui a beaucoup travaillé dans la fonction publique et qu'il puisse travailler à temps partiel et en même temps commencer à bénéficier de sa pension de retraite ? C'est une question qui est très intéressante qui va nous donner des outils et des moyens pour pouvoir travailler sur la question du travail, de la qualité du travail justement, je crois que cette question est absolument fondamentale.

DIMITRI PAVLENKO
J'entends les syndicats de fonctionnaires, j'entends aussi les syndicats en général dire : il y a plein de choses qu'on peut discuter : l'index pour les seniors, le moyen d'augmenter le taux d'emploi des plus âgés, réintroduire des critères de pénibilité ; ça ils sont très ouverts pour en parler et ils sont très favorables à cette idée d'ajouter ça à la réforme ; mais bon, ceci dit, ils prennent ça et de l'autre ils disent : de toute façon, quoi qu'il arrive, on se retrouve ensemble le 10 janvier et ils décideront… je n'emploie même pas le conditionnel, la grève le 10 au soir après présentation du texte. C'est ça qui va se passer très concrètement Stanislas GUERINI !

STANISLAS GUERINI
En tant que ministre de la Fonction publique, quelle est ma responsabilité ? D'abord c'est de mener une réforme que nous avons annoncée aux Français ; au fond, ce sont les Français qui comptent dans cette affaire. Le président de la République a pris des engagements dans l'élection présidentielle…

DIMITRI PAVLENKO
Vous voulez dire que les syndicats aujourd'hui manœuvrent contre l'avis des Français ?!

STANISLAS GUERINI
Je trouve que la responsabilité que nous avons, nous dirigeants politiques qui avons été élus, qui avons reçu un suffrage par les Français, c'est de mener une réforme qui est utile et nécessaire pour notre pays. C'est très facile d'être responsable quand tout va bien. Je crois que les moments de difficultés dans le pays, vous en avez mentionné certains, sur nos services publics ; certains financiers… c'est d'assumer ses responsabilités dans les difficultés…

DIMITRI PAVLENKO
Mais François BAYROU dit que vous n'avez pas fait suffisamment la pédagogie de la réforme…

STANISLAS GUERINI
Ce matin à votre antenne, je le dis très clairement, cette réforme vise à ce que pour nos parents et nos grands-parents, on puisse préserver leurs pensions de retraite et même les améliorer pour celles et ceux qui ont les retraites les plus faibles ; et que pour nos enfants et nos petits-enfants, on puisse maintenir un système de retraite par répartition….

DIMITRI PAVLENKO
Mais il ne va pas mourir notre système de retraite Stanislas GUERINI !

STANISLAS GUERINI
Oui mais il est largement déficitaire, très largement déficitaire et les milliards que vous mentionniez tout à l'heure, ils vont se cumuler d'année après année - 100 milliards d'euros cumulés sur les 10 années qui viennent – eh bien ces 100 milliards-là, si vous devez les mettre dans le système de retraite parce qu'il est déficitaire, vous ne les mettrez pas ailleurs, ça c'est clair. Vous parliez à l'instant de nos services publics…. Vous ne les mettrez absolument pas ailleurs. Donc on va faire une réforme qui vise à garantir la pérennité du système de retraite ; on l'a dit très clairement, il n'y a pas un euro issu de cette réforme qui ira ailleurs que dans les caisses de retraite mais nous devons absolument préserver notre modèle social, pour ne pas laisser les pensions de retraite… pour ne pas augmenter les cotisations non plus, c'est-à-dire les impôts des Français et puis pour les générations qui viennent - moi je crois aussi que c'est de celles-là dont il faut parler, pour nos enfants, nos petits-enfants - leur garantir au fond un système de retraite qui fait la force du pays, qui repose sur notre travail – on ne parle pas suffisamment de travail – avec une situation il faut le dire là aussi très clairement, démographique qui est en train de changer très profondément. Quand la retraite était à 65 ans dans notre pays, juste un mot, puisque c'était le cas quand même, au début du quinquennat de François MITTERRAND, l'âge de départ à la retraite était à 65 ans. A ce moment-là, on avait 3 ou 4 actifs pour un retraité ; on arrive dans une situation où on a 1,5 actif pour un retraité et le rapport va continuer à se déséquilibrer. Je pense que quand on dit les choses comme ça, on comprend la nécessité de faire cette réforme des retraites.

DIMITRI PAVLENKO
Je vais vous parler du rapport des Français au travail : ce matin, Les Echos publient un entretien très intéressant de Cynthia FLEURY et Jérôme FOURQUET sur ce thème précisément, alors eux… ce que dit notamment Jérôme FOURQUET, c'est que les chocs depuis 2015, les Français les encaissent les uns après les autres : les attentats, les grèves, les Gilets jaunes, le Covid, la guerre, l'inflation etc. ça n'arrête pas. D'où un stress permanent générant une grosse fatigue. Et voilà, ils disent eux que la valeur travail en conséquence devient un peu moins centrale. J'affinerai le propos en disant qu'en réalité, le rapport au travail change beaucoup notamment sur les emplois mal payés, les emplois du bas de la hiérarchie sociale ; c'est là précisément qu'aujourd'hui on se dit : à quoi bon et pourquoi accepterais-je de travailler jusqu'à 65 ans pour un travail qui ne me rémunère pas ?! Comment on traite cette question Stanislas GUERINI ?

STANISLAS GUERINI
C'est totalement fondamental, vous avez raison, au fond le vrai débat, c'est notre rapport au travail. Je ne crois pas à la grande démission ; je ne crois pas que les gens n'ont plus envie de travailler - on n'a jamais autant travaillé dans notre pays, il y a un taux d'emploi qui progresse, on met fin à cette fatalité qui était celle du chômage de masse. Mais en revanche et notamment les jeunes générations mais pas que, elles veulent travailler différemment, elles veulent organiser leur vie aussi différemment. C'est à cette question-là qu'il faut répondre et dans la fonction publique, je crois qu'il y a à la fois des questions qui concernent la fiche de paie, les évolutions de carrière mais aussi très clairement l'organisation du travail et vous voyez, les discussions que je peux avoir avec les organisations syndicales dans le cadre de la réforme des retraites, elles sont riches sur ces questions-là ; comment est-ce qu'on peut par exemple changer de métier dans la fonction publique, faire pendant un temps un métier dit pénible sur le terrain, avec des vraies contraintes, parfois des vraies contraintes physiques et puis aménager quand on approche de sa fin de carrière, son temps de travail, changer de métier pour avoir un métier plus sédentaire, un peu moins sur le terrain. C'est tout ça qu'on est en train de discuter, sur lequel on va proposer, je le crois très sincèrement, des vraies améliorations et c'est ça aussi cette réforme des retraites, d'améliorer notre système de retraites et plus globalement d'organisation du travail.

DIMITRI PAVLENKO
Merci Stanislas GUERINI, le ministre de la Transformation et de la Fonction publique


source : Service d'information du Gouvernement, le 9 janvier 2023