Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l'instauration des zones à faibles émissions (ZFE).
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
(…)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'aurais pu souscrire assez largement aux propos que vient de tenir Philippe Tabarot et je n'ai pas le sentiment, en m'exprimant cet après-midi devant vous, d'être dans une opposition frontale avec le Sénat et sa majorité. Je souhaite simplement discuter et présenter, expliquer une mesure qui a certainement souffert d'un défaut de pédagogie et qui, dans les textes – peut-être moins dans la mise en œuvre –, fait précisément l'objet d'un caractère progressif, territorialisé, même si certains angles morts doivent être supprimés. C'est ce à quoi je m'emploierai dans le temps qui m'est imparti aujourd'hui.
Je veux tout d'abord revenir sur un élément : les ZFE visaient initialement non pas à concourir à la transition écologique, mais à répondre à une préoccupation relative à la pollution atmosphérique.
M. Daniel Breuiller. Exact !
M. Christophe Béchu, ministre. À cet égard, je tiens à rendre hommage aux sénateurs qui ont contribué à l'élaboration du rapport de la commission d'enquête, publiée au mois de juillet 2015, sur le coût économique et financier de la pollution de l'air (M. Julien Bargeton applaudit.) – 100 milliards d'euros –,…
M. Daniel Breuiller. Tout à fait !
M. Christophe Béchu, ministre. … tout en précisant que les choses sont minorées. Ce rapport continue de faire référence et autorité aujourd'hui : il est régulièrement cité. Je salue à ce titre le sénateur Husson, qui y a pris sa part. Grâce aux bases actualisées de Santé publique France, nous savons que, en 2021, 40 000 décès étaient liés aux particules fines et 7 000 aux oxydes d'azote.
En outre, et cela revient de manière systématique, ce sont les plus fragiles qui se retrouvent en première ligne face à cette pollution : les plus âgés, les plus jeunes et ceux qui vivent dans des logements les moins bien isolés. L'objectif des ZFE n'est donc pas d'entraver la vie de nos concitoyens, c'est de les protéger.
Dans notre pays, la qualité de l'air s'est améliorée de manière progressive, mais nous devons rester vigilants. Je rappelle d'ailleurs à ceux qui considèrent que nous allons trop vite que l'État a même été condamné par le Conseil d'État, en raison de dépassements persistants de seuils dans plusieurs agglomérations. Je précise d'ailleurs que ces décisions de justice valent pour l'État, mais également pour les collectivités territoriales incapables de faire respecter ces seuils. La responsabilité, y compris judiciaire, est donc partagée pour revenir sous les seuils fixés non par le Gouvernement, mais par l'Union européenne et par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), même s'il y a sans doute des choses à dire à ce sujet.
Ainsi, pour être très concret, je rappelle que la réduction des émissions de polluants s'inscrit dans le cadre d'un plan national, dont les zones à faibles émissions constituent une mesure importante.
Ces zones ne sont pas une invention française. J'ai parfois l'impression, à écouter certains discours, que nous aurions imaginé un dispositif original. À l'heure où nous parlons, quatorze pays européens ont mis en place des zones à faibles émissions et deux cent soixante-dix villes, agglomérations ou métropoles sont aujourd'hui concernées par une telle zone. Les principes retenus diffèrent parfois des nôtres, mais ils reposent presque systématiquement sur quelques invariants.
Pour mettre en place cet outil européen, nous avons adopté, dans le cadre de la loi Climat et résilience, un calendrier progressif, qui impose une mise en œuvre à compter du 1er janvier 2023 dans les dix métropoles en dépassement, tout en laissant à celles-ci le choix des modalités, y compris au travers d'innovations locales. Je pense par exemple aux motards, pour lesquels le Gouvernement n'avait pas imaginé d'obligations, mais qui font l'objet, dans certains territoires, de restrictions, sans que cela figure dans la loi ou dans ses textes d'application.
D'ici à 2025, vous l'avez dit, monsieur le sénateur Tabarot, quarante-trois agglomérations de plus de 150 000 habitants devront avoir mis en place une ZFE et le fameux décret ayant paru pendant les vacances de Noël ne fait qu'appliquer la loi Climat et résilience en précisant les conditions normales de dérogation, en effet suggérées par la Haute Assemblée. Cette mesure permettra aux agglomérations significativement au-dessous du seuil de demander une dérogation à la mise en place des ZFE. Sur les quarante-trois agglomérations, il y en a au moins une dizaine qui remplissent les critères leur permettant, si elles le souhaitent, d'obtenir cette dérogation.
Pour les agglomérations qui dépassent les seuils, le calendrier d'interdiction fixé dans la loi concerne, à partir du 1er janvier 2023, les véhicules relevant du Crit'Air 5 – les véhicules diesel de plus de 22 ans, soit 6 % du parc –, à partir du 1er janvier 2024, les véhicules relevant du Crit'Air 4 – les véhicules diesel de plus de 17 ans, soit 8 % du parc – et, à partir du 1er janvier 2025, les Crit'Air 3, qui comptent beaucoup de voitures diesel et quelques voitures à essence. Je le répète, toutes les accélérations de calendrier procèdent de décisions territoriales et ne sont en aucun cas liées à une décision que le Gouvernement aurait soutenue, accompagnée ou justifiée.
En elle-même, la ZFE ne vise pas à réduire le nombre de voitures, comme je l'entends parfois, elle vise à diminuer la circulation des modèles polluants. Que nous menions par ailleurs une politique de décarbonation des transports se traduisant par la diminution du nombre de véhicules thermiques, en particulier des voitures, au titre de la transition écologique, je l'assume pleinement, mais ce n'est pas à proprement parler le sujet de la ZFE.
Ce dispositif vise en effet au remplacement des moteurs, non à la diminution du parc. C'est ce qui explique les aides spécifiques liées à ces zones, telles que le bonus écologique, la prime à la conversion, le microcrédit ou le prêt à taux zéro…
M. François Bonhomme. Mais cela ne fonctionne pas !
M. Christophe Béchu, ministre. … et c'est ce qui expliquera le dispositif permettant, à compter du second semestre de cette année, via la réservation du leasing à 100 euros, de concrétiser la promesse de campagne du Président de la République.
À ceux qui nous ont reproché de ne pas aller plus vite, je veux opposer l'argument déjà évoqué de la souveraineté et des emplois : nous ne voulons pas mettre en œuvre une mesure de soutien massif à l'acquisition de véhicules électriques à faible prix tant que ceux-ci ne sont pas produits sur le sol européen. La cohérence de la planification écologique exige à la fois de pousser les constructeurs à construire des véhicules électriques sur notre sol et de garantir que nos aides soient orientées vers les filières européennes et françaises. La transition répond en effet à un enjeu climatique, mais ne doit se faire au détriment ni de notre souveraineté, ni du pouvoir d'achat, ni des recettes fiscales de notre pays, qui sont autant de leviers pour avancer.
Ainsi, il y a ce cadre et puis il y a le fait que les collectivités ont aujourd'hui à leur main un calendrier permettant, sauf si elles dépassent les seuils, de déterminer les modalités de mise en œuvre de la ZFE, les dérogations, les horaires, les jours, les dispositifs relatifs aux véhicules utilitaires légers des artisans ou les accompagnements logistiques. Tous ces sujets, y compris les modalités de contrôle, sont laissés à l'appréciation des collectivités, les recettes des contrôles étant d'ailleurs destinées à financer les frais de cette mise en œuvre pour les collectivités.
Il y a quelques semaines, quasiment dès mon arrivée, à la fin du mois d'octobre, j'ai pris l'initiative de réunir, pour la première fois, l'ensemble des agglomérations concernées, afin de constituer des groupes de concertation. La première réunion depuis le 22 octobre dernier aura lieu jeudi prochain et vise à mettre en place un groupe de concertation associant les maires et les patrons de ces territoires, pour proposer un certain nombre de mesures sociales et d'harmonisation. Je ne doute pas que nos échanges d'aujourd'hui nous permettront de ressortir d'ici avec quelques idées sur la manière d'améliorer ce dispositif. (MM. Bernard Buis, Joël Guerriau et Pierre Louault applaudissent.)
- Débat interactif -
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Michel Savin. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Monsieur le ministre, la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) soulève un certain nombre de questions, notamment pour les personnes habitant dans les territoires situés autour de ces zones.
Dans les territoires peu denses, notamment dans les zones de montagne, souvent mal desservies par les transports en commun, il est impossible de renoncer à la voiture pour se déplacer et les habitants de ces territoires sont amenés à se rendre au sein des ZFE, que ce soit pour travailler, pour se soigner ou pour d'autres motifs.
En outre, cela a été rappelé à plusieurs reprises, nombre d'automobilistes n'ont pas les moyens de changer de véhicule, surtout dans le contexte actuel d'inflation. On garde rarement une vieille voiture polluante par plaisir. Mon collègue Philippe Tabarot l'a souligné, il serait injuste que ces personnes soient sanctionnées sans que leur soit proposée une solution de substitution crédible pour leurs déplacements, d'autant qu'ils font partie de ceux que vous appelez les plus fragiles.
Vous souhaitez que nous soyons constructifs et que nous proposions des idées. Une solution pourrait consister à conditionner l'activation de chaque ZFE au fait que l'agglomération considérée soit bien dotée en parkings relais à ses entrées et que ces parkings soient desservis par des transports en commun performants. Cette solution, déjà évoquée dans cette enceinte, permettrait en outre de traiter le problème récurrent de l'encombrement des entrées d'agglomération.
Je souhaite savoir si le Gouvernement compte proposer des aides financières aux collectivités pour ce type d'aménagements et si l'activation des ZFE pourrait être conditionnée à la présence de ces parkings relais.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur Savin, je partage cette idée cruciale : à aucun moment il ne faut donner à penser que la véritable raison d'être de cette mesure serait de limiter la mobilité de ceux qui vivent en milieu rural ou d'inciter ceux qui n'ont pas d'argent à ne pas se déplacer, sous prétexte que ce ne serait pas souhaitable.
Le risque existe que les zones à faibles émissions soient perçues comme le retour des octrois du Moyen Âge ou d'autres limitations semblables. J'entends ce qui se dit des ZFE et je ne considère pas comme une coïncidence le fait d'avoir à débattre après-demain, à l'Assemblée nationale, d'une proposition de suppression des ZFE dans le cadre de la niche du Rassemblement national ni le fait que la France insoumise ait demandé, la semaine dernière, la suspension de la mesure.
Je suis particulièrement attentif, depuis le premier jour, à placer au cœur de mes réflexions l'accompagnement solidaire de l'ensemble des habitants. Jean-Luc Moudenc a accepté d'animer, aux côtés de la vice-présidente de l'Eurométropole de Strasbourg, qui a mis en place une ZFE, un groupe de travail sur les mesures sociales à mettre en œuvre pour éviter les problèmes que vous décrivez.
Strasbourg est un exemple intéressant : la ville autorise son accès à toutes les motorisations vingt-quatre fois par an, indépendamment de la vignette, de manière à pallier le manque de disponibilité des véhicules autorisés et l'absence d'un marché de l'occasion assurant un reste à payer peu élevé.
La question des parkings relais est essentielle. Le fonds vert, que vous avez bien voulu adopter, consacre aux ZFE une enveloppe de 150 millions d'euros, comme Mme Lavarde a eu l'occasion de le souligner… (Mme Christine Lavarde sourit.) Dans ce cadre, les collectivités en dépassement de seuil toucheront 15 millions d'euros, celles établissant des ZFE sans dépassement obtiendront 6 millions d'euros et celles où des ZFE sont en projet percevront 1 million d'euros.
Ces fonds permettront de financer ou d'accompagner la nécessaire mise en place de parkings relais en entrée ou en sortie de ville, connectés à des transports en commun ou à d'autres types de mobilités.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Monsieur le ministre, j'entends bien votre réponse sur les crédits du fonds vert, mais il faut que l'État s'engage clairement auprès des collectivités. Ces dernières se voient dans l'obligation de mettre en œuvre la réglementation sans avoir les moyens de développer des modes de déplacement alternatifs à la voiture.
Tant que les collectivités n'auront pas mis en place de solutions de remplacement, les ZFE ne seront pas compatibles avec les territoires ruraux et de montagne. Elles entraîneront un vrai dysfonctionnement, une vraie séparation entre les collectivités, accentuant la rupture sociale. L'enjeu est important pour nos territoires. (M. Yves Bouloux approuve.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. Ne regardons pas la carte de France des quarante-trois ZFE susceptibles de se déployer à terme comme si elles étaient pleinement effectives pour toutes les voitures, sauf les véhicules électriques.
La réalité du terrain est qu'une dizaine de territoires seulement ont commencé à les mettre en place et que celles-ci concernent essentiellement les Crit'Air 4 et 5. Nous sommes loin de ce que certains décrivent.
Nous en sommes encore au temps de la pédagogie et de la construction des outils d'accompagnement.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le ministre, garantir la qualité de l'air et protéger par là même notre santé est absolument essentiel, comme l'avez souligné. Cela implique de réduire nos émissions polluantes contribuant à la formation de particules fines.
Les réflexions que nous avons échangées dans cet hémicycle sur les zones à faibles émissions furent intenses, ce qui démontre la complexité et, surtout, la nécessité de trouver des solutions efficaces.
Depuis dix jours, une nouvelle étape est franchie avec l'entrée en vigueur des restrictions ou interdictions de circulation des véhicules Crit'Air 5 dans certaines zones. Quand pourrons-nous disposer des premiers retours d'expérience des métropoles mettant en place une zone à faibles émissions, comme en Loire-Atlantique, par exemple, département que vous connaissez bien ?
Je m'interroge plus largement sur le parc automobile français et ses évolutions. Je pense notamment à la décarbonation et à la fin de la vente de véhicules thermiques neufs prévue en 2035. La volonté de bien faire ne se heurte-t-elle pas aux réalités techniques et entrepreneuriales françaises ? Certaines études mettent en doute la consommation en carburant des véhicules hybrides rechargeables sur longue distance, dès lors qu'ils ont épuisé leur faible autonomie électrique.
Nous nous interrogeons également sur la capacité des constructeurs français à créer des voitures électriques compétitives.
Enfin, le maillage territorial des bornes de recharge électrique et des stations hydrogène est loin d'être suffisant. Quels sont les obstacles à son développement ? Quelles sont les prochaines étapes envisagées pour son déploiement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur Guerriau, je ne pense pas que les bornes de recharge soient le véritable sujet. Leur déploiement avance vite, conformément aux ambitions retenues par tous les acteurs.
On en dénombre actuellement 82 000, en augmentation de 53% au cours des douze derniers mois. À ce rythme, nous atteindrons les 100 000 bornes ouvertes au public au cours du premier trimestre, voire du premier semestre en cas de léger ralentissement.
Nous en sommes même à 1,2 million en intégrant les points de recharge des entreprises et des parkings. De nouvelles obligations seront bientôt mises en place.
Le véritable enjeu est celui des bornes de recharge rapide pour la mobilité longue distance. Avoir la journée ou la nuit pour faire sa recharge est une chose, mais être capable de le faire au cours d'un trajet longue distance en est une autre.
L'année 2022 a consacré le lancement d'un appel à projets spécifique sur ces bornes de recharge très rapide, ce qui a permis de valider soixante-dix projets, allant de six à dix points de recharge hyper rapide, en ZFE. Le coût de ces installations ne représente qu'un tiers des 300 millions d'euros engagés dans le cadre de France 2030, sans même considérer les investissements privés susceptibles de voir le jour ailleurs.
Si ces points de recharge rapide retiennent notre vigilance, deux autres sujets essentiels touchent à l'industrie. Le premier concerne la prise de position de l'Europe sur la fin des moteurs thermiques ; le second consiste à s'assurer de l'absence de signaux contraires, afin que chacun comprenne que les efforts de recherche et développement doivent être consacrés au développement d'alternatives aux voitures thermiques. Il est indispensable de tenir ce cap en termes de discours et d'accompagnement.
Dans ce domaine, Français et Européens doivent sortir d'une sorte de naïveté. Au moment où le président Biden lance un plan qui, sous couvert de transition écologique, permet de subventionner ce qui se fabrique aux États-Unis, notre réflexion sur le soutien à l'électrification du parc automobile doit s'accompagner d'une forme de souveraineté, nationale ou européenne, en réservant une partie des aides à ce qui peut être produit sur notre territoire. C'est ce que je souhaite ; je ne doute pas que nous aurons l'occasion d'en reparler. (M. Joël Guerriau applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, vous avez raison d'insister sur l'essentiel : la pollution de l'air représente plus de 40 000 décès prématurés par an en France, 400 000 en Europe, et près de 500 à Strasbourg. Oui, les ZFE relèvent d'abord de l'écologie protectrice.
M. Daniel Breuiller. Exactement !
M. Jacques Fernique. Il est tout aussi essentiel de rappeler que les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) sont une réponse éprouvée en Europe, avec près de 270 zones effectives. Comme l'affirme à sa façon Bruno Bernard, à la métropole lyonnaise : "Ne pas faire un truc aussi simple qui existe dans [tant] d'autres villes européennes, c'est absurde !"
Ce "truc" est en effet "simple", mais il suppose un engagement fort de l'État aux côtés des collectivités. Or l'implication de celui-ci ne peut être considérée comme étant à la hauteur. Vous parliez, voilà quelques instants, de défaut de pédagogie : nous avons besoin d'une forte campagne nationale valorisant l'intérêt des ZFE. Il faut s'attaquer à l'idée fausse selon laquelle l'instauration de ces zones relèverait de simples initiatives locales, disparates et hasardeuses.
Pour les aides dédiées aux modes de transport alternatifs et à l'acquisition de véhicules moins carbonés, nous avons besoin de clarté et de moyens à la hauteur : guichet unique, prêt à taux zéro garanti à 100%… Strasbourg va incessamment décider d'abonder ses aides, déjà fortes, pour prendre en compte l'inflation. L'État doit se montrer à la hauteur.
Les ZFE seront un succès si un choc d'offre de transports collectifs vient répondre aux interdictions. Là aussi, l'État et la SNCF doivent être au rendez-vous. Depuis le 11 décembre, les Bas-Rhinois ne le ressentent pas ainsi : suppressions de trains, retards et fiasco, selon certains, du nouveau réseau express métropolitain, qui perd chaque jour en crédibilité. L'État doit peser sur la SNCF pour qu'elle réagisse rapidement.
Ce dernier n'a pas tenu son engagement d'assurer aux ZFE, en 2022, un système de contrôle-sanction automatisé. Il faut se reprendre vite et bien, en assurant le retour vers les collectivités concernées de l'essentiel du produit des amendes. Ainsi, Lyon attend un calendrier et des précisions pour l'affectation de ces recettes. Ne laissons pas se décrédibiliser nos ZFE en n'assurant pas le respect des règles nécessaires qu'elles instituent. (MM. Daniel Breuiller et Gilbert-Luc Devinaz applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Pour répondre au premier point de votre question très complète, monsieur le sénateur, le deuxième trimestre de cette année sera le temps de la pédagogie et des campagnes d'information. Nous rappellerons, au travers d'une campagne nationale, la finalité des ZFE, leur objectif, leurs modalités et la valorisation des vignettes Crit'Air.
Pour le deuxième point, relatif à l'accompagnement et à l'aide de l'État, 2023 coïncide avec la mise en place du prêt à taux zéro. Il manque seulement la garantie de l'État, même si ce n'est qu'une question de jours, pour que ce système fonctionne et éviter ainsi de se retrouver confrontés à un défaut de bancarisation, malgré une mise en place théorique.
Nous avons relevé les plafonds d'aides, en faisant en sorte, tant pour la prime à la conversion que pour le bonus écologique, de les élargir à la moitié des Français – sans entrer dans les détails, ce sont globalement les cinq premiers déciles qui ont droit aux aides maximales…
La surprime ZFE de 1 000 euros constitue une nouveauté. Elle peut aller jusqu'à 3 000 euros à partir du moment où les collectivités locales apportent un coup de main. Il existe aussi un dispositif de microcrédit.
La plupart de ces aides ne sont pas éligibles seulement pour le neuf, mais aussi pour l'occasion. Une partie d'entre elles concerne également les véhicules thermiques Crit'Air 1 afin de tenir compte à la fois de la disponibilité des véhicules, pour ceux qui se plaindraient du reste à payer, et de la crédibilité de l'ensemble.
Le contrôle-sanction automatisé ne sera pas disponible avant le second semestre de l'année 2024 – je l'ai dit dès le mois d'octobre dernier aux collectivités concernées. Nous devons passer ce marché sur le plan national, avec l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai). Ce contrôle reposera a priori sur la lecture de plaques d'immatriculation, ce qui suppose de concevoir un marché, à la fois en termes de configuration, de sécurisation des données, de flux et de fléchage vers les collectivités locales, dans le cadre de l'Union des groupements d'achats publics (Ugap). Les collectivités pourront ainsi se saisir d'un projet sur étagère, à charge pour elles de déterminer le nombre des installations et une partie de leurs caractéristiques techniques.
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Mises en place depuis les années 1990 dans plusieurs pays européens, les ZFE ont été rendues obligatoires en France par deux lois récentes : celle du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités et celle du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
En effet, le constat, que vous avez rappelé, est simple : l'air respiré dans les métropoles est néfaste pour la santé. Par conséquent, il est nécessaire de remplacer progressivement les véhicules les plus polluants par de plus écologiques et de faire appel à d'autres formes de mobilité, actives ou collectives, notamment avec le développement de lignes de covoiturage et de transports en commun repensés, allant des zones périurbaines aux agglomérations concernées.
Actuellement, onze métropoles ont rejoint le dispositif ; d'ici à 2025, les quarante-trois agglomérations de plus de 150 000 habitants de France métropolitaine, dont Brest, devront avoir créé leur ZFE et décidé du rythme d'interdiction des voitures en fonction de leurs vignettes Crit'Air.
Relever ce défi suppose une information claire, une coordination entre les différentes zones concernées ainsi qu'un éventail d'aides et de dispositifs dédiés à la réussite de cette politique. En ce sens, un référent interministériel sur les ZFE doit être nommé. De même, des groupes de travail doivent être mis en place, notamment sur l'harmonisation des règles des différentes ZFE pour les questions de transport et de logistique ou encore sur l'acceptabilité sociale. Le lancement, courant 2023, d'une campagne de communication à destination du grand public afin d'expliquer cette politique est également prévu.
Pourriez-vous nous préciser la composition de ces groupes de travail ainsi que leurs feuilles de route et leurs agendas ?
Pourriez-vous également revenir sur les différents dispositifs d'accompagnement des particuliers, des entreprises et des collectivités ? Quelles sont les aides à l'achat d'un véhicule à faibles émissions ? Parmi celles-ci, lesquelles rendront le "rétrofit", ou "rétrofitage", accessible au plus grand nombre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, deux groupes de travail, pilotés par la vice-présidente de l'Eurométropole de Strasbourg, Mme Jean, et par le président de la métropole de Toulouse, M. Moudenc, vont être créés, conformément à la proposition de France urbaine.
Nous partageons tous l'idée qu'il n'est pas absurde que l'État demande aux élus locaux, lorsqu'il leur transfère une responsabilité, des explications sur la mise en œuvre du dispositif, sur les manques avérés et sur les manières de l'améliorer.
Ces deux groupes de travail se réuniront pour la première fois le 12 janvier, soit le jour de la nomination du coordinateur interministériel. L'objectif est de consacrer, tous les deux mois, un temps spécifique à divers sujets, en particulier l'harmonisation et l'accessibilité sociales. La fin des travaux est prévue pour juin prochain, afin d'apprécier les mesures à mettre en œuvre.
La question du niveau des aides et du type d'accompagnement dont les collectivités bénéficient, ou souhaiteraient bénéficier, sera au cœur des discussions.
En ce qui concerne les aides, vous pouvez prétendre à un prêt à taux zéro depuis le 1er janvier 2023 si vous vivez dans une ZFE. De surcroît, vous bénéficiez d'une surprime à la conversion.
En sus de ces deux dispositifs spécifiques aux ZFE, les aides classiques à l'électrification du parc valent également. Je pense à la prime à la conversion, d'un montant de 6 000 euros à la fois pour les deux premiers déciles et pour les cinq premiers déciles de la catégorie "gros rouleurs", de 4 000 euros pour les véhicules thermiques, de 1 000 euros pour les véhicules d'occasion.
Je pense également au bonus écologique, rehaussé à 7 000 euros pour les cinq premiers déciles. Une surprime est accordée aux habitants d'une commune ou d'une intercommunalité concernée par une ZFE ou à ceux qui travaillent dans une telle zone.
Je pense enfin au microcrédit, dans la limite de 8 000 euros, qui peut se cumuler avec les dispositifs que j'ai mentionnés.
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Depuis de nombreuses années, nous savons que la pollution atmosphérique a des conséquences néfastes sur la santé humaine.
Santé publique France estimait en 2021 à 40 000 le nombre de décès prématurés par an dus à la pollution de l'air. Dans le Grand Lyon, métropole où je vis, plus de 15 000 personnes sont exposées à un niveau excessif de dioxyde d'azote.
Il y a urgence et la France est à la traîne ! Or la mise en place de ces ZFE se fait plus ou moins difficilement selon les territoires. Les collectivités ont besoin du soutien de l'État pour assurer le succès du dispositif.
La répétition étant l'art de la pédagogie, j'aimerais avoir si le Gouvernement prévoit de mettre en œuvre un plan de communication national afin de sensibiliser l'ensemble des citoyennes et des citoyens et de lever les ambiguïtés sur les réels objectifs d'une ZFE, que vous avez soulevées, monsieur le ministre, dans votre propos introductif.
Le Gouvernement prévoit-il d'autoriser le déploiement de moyens de contrôle et de rendre ainsi les ZFE réellement efficaces ?
Envisagez-vous d'instiller de la souplesse pour permettre aux populations éloignées des centres métropolitains et ne disposant ni de transports en commun ni des moyens financiers nécessaires pour changer de véhicule, d'y accéder sous certaines conditions, comme le préconisait la mission flash de l'Assemblée nationale sur les mesures d'accompagnement de la création de zones à faibles émissions mobilité ? À ce titre, le cas de Strasbourg me semble très intéressant.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, la communication est théoriquement obligatoire dans les mois qui suivent la mise en place d'une nouvelle ZFE par une collectivité territoriale.
Toutefois, nous avons bien compris la limite de ce dispositif. Certaines personnes faisant probablement moins attention aux panneaux d'affichage que d'autres, alors qu'il s'agit des moyens d'expression des collectivités locales, et la pédagogie étant bien l'art de la répétition, je vous confirme qu'une campagne nationale beaucoup plus forte a vocation à être menée au deuxième trimestre de cette année. J'y associerai le groupe des quarante-trois présidents d'agglomération pour étudier avec eux les arguments à mettre en avant et les éléments sur lesquels nous devons insister.
Cette communication est importante pour rappeler la finalité de la mesure et pour ne pas la laisser dépeindre comme recherchant un objectif de forte exclusion, même si j'ai conscience que ce risque existe.
Vous m'interrogez sur l'accompagnement des collectivités, en particulier sur les moyens de rendre effectives les ZFE. Tout l'enjeu – j'ai eu l'occasion de le préciser – consiste à se donner les moyens de construire des dispositifs clef en main dont les collectivités pourront se saisir pour assurer le contrôle automatisé du respect des zones à faibles émissions. Celles qui ne souhaiteraient pas un tel contrôle pourraient d'ailleurs s'en passer : les agents de surveillance de la voie publique (ASVP) à Lyon, par exemple, comme partout en France, sont déjà habilités à sanctionner le non-respect d'une ZFE-m.
Il faut suivre, en matière de moyens automatisés, des procédures relevant de l'Antai, mais pas seulement. Nous nous penchons actuellement sur cette question. Nous voulons que les solutions retenues permettent d'intégrer dans la future base de données les véhicules des personnes en situation de handicap, qui ne sont pas concernés par le dispositif, les véhicules anciens et les véhicules utilitaires qui bénéficieraient d'exonérations.
Vous m'interrogez également sur l'accessibilité sociale. L'enjeu, je vous le confirme, est d'éviter toute situation d'exclusion. C'est la raison pour laquelle nous mettons en place un groupe de travail, de même que nous suivons de près l'initiative strasbourgeoise.
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. La question des ZFE, dont nous débattons aujourd'hui, concerne principalement les métropoles.
Pour autant, la pollution atmosphérique touche tout le monde. Les conséquences néfastes sur l'environnement dépassent d'ailleurs le cadre de nos seules frontières.
Les ZFE poussent à l'interdiction de l'usage de véhicules polluants, qui sont souvent ceux des ménages à faibles ressources. Il s'agit fréquemment du seul moyen de transport disponible pour se rendre au travail, étudier ou se faire soigner.
Nous ne pouvons nous contenter d'interdire ; il nous faut également assurer la transition des mobilités en la soutenant davantage. Dès lors, la question du coût nous paraît centrale.
Je prendrai un exemple simple, celui de la performance économique du fret ferroviaire. En raison de la flambée actuelle du prix de l'électricité, le transport ferroviaire aurait avantage à faire rouler des locomotives diesel sous caténaire plutôt que d'utiliser l'énergie électrique. Le chantier de transport combiné de la plateforme de Rennes est ainsi contraint d'envisager un surcoût du transport ferroviaire, alors que le mode diesel reviendrait beaucoup moins cher.
Les entreprises en reviennent donc forcément à des modes de transport plus polluants. Il en va ainsi des liaisons entre Rennes et le sud-est de la France, tandis qu'un autre projet est singulièrement avancé entre Rennes et Lille pour des marchandises partant de la campagne et à destination de ces mêmes villes.
Monsieur le ministre, ne serait-il pas temps d'envisager des dispositions spécifiques afin de ne pas contrarier les projets de transport vertueux ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur Lahellec, vous allez m'obliger à citer une nouvelle fois un rapport sénatorial. (Sourires.)
En effet, l'excellent rapport d'information Comment remettre la SNCF sur rail ? s'intéressait aux moyens de doubler la part du fret ferroviaire en France pour revenir dans la moyenne européenne. À se pencher sur les préconisations formulées par les sénateurs, dont certains sont ici présents, la question du coût n'est pas l'élément déterminant pour bloquer le déploiement du fret ferroviaire.
Un rendez-vous important se tiendra sans doute à la fin de ce mois : la remise du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI). Ce sera une bonne occasion de mesurer notre degré d'ambition ferroviaire. À ce titre, je ne me tourne pas seulement vers Didier Mandelli, dont chacun se souvient du travail sur la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, ni vers Philippe Tabarot, qui a été membre de cet organisme.
Pour aller plus loin, deux questions sont incidemment posées.
En premier lieu, il faut examiner les suites à donner à la LOM. Les fameux RER métropolitains sont des éléments de réponse. Ils apportent une offre de substitution dans les territoires les plus denses, donc dans les ZFE.
En second lieu, et plus largement, se pose la question du fret. La régénération du réseau est positive pour tous les trains, fret compris. Si certaines difficultés peuvent être liées à cette régénération sur les plateformes, d'autres sont liées à l'existence d'une centaine de sociétés différentes exploitant les wagons de fret et dont les systèmes d'accroche ne sont pas automatisés, ce qui provoque des troubles musculo-squelettiques pour les personnes qui les manœuvrent et entraîne des temps de logistique qui ne sont pas nécessairement adaptés.
Votre question prolonge notre débat en ce que le développement du fret permet de diminuer la circulation des poids lourds sur notre territoire et pas uniquement à l'intérieur des ZFE. Si cet enjeu n'est pas en lien direct avec notre discussion, il s'inscrit bien dans une lutte plus large, à la fois pour la décarbonation et contre les pollutions.
Je vous donne donc rendez-vous dans quelques semaines, monsieur le sénateur, pour poursuivre cette réflexion au moment de nous pencher sur la question du ferroviaire.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. L'instauration de ZFE dans les grandes métropoles françaises est liée à un objectif clair de santé publique. Chacun connaît les effets de la pollution – qui entraîne 40 000 décès chaque année – sur la santé humaine.
La multiplication des ZFE dans les prochaines années suppose néanmoins une meilleure acceptation sociale. La transition écologique ne pourra se réaliser ni être imposée dans un contexte de rejet.
À l'heure actuelle, cette acceptation rencontre des obstacles. Dans une partie des plus grandes métropoles de l'Hexagone, les réseaux de transport en commun demeurent insuffisamment développés pour permettre aux habitants de se déplacer rapidement, particulièrement dans les communes périurbaines qui ne bénéficient pas, contrairement aux centres-villes, d'une offre de transport public adaptée. Dans ces communes à dominante pavillonnaire, éloignées des zones d'emploi, l'utilisation du véhicule personnel relève dès lors d'une nécessité.
Une fois ce constat dressé, il nous faut urgemment résoudre l'équation financière. Les dispositifs existants en matière de transition vers des véhicules propres, y compris la surprime dans les zones à faibles émissions, ne peuvent constituer une aide suffisante pour les millions de ménages modestes concernés. La diminution du prix des véhicules électriques, annoncée depuis plusieurs années, ne se matérialise que lentement ; or ce coût important constitue une barrière difficilement franchissable pour nos concitoyens les moins aisés.
Dès lors, monsieur le ministre, ma question est très simple : comment le Gouvernement compte-t-il améliorer l'accompagnement financier des ménages les plus modestes dans l'acquisition de véhicules propres ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur Longeot, je souscris à tous vos propos, sauf pour dire que la question est simple… (Mme Annick Jacquemet et M. Jean-François Longeot acquiescent.) Si tel était le cas, nous aurions déjà trouvé des consensus nous permettant d'y répondre.
Au regard du nombre de personnes qui considèrent que l'écologie punitive est l'ennemie de l'écologie et que conduire une politique de transition écologique contre les Français n'entraîne ni transition écologique ni adhésion,…
M. Laurent Duplomb. C'est pourtant ce qui se passe !
M. Christophe Béchu, ministre. … mieux vaut chercher à inciter plutôt qu'à contraindre. Nous devrions tous, de bonne foi, nous retrouver sur cette position.
Des injonctions contradictoires transparaissent très concrètement : je les assume. On ne peut attendre des secteurs industriels concernés qu'ils soient matures alors qu'ils veulent savoir avec certitude si certaines lois vont entrer en vigueur avant de développer ou de mettre en place une partie de leur recherche et développement…
Où est la solution ? Elle se trouve à mi-chemin entre ceux qui exigent la mise en place immédiate des radars afin de sanctionner rapidement et ceux qui appellent à ne pas les installer. La voie intermédiaire consiste à conserver les dates prévues, à adopter les mesures d'accompagnement et à miser sur deux éléments.
Le premier élément, c'est la mise en place d'un marché des véhicules hybrides et électriques de seconde main. Dans quel monde les ménages achètent-ils des voitures neuves ? Dans notre pays, l'âge moyen des propriétaires de voitures neuves est de 57 ans. Or ces propriétaires appartiennent rarement aux deux derniers déciles. On se retrouve donc avec des aides laissant un reste à payer inatteignable pour les plus fragiles compte tenu du prix des véhicules électriques. C'est la raison pour laquelle il est si important de développer la seconde main.
Le second élément, c'est la mise à disposition de véhicules de plus petit gabarit. Il s'agit du chaînon manquant dans la mesure où nous savons tous qu'il est impossible de développer un réseau de transports en commun à même de se substituer totalement à la voiture individuelle dans les 36 000 communes de ce pays.
Dans les zones denses, il est souhaitable de développer les transports en commun pour les rendre plus performants. Mais ce serait une aberration, notamment écologique, de faire rouler des cars à vide dans des secteurs où il serait préférable de se tourner vers une voiture propre ! L'alternative n'est pas toujours envisageable.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur le manque de lisibilité et de prévisibilité globale des ZFE-m qui handicape les entreprises et les transporteurs dans leurs décisions de renouvellement de flotte.
En effet, si le cadre législatif laisse aux métropoles une grande souplesse pour déterminer le calendrier de mise en œuvre, les conditions d'accès aux zones et les mesures d'accompagnement, cette flexibilité entraîne surtout une forte différenciation d'une métropole à une autre.
Aussi, quand la majorité d'entre elles, à l'instar de la métropole bordelaise, dont je suis issue, n'en sont qu'à la phase de concertation, la métropole de Grenoble interdit dès à présent la circulation des véhicules utilitaires légers et poids lourds non classés, Crit'Air 5, 4 et 3.
C'est pourquoi, en sus d'approfondir le processus d'harmonisation des mesures à l'échelon national, il est primordial que vous répondiez plus concrètement aux difficultés structurelles que rencontrent les professionnels dans leur adaptation aux nouvelles normes imposées par ces ZFE.
En effet, leur parc, composé quasi exclusivement de véhicules diesel classés au mieux Crit'Air 2, est tributaire d'une offre industrielle de véhicules classés 0 ou 1 encore très réduite, notamment sur les segments des véhicules les plus lourds et ayant besoin d'une autonomie élevée.
Ajoutez à cela d'importants délais de livraison, des coûts d'acquisition élevés et des incertitudes sur la disponibilité et l'avitaillement en énergies alternatives, et vous aurez autant de raisons de trouver une voie de négociation avec les métropoles afin d'obtenir des délais de mise en œuvre. Merci de m'éclairer sur vos orientations en la matière.
Enfin, pouvez-vous m'indiquer, monsieur le ministre, s'il est envisageable que l'État mette en place, sur le modèle de la transition énergétique des logements, différents opérateurs pouvant accompagner les entreprises, en qualité de tiers financeurs, dans leurs décisions de renouvellement des flottes ?
Cette démarche incitative permettrait un recours simplifié et plus économique au rétrofitage, par exemple, mais aussi la baisse des coûts de production des véhicules Crit'Air 0 ou 1 ainsi qu'une diminution du reste à charge des demandeurs, lequel est toujours aussi élevé malgré les subventions de l'État et des territoires.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Delattre, je vous remercie de cette question, qui me permet de me concentrer sur les véhicules professionnels.
Avant de répondre plus précisément, je vous rappelle qu'il existe des aides spécifiques pour les artisans. Je parle d'une enveloppe de 9 000 euros dans le cadre de la prime à la conversion, d'un bonus écologique, qui peut monter jusqu'à 4 000 euros, et de la surprime ZFE pour la prime à la conversion, qui peut elle-même monter jusqu'à 3 000 euros. Ensuite, il existe un dispositif spécifique pour les poids lourds, avec un appel à projets coordonné par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) permettant un accompagnement jusqu'à 100 000 ou 150 000 euros par véhicule lourd dans le cadre de la mutation d'une flotte logistique.
Je passe rapidement sur ces aides, qui ne sont pas le cœur de votre question. Vous m'interrogez en effet, d'un côté, sur l'harmonisation, de l'autre, sur la façon d'accompagner la filière, indépendamment de ces aides.
L'harmonisation va être au cœur des préoccupations des groupes de travail animés par Mme Jean et M. Moudenc, qui pourront s'appuyer sur l'Ademe et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) ainsi que sur le secteur de la logistique. Il est primordial d'intégrer les professionnels à ces groupes de travail pour faire remonter leurs préoccupations, comme vous venez de le faire, madame la sénatrice, sur la difficulté de procéder à un changement de motorisation.
L'âge moyen du parc professionnel est un peu moins élevé que celui du parc des particuliers. La raison en est simple : plus une voiture est vieille et plus elle consomme et le prix de l'essence étant l'un des éléments de leur compétitivité, les entreprises ont plutôt tendance à rajeunir leur parc. Il s'agit donc de problématiques différentes.
En ce qui concerne le tiers financement, je vous avoue que je m'interroge. Dans quelques jours, ce n'est pas un secret, le Gouvernement va soutenir une proposition de loi, qu'il avait appelée de ses vœux, sur le tiers financement pour la rénovation thermique des bâtiments des collectivités locales. Pourrait-on imaginer un dispositif du même type pour le rétrofitage ? La question est ouverte…
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Garnier. Monsieur le ministre, comme toutes les grandes métropoles françaises, Nantes devra mettre en place une ZFE au plus tard le 31 décembre 2024.
Sur le plan purement environnemental, cela peut apparaître comme une bonne nouvelle pour la santé des Nantais. Toutefois, dès le lendemain, c'est-à-dire le 1er janvier 2025, la dérogation accordée pour l'atterrissage des avions à Nantes Atlantique tombera. De ce fait, de nombreux avions survoleront Nantes, une ville que vous connaissez bien, et notamment des quartiers comme Graslin, l'Erdre, Bretagne, qui comptent des dizaines de milliers d'habitants.
Monsieur le ministre, convenez qu'il va être difficile pour nous de parler de zones à faibles émissions, dès lors que les émissions toxiques liées au transport aérien vont remplacer celles du transport routier. Le Président de la République a fait le choix, voilà quelques années, d'abandonner le projet de transfert et de maintenir l'aéroport à proximité du centre-ville. Les Nantais vont donc en subir directement les conséquences en matière de qualité de l'air dans les prochaines années.
Monsieur le ministre, aurons-nous à Nantes une vraie ZFE ou bien une ZFE en trompe-l'œil, les particules fines des avions venant remplacer celles des voitures ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame Garnier, curieusement, il arrive souvent que je sois très surpris par les questions d'élus proches géographiquement de mon territoire. (Sourires.) Je m'attendais à beaucoup de questions, mais pas à celle-là !
J'en avais préparé d'autres, qui ne m'ont pas encore été posées, en particulier sur les ports. En effet, des maires m'ont fait savoir qu'ils souhaitaient des mesures à ce sujet. C'est un dossier que nous ouvrons : il s'agit de nous assurer que les efforts entrepris pour l'électrification des ports ne se traduisent pas par l'émission de particules fines venant des bateaux à quai.
Dois-je comprendre, madame Garnier, que vous nous suggérez de prolonger les dispositifs applicables à l'aéroport Nantes-Atlantique et arrivant à échéance ? Ou souhaitez-vous que nous menions un travail spécifique sur ce point ? Je suis bien évidemment ouvert à cette dernière hypothèse.
Notre sujet est non pas de nous interroger sur l'origine des émissions, mais bien de mesurer les impacts positifs. La seule chose que je puisse dire, à la minute où je vous parle, c'est que les territoires qui ont déjà été obligés d'instaurer une ZFE étaient en dépassement de seuils. Nantes n'est pas dans ce cas.
Je suis à votre disposition, tout comme à celle de Mme la présidente de la métropole nantaise, pour prolonger cette discussion. Je vous confirme que la circulation automobile n'est pas seule en cause. Il est d'autres types de pollution auxquels le Gouvernement s'attaque avec la même ardeur.
Quand nous mesurons les seuils pour savoir si un territoire doit passer en ZFE, nous ne distinguons pas les sources de pollution. En revanche, nous nous attachons à évaluer l'impact des ZFE déjà mises en place. Pour l'instant, la seule pour laquelle nous disposons d'un minimum de recul, c'est celle de Paris, où l'on estime que 50 000 à 100 000 habitants sont sortis des seuils de pollution.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.
Mme Laurence Garnier. Monsieur le ministre, vous avez dit à plusieurs reprises qu'il allait falloir faire preuve de pédagogie pour expliquer cette réforme. Vous comprenez qu'il va être difficile d'expliquer aux Nantais qu'il y aura, demain, les bonnes particules fines, liées aux passages des avions, et les mauvaises particules fines, liées à la circulation automobile !
Je suis bien évidemment ouverte à votre proposition de rencontre et d'échange. Le sujet mérite d'être étudié de près pour garantir aux Nantais la qualité de l'air qu'ils appellent de leurs vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. Je n'aimerais pas que l'on nous prête, à l'un et à l'autre, des propos que nous n'aurions pas tenus : à la minute où nous parlons, ni vous ni moi ne disposons d'éléments nous permettant de dire que la situation va se dégrader à l'échéance que vous avez évoquée, ni dans quelle proportion.
Notre souci commun est la santé des habitants. Nous devons donc être en mesure de déterminer la part de chaque source potentielle de pollution en particules fines ou en dioxyde d'azote.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, la mise en place de zones à faibles émissions est une nécessité qui réclame beaucoup d'anticipation. En effet, la ZFE mobilité va contraindre un grand nombre de nos concitoyens à moins utiliser leur voiture thermique, trop ancienne.
S'il s'agit d'une bonne chose non seulement pour la décarbonation de notre mode de vie, mais surtout pour l'amélioration de la qualité de l'air, ce qui est tout de même le but premier de ce dispositif, c'est aussi une très mauvaise nouvelle pour ceux qui n'ont aucun autre moyen personnel de se déplacer. C'est le cas notamment des personnes habitant dans les villes, ou en périphérie de villes, où les transports en commun et les mobilités dites douces sont à la peine actuellement.
Dans certains territoires, l'offre de transports en commun s'est réduite avec la crise du covid-19. La situation s'est ensuite aggravée avec les difficultés de recrutement de chauffeurs et le coût de l'énergie. Les services ne fonctionnent pas à plein et n'ont pas retrouvé partout le niveau d'avant-covid. Or il est légitime que tous les citoyens puissent trouver des solutions pour leurs déplacements quotidiens. Monsieur le ministre, avez-vous envisagé des consultations citoyennes à même d'accompagner sereinement cette transition ?
Si les transports publics relèvent de la compétence des collectivités, nous savons très bien que certaines d'entre elles n'offrent pas encore toutes les alternatives utiles, faute d'investissement.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire concrètement comment l'État compte aider les collectivités à court, moyen et long terme pour développer les solutions alternatives au "tout-voiture" ? Je veux parler de véritables pistes cyclables et de cheminements de piétons dignes de ce nom.
Enfin, si nous voulons que le calendrier soit respecté et que l'acceptabilité sociale soit assurée, il faut que l'instauration des ZFE soit juste. Les vignettes Crit'Air le sont-elles ? C'est une question que l'on peut légitimement se poser, sachant qu'elles n'intègrent, par exemple, ni la masse ni la consommation du véhicule.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, j'ai déjà répondu sur la question de la pédagogie ; je vais donc me concentrer sur les modes de transport alternatifs à la voiture que vous avez évoqués et sur la façon d'accompagner ces usages.
Il faut être juste, tout n'est pas seulement de la faute des collectivités locales ou de l'offre. Le vrai sujet, c'est que nous n'avons pas retrouvé le niveau de fréquentation pré-covid, même là où l'offre est restée comparable. Certains de nos concitoyens se méfient et ne veulent pas se retrouver à touche-touche dans des transports en commun. Je le répète, à offre constante, la fréquentation a reculé dans un certain nombre d'endroits.
Au-delà de ce constat, nous savons que les besoins d'investissement sont importants, d'où la relance de l'appel à projets pour les transports en commun en site propre.
Je souhaite également évoquer deux programmes, qui ne sont pas du tout mineurs : d'une part, le plan Vélo, qui s'élève à 250 millions d'euros en 2023, soit le double de la moyenne de ces quatre dernières années, d'autre part, le plan covoiturage, doté de 200 millions d'euros, mis en œuvre cette année.
Nous sommes convaincus que la lutte contre l'autosolisme et le recours aux solutions souples est l'un des moyens les plus sûrs d'être au rendez-vous climatique, sans bouleverser notre parc. De ce point de vue, nous constatons des résultats spectaculaires dans un certain nombre de collectivités, en particulier dans celles où une aide financière a été mise en place pour accompagner le covoiturage, soit précisément ce que le Gouvernement entend soutenir.
La suite, ce sont les infrastructures et les réflexions sur un certain nombre de sujets dans le cadre de la planification écologique. Certains préconisent que l'on donne aux élus locaux la capacité de faire davantage en autorisant, par exemple, le relèvement du versement transport, impôt s'appuyant sur la masse salariale des entreprises pour financer les réseaux de transport sur tout notre territoire.
Faut-il aller plus loin ? La question est ouverte : je pense que le taux de TVA réduit de 5,5 % sur les transports est une excellente idée en ce qu'elle permet de redonner du pouvoir d'achat ou du soutien à l'investissement dans les territoires.
Nous devons bien évidemment concentrer notre action non seulement sur les voitures thermiques, mais aussi sur les autres mobilités qui permettent de les remplacer.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, je n'incriminais pas du tout les collectivités. Je vous interpellais sur la nécessité d'un choc de l'offre : les pistes cyclables en France ne sont pas au niveau que nous pourrions attendre. Si peu de gens les utilisent, c'est souvent pour des questions de sécurité.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Angèle Préville. Nos concitoyens doivent pouvoir utiliser leur vélo en toute sérénité.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. Je partage votre constat, mais il est assez rare que l'on décide d'une piste cyclable à l'échelon du ministère.
Le plan Vélo est là pour répondre aux éventuels besoins financiers, mais le déficit de volonté politique ne dépend pas que du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog.
Mme Christine Herzog. Monsieur le ministre, en mai dernier, Martine Filleul et moi-même avons remis un rapport d'information sur la mise en place des ZFE mobilité au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Nous y préconisions une phase de concertation entre l'État et les collectivités territoriales.
La nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre fait consensus, mais la mise en œuvre pose question. Comment ? Quand ? Avec quel argent et, surtout, selon quelle communication ? Nos concitoyens se posent mille questions avant de passer à l'achat d'un véhicule électrique.
Qui dit ZFE mobilité dit renouvellement du parc automobile. L'idée de supprimer les véhicules est donc clairement sous-jacente, mais comment se passer d'un véhicule pour aller au travail ? C'est une réalité du monde rural trop souvent oubliée.
Même avec une aide à la conversion de 19 000 euros, l'achat d'un véhicule électrique, qui coûte au moins 30 000 euros, représente une dépense trop importante. Les jeunes qui entrent dans la vie active ne peuvent se le permettre : ils prévoient en moyenne 5 000 euros pour l'achat d'un premier véhicule. Aussi, ce sont principalement les petits revenus urbains et ruraux qui se trouvent pénalisés.
Où sont les bornes ? Comment les financer ? Quid de l'aménagement des parkings extérieurs et souterrains de copropriété ? Combien de bornes de recharge allez-vous faire installer en milieu urbain et rural pour assurer la mise en conformité sans taxer les communes ?
Que vont devenir les stations-service ? Va-t-on envisager, comme en Chine, des stations de recharge de batteries ? Y aura-t-il un modèle universel de batterie ou seront-elles différentes selon les constructeurs ? Comment faire pour les déplacements des travailleurs frontaliers, par exemple de Moselle, qui travaillent à l'étranger ?
Les Français ont besoin de savoir. Nous devons sortir de la science-fiction pour retomber dans le réel.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Herzog, compte tenu du temps dont je dispose, et si vous me le permettez, je ne reviendrai pas sur les dispositifs d'aide que vous avez mentionnés. Il est essentiel de disposer de cette offre de seconde main, dont je parlais précédemment, et de modèles plus adaptés.
Vous avez évoqué un sujet dont on parle très peu, celui des stations-service. Je veux rappeler à cet égard qu'il existe un dispositif spécifique pour permettre aux stations-service indépendantes qui délivrent moins de 2 500 mètres cubes d'essence par an de bénéficier d'un taux de subvention de 60% à 70% pour s'équiper en bornes de recharge. C'est typiquement une mesure qui va faciliter la conversion en milieu rural. C'est concret, c'est tangible, et cela existe depuis la loi de finances rectificative pour 2021.
En parallèle, la stratégie de la haute recharge s'impose ; elle doit s'accompagner d'une réflexion sur les aires d'autoroute et les mobilités transfrontalières. Le fait d'avoir des constructeurs principalement européens et des standards arrêtés à l'échelon européen tend à effacer les frontières administratives, le modèle étant globalement le même partout en Europe.
La plus grande station de recharge rapide va ouvrir au mois d'avril prochain, à Madeleine-Tronchet, et représentera l'équivalent de 500 postes de recharge. Nous avons quantité d'autres dispositifs de ce type dans les tuyaux. Nous réfléchissons notamment au branchement de bornes de recharge rapide sur des sites de production d'énergies renouvelables répartis sur l'ensemble du territoire.
Une entreprise très innovante a levé beaucoup de fonds pour développer un système très prometteur, avec des capacités de recharge électrique très rapide partout en France. Il s'agirait du meilleur élément de réponse aux problématiques que nous sommes en train d'évoquer – je ne ferai pas de publicité dans l'hémicycle, mais je serai à votre disposition à l'extérieur. (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Elsa Schalck. Monsieur le ministre, la question de l'acceptabilité sociale est primordiale s'agissant des zones à faibles émissions.
Nous avons toujours insisté, au Sénat, sur l'impérieuse nécessité d'anticiper les aides financières à déployer, de renforcer les mesures d'accompagnement, d'agir de manière progressive et non à marche forcée. Autant de conditions pour éviter que les ZFE, qui sont des outils pour combattre la pollution atmosphérique, ne se transforment in fine en "zones à forte exclusion".
Actuellement, il demeure un reste à charge trop élevé pour un grand nombre de ménages, notamment les plus modestes, les jeunes actifs et ceux qui sont éloignés des transports en commun. Il en est de même pour les entreprises, en particulier les commerçants et les artisans, déjà fortement fragilisés par la conjoncture. Faisons attention à la césure qui pourrait s'accentuer entre les milieux urbain, périurbain et rural.
En voulant laver plus vert que vert, certains territoires se dirigent malheureusement tout droit vers une ZFE restrictive et punitive. Nous avons de nombreux débats au sein de l'Eurométropole de Strasbourg, où il a été décidé, contre l'avis de certains maires, d'appliquer le dispositif à l'ensemble des communes de manière uniforme et d'interdire, dès 2028, les Crit'Air 2, c'est-à-dire tous les diesels, soit 38 % du parc automobile.
À cet égard, monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur le système de vignettes, qui peut susciter un sentiment d'incompréhension et d'injustice.
Comment expliquer qu'une Porsche essence neuve consommant 11 litres aux 100 kilomètres soit classée Crit'Air 1, quand une Clio de 2005, qui consomme 5 litres aux 100 kilomètres, est classée Crit'Air 4 ? Nous le savons, certains critères importants, comme la puissance, le poids, la consommation, l'entretien du véhicule ne sont pas pris en compte.
Quelles aides financières concrètes le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour rendre socialement acceptable le dispositif de ZFE ? Comment comptez-vous faire évoluer le système des vignettes pour le rendre plus juste ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, vous avez raison : la vignette Crit'Air ne repose aujourd'hui que sur les deux sources de pollution qui nous préoccupent particulièrement, à savoir les particules fines et le dioxyde d'azote. Plus nous avançons, plus la connaissance scientifique s'affine. Nous avons ainsi compris que plus un véhicule est lourd, plus il est susceptible de générer des particules fines au moment du freinage. Cette abrasion pourrait donc aussi être prise en compte.
L'Europe va y remédier avec la nouvelle norme Euro 7, qui ne manquera pas de susciter chez certains constructeurs et, sans doute, certains législateurs, des interrogations sur l'utilité d'ajouter des normes aux normes et sur les délais accordés pour leur mise en œuvre. Cependant, c'est bien la réponse à la question que vous posez.
L'enjeu est d'appliquer des normes identiques à tous les constructeurs, partout en Europe. Nous aurons alors sans doute à nous pencher de nouveau sur notre dispositif vignettes, mais le faire par anticipation n'aurait pas de sens.
Disons-nous les choses clairement : il est peu probable qu'un véhicule Crit'Air 5 puisse devenir Crit'Air 1, quelle que soit la nouvelle norme. La question se posera plutôt pour les véhicules tangents, ceux qui pourraient basculer d'un côté ou de l'autre. Il s'agit non pas de "sauver" les véhicules dont le caractère polluant est avéré, mais de constater que certains de ceux qui étaient considérés comme propres ne le sont pas tant que cela.
Là aussi, je plaide pour une forme de progressivité. Un certain nombre d'entre vous ont expliqué que les choses ne devaient pas se faire à marche forcée. Il faut à la fois avoir les yeux rivés sur ce que l'on apprend et éviter d'accélérer un calendrier qui, à certains égards, est déjà difficile à tenir et se heurte à des critiques.
Si nous voulons faire ces ZFE, il faut assumer le discours tel quel, tenir le calendrier, faire de la pédagogie, réaliser l'accompagnement. C'est la raison pour laquelle nous devons nous appuyer sur les suggestions des élus. La comparaison entre les territoires peut aussi être instructive : certains mettent place un dispositif fonctionnant sept jours sur sept quand d'autres préservent le soir et le week-end ; certains prennent des mesures pour l'ensemble du territoire quand d'autres les réservent aux cœurs de ville plus denses. Nous apprendrons de l'analyse de toutes ces expériences.
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre, 40 000 décès par an sont attribués aux particules fines : c'est trop, pour ne pas dire insupportable !
Inciter à l'usage des modes de transport alternatifs est nécessaire, mais encore faut-il qu'ils existent. Je pense ainsi aux artisans, qui sont particulièrement inquiets. À ce jour, leur parc utilitaire est quasi exclusivement composé de véhicules diesel. Les alternatives électriques sont encore rares et très onéreuses, bien que des aides spécifiques leur aient été accordées. Il faut tout de même savoir que beaucoup d'entre eux ont fait l'acquisition d'une camionnette d'occasion dont la valeur est inférieure au coût du rétrofit.
Leur activité ne peut être mise en péril, alors qu'aucune solution alternative crédible n'est proposée. Il existe un véritable risque de désorganisation des modes d'acheminement des marchandises et de disparition de la main-d'œuvre dans le cœur des villes.
Un rapport de l'Assemblée nationale proposait des solutions, comme le report du passage aux véhicules Crit'Air 0 ou 1 en fonction de la disponibilité des solutions alternatives ou la création d'un guichet unique centralisant les aides nationales et locales, pour une meilleure visibilité.
Monsieur le ministre, allez-vous tenir compte de ces préconisations pour accompagner au mieux les artisans et les petites entreprises du bâtiment ? Avez-vous d'autres pistes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Filleul, à la minute où je vous parle, le Gouvernement n'a instauré aucune obligation en ce qui concerne les véhicules utilitaires.
Les mesures que vous évoquez sont le fait de collectivités qui ont souhaité harmoniser les mesures s'appliquant aux véhicules légers et aux utilitaires.
Nous avons pris les devants, compte tenu des décisions d'un certain nombre de territoires, et mis en place des aides. Toutefois, nous ne poussons pas pour accélérer la mise en place d'obligations qui ne figuraient pas dans la loi.
Je comprends la cohérence qui conduit des élus à aligner les artisans sur les particuliers, mais, j'y insiste, le Gouvernement avait justement décidé de laisser de la souplesse pour permettre au dialogue local de prendre toute sa place.
Les aides servent précisément à accompagner les artisans. L'âge moyen de leur parc de véhicules est différent de celui des particuliers. Plusieurs soucis se posent : quid, par exemple, des dépanneurs qui ne pourraient plus accéder aux centres-villes, faute d'un véhicule adapté ? Toutes ces questions seront au cœur des travaux du groupe de concertation spécifique d'harmonisation qui va se mettre en place.
Pour résumer, nous mettons en place des aides, mais nous ne pouvons adoucir le calendrier prévu pour les véhicules utilitaires légers, puisque celui-ci n'existe pas !
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.
Mme Martine Filleul. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais il faudrait que le Gouvernement communique officiellement sur l'existence d'une dérogation homogène et transitoire pour les véhicules des professionnels ne disposant d'aucune solution alternative crédible.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre, l'instauration des zones à faibles émissions mobilité, en particulier celle de la région Île-de-France, suscite la vive inquiétude des chefs d'entreprise et artisans, qui voient se dresser devant eux un mur écologique et économique.
Le durcissement des règles, entériné par le comité ministériel sur les ZFE du 25 octobre dernier, a été particulièrement mal vécu. De nouvelles restrictions d'accès aux soixante-dix-sept communes situées à l'intérieur du périmètre de l'autoroute A86 doivent également s'appliquer à partir du 1er juillet 2023. Elles risquent de provoquer un naufrage économique pour les 100 000 entreprises franciliennes des secteurs du bâtiment, des travaux publics et du transport routier concernées. Comment desservir les chantiers en cours, assurer les livraisons ou répondre à des marchés avec des véhicules ne correspondant plus aux critères exigés ?
Vous ne pouvez ignorer, monsieur le ministre, l'absence d'offre constructeurs adaptée aux professionnels leur permettant de renouveler leur parc de véhicules utilitaires légers et de poids lourds, dans les délais impartis et à des coûts qui ne fragilisent pas leur activité.
Vous ne pouvez ignorer non plus la durée d'amortissement relativement longue des véhicules destinés aux entreprises du bâtiment et des travaux publics.
Dans ces conditions, et sans mettre en doute l'urgence à agir en faveur des populations vivant dans ces zones denses les plus polluées, il me semble nécessaire de faire preuve d'un minimum de réalisme.
Le Gouvernement est-il prêt à renforcer les aides à l'acquisition des véhicules utilitaires propres ? Vous n'avez répondu que partiellement à cette question, raison pour laquelle je vous la repose. À l'heure actuelle, celles-ci ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux : pas moins de 900 000 véhicules polluants doivent être remplacés dans les seules entreprises artisanales du bâtiment.
Le calendrier de mise en place des ZFE sera-t-il adapté ? Des dérogations de circulation seront-elles accordées ou prolongées ? Enfin, la question des infrastructures de recharge adaptées aux véhicules professionnels reste entière. Un immense défi se pose à nous dont il faut tenir compte.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Darcos, la réunion du 25 octobre dernier était de concertation : aucune mesure de durcissement n'y a été décidée.
J'ai réuni l'ensemble des présidents d'agglomération et nous avons seulement décidé de la mise en place d'un référent, qui sera nommé après-demain, et de nous réunir de nouveau.
Je vais être très clair : le Gouvernement a prévu une entrée en vigueur des mesures de restriction au 1er janvier 2025 pour les Crit'Air 3. Toute date plus précoce serait le fait non d'un arbitrage ministériel, mais d'une décision des autorités locales, lesquelles opteraient pour un calendrier plus contraignant.
J'entends certains me dire qu'il faut temporiser, qu'il faut aller moins vite, mais ce n'est pas moi qui ai voulu aller plus vite que les bornes temporelles qui avaient été fixées. Je peux comprendre cette motivation, au vu des maintiens de dépassements de seuils, mais je ne peux revenir sur une décision que je n'ai pas prise !
Et si nous ne l'avons pas prise, c'est bien parce que nous avions conscience de la nécessité de produire de nouveaux véhicules propres ; or plus on durcit les règles, plus le nombre de véhicules concernés est important.
Chaque année, même sans mise en place de ZFE, le parc automobile connaît de toute façon un renouvellement : les véhicules les plus anciens sont peu à peu remplacés par des véhicules nettement plus récents, même s'ils sont de seconde main. Chaque année qui passe améliore donc l'état du parc.
Laisser plus de temps aux acteurs permet à la fois aux véhicules les plus polluants de sortir du parc automobile, à la filière électrique de s'organiser et à l'offre de se mettre en place. C'est ce que nous faisons avec les aides que nous commençons à offrir et les perspectives que j'esquisse.
Cela étant dit, j'ai entendu vos propos ; certes, je ne décide pas en la matière, mais je vais du moins les relayer.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Je suis bien d'accord avec vous, monsieur le ministre, et je vous remercie de nous aider à relayer cette information auprès de la métropole du Grand Paris.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, excusez-moi d'être redondant, mais je vais une nouvelle fois focaliser mon propos sur Marseille.
Le prix moyen du mètre carré au cœur de cette métropole atteint désormais 3 654 euros ! Les classes populaires et même les classes moyennes n'ont plus les moyens d'acquérir un bien immobilier dans le centre et sont contraintes d'utiliser la voiture pour s'y rendre.
Les ZFE vont inexorablement créer un fossé entre ceux qui pourront répondre aux normes en changeant de véhicule et ceux qui n'en auront pas les moyens et qui se retrouveront de facto privés de l'accès aux centres urbains.
En effet – il me faut le redire après mes collègues –, le coût d'un changement de véhicule est difficilement supportable pour les catégories les plus fragiles de la population, même avec les aides prévues.
Les ZFE vont donc intensifier la ségrégation spatiale et renforcer la séparation entre les urbains et les habitants plus modestes des zones périphériques. Or il me paraît inconcevable d'exclure de la sorte les plus modestes de nos grandes villes et de nos métropoles. Cela ne saurait être la conséquence principale d'une politique écologique digne de ce nom.
Oui, je reste convaincu qu'il faut atteindre l'objectif louable de réduction de la pollution de l'air, qui génère 40 000 décès prématurés par an. Mais est-ce véritablement cohérent de demander pour ce faire à un particulier de mettre 10 000, 20 000, voire 30 000 euros sur la table, soit parfois un an de salaire ?
Ma question est somme toute assez simple, dans le prolongement de celle que vous a posée ma collègue Elsa Schalck : comment concilier ambition écologique et progrès social pour les classes moyennes et populaires, afin qu'elles ne soient pas les victimes perpétuelles d'une forme d'écologie punitive ? L'écologie, oui, mais l'écologie pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Le Rudulier, encore une fois, je partage la conclusion : il faut mettre en place des mesures permettant d'accompagner les gens. À cet égard, je veux faire plusieurs remarques.
Tout d'abord, sans vouloir attaquer ainsi la ville de Marseille ou sa métropole, je dois souligner que des progrès peuvent sans doute être réalisés en matière de transports en commun sur une partie de son territoire. J'ai entendu les demandes qui nous ont été adressées sur ce sujet, en particulier par Martine Vassal, et vous n'avez pu manquer de relever les crédits inscrits dans le cadre du plan "Marseille en grand" afin d'accompagner le développement des alternatives à la voiture sur une partie du territoire métropolitain. Des discussions sont en cours sur ce point avec la métropole et la ville de Marseille.
Ensuite, je crois profondément au leasing, système qui permettra de concilier respect de l'impératif écologique et offre de tarifs soutenables. En permettant aux particuliers de disposer d'un véhicule à 100 euros par mois, on répondra, sinon à toutes les situations, du moins à énormément d'entre elles. Si l'on calcule le coût total de la possession d'un véhicule thermique, avec les pleins d'essence, et qu'on le confronte au faible coût des recharges électriques pour ceux qui bénéficieront de ce système, on se rend compte du caractère social et écologique de la mesure.
Seulement, il ne faut pas que ce mécanisme soit assis sur des voitures chinoises fabriquées dans des usines employant le charbon ! Sinon, ce qu'on gagnera d'un côté en matière d'empreinte écologique, on le perdra de l'autre. C'est alors que l'on se rend compte qu'il nous faut encore du temps, d'où le caractère progressif de la mise en place de ces ZFE.
Le débat que nous avons est utile, parce que vous faites somme toute œuvre de lanceur d'alerte en prévenant que la généralisation du dispositif, dès demain matin, à tout le monde, à toutes les classes de véhicules, nous conduirait vers cette exclusion sociale. Mais des raccourcis sont parfois faits : on argumente comme si ces zones concernaient d'ores et déjà l'ensemble des véhicules, alors que, pour le moment, il ne s'agit que d'une fraction d'entre eux.
Le caractère progressif de la mise en place des ZFE ainsi que le choix de préférer, durant la présente phase, la pédagogie à la verbalisation, nous permettent de bénéficier de la structuration progressive de l'offre de seconde main et des voitures bon marché qui pourront être intégrées dans le dispositif de leasing promis par Emmanuel Macron lors de sa campagne pour sa réélection.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Micouleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Micouleau. Monsieur le ministre, si nul ne remet en cause le bien-fondé de définir des ZFE afin de limiter l'accès des véhicules les plus polluants au centre des grandes agglomérations – parmi lesquelles Toulouse, dont je suis élue –, la loi d'orientation des mobilités, qui a rendu obligatoire l'instauration des ZFE, et la loi Climat et résilience, qui les a renforcées, ont vu le jour avant des bouleversements mondiaux que l'on ne pouvait prévoir.
L'application de ces dispositifs est basée sur l'attribution aux véhicules d'une vignette Crit'Air. Ce système, appliqué de manière globale, se révèle totalement insatisfaisant et particulièrement pénalisant pour les ménages aux revenus modestes et les populations les plus précaires.
Faire évoluer la vignette Crit'Air devient une nécessité au moment où nombre de garagistes expliquent que certains véhicules Crit'Air 3 ou 4, bien entretenus et en très bon état mécanique, polluent beaucoup moins qu'un SUV disposant du précieux sésame que constitue la vignette Crit'Air 1. De plus, nombre de véhicules Crit'Air 3 ou 4 roulent peu.
Nous nous trouvons ainsi face à un système qui commence à coûter très cher aux contribuables et qui ressemble à une obsolescence programmée par l'État du parc de véhicules existants.
Avant d'imposer une transition brutale, ne serait-il pas judicieux de faire évoluer les contrôles techniques vers des vérifications plus approfondies des véhicules à vignette Crit'Air 3 et 4, ce qui permettrait leur utilisation dans les ZFE ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Micouleau, si je suivais à la lettre ce que vous me suggérez, il faudrait réécrire le texte !
En effet, l'attribution des différentes vignettes Crit'Air repose sur des données objectives et lisibles. Il m'est arrivé, dans ma vie antérieure de parlementaire, de me plaindre de textes difficiles à lire et à comprendre. Or, dans le cas présent, si je reconnais qu'il y a peut-être plus simple encore que cette vignette, du moins se fonde-t-elle sur des millésimes, des années : tout un chacun peut comprendre le système sans être obligé de passer chez un garagiste ou de vérifier que le véhicule est équipé de tel ou tel dispositif.
Je suis d'ailleurs prêt à parier avec vous que si l'on expliquait, demain, qu'il est possible, sous réserve de remises à niveau chez son garagiste ou de contrôles techniques spécifiques, de bénéficier d'une vignette permettant de circuler en ZFE, certains ne manqueraient pas de dénoncer une sorte de taxe ou d'obligation d'aller refaire des travaux pour prolonger la durée de vie de son véhicule !
Vous avez en revanche raison sur un autre point, madame la sénatrice : il faut faire attention à ne pas jeter des véhicules qui fonctionnent encore. Cela est important d'un point de vue écologique, quand on sait qu'il faut environ deux tonnes de pétrole pour produire un véhicule, quelle que soit sa motorisation. Il importe donc de ne pas encourager de manière excessive, trop rapide, ces évolutions.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous croyons au rétrofit. Garder un véhicule ancien et en changer la motorisation n'est pas une solution universelle, mais peut constituer un moyen de résoudre une partie de la difficulté que vous évoquez. Le rétrofit est éligible à des aides, ce qui rend le reste à payer moins élevé.
En revanche, certains éléments pris en compte pour apprécier les émissions d'un véhicule n'entrent pas dans les critères des ZFE. Le plus gros écueil en matière de réduction des émissions de particules fines et de dioxyde d'azote concerne les moteurs diesel. On peut prendre le problème par tous les bouts, le principal souci en matière de santé publique reste l'importante diésélisation du parc automobile actuel. C'est la raison pour laquelle nous devons faire en sorte d'en accélérer la mutation.
Tel est bien l'objet des ZFE, avec un calendrier progressif, de la pédagogie et des mesures d'accompagnement.
Source http://www.senat.fr, le 18 janvier 2023