Texte intégral
YVES CALVI
Amandine BÉGOT, vous recevez donc ce matin Olivier DUSSOPT, ministre du Travail.
AMANDINE BÉGOT
Olivier DUSSOPT, sans surprise, les syndicats ont annoncé une journée de mobilisation, journée de grèves et de manifestations pour la semaine prochaine, le 19 janvier. "Puissante mobilisation" a dit hier soir Laurent BERGER de la CFDT. Ça vous inquiète ?
OLIVIER DUSSOPT
Nous verrons. Nous verrons le 19. Je n'ai pas de boule de cristal sur la mobilisation sociale et le travail des syndicats. Et d'une certaine manière, je n'ai pas vraiment à le commenter. Les organisations syndicales ont un droit de manifester, d'organiser des mouvements de grève, que nous respectons, et notre travail, pour le gouvernement, c'est à la fois de convaincre de la justice de cette réforme, de sa nécessité, de montrer aussi que les derniers moi, les concertations que nous avons organisées, nous ont permis de faire des choses utiles. Je sais qu'il y a des désaccords, personne ne les nie, et les nier serait d'ailleurs une forme de bêtise. Mais, ces concertations ont permis de répondre à un certain nombre de leurs questions, un certain nombre de leurs interrogations et de leurs attentes, sur les questions comme les carrières longues, sur la prise en compte et la prévention de l'usure.
AMANDINE BÉGOT
On va évoquer ces questions, mais le 19 janvier, c'est plus tôt que prévu, les syndicats veulent agir vite, fort, c'est un point de départ, point d'arrivée, dit Philippe MARTINEZ. Vous leur dites quoi ce matin ? Vous pouvez manifester une fois, dix fois, on ne bougera pas ?
OLIVIER DUSSOPT
Je leur dis, qu'ils manifestent autant qu'ils le veulent. Je leur dis aussi que ce que nous présentons aujourd'hui, répond à beaucoup des attentes qu'ils ont exprimées, je le répète, sur des questions de pénibilité, d'usure, de relèvement du minimum de pensions. Je leur dis aussi, et ils le savent, et ils savent que cette réforme est nécessaire si on veut sauver le système par répartition, qui a un déficit qui est connu, qui est durable, qui est structurel, et auquel il faut apporter des réponses. Et qui s'explique, pas seulement par des chiffres, à la fin des années 1970, vous aviez 3 personnes qui travaillaient, qui cotisaient, pour 1 retraité, puisque, quand on cotise, on ne met pas de l'argent dans une tirelire pour sa propre retraite, la cotisation de ceux qui travaillent, c'est pour ceux qui sont à la retraite. Le système par répartition, c'est la solidarité entre les générations. Et donc il y avait 3 cotisants pour 1 retraité. Aujourd'hui, nous sommes à 1,7 cotisant pour 1 retraité, et en 2040 nous serons à 1,4 cotisant pour 1 retraité. Moins nous sommes nombreux à cotiser, pour un nombre de retraités plus important, parce que c'est démographique, parce que l'expérience de vie est plus longue, et que c'est très bien comme cela, plus il faut trouver des solutions, et les solutions passent à la fois par le fait de travailler plus nombreux, c'est notre politique de plein emploi, et le fait de travailler un peu plus longtemps, en tenant compte des carrières, des parcours personnels, parce qu'on l'a dit hier avec la Première ministre, travailler un peu plus, tous, oui, mais pas au même rythme, pas de la même manière, il faut tenir compte des caractéristiques de chacun.
AMANDINE BÉGOT
Il y avait aussi la possibilité de trouver de l'argent ailleurs, c'est ce que proposent certains syndicats, on ne va pas rentrer dans les propositions de chacun…
OLIVIER DUSSOPT
Oui, mais…
AMANDINE BÉGOT
Je voudrais que l'on prenne le temps, Olivier DUSSOPT, si vous le voulez bien, on a peu de temps, pour détailler certains points de cette réforme. On a à peu près tous compris le cadre général de la réforme, je le rappelle : l'âge légal de départ en retraite est repoussé à 64 ans, contre 62 aujourd'hui, ça va se faire progressivement, 3 mois par an pour arriver à 64 ans en 2030. Pour bénéficier d'une retraite à taux plein, il faudra travailler 43 ans, mais l'âge de départ en retraite sans décote, lui, est maintenant à 67 ans, que l'on ait ou pas ses 43 annuités. Ça c'est le cadre général. Il y a toutefois un certain nombre d'exceptions, et c'est là où je vais vous demander de faire un petit effort de pédagogie, si vous le voulez bien, pour ceux qui nous écoutent. On a peu de temps et beaucoup de questions. On est d'accord, sur l'âge d'abord, certains vont devoir travailler 44 ans, si j'ai commencé à travailler à 16 ans, je vais pouvoir partir avant 64 ans, ça on est d'accord, 60 ans, mais 60 - 16 ça fait 44 ans de cotisations.
OLIVIER DUSSOPT
Oui, et nous avons un système qui aujourd'hui, sans même parler de la réforme que nous menons, amène un certain nombre de salariés à travailler plus longtemps que les…
AMANDINE BÉGOT
Oui, mais 44 ans contre 43 pour les autres, ce n'est pas injuste ça ? D'autant que ce sont souvent des petits salaires.
OLIVIER DUSSOPT
Alors, pardon, mais c'est déjà le cas. Nous avons déjà des hommes, des femmes, qui travaillent 43 au lieu de 42, 44 au lieu de 42, ils ont même des systèmes qui imposent de travailler plus longtemps que la durée légale, pour bénéficier…
AMANDINE BÉGOT
On n'aurait pas pu corriger ça ?
OLIVIER DUSSOPT
Nous le faisons pour ceux qui ont commencé à travailler très tôt, avant 16 ans, et surtout, dans le système des carrières longues, actuellement, le système tel qu'il existe aujourd'hui, ne prend en compte que ceux qui ont travaillé 5 trimestres au plus, avec le même impact avant 20 ans. Nous créons un système pour tenir compte des trimestres avant 18 ans. Et les trimestres avant 18 ans, ce sont par exemple les apprentis, et on fait la promotion de l'apprentissage, pour leur permettre de partir plus tôt, vous l'avez dit vous-même, à partir de 60 ans. C'est une protection nouvelle, qui n'existait pas. C'est…
AMANDINE BÉGOT
Moins injuste, mais ça reste injuste, vous en conviendrez.
OLIVIER DUSSOPT
Non, ce n'est pas une question d'injustice, parce qu'aujourd'hui, je le répète, sur les 650 à 700 000 personnes qui partent chaque année à la retraite, vous en avez plusieurs dizaines de milliers qui déjà font plus que la durée légale qui est à 42 ans et dont il est prévu depuis 2013, je le rappelle, qu'elle doit passer à 43 ans. C'est une mesure que nous reprenons d'anciennes majorités, dans lesquelles j'étais par ailleurs, et qui avaient été votées. Et donc nous mettons en place des protections, justement, pour faire en sorte que ces injustices ne s'aggravent pas. Si nous ne faisions pas ce que nous faisons avec les carrières longues, nous serions dans une situation où quelqu'un pourrait travailler 46, 47 ans, ce que nous ne voulons pas.
AMANDINE BÉGOT
Sur le montant des pensions, la Première ministre a annoncé, donc, la revalorisation des pensions pour les retraités actuels, ceux qui sont déjà à la retraite. Ça veut dire quoi, très concrètement, est-ce que dès le 1e septembre vous nous dites : personne ne touchera moins que 1 200 € brut ?
OLIVIER DUSSOPT
Brut, pour une carrière complète, il faut le préciser.
AMANDINE BÉGOT
Personne.
OLIVIER DUSSOPT
Il faut le préciser. Notre objectif, je vais être très précis, parce que vous avez raison, c'est un sujet qui génère beaucoup d'attente. L'engagement du président de la République, c'est de dire : lorsque vous avez travaillé toute votre vie, que vous avez fait votre carrière complète, vous devez avoir au moins 85 % du smic, c'est-à-dire 1 200 € brut, en septembre 2023.
AMANDINE BÉGOT
En net ? Ça fait combien, juste pour…
OLIVIER DUSSOPT
En net, c'est, alors, vous mettez le doigt sur une complexité, parce que vous savez que la CSG est appliquée, et que…
AMANDINE BÉGOT
Oui, mais c'est pour ça que je vous pose la question.
OLIVIER DUSSOPT
Non mais justement, le taux de CSG, qui est appliqué à la retraite d'un homme ou d'une femme, ne dépend pas que de son seul revenu, mais des revenus de tout le foyer, et donc le net dépend aussi de la composition du foyer. C'est pour ça qu'il faut être précis et ne pas donner des chiffres à l'emporte-pièce, dans un sujet qui est aussi complexe. Donc c'est 85 % du smic, 1 200 € brut, pour quelqu'un qui a fait une carrière complète.
AMANDINE BÉGOT
Donc, ça veut dire quelqu'un à temps partiel, par exemple…
OLIVIER DUSSOPT
Quelqu'un qui a travaillé toute sa vie à temps partiel, n'est pas à 85 % du smic à temps complet, sinon il y aurait une forme d'injustice. Par contre, le système que nous prévoyons de mettre en place, tant pour les nouveaux retraités que pour les anciens, a le mérite, c'est que, je ne rentre pas dans la technique, nous n'avons pas le temps, mais il va permettre de protéger et donc de garantir ces 85 %, à des gens qui auraient travailler toute leur vie, mais qui à un moment auraient connu une année de chômage à un moment, une autre année à un autre moment, qui auraient connu une interruption de carrière quelque mois dans le cadre d'un projet parental, en l'occurrence une maternité, et donc c'est en ce sens-là qu'il est protégé
AMANDINE BÉGOT
Et cela c'est dès septembre, vous nous le répétez.
OLIVIER DUSSOPT
Dès 2023. 1e septembre, nous voulons augmenter pour les nouveaux retraités…
AMANDINE BÉGOT
Ils auront 1 200 € brut.
OLIVIER DUSSOPT
85 % du smic pour les nouveaux retraités. Pour les actuels retraités, nous voulons que ce soit en 2023, et il y a un énorme travail technique à faire, par toutes les caisses de retraite…
AMANDINE BÉGOT
Pour que ce soit automatique.
OLIVIER DUSSOPT
Parfois ça fait sourire quand je le dis, mais il y a un certain nombre de dossiers de retraités actuels, qui ont été déposés il y a 15 ans, 20 ans, 25 ans, et qui n'ont pas été numérisés. Ça fait sourire, parce qu'on se dit "mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ?", mais sauf que lorsque les dossiers ne sont pas numérisés…
AMANDINE BÉGOT
Il faut les retrouver…
OLIVIER DUSSOPT
… pour les caisses il faut les retrouver, les…
AMANDINE BÉGOT
… et quand on a 80 ou 85 ans, on n'a pas forcément gagné les papiers.
OLIVIER DUSSOPT
Ça va un peu moins vite que quand tout est informatisé.
AMANDINE BÉGOT
Il nous reste moins de deux minutes, Monsieur le Ministre. Sur l'emploi des seniors, "il est temps que les employeurs prennent en main le sujet", a dit hier la Première ministre, qui annonce la création d'un index pour valoriser les bonnes pratiques. Vous pensez vraiment qu'un index ça va suffire ? Ça ne va pas faire peur aux patrons, disait Philippe MARTINEZ, hier.
OLIVIER DUSSOPT
Je pense que c'est un outil qui est efficace, c'est un index que nous allons créer par la loi, qui pourra être adapté, branche par branche, parce qu'évidemment la démographie, la composition par âge, peut-être très différente…
AMANDINE BÉGOT
Mais il y aura des sanctions pour ceux qui ne joueraient pas le jeu ?
OLIVIER DUSSOPT
Il y aura deux niveaux de sanctions, d'incitations. Premier niveau, les entreprises de plus de 300 salariés devront remplir cet index. Une entreprise qui refusera de remplir l'index et de rendre publics les indicateurs, aura une sanction financière.
AMANDINE BÉGOT
Mais en revanche, celle qui ne jouera pas le jeu, qui ne met pas en place ce système, n'est pas sanctionnée.
OLIVIER DUSSOPT
Attendez. Celle qui remplit l'index, qui rend public ses indicateurs, et qui n'évolue pas, qui ne progresse pas, on va renforcer, c'était une demande des syndicats, on va renforcer les obligations de négociations, et là pardon, parce que c'est très technique, mais on va modifier un article du Code du travail, en disant que la négociation dans l'entreprise, sur l'emploi des seniors, doit être un sujet obligatoire de négociations, dans le cadre de la gestion des emplois et des parcours professionnels. Ça parait hyper technique, mais ça donne la main aux partenaires sociaux, pour mettre en place des plans d'actions, afin d'améliorer l'emploi des seniors dans les entreprises.
AMANDINE BÉGOT
Sur la pénibilité, c'est extrêmement compliqué, là aussi, pourquoi ne pas avoir fait tout simplement une liste par métiers ? Je prends un exemple concret : une caissière, aujourd'hui, est-ce que vous pouvez nous dire "elle ne partira pas à la retraite à 67 ans", par exemple ?
OLIVIER DUSSOPT
Aujourd'hui, sur la pénibilité, nous avons deux chantiers. Il existe un compte personnel qui permet, ce que l'on appelle le C2P, et nous allons faciliter l'obtention de points de C2P, et les points de C2P permettent de partir plus tôt.
AMANDINE BÉGOT
Et un accompagnement, un meilleur suivi médical.
OLIVIER DUSSOPT
Alors ça, c'est pour le… Mais justement, en abaissant les critères pour acquérir des points, pour obtenir des points, va répondre…
AMANDINE BÉGOT
Mais ma caissière, elle partira à 67 ans ou à 62 ?
OLIVIER DUSSOPT
Non, d'abord, quand vous dites 67 ans, c'est l'âge de suppression de la décote, ce n'est pas l'âge de départ. Et si une caissière travaille avec un poste qu'on appelle des temps successifs et des gestes répétitifs, elle va gagner des points, des points de C2P, et…
AMANDINE BÉGOT
Donc ceux qui dissent qu'elle ne partira…
OLIVIER DUSSOPT
… et ces points de C2P lui permettront de partir avant 64 ans.
AMANDINE BÉGOT
Ceux qui disent qu'elle ne partira pas plus tôt, disent faux, encore.
OLIVIER DUSSOPT
Oui.
AMANDINE BÉGOT
Juste, d'un mot, les LR ils la voteront cette réforme, ils vous l'ont dit ?
OLIVIER DUSSOPT
C'est à eux qu'il faut poser la question.
AMANDINE BÉGOT
Mais ils vous l'ont dit ?
OLIVIER DUSSOPT
Mais j'ai entendu hier, qu'ils estiment avoir été entendus sur la principale revendication et c'est aussi le fruit de ces concertations que nous avons menées depuis plusieurs mois.
AMANDINE BÉGOT
Merci beaucoup Olivier DUSSOPT.
OLIVIER DUSSOPT
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 janvier 2023