Entretien de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe, avec France Info le 4 janvier 2023, sur une affaire de corruption au sein de l'Union européenne concernant la coupe du monde de football au Qatar, la question énergétique, le conflit en Ukraine et les relations économiques euro-américaines.

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Intervenant(s) : 
  • Laurence Boone - Secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe

Texte intégral

Q - Bonjour, Madame Laurence Boone.

R - Bonjour.

Q - Secrétaire d'État chargée des affaires européennes, vous allez avoir une année chargée là, en 2023. On va passer en revue les grands enjeux de cette année avec vous. Deux chroniqueurs, face à vous, pour vous poser des questions : Clea Caulcutt reporter à Politico (...). Et puis Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles (...).

Donc, on va parler avec vous, Laurence Boone, des grands sujets qui marqueront l'année 2023 : l'énergie, évidemment, l'Ukraine, ou encore la lutte contre l'inflation. Mais d'abord, une petite pensée pour vous, parce que vous avez en temps normal un job assez difficile, à savoir défendre le projet européen, mais ces dernières semaines, avec le scandale de corruption qui ébranle Bruxelles et tout particulièrement le Parlement européen, votre job est encore plus difficile. On fait le point, j'aimerais bien vous entendre là-dessus.

(...)

Q - Voilà, donc Laurence Boone, clairement, l'Europe fait rarement les gros titres de la presse, sauf quand il s'agit de corruption. Cela ne vous rend pas la tâche facile.

R - Non, pas du tout. On préférerait que ça fasse les gros titres pour expliquer que si les prix du gaz baissent, c'est aussi grâce aux actions européennes. Ce n'est pas une bonne nouvelle, c'est un coup, c'est un coup qui est porté à la démocratie européenne. Alors, il faut faire attention, parce qu'on est toujours dans une période d'enquête quand même, donc prudence. Prudence aussi de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Mais c'est clair qu'à quinze mois des élections européennes, c'est un mauvais coup qui est fait à la confiance que les citoyens peuvent avoir dans les institutions démocratiques européennes.

Q - Il y en a un qui était, justement, dans le bain et qui est en train d'être jeté avec l'eau, c'est Marc Tarabella, député européen socialiste belge. Il était donc, Julien l'a dit... Maintenant, la levée de son immunité parlementaire a été demandée cette semaine. Et il était l'invité de "La faute à l'Europe" mi-novembre : on lui avait demandé, notamment avec Jean, ce qu'il pensait du Qatar. Voici ce qu'il en pensait.

(...)

Q - Voilà c'est, Jean, Marc Tarabella à l'époque, donc socialiste belge, qui dit : "il y a eu des progrès, tout n'est pas parfait, mais une évolution énorme".

Q - Oui, mais il faut faire très attention dans cette affaire, qui me met extrêmement mal à l'aise, parce qu'on va aller chercher les prises de position politique des uns et des autres pour essayer de voir si, par hasard, telle position politique n'est pas suscitée par une enveloppe d'argent, parce qu'au fond, c'est ce que vous laissez entendre. Je suis... Moi, ma connaissance du Parlement européen - ça fait quand même 30 ans que je le suis -, l'influence ne se joue pas à coups de billets de banque. L'influence c'est : on essaye de convaincre les gens, on essaye de les amener à partager vos positions. Marc Tarabella, jusqu'à preuve du contraire - peut-être qu'on va prouver le contraire, que le juge d'instruction belge va démontrer qu'il a été corrompu - n'a pas été corrompu. Mais il a été convaincu. Et ce n'est pas exactement la même chose. Donc, encore une fois, soyons prudents. Pour l'instant, il y a une députée qui a été arrêtée, Eva Kaili, et puis il n'y a personne d'autre du Parlement, il n'y a aucun autre parlementaire qui a été arrêté. Il y a deux levées d'immunité parlementaire qui ont été demandées, mais ces deux levées d'immunité parlementaire, c'est pour leur permettre de s'expliquer et de se justifier.

Q - Alors une précision sur Marc Tarabella, c'est qu'il a des positions un peu étonnantes. Dans d'autres émissions... Il a des positions assez libérales pour un socialiste belge. Une fois, on avait fait une émission avec lui sur la Chine, on parlait des droits de l'Homme, et lui il disait : "oui, mais enfin, il faut quand même commercer avec la Chine et donc le libre-échange, ça reste important, malgré la question des droits de l'Homme".

Q - Oui, mais alors, question à Laurence Boone, sur ce sujet, parce que... Bon d'accord, même si cette affaire n'est peut-être pas aussi étendue qu'on le pensait, est-ce qu'il ne faut pas changer profondément la façon dont fonctionnent les institutions communautaires ? Parce que ce que l'on voit au Parlement notamment, c'est quand même énormément de prévarication, de clientélisme, on nomme les copains et les coquins, on ne respecte pas les procédures européennes, on ne respecte pas les concours, c'est-à-dire qu'on fait des petits concours qu'on... De distribuer les postes. Est-ce que tout ça...

Q - Qu'est-ce qu'il faut changer à Bruxelles ?

Q - Nettoyer les écuries d'Augias.

R - On peut toujours améliorer les choses quand il s'agit de transparence, de contrôle et de corruption. D'ailleurs, dès 2019, pendant la campagne électorale, la majorité actuelle, Renew, avait déjà mis des propositions sur la table pour améliorer, pour avoir un code de conduite des institutions. Il y en a un en France, il y en a un dans d'autres pays. Par ailleurs, la Commission regarde l'État de droit, dont ces procédures, dans tous les pays. C'est clair qu'on peut faire des progrès en ce qui concerne les institutions européennes. Quel type de progrès ? On peut penser à la transparence sur les déclarations d'intérêts, comme on le fait en France avec la Haute autorité de transparence de la vie publique.

Q - Alors, très rapidement, les députés européens ont déjà signé l'interdiction pour les lobbyistes du Qatar, désormais, d'être accrédités et de rentrer au Parlement européen.

Q - Mais c'est n'importe quoi !

R - Oui, mais je pense qu'il faut qu'on parle d'abord de règles, ensuite de transparence, avec des contrôles sur ces règles, mais ensuite de coercition sur les procédures. On est en train de faire des progrès, on n'en a pas forcément fait assez, mais depuis six mois, par exemple, vous avez un registre des lobbys, il y a pratiquement 14 000 entrées en six mois : vous voyez qu'on a des choses à faire.

Q - Sachant que tout le lobbying n'est pas mauvais et que là, on parle de lobbying illicite...

R - Absolument, c'est pour cela que je parle de transparence et de contrôle.

Q - Cela fait de nombreuses années que l'on parle du problème de transparence au Parlement européen, que pas tous les jobs d'à côté ou les donations sont déclarés et... Voilà, ces dernières semaines, vous, vous en parlez mais la réaction française, on peut dire qu'elle a été pas tellement forte. On a vu Emmanuel Macron qui allait deux fois au Qatar en disant, voilà, "il ne faut pas mégoter son plaisir, les Qataris, ils organisent ça très bien"...

R - Vous exagérez un peu, parce qu'il n'était pas allé au Qatar pour parler de ça, il était allé au Qatar pour soutenir l'équipe de France, ce qui est un tout petit peu différent. À nouveau, et je le répète, en 2019, le groupe de la majorité présidentielle avait mis sur la table des propositions pour une plus grande transparence et, justement, des contrôles qui se rapprochent de ce qu'on vit chez nous, à la fois... Et un code éthique pour l'ensemble des institutions européennes, et il y a des choses qui sont mises en oeuvre. Est-ce que ça va assez loin ? Non, clairement, puisqu'on a ce sujet aujourd'hui. Mais on progresse. Mais ça, je pense que c'est un excellent sujet de campagne européenne et, en plus, mobilisateur pour des élections qui, en général, ne sont pas très mobilisatrices et qui là, viennent...

Q - Et qui auront lieu en mai 2024.

R - Absolument.

Q - Il y avait deux sujets - on va terminer sur ce sujet -, Il y avait deux thèmes de discussion à Bruxelles avec les Qataris : la libéralisation des visas pour les Qataris en Europe, ainsi que l'accord "Ciel ouvert" entre le Qatar et l'Union européenne. En gros Qatar Airways peut faire ce qu'elle veut en Europe : elle peut faire du cabotage, etc. C'est déjà en cours, la Commission a donné son accord, le Conseil, les ministres ont donné leur accord, mais le Parlement européen n'a pas encore ratifié cet accord. Est-ce que vous pensez que le Parlement européen devrait verrouiller et mettre fin à cet accord ? Ce serait un coup dur pour le Qatar.

R - Alors, le Parlement européen a déjà dit qu'il suspendait la discussion sur les visas. Elle est suspendue. Je pense que, pour l'instant, on peut effectivement regarder tout ce qui est en cours et à nouveau le passer, le filtrer, et voir dans quelle mesure il faut qu'on... C'est l'avantage des trilogues, qu'on va avoir...

Q - Donc, les trilogues, c'est les discussions entre la Commission, le Conseil et le Parlement. Mais, vous vous pensez que ... ?

R - Et qui permettent, justement, soit d'affiner les textes, soit de les consolider, soit de...

Q - Mais il faudrait suspendre le "Ciel ouvert" entre le Qatar et l'Union européenne, pour vous, ou pas ?

R - En tous les cas, il faut regarder... Il faut, pourquoi pas, se donner le temps, oui, bien sûr.

Q - "Se donner le temps", ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il faut le suspendre ?

R - Temporairement, pourquoi pas ?

Q - D'accord.

Q - Yann-Anthony, je me permets de vous signaler quand même qu'il n'y a pas que le Qatar : il y a le Maroc, désormais, qui est en tête et il y a aussi la Mauritanie. Donc si l'Union européenne se met à rompre toutes ses relations, toutes les discussions qui concernent tous les pays qui vont se trouver impliqués d'une façon ou d'une autre dans cette affaire, on n'est pas sortis de l'auberge.

Q - Avec des enjeux très importants, économiques, avec le Maroc, mais moins importants que le gaz qatari ; on en a besoin. Alors justement, l'énergie et le gaz, autres grands sujets majeurs pour 2023, les 27 ont réalisé des avancées à la fin de l'année 2022 et particulièrement au mois de décembre. Mais, Julien Gasparutto, je vous retrouve toujours à Bruxelles, il y a encore d'autres grands chantiers pour 2023.

(...)

Q - Voilà, donc ça avance bien, quand même, à Bruxelles, mais ça reste un peu une usine à gaz, Cléa.

Q - Bah oui, depuis de très longues semaines, on suit les négociations sur le gaz, sur l'électricité, donc il y a des choses qui aboutissent, par exemple tout ce qui est sur les achats groupés, le plafonnement du prix du gaz... Mais voilà, toutes ces idées de découplages, on sent que les négociations s'enlisent un peu. On en parlait un peu moins, le dernier Conseil européen, ça n'avait pas l'air d'être un sujet, donc... Est-ce que... C'est un sujet où on doit aller vite. Est-ce qu'on va aller vite là-dessus ?

R - Alors, pardonnez-moi mais je pense qu'on en a beaucoup parlé justement au dernier Conseil européen, et je pense qu'il faut clarifier quelque chose peut-être par rapport à la question que vous avez posée, qui est celle de ce qu'on fait dans l'immédiat, et qui a été la question du découplage pour cet hiver-là, et de la réforme du marché de l'électricité, ce que vous venez de présenter, et qui est, en gros, pour l'hiver prochain, et qui sera une solution plus pérenne. Ce qu'on a fait jusqu'à présent, et vous avez vu, grâce à toutes ces mesures, et un petit peu à la météo, les prix du gaz sont revenus à leur niveau d'avant-guerre - c'est quand même exceptionnel, je voudrais qu'on insiste là-dessus -, grâce comme vous le disiez aux achats groupés, aux efforts de solidarité, aux contrats négociés avec les partenaires.

Maintenant ce qu'il faut, c'est que pour l'hiver prochain, effectivement, on arrive à modérer ces prix du gaz, et on a mis en place les plateformes, les discussions avec la Norvège, les États-Unis, plein d'autres pays, et l'accélération du renouvelable, précisément pour enlever de la pression, si j'ose dire, sur le marché du gaz, et passer l'hiver prochain avec des prix un peu moins élevés. Et sur le marché de l'électricité - donc le découplage dont vous parliez -, la Commission a présenté un papier au dernier Conseil énergie, le premier sur cette réforme du marché de l'électricité, qui va être maintenant discuté au premier trimestre, et l'idée c'est bien d'avoir en place les mesures pour l'hiver prochain.

Q - Oui mais est-ce que la Commission n'a pas pris son temps ? Ça fait un an que la France demande justement une réforme du marché de l'énergie...

R - Non, je crois qu'il y a confusion entre les mesures immédiates, et la France a demandé deux choses : elle a demandé des mesures immédiates de découplages, sur lesquelles effectivement la Commission a trainé les pieds, et on n'était pas contents ; et elle a demandé des mesures durables, de moyen terme, d'une réforme profonde du marché de l'électricité, et là pour le coup, la Commission a agi, puisqu'on a eu un premier papier juste avant les vacances de Noël, et qu'on va pouvoir travailler dessus au premier trimestre.

Q - Oui mais nos prix de l'énergie restent extrêmement élevés par rapport aux prix par exemple de l'Espagne et du Portugal, et là, les faillites d'entreprises, c'est maintenant, ce n'est pas dans six mois !

R - Là c'est deux problèmes, deux problèmes qui sont différents. Le premier, c'est, on appelle ça la péninsule ibérique, justement pour les prix de l'énergie, précisément parce qu'il n'y a pas assez d'interconnexion entre l'Espagne et le Portugal, et le reste de l'Europe. Là-dessus, il y a deux choses : un, il faut qu'on accélère sur les interconnexions électriques, c'est vrai, qui sont dans le nord de l'Espagne et la France, et deux, il y a eu ce deal du président français avec l'Espagne et le Portugal, pour construire ce qu'on a appelé à un moment BarMar, et qui s'appelle maintenant H2Med, et qui va être le premier pipeline sous-marin pour l'hydrogène, qui va permettre justement de relier la péninsule ibérique au reste du continent européen. Ça ne se fait pas en deux mois, c'est clair. Mais ça, pour le coup, on accélère. Ça c'est la première chose.

Et la deuxième chose, sur les prix eux-mêmes de l'énergie : d'abord on a lissé les prix, nous, beaucoup, donc on n'a pas subi la hausse qu'on a vue au jour le jour ; et avec les mesures qui ont été prises maintenant, on va avoir cette hausse modérée - je sais bien qu'elle est coûteuse pour plein de gens, elle est modérée par rapport à ce qu'elle aurait pu être - et étalée dans le temps, donc on essaie de la rendre la moins douloureuse possible, effectivement, et il faut qu'on continue...

Q - Mais elle sera douloureuse pour le budget français, c'est ça qui ne va pas. C'est-à-dire qu'en fait on transfère des entreprises, des ménages vers le budget, c'est-à-dire vers le contribuable, c'est tout ce qu'on fait ! Or si la Commission avait réformé le marché de l'énergie il y a un an, comme on le demande, on ne serait pas dans cette situation-là.

R - Non, à nouveau, je pense que vous confondez deux choses : les mesures immédiates que la France avait demandées, et la réforme pérenne du marché de l'énergie qui ne va pas se faire en trois semaines. On a mis plusieurs mois pour un truc qui a duré 20 ans et qui a bien fonctionné, là on veut le réformer pour les 20 années à venir, donc oui ça demande des discussions et ça demande du temps. Oui, ça coûte au budget, bien sûr, et aux finances publiques de la France, mais c'est le principe même d'une politique budgétaire contracyclique : Quand vous avez un choc négatif sur les ménages et les entreprises, c'est le budget qui prend le relai, atténue le choc, et quand la situation ira mieux, on remboursera ce budget par des baisses de dépenses ou par des hausses d'impôt.

Q - En tout cas, le problème, c'est que sur le front ukrainien, on n'est pas sûrs que la situation aille mieux rapidement. Il faut voir si on aura du gaz notamment l'hiver prochain. À l'occasion de ses voeux le 31 décembre, Emmanuel Macron s'est montré particulièrement déterminé à soutenir les Ukrainiens.

(...)

Q - Voilà, "comptez sur la France et comptez sur l'Europe". Donc les Ukrainiens peuvent compter sur l'Europe notamment pour fournir des armes, et également pour imposer des sanctions à la Russie. On voit que sur l'année écoulée, la Russie a vendu, a exporté 45% de pétrole en moins. C'est un coup dur évidemment pour sa caisse enregistreuse. Est-ce que vous êtes persuadée de l'efficacité des sanctions ? En dehors du pétrole, mais sur le reste des sanctions ? Il y a eu neuf paquets européens.

R - En fait, j'allais dire c'est un paquet : il faut à la fois du soutien militaire, financier, humanitaire, et des sanctions. Les sanctions, leur efficacité elle n'est pas immédiate, on le sait, l'efficacité c'est du moyen terme, c'est priver la Russie des moyens de faire la guerre, et des moyens...

Q - Mais quels sont vos principaux indicateurs pour mesurer l'efficacité des sanctions ?

R - Ce qu'elle importe : elle n'importe plus de matériel de haute technologie ; les voitures, elle ne sait plus les réparer ; les avions, elle ne sait plus les faire voler ; les armes, c'est un vrai souci. Donc c'est ça, l'efficacité. Et puis, c'est aussi évidemment la pression qui est mise sur les entreprises russes qui emploient moins, produisent moins, investissent moins. Donc oui, ça marche. Ce qui marche aussi, vous le voyez, c'est du soutien militaire. Le nombre d'armes à la fois des États-Unis et de l'Europe, dont la France, qui ont atteint le territoire ukrainien, leur permet de résister. Je vous rappelle qu'on parlait d'une guerre qui durerait quelques jours, ou quelques semaines, et la Russie aurait remporté la victoire...

Q - Les Russes disaient.

R - Et on est là 10 mois plus tard, et les Ukrainiens défendent leurs positions avec le soutien indéfectible de l'Europe et des États-Unis.

Q - Clea ?

Q - Et justement, est-ce que c'est pas le moment aujourd'hui d'augmenter encore plus ce soutien, est-ce que c'est une discussion que vous avez, étant donné que la Russie est dans une situation fragile, elle a du mal à avancer ou même à tenir ses positions en Ukraine ? Est-ce qu'on va commencer à parler de donner certains armements que pour l'instant on n'a pas donné pour essayer de donner un boost à l'Ukraine en ce moment, ou est-ce qu'au contraire... Parce qu'on entend des messages un peu ambivalents parfois d'Emmanuel Macron, c'est-à-dire qu'il parle de garanties de sécurité pour la Russie en cas de négociation...On ne sait pas quel est le but ultime, est-ce que c'est pousser vers plus de négociations, ou est-ce qu'au contraire il faut vraiment armer pour reconquérir tout le territoire ?

R - Il y a deux choses : d'abord le Président de la République l'a dit, la paix elle se fera aux conditions de l'Ukraine, elle se fait en respectant l'intégrité territoriale de l'Ukraine, et quand les Russes se seront retirés, et quand l'Ukraine le souhaitera. Je crois qu'on ne peut pas être plus clair que ce qu'il a été. La deuxième chose : est-ce qu'il faut augmenter le soutien ? Mais on le fait tout le temps, puisque vous avez là tout cet hiver la formation de 7 000 Ukrainiens, dont 2 000 sur le territoire français, à des armes qui sont technologiquement plus avancées, et qu'à la fois les États-Unis, l'Europe et la France ont augmenté le niveau de ce qui est livré à l'Ukraine. Par exemple, on a livré des missiles sol-air anti-drones récemment, donc je crois qu'on s'adapte, on s'ajuste, et on soutient l'Ukraine en augmentant ses capacités à résister et à reprendre ses positions.

Q - 2022, année de l'inflation, 2023 sera-t-elle l'année de la récession ? Les perspectives économiques sont franchement moroses. Jean nous parlait récemment de risque, certains presque de stagflation. Quelles sont les perspectives, Julien, à Bruxelles ?

(...)

Q - Voilà, merci Julien. Ça c'est le grand sujet, ça ? Les Français, ils veulent un nouveau fonds ?

R - Bah les Français, ils ont dû dire qu'il ne faut pas se laisser faire ! Non, sérieusement, s'il y a un...

Q - Par les méchants Américains ?

R - Mais par tous ceux qui menacent, qui ne jouent pas avec les règles du jeu international et de la gouvernance mondiale.

Q - Juste une précision : donc les Américains qui ont un grand plan, et ils vont subventionner l'achat de véhicules électriques à hauteur de 7 500 dollars, à condition que ce soit des véhicules "made in America".

R - Mais pas que, j'allais dire. Il y a deux choses : la première, c'est que c'est quand même un plan pour la transition énergétique, on peut que se réjouir, ça fait des dizaines d'années qu'on demande aux Américains de bouger sur le climat...

Q - Ils le font.

R - Enfin, ils font quelque chose. Ça c'est la première chose. La deuxième chose...

Q - Donc vous vous dites : "Bravo le IRA", Inflation Reduction Act.

R - Non, je dis : "Bravo de s'attaquer au climat." Ça c'est la première chose. La deuxième chose, c'est : ils le font comment ? Ils annoncent un plan de 367 milliards, dont 200 milliards ne sont pas conformes aux règles de l'OMC. Moi je dis, regardons les choses. On a quelques marges de manœuvre, mais franchement elles ne sont pas très importantes. Ça doit être un réveil pour l'Europe, et d'ailleurs sur deux choses : sur le fond et sur la forme. Sur la forme d'abord, puisqu'ils annoncent 367 milliards, nous si on regarde tout ce qu'a dépensé l'Union européenne en Vert et en transition numérique, d'ailleurs, on est largement à ce que font les Américains. Si on prend simplement REPowerEU, c'est déjà 210 milliards, et un tiers de tous les financements européens va dans la transition énergétique. On pourrait demander à la Commission de faire une page internet, qui est plus claire, et qui le montre, ça on est d'accord...

Q - Je suis sûr que tout le monde se jetterait sur la page web de la Commission européenne.

Q - Si la Commission apprenait à communiquer, oui, je pense !

R - La deuxième chose, c'est la même chose avec les semi-conducteurs : ils ont annoncé près de 60 milliards, on a en fait plus de, pratiquement 50 milliards. Donc on a beaucoup d'argent. Là en revanche où on n'est pas très bons, je le dis, c'est sur le plan stratégique. On doit, sur le fond, être beaucoup plus précis sur ce qu'on veut faire, et c'est un peu ce qu'a demandé le Président de la République et Thierry Breton, c'est...

Q - Commissaire européen chargé du marché intérieur.

R - Absolument - c'est de concentrer, là où on en a besoin le plus les ressources, et d'aller de façon méthodique et rapide, et je finirai avec "rapide", parce que l'avantage de l'Inflation Reduction Act, c'est que c'est des crédits d'impôts, c'est immédiat ; nous quand on fait et quand l'Europe passe de l'argent, ça prend des années. On doit ramener ça à des mois.

Q - Ou alors, Jean ou Clea, être un petit peu moins naïfs ? C'est-à-dire que si les Américains sont protectionnistes, il faut qu'on le soit aussi ?

Q - Évidemment qu'il faut être protectionniste, et ça c'est le problème. C'est que, en réalité en Europe, la pensée française, je dirais en matière de... Je ne dis pas protectionniste bêtement, mais...

Q - Défense des intérêts.

Q - Voilà ! On demande au minimum de la réciprocité, et s'il n'y a pas de réciprocité, eh bien par exemple les aides aux voitures, elles sont réservées aux voitures produites au sein de l'Union européenne. On fait l'équivalent, et on viole aussi les règles de l'OMC joyeusement, comme les Américains.

R - Alors on fait des choses qui, pardon, je pense sont un petit peu plus intelligentes. On a un instrument anti-subvention, où on peut faire... Je suis d'accord, il faut sortir de la naïveté, et je pense que c'est, quand je parle de réveil, c'est ça. On a des instruments qui sont plus intelligents. On a par exemple, depuis la présidence française de l'Union européenne, un instrument anti-subvention. Cet instrument anti-subvention, il a quoi ? Il a que quand un pays subventionne par exemple des voitures électriques pour les vendre pas chères chez nous, on fait une enquête, on les taxe à l'entrée. Et à la fin, ils seront aussi chers que chez nous. Et ça je pense que c'est plus malin.

Q - Clea ?

Q - Mais justement, sur cette vision un peu française, protectionniste, il y a quand même un problème : c'est que c'est...

R - Je ne peux pas vous laisser dire que c'est une vision protectionniste ! Je pense que c'est une vision de stratégie industrielle et il ne faut pas mélanger les deux.

Q - Clea, vous êtes franco-britannique, vous êtes...

Q - Oui oui. Donc bon...

R - Les Américains ne sont pas libéraux. Les seuls à peu près libéraux que je connaisse, probablement et qui n'ont pas ces visions-là, sont les Britanniques. Mais il ne faut pas être naïf : les Américains sont protectionnistes, et nous il faut qu'on soit malins.

Q - Il faut qu'on soit malins. Laurence Boone, secrétaire d'État en charge des affaires européennes. Il faut qu'on soit malins, Jean, vous avez compris en 2023. Clea je vous fais confiance, mais Jean ce serait pas mal, merci.

Clea Caulcutt de Politico, Jean Quatremer de Libération. On espère vous recevoir très prochainement dans cette émission, Laurence Boone, notre "ministre de tutelle" de cette émission La Faute à l'Europe, produite par Alexandre Rougier. On se retrouve la semaine prochaine, à Bruxelles.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 janvier 2023