Interview de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à LCI le 19 janvier 2023, sur la mobilisation contre la réforme des retraites du 19 janvier.

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Média : LCI

Texte intégral

ADRIEN GINDRE
Bonjour Olivier DUSSOPT.

OLIVIER DUSSOPT
Bonjour.

ADRIEN GINDRE
Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation en ce jour de mobilisation contre la réforme des retraites. Dès hier soir, et dès ce matin, la CGT a annoncé des baisses de production d'électricité, RTE a confirmé ce matin qu'elles s'étaient intensifiées, de quel côté de la ligne on est, est-ce que ça par exemple c'est une forme de mobilisation acceptable pour vous ?

OLIVIER DUSSOPT
C'est regrettable en tout cas, c'est regrettable, parce que nous sommes, certes dans un moment de mobilisation, et je respecte à la fois la position des organisations syndicales, celles et ceux qui, de bonne foi, peuvent manifester une inquiétude, une interrogation, mais il y a des choses qui peuvent être condamnables, qui ne sont pas acceptables, quand on menace des élus individuellement, cela a été fait il y a quelques jours, et quand on met en danger finalement l'approvisionnement énergétique. Nous sommes en plus dans une logique…

ADRIEN GINDRE
Une période condamnée.

OLIVIER DUSSOPT
Je dis que c'est très regrettable, nous sommes dans une période qui est une période compliquée sur le plan de l'énergie, avec une mobilisation de tous les acteurs, le gouvernement bien sûr, les acteurs de l'énergie, dans un contexte, où on le sait, il y a des risques, et notamment au cœur de l'hiver, où les Français, particuliers, entreprises, font des efforts de sobriété pour justement éviter d'avoir des baisses d'approvisionnement, et y participer ainsi n'est pas, à mon sens, une bonne chose, une bonne façon de se mobiliser.

ADRIEN GINDRE
Hier votre collègue Olivier VÉRAN, porte-parole, disait, espérait que l'expression populaire ne se transformerait pas en blocages, il disait "manifester oui, bloquer le pays non", est-ce que ça veut dire que pour cette journée il y a une bonne et une mauvaise grève ?

OLIVIER DUSSOPT
Vous savez on n'est pas dans un, moi je ne suis pas dans le schéma où il y aurait des gagnants, des perdants, des bons, des mauvais, je pense qu'il y a un certain nombre de Français qui vont manifester aujourd'hui de bonne foi, parce qu'ils ont des inquiétudes, des interrogations, et quand on touche à la question des retraites ça suscite toujours des inquiétudes, et par ailleurs nous savons que nous demandons aux Français, collectivement, un effort de travail supplémentaire, d'un peu plus travailler à l'échelle d'une vie, progressivement, de manière adaptée, mais c'est malgré tout un effort supplémentaire, donc il faut entendre ces inquiétudes et ces interrogations. Il y a d'autres manifestants, ou d'autres responsables politiques, parfois même certains responsables syndicaux, qui utilisent ce combat pour diffuser des fausses nouvelles, diffuser des fausses informations, jouer sur les peurs. Je prends un seul exemple, mais quand j'entends à longueur de temps que dans notre pays 25 % des plus pauvres seraient décédés à 60 ans, c'est faux, ça a été démonté dix fois, c'est faux, on parle, malheureusement, non pas des 20, 30, 40 % de Français les plus pauvres, mais on parle de ceux qui décèdent parce qu'ils sont dans une immense précarité, il n'y a pas de lien avec la réforme des retraites, il n'y a pas de lien…

ADRIEN GINDRE
Il n'y a pas de lien avec la réforme des retraites, mais on décède davantage quand on est dans une situation de pauvreté Olivier DUSSOPT.

OLIVIER DUSSOPT
Oui, c'est vrai mais…

ADRIEN GINDRE
Les plus pauvres ont plus de chance de mourir que les plus riches en France.

OLIVIER DUSSOPT
Évidemment, comme partout dans le monde.

ADRIEN GINDRE
Enfin évidemment, sauf que, il faut le rappeler, vous contestez cet argument, il y a une partie qui est vraie.

OLIVIER DUSSOPT
Je ne conteste pas, je demande à le préciser, et ça a été fait avant moi par des économistes, je pense notamment à Patrick COHEN. Quand on parle de ces 25 % personnes décédées avant 60 ans, on parle de Français et de Françaises, qui toute leur vie, et c'est malheureux, ont gagné moins de 500 euros par mois, ça veut dire que ce ne sont pas des gens qui sont en emploi, ce sont des gens qui sont dans une grande précarité et justement éloignés de l'emploi, faire un lien avec le travail et la réforme des retraites est malhonnête.

ADRIEN GINDRE
Alors, vous avez raison sur le fait que ce n'est pas le cœur de la réforme, après, effectivement, on peut comprendre aussi que certains s'en émeuvent, ou se mobilisent, ou vous demandent d'agir sur ce sujet.

OLIVIER DUSSOPT
Mais c'est un autre combat et il ne faut pas le mélanger.

ADRIEN GINDRE
Alors revenons au combat du jour, on disait il y a les manifestations, il y a les grèves, il y a peut-être les blocages, ils ont commencé par endroits, que fera le gouvernement si ces blocages se confirment ou s'intensifient, est-ce que vous êtes dans une démarche de réquisitionner, de faire intervenir les forces de l'ordre, pour mettre fin à ces blocages ?

OLIVIER DUSSOPT
Nous l'avons dit, nous le répétons, le droit de grève est une liberté que nous garantissons, à laquelle nous sommes attachés, comme tous les républicains, par contre nous ne souhaitons pas les blocages, parce qu'il y a des Français qui veulent travailler, il y a des Français qui doivent se déplacer…

ADRIEN GINDRE
Oui, mais s'ils interviennent, est-ce que vous vous ferez quelque chose ?

OLIVIER DUSSOPT
Moi je compte sur la responsabilité des organisations syndicales et je sais que beaucoup d'entre elles souhaitent exprimer une opinion sans verser dans un blocage et la volonté de nuire à l'ensemble des Français, et donc prenons le temps, ne prenons pas des décisions, n'annonçons pas des décisions, des postures martiales, alors même que nous sommes encore à quelques heures d'une mobilisation dont personne ne sait l'importance.

ADRIEN GINDRE
Mais justement, si elle est importante, c'est une possibilité, il y a le Renseignement territorial qui a également travaillé sur plusieurs hypothèses de mobilisation, admettons qu'il y ait plusieurs centaines de milliers de personnes, voire un million de manifestants, est-ce que ça changera quelque chose pour vous, ou en réalité les gens qui manifestent aujourd'hui manifestent pour rien ?

OLIVIER DUSSOPT
Il y a toujours des messages entendre, des messages à écouter, dans un mouvement social, et il ne faut pas observer ces mouvements, il ne faut pas les regarder en disant qu'il n'y a rien à faire, rien à voir et rien à dire. Depuis le début nous disons que la réforme que nous portons elle peut toujours être améliorée, on l'a toujours dit, et d'ailleurs on l'a fait, j'ai mené au cours des dernières semaines, derniers mois, des concertations, nous avons eu des années de débats sur les retraites, et puis nous avons décidé, avec la Première ministre, avec le président de la République, d'avoir 3 mois, 4 mois de plus de concertation, ces 3 ou 4 mois ont été utiles, ils ont été utiles parce que sur bon nombre d'aspects de la réforme, la question de la prévention de la pénibilité, les carrières longues, la question du minimum de retraite, l'emploi des seniors, la réforme que nous présentons aujourd'hui, celle que nous avons présentée avec la Première ministre il y a 8 jours, 9 jours aujourd'hui, est une réforme qui a changé par rapport il y a 4 mois, parce que nous avons…

ADRIEN GINDRE
Mais comment vous expliquez alors que les syndicats restent opposés, ils ont discuté avec vous, ils sont venus discuter avec vous, et pourtant ils sont tous unis aujourd'hui contre votre réforme ?

OLIVIER DUSSOPT
Vous savez, j'ai toujours dit que le meilleur dialogue c'est le dialogue sincère, le dialogue sincère c'est la capacité à reconnaître quand il y a des désaccords. Avec les organisations syndicales, dès le début, dès le début, et pas cette année, il y a 2 ans, 3 ans, nous savions, et nous savons toujours, que sur la question de l'âge il n'y a pas de possibilité d'accord…

ADRIEN GINDRE
Ce qui fait que c'est plutôt un dialogue de sourds aujourd'hui.

OLIVIER DUSSOPT
Non, ce n'est pas un dialogue de sourds parce qu'il y a, d'abord toutes les organisations syndicales ont participé aux concertations…

ADRIEN GINDRE
Et toutes sont dans la rue aujourd'hui.

OLIVIER DUSSOPT
Toutes les organisations patronales l'ont fait aussi, et sur un certain nombre de chantiers nous avons avancé.

ADRIEN GINDRE
Donc quand ils disent qu'en réalité vous n'entendez pas, que, écoutez peut-être, mais que vous n'entendez pas, vous dites c'est faux, ils mentent ?

OLIVIER DUSSOPT
Je prends un exemple. Nous avons, dans notre pays, un compte professionnel de prévention, que tout le monde appelle le C2P, qui permet…

ADRIEN GINDRE
Sur la pénibilité.

OLIVIER DUSSOPT
Sur la pénibilité, sur six critères en particulier, sur ce compte de prévention, ce C2P, il y a six critères, il y a des règles de fonctionnement qui rendent le fait d'avoir des points de pénibilité, les points de pénibilité permettent parfois de partir plus tôt, permettent d'avoir des formations de reconversion, des critères qui sont difficiles, beaucoup des organisations syndicales nous ont demandé de modifier les règles de fonctionnement de ce compte C2P, nous avons intégré toutes ces modifications. Sur des critères qui étaient mal pris en compte, très mal mesurés, le fait de porter des charges lourdes, le fait d'avoir des postures pénibles, d'être exposé aux vibrations, nous avons aussi beaucoup avancé, pas toujours assez au goût et aux yeux des organisations syndicales.

ADRIEN GINDRE
Et il y aura…

OLIVIER DUSSOPT
Mais c'est important de dire que malgré les désaccords, il y a des avancées, et sur certains points il y a des convergences.

ADRIEN GINDRE
Mais vous dites, c'est très important la formulation de votre phrase à l'instant, vous dites nous avons, donc vous nous dites ce que vous avez fait jusqu'à maintenant, ce qui a permis d'améliorer le texte qui a été présenté, est-ce qu'il y a un nous allons, est-ce que dans le futur, dans les semaines à venir, il y a encore des choses qui vont bouger ?

OLIVIER DUSSOPT
Vous savez, désormais nous sommes dans un temps de débat parlementaire, le conseil des ministres va examiner le texte lundi, et l'Assemblée nationale sera saisie du texte, d'abord en commission des Affaires sociales, et puis ensuite en séance.

ADRIEN GINDRE
Oui, sauf qu'à l'Assemblée ce n'est pas les syndicats qui siègent, c'est vous et les Républicains qui vont voter pour le texte.

OLIVIER DUSSOPT
Il se trouve que ce sont les députés qui siègent à l'Assemblée, ça s'est toujours passé comme ça, nous sommes dans une démocratie parlementaire, avec des députés qui débattent et qui votent.

ADRIEN GINDRE
Donc il n'y a pas de garantie pour les syndicats que le texte bougera encore dans le sens qu'ils veulent.

OLIVIER DUSSOPT
Pardon, mais depuis que la France est France, depuis que la Constitution existe, cela n'a jamais été ni les organisations syndicales, ni les organisations patronales, qui votent les lois, c'est le Parlement, et le Parlement…

ADRIEN GINDRE
C'est un message que vous leur rappelez aussi aujourd'hui.

OLIVIER DUSSOPT
Le Parlement vote les lois, et les organisations syndicales, comme patronales, savent très bien faire connaître aux groupes politiques leurs positions, leurs attentes et leurs demandes, ça marche comme cela et c'est parfaitement démocratique, et donc il y aura…

ADRIEN GINDRE
Donc pour vous il est acquis que la réforme aura une majorité à l'Assemblée, au Parlement ?

OLIVIER DUSSOPT
Il y aura des amendements, et les amendements nous allons les regarder. S'il y a de bons amendements, compatibles avec nos orientations, compatibles avec l'équilibre financier, qui permettent d'améliorer le texte, pourquoi est-ce que nous nous en priverions.

ADRIEN GINDRE
Alors prenons un exemple. Sur ce plateau, encore hier soir, Aurélien PRADIÉ, qui est député les Républicains, s'exprimait au micro de Ruth ELKRIEF sur les carrières longues, il dit "pour ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans", ce qui n'est pas votre texte, il décale un petit peu, "on pourrait imaginer qu'on ne prenne en compte en réalité que la durée de cotisation et pas l'âge légal", ce qui permettrait à certaines personnes de partir plus tôt, je rappelle que même avec le dispositif carrières longues certains seront amenés à cotiser 44 ans, ce qui est plus par exemple qu'un cadre qui a commencé à travailler tard et qui cotiserait 43 ans. Est-ce que ça, par exemple, vous dites à Aurélien PRADIÉ, c'est possible, c'est un amendement qui pour le coup serait en ligne avec ce qu'on veut ?

OLIVIER DUSSOPT
Non. Il y a quelques semaines le même défendait le fait de travailler 45 ans plutôt que 43, et cela aurait eu un effet très dur sur l'ensemble des catégories de population, y compris les…

ADRIEN GINDRE
Il a toujours dit qu'il fallait traiter particulièrement ceux qui avaient commencé à travailler tôt.

OLIVIER DUSSOPT
Peut-être un aspect, un mot, sur cette question des carrières longues, pour dire ce que nous avons fait et comment nous travaillons. D'abord dire que…

ADRIEN GINDRE
Et dire ce que vous allez faire, est-ce que vous allez accepter la proposition d'Aurélien PRADIE ?

OLIVIER DUSSOPT
Nous avons un dispositif qui existe aujourd'hui et qui permet pour tous ceux qui ont cotisé cinq trimestres avant 20 ans, de partir jusqu'à 2 ans avant l'âge de départ. Nous avons un autre dispositif, qui dit que si vous avez travaillé cinq trimestres avant 16 ans, c'est un peu plus rare évidemment parce que l'entrée dans la vie active se décale avec le temps, et si vous avez cotisé 45 ans, vous avez le droit de partir avec 4 ans, 6 ans pardon, d'anticipation, à 58 ans, nous le maintenons.

ADRIEN GINDRE
Oui, mais…

OLIVIER DUSSOPT
Je vais au bout…

ADRIEN GINDRE
Il y a des gens qui vont travailler plus que 43 ans, comme vous venez de le rappeler.

OLIVIER DUSSOPT
Je vais au bout et répondre très précisément à cela. Nous créons un nouveau dispositif, pour tenir compte de ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans, et on pense en particulier aux apprentis, parce que depuis 2014 les trimestres d'apprentissage comptent pour la retraite, et nous disons que ceux qui ont cinq trimestres avant 18 ans, pourront partir 4 ans avant l'âge de départ, donc c'est une vraie protection. Vous me dites il y a des hommes, des femmes, dans notre pays, qui, avec les règles actuelles… vont travailler un peu plus que 43 ans, vous avez raison, et c'est déjà le cas aujourd'hui. Je vous donne, pardon parce que…

ADRIEN GINDRE
Oui, mais Olivier DUSSOPT, en fait si on fait ça on tourne en rond, c'est-à-dire que si tous les jours, à chaque fois qu'on fait une interview, je le dis aussi pour vous, on répète les mêmes arguments, il se trouve que vous avez, depuis la présentation de la réforme il y a bientôt 10 jours, expliqué tout ça, l'opposition à la réforme ne fait que croître si on en croit les enquêtes d'opinion, c'est-à-dire que les Français sont davantage opposés, maintenant qu'ils connaissent les détails de la réforme, qu'avant de connaître les détails. Quand il y a une proposition d'un parlementaire, est-ce que vous dites oui ou non ?

OLIVIER DUSSOPT
Mais quand elle n'est pas efficace on ne dit pas oui, c'est aussi simple que ça.

ADRIEN GINDRE
Donc là la proposition n'est pas efficace, disons-le clairement.

OLIVIER DUSSOPT
Non parce que, elle n'est pas, d'abord elle n'est pas chiffrée, et elle ne fonctionne pas, mais au-delà de cela, je vais au bout de ma démonstration, ou de la phrase en tout cas, vous me dites qu'il y a des gens qui travaillent, qui vont travailler plus que 43 ans, et qui vont travailler plus que la durée minimum requise pour avoir droit à une retraite, c'est vrai, mais c'est déjà vrai. Aujourd'hui nous avons à peu près 750.000 départs à la retraite par an…

ADRIEN GINDRE
Oui, mais puisque vous faites une réforme ça peut être l'occasion de changer certaines choses.

OLIVIER DUSSOPT
Pardon, je termine juste la phrase ; nous en avons 750.000 par an, des départs à la retraite, combien partent avec plus de trimestres qu'il n'en faut ? 180.000, personne ne s'en émeut parce que ça fait partie des effets de seuil, et ça fait partie de la manière dont est organisé notre système de retraites. Nous, ce que nous voulons, et ce à quoi nous sommes extrêmement attentifs, c'est que dans cette réforme, qui demande un effort aux Français, un effort de travail supplémentaire, nous puissions faire en sorte que cet effort soit le plus justement réparti, ça passe par la prise en compte de la pénibilité, avec des départs anticipés pour les métiers les plus difficiles, et ça passe par une meilleure prise en compte, ce que nous faisons, pour ceux qui commencent à travailler très tôt, et ce que nous faisons, mais vraiment pour vous le dire, et le répéter peut-être, mais le dire, c'est qu'avec toutes les mesures que nous prenons nous réduisons l'écart et nous faisons en sorte que ceux qui commencent à travailler très tôt n'aient pas à travailler plus longtemps dans… ceux qui commencent à travailler tard.

ADRIEN GINDRE
Il y a d'autres aspects dans la réforme, on va aussi évoquer les autres aspects qui sont importants également, par exemple sur l'index seniors, il vous a été proposé par certains politiques, de dire un index ce n'est pas suffisant, il faudra réellement proposer des sanctions pour les entreprises qui n'ont pas une pyramide des âges satisfaisante et qui n'ont pas de seniors dans leurs effectifs, est-ce que ça c'est un sujet sur lequel vous allez bouger ou est-ce qu'on ira au-delà de l'index ou pas ?

OLIVIER DUSSOPT
C'est un sujet qui va être dans le débat parlementaire mais sur la question de l'index, c'est un outil qui est intéressant parce qu'il va permettre de mesurer pour les grandes entreprises de plus de 300 salariés l'effort qui est fait, l'implication pour le travail des seniors. Et ce que nous avons prévu, nous avons prévu d'abord un index avec des critères. Ces critères font l'objet d'une discussion avec les partenaires sociaux pour qu'ils soient bien adaptés, y compris par rapport aux branches. On ne peut pas demander le même effort sur le travail des seniors à une branche avec beaucoup de start-up ou à une branche avec des activités plus traditionnelles, donc il faut savoir calibrer les choses et nous avons d'ores et déjà prévu deux choses. La première, c'est de dire qu'une entreprise de plus de 300 salariés qui ne joue pas le jeu, qui ne veut pas publier ses résultats soit sanctionnée financièrement comme c'est le cas pour l'index en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.

ADRIEN GINDRE
J'explique pour que tout le monde comprenne bien : pas sur le taux de seniors mais sur la publication des informations.

OLIVIER DUSSOPT
Sur la publication. Et ensuite, on va regarder comment évolue la situation des entreprises, ce qu'elles améliorent, ce qu'elles font pour les seniors, est-ce qu'elles le dégradent ? Est-ce que c'est stable ? Et un certain nombre de parlementaires nous disent : il faut, pour les entreprises où ça se dégrade, des sanctions. Qu'est-ce que nous avons discuté avec les partenaires sociaux ? Vous me demandiez à quoi ça servait les concertations. Avec les organisations patronales mais aussi avec une grande partie des organisations syndicales, celles qu'on qualifie de réformistes, qui s'intéressaient à cette question de l'index, ils nous ont demandé tous, organisations patronales et syndicales, que lorsqu'il n'y a pas de résultat satisfaisant, il n'y ait pas nécessairement de sanctions financières mais qu'il y ait une obligation de négocier un accord. Et qu'est-ce que nous avons fait ? Nous écrivons dans la loi que si la situation n'est pas satisfaisante pour l'emploi des seniors, il y a une obligation de négocier un accord sur l'emploi des seniors. Au Parlement, je sais que certains parlementaires vont vouloir aller plus loin donc nous débattrons de ça avec eux.

ADRIEN GINDRE
Mais ce n'est pas votre pente aujourd'hui.

OLIVIER DUSSOPT
Non, et ça n'était pas la demande ni des organisations d'employeurs ni des organisations de salariés.

ADRIEN GINDRE
Il y a un point qui est très important bien sûr, c'est le minimum de retraite qu'on va toucher. C'est 1 200 euros. Alors à ce stade, c'est 1 200 euros brut en réalité, même si la différence entre le brut et le net n'est pas gigantesque, c'est quelques dizaines d'euros.

OLIVIER DUSSOPT
Non, parce qu'il n'y a que la CSG sur les retraites.

ADRIEN GINDRE
Voilà, mais c'est quand même quelques dizaines d'euros et ça compte pour ceux qui sont concernés. Il y a aussi des demandes pour vous dire : faisons en sorte que ces 1 200 euros correspondent à un net en réalité. Est-ce qu'on peut encore bouger là-dessus ?

OLIVIER DUSSOPT
Ça fait partie des éléments de débat mais rappelons d'où nous venons et d'où nous partons. En 2003, il y a 20 ans, une loi a été votée en disant : la nation, la nation française se fixe comme objectif qu'après une carrière complète au niveau du SMIC, c'est-à-dire des gens qui travaillent toute leur vie avec des petits salaires, il ne peut pas y avoir de retraite inférieure à 85 % du SMIC. Ça a été voté en 2003, personne ne l'a fait. Personne ne l'a fait parce que personne n'a prévu ni les mécanismes ni les financements. Nous ce que nous faisons là, nous tenons l'engagement du président de la République. Premier élément, on dit qu'une retraite après une carrière complète au SMIC ne peut pas être inférieure à 85 % du SMIC, ce qui fait à peu près 1 200 euros à la fin de l'année 2023. Deuxièmement, nous disons que ça sera évolutif dans le temps, évolutif pour le protéger, pour le garantir en disant que si vous prenez votre retraite en 2024, en 2027, en 2030 le chiffre évoluera en fonction du montant du SMIC en 2024, en 2027 ou en 2030. Nous disons autre chose. Nous mettons en place des moyens, des dispositions - c'est très technique - pour faire en sorte que ceux qui ont travaillé toute leur vie mais qui à un moment ont eu quelques trimestres d'arrêt parce qu'ils ont pris du temps pour la naissance d'un enfant, très souvent des femmes, ceux qui ont connu des accidents de carrière puissent aussi être protégés, bénéficier de cette augmentation. Et évidemment qu'il y a la question de la CSG mais surtout le résultat, quel est le résultat de cette mesure que nous proposons. Le résultat, c'est que sur les 750 à 800 000 départs à la retraite chaque année, ça va permettre d'avoir une plus forte retraite, une retraite plus élevée pour 200 000 personnes. Ça veut dire qu'un retraité sur 4 aura une meilleure retraite, et quand je parle d'un retraité sur 4 je parle des petites retraites, aura une meilleure retraite qu'aujourd'hui ; c'est ça l'important. C'est ça l'important et c'est là le progrès.

ADRIEN GINDRE
Olivier DUSSOPT, en vous écoutant je me dis, vous nous dites : on a déjà beaucoup écouté, on a déjà beaucoup entendu.

OLIVIER DUSSOPT
C'est le cas.

ADRIEN GINDRE
Je ne le conteste pas, je résume juste comme je l'ai compris, mais en réalité les bougés ont déjà été faits donc il n'y a pas grand-chose à attendre de fondamentalement différent de la discussion parlementaire.

OLIVIER DUSSOPT
Nous avons apporté beaucoup d'évolutions et nous avons intégré beaucoup de demandes, des organisations des partenaires sociaux, syndicales ou patronales, comme des groupes parlementaires. Je prends un exemple. Vous savez, il y a eu un débat il y a quelques semaines sur le fait que dans les années 80, jusqu'au tout début des années 90, vous avez des personnes souvent assez jeunes qui entraient dans la vie active avec des emplois aidés qu'on appelait les TUC, des travaux d'utilité collective.

ADRIEN GINDRE
Et vous en tenez compte pour que ça compte dans la retraite.

OLIVIER DUSSOPT
Je me souviens par exemple que dans mon collège, beaucoup des surveillants étaient des contrats TUC. Ces personnes-là arrivent à l'âge de la retraite aujourd'hui et découvrent qu'elles n'ont pas cotisé pendant cette période. On va valider leurs trimestres. Pourquoi est-ce que nous le faisons ? D'abord parce que c'est juste mais parce que des groupes politiques nous l'ont demandé. On va avoir le débat et il y aura certainement plein de propositions et nous restons ouverts à celles-ci.

ADRIEN GINDRE
Il y en a y compris dans votre majorité - je pense à François BAYROU il y a quelques jours sur ce plateau - il a redit : moi je pense que pour des questions de justice, d'équilibre et y compris de message politique, il faut par exemple qu'on augmente les cotisations patronales. Le gouvernement a dit non très clairement. Est-ce que ça restera non ou est-ce que ça peut être un sujet de discussion ?

OLIVIER DUSSOPT
D'abord pour être très précis, pour financer cette réforme des retraites il y a du travail en plus collectivement : arriver vers le plein emploi, faire un effort individuel à l'échelle de chacun dans notre vie. Il y a aussi une augmentation de la cotisation des employeurs à la Caisse nationale d'assurance vieillesse.

ADRIEN GINDRE
Il y a un transfert de cotisations.

OLIVIER DUSSOPT
Avec un transfert par rapport à la caisse qui gère les maladies professionnelles et les accidents du travail. Le président de la République a toujours été très clair et très constant et le gouvernement avec. Depuis 2017, nous menons une politique, qui au passage a été commencée dès 2013 par d'autres majorités, une politique de diminution du coût du travail parce que nous sommes le pays qui continue, par la fiscalité, par les cotisations, à avoir le taux de prélèvements obligatoires le plus important. Cette politique paye.

ADRIEN GINDRE
Mais l'argument de justice, ce n'est pas un argument qui vous parle de dire…

OLIVIER DUSSOPT
Depuis 2017 la société française, l'économie française a créé un million sept cent mille emplois. Le chômage est passé de 9,5 à 7,2 %, c'est ce que nous appelons la marche vers le plein emploi. Et nous sommes convaincus que cette réforme des retraites ne doit pas contredire, ne doit pas contrarier cette politique de plein emploi parce que…

ADRIEN GINDRE
Donc pas d'impôts en plus, pas de cotisations en plus.

OLIVIER DUSSOPT
L'accès à l'emploi, c'est la meilleure façon d'être émancipé, d'être autonome et d'avoir de la dignité. Et donc oui, pas d'impôts, pas de cotisations et dans le même temps, nous ne voulons pas non plus que les retraites puissent baisser. Et donc nous voulons protéger les retraites telles qu'elles sont versées aujourd'hui, nous ne voulons pas augmenter les prélèvements obligatoires, nous ne voulons pas que la dette continue à se creuser, et donc il faut travailler un peu plus mais chacun pour pouvoir financer cette réforme.

ADRIEN GINDRE
Olivier DUSSOPT, malgré tout ce que vous venez de lister au cours de cet entretien sur les ajouts, les apports qui sont dans votre texte, il y a quand même toujours une majorité de Français qui est opposée et comme je le disais à l'instant, c'est même une opposition qui grandit. Comment vous l'expliquez ? Est-ce que vous pouvez, vous aujourd'hui, dire "on assume, on va réformer contre l'avis des Français, y compris d'une réforme qui est considérée comme injuste" ?

OLIVIER DUSSOPT
Cette réforme elle est nécessaire et ce que nous faisons pour accompagner la réforme sur les sujets que nous avons évoqués fait qu'elle est juste. Elle permet à la fois…

ADRIEN GINDRE
Même si certains Français la voient comme injuste.

OLIVIER DUSSOPT
Elle permet à la fois d'améliorer un système et de l'équilibrer financièrement. Je le dis souvent mais si on améliore, si on crée des droits, si on créés des dépenses avec les droits - parce que quand on aide mieux, quand on protège plus, ça coûte et c'est normal - mais si on améliore sans équilibrer ça n'est pas responsable, parce que demain ce sont nos enfants et nos petits-enfants qui en paieront le prix, qui paieront les pots cassés. Et si on se contente d'équilibrer budgétairement, ça n'est pas juste donc nous faisons les deux. Toutes les réformes des retraites ont eu des difficultés vis-à-vis de l'opinion publique et ça s'explique.

ADRIEN GINDRE
Mais vous faites le pari que les gens vont se résigner au bout d'un moment et se dire : tant pis, on n'a pas le choix, la réforme doit passer.

OLIVIER DUSSOPT
D'abord parce que c'est un effort que nous demandons et puis parce que la question des retraites, ce n'est pas qu'une question budgétaire et ça n'est pas qu'une question de temps de travail à l'échelle d'une vie. C'est pour chaque Français une question très personnelle. Le moment où vous partez à la retraite, au-delà du fait que pour certains c'est vécu comme une liberté, une forme de délivrance, mais le moment où vous partez à la retraite c'est aussi un moment où vous vous projetez dans l'avenir. Vous pouvez vous demander si la retraite suffira, vous pouvez vous demander si vous serez capable en cas de maladie, en cas de difficultés de dépendance. C'est aussi un moment où vous faites aussi ce qu'on appelle votre reconstitution de carrière. Mais en fait quand vous faites une reconstitution de carrière pour savoir à combien vous avez droit, c'est votre vie tout entière que vous reconstituez. C'est des moments de précarité, c'est des éléments familiaux parce que ça compte aussi dans le calcul de la retraite.

ADRIEN GINDRE
Olivier DUSSOPT, vous ne craignez que, certes les Français se résignent là. Ils se disent : de toute façon la réforme elle va passer, d'ailleurs c'est ce que montrent les enquêtes d'opinion. En réalité les Français, même quand ils sont opposés, ils pensent que vous irez au bout et que la réforme entrera en vigueur. Ils ont compris globalement la trajectoire. Mais est-ce que vous ne craignez pas que ce soit comme, je ne sais pas – le terme est fort – une forme de poison lent et que certains, une fois arrivés au vote en 2027, la prochaine présidentielle, n'oublient pas que c'est votre famille politique qui a fait cette réforme et qui se disent : il y a d'autres partis, y compris d'extrême-droite, qui restent très prudents, etc. ?

OLIVIER DUSSOPT
Je ne crois pas d'abord parce qu'avant 2027, nous aurons la démonstration que les mesures que nous mettons en place sont efficaces et qu'elles sont justes.

ADRIEN GINDRE
Donc vous pensez que les Français vont être convaincus à l'usage.

OLIVIER DUSSOPT
Et puis ce que je sais - en tout cas ce que je sais, ce que j'ai vu, ce que nous voyons tous au cours des 40 dernières années - c'est que malgré tous les débats autour des différentes réformes qui ont eu lieu, aucune n'a été remise en cause par aucune famille politique. Et c'est un fait parce que je crois que malgré des désaccords, malgré des différends qu'il faut accepter, moi je pense qu'il faut toujours dire quand on est d'accord, pas d'accord et le faire de la manière la plus claire qui soit. C'est aussi une façon de respecter tous nos interlocuteurs et tous nos partenaires. Mais malgré tous les désaccords exprimés, personne n'a jamais remis en cause les réformes passées pour une seule raison. Parce que je sais, en tout cas c'est ce que je crois, c'est que les acteurs politiques, les groupes politiques, les familles politiques, les organisations syndicales, patronales ont tous et toutes un point commun : c'est l'attachement au système par répartition. Et en équilibrant le système, en le rendant plus juste mais aussi en l'équilibrant, on permet de le sauver.

ADRIEN GINDRE
Juste la prochaine réforme, ce sera quand ? Votre réforme elle durera combien de temps ? Parce que l'âge légal, il a déjà été reporté.

OLIVIER DUSSOPT
Vous avez raison.

ADRIEN GINDRE
On sait que l'espérance de vie s'allonge.

OLIVIER DUSSOPT
L'âge légal a été reporté à plusieurs reprises, la durée de cotisation a été augmentée. La dernière fois que la durée de cotisation a été augmentée c'était en 2013, au début du quinquennat de François HOLLANDE et je ne peux pas dire, personne ne peut dire "c'est la dernière réforme et plus personne n'y reviendra".

ADRIEN GINDRE
Mais est-ce que vous savez dire pour combien de temps elle vaut ?

OLIVIER DUSSOPT
Ce que je sais, c'est que la réforme que nous proposons permet au système de retraite de revenir à l'équilibre financier aux alentours de 2030 et de le faire pour plusieurs années, et donc ça laisse du temps. Et puis il y a des paramètres que l'on ne connaît pas, que l'on ne mesure pas. Moi je ne sais pas vous dire et je crois que personne ne le sait, quel sera l'état de l'économie, quel sera l'état de la France, quel sera l'état du monde dans 15 ans, dans 20 ans et dans 30 ans. Quand on a vécu ce qu'on a vécu au cours des 3 dernières années avec une pandémie mondiale, avec une guerre sur le sol européen, ça incite à beaucoup d'humilité sur la capacité à prévoir l'avenir.

ADRIEN GINDRE
Mais le plus probable est qu'on doive encore repousser l'âge dans les années 2030.

OLIVIER DUSSOPT
Mais je n'en sais strictement rien. Ce que je sais, c'est que la réforme que nous menons permet de bien protéger et d'améliorer les droits et qu'elle permet de revenir à l'équilibre pour que notre système soit garanti.

ADRIEN GINDRE
Merci beaucoup Olivier DUSSOPT d'avoir été notre invité ce matin.

OLIVIER DUSSOPT
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 janvier 2023