Texte intégral
Permettez-moi de vous souhaiter, à mon tour, une excellente année 2023. Nous aurons de nombreux défis à relever, et j'espère que nous serons collectivement à la hauteur. Je souhaite plus d'intégration européenne, une Europe plus forte, une Europe plus solidaire et une Europe plus résiliente.
Je pense, comme beaucoup d'entre vous, qu'il est important d'insister sur la solidarité. Vous l'avez dit, Monsieur le président, elle s'est déployée tout au long de la guerre en Ukraine, et elle devra se poursuivre face à la situation énergétique, à l'Inflation Reduction Act et à toutes les tentatives de déstabilisation que l'on peut observer aux frontières de l'Union européenne.
La guerre en Ukraine était au sommet de l'ordre du jour du Conseil européen qui s'est tenu les 15 et 16 décembre 2022, avec la situation énergétique, la situation économique, les questions de sécurité et de défense, ainsi que le renforcement de notre politique industrielle, qui est une réaction à l'IRA, mais pas uniquement. Un débat stratégique s'est également tenu sur le voisinage sud et l'octroi du statut de candidat à l'adhésion à la Bosnie-Herzégovine, un autre sujet important.
Le Conseil européen a débloqué un soutien macrofinancier de 18 milliards d'euros en faveur de l'Ukraine pour 2023. Cette aide est destinée à couvrir les besoins structurels du pays et à le soutenir pendant la période de guerre, ce qui demeure une priorité pour l'Europe. Je salue l'engagement constant de votre commission, qui s'est notamment traduit par l'adoption de la proposition de résolution affirmant le soutien de l'Assemblée nationale à l'Ukraine et condamnant la guerre menée par la Fédération de Russie. Le vote par la représentation nationale de ce texte, à la quasi-unanimité, a affirmé de façon très forte la solidarité de la nation française avec le peuple ukrainien. Par ailleurs, vous avez été nombreux à le dire au cours du débat, l'Ukraine est une cible parce qu'elle croit en la démocratie libérale, respectueuse de l'individu, des minorités et des droits fondamentaux - elle partage toutes nos valeurs européennes.
L'adoption des conclusions du Conseil européen a permis de réaliser des premiers versements à l'Ukraine dès le mois de janvier. Face à la pression exercée par la Russie, il était également essentiel de rappeler l'unité de l'ensemble des pays de l'Union européenne et la pression que nous continuerons d'exercer en retour. Tel était l'objet de l'adoption du neuvième paquet de sanctions, lesquelles se durcissent à chaque fois.
Parmi les autres temps forts du dernier Conseil européen, on peut citer le principe du plafonnement des prix, le price cap, sur le transport de pétrole russe vers les pays tiers, qui est désormais à l'œuvre, les accords concernant l'énergie, sur lesquels je reviendrai, mais aussi l'accord unanime sur le renforcement du dialogue avec les États tiers qui tenteraient ou seraient tentés de contourner les sanctions.
Un accord est également intervenu au sujet de l'augmentation du plafond de la Facilité européenne pour la paix, de 2 milliards d'euros. Nous irons ainsi largement au-delà du plafond initial, qui était de 5 milliards, ce qui permettra de poursuivre notre soutien militaire à l'Ukraine et de préserver les ambitions plus globales de cet instrument, qui n'est pas uniquement dédié à l'Ukraine mais aussi aux interventions extérieures de l'Union européenne.
À cela s'ajoute un fort engagement à aider les Ukrainiens à passer l'hiver. Tel était l'objet de la conférence "Solidaires du peuple ukrainien", organisée le 13 décembre à Paris par les présidents Zelensky et Macron. Cette conférence a été un franc succès, puisque plus de 1 milliard d'euros de contributions ont été mobilisés pour apporter un soutien d'urgence, dont 125 millions venant de la France. Cela concerne des générateurs, qui permettront aux Ukrainiens de passer l'hiver, les infrastructures énergétiques étant régulièrement visées par l'armée russe, et des choses aussi simples que des ampoules électriques.
S'agissant de l'énergie, le Conseil européen a donné l'impulsion politique nécessaire pour que le Conseil Energie du 19 décembre aboutisse à l'adoption d'un mécanisme autorisant, sous certaines conditions, le plafonnement des prix du gaz sur le marché. Ce mécanisme est exceptionnel et temporaire, mais il est central car il sape la spéculation sur le marché de l'énergie, qui fait monter les prix.
Deux autres textes ont été adoptés par le Conseil Energie, qui accéléreront les procédures relatives au développement des énergies renouvelables au sein de l'Union européenne ainsi que la mise en place de la plateforme d'achats conjoints de gaz naturel. Grâce à la force de levier des 500 millions de consommateurs de l'Union européenne, nous pourrons faire baisser les prix.
Ces mesures s'inscrivent dans la continuité de toutes celles prises depuis le début de la guerre. Trois règlements ont ainsi été adoptés depuis le printemps pour renforcer à la fois l'indépendance et la souveraineté énergétiques de l'ensemble de l'Union européenne. Il s'agit de mettre fin à notre dépendance énergétique à l'égard de la Russie et plus largement à l'égard des énergies fossiles. Nous insistons à chaque fois sur l'importance de réduire la consommation - c'est aussi la meilleure façon de faire baisser les prix - et d'augmenter la production d'énergie décarbonée.
Le Conseil européen a joué un rôle décisif pour conclure les discussions en cours et pour clarifier le cap à tenir en vue de l'hiver prochain, car nous ne pouvons pas tabler sur le fait que la guerre sera terminée ; nous devons donc, dès à présent, anticiper au mieux les difficultés que nous pourrions rencontrer l'hiver prochain, à la fois en matière de prix et d'approvisionnement. Cela inclut notamment la réforme du marché de l'électricité, que vous avez évoquée, Monsieur le président.
Vous avez également parlé de l'IRA et des relations transatlantiques. Des discussions ont commencé. Le Conseil européen s'est notamment accordé sur la nécessité d'une nouvelle réunion les 9 et 10 février sur le thème de l'IRA, ainsi que sur celui des migrations.
Au-delà des échanges entre l'Union européenne et les États-Unis, mais aussi des discussions qui ont eu lieu lors de la visite du Président de la République, le plus important est de renforcer la stratégie et la politique industrielles de l'Union européenne. Dans le contexte actuel de guerre, l'Union s'affirme comme beaucoup plus puissante. Elle doit le faire non seulement face à la Russie, d'un point de vue militaire, financier et humanitaire, mais également dans sa stratégie industrielle, pour devenir encore plus compétitive, plus attractive économiquement, dans l'intérêt de nos emplois, et plus solide face aux distorsions de concurrence qui menacent nos industries et notre capacité à assurer la transition énergétique. Les chefs d'État et de gouvernement ont demandé à la Commission de présenter, les 9 et 10 février, une stratégie complète pour répondre à ces défis de la façon la plus ambitieuse possible.
À ce stade - des ajustements auront lieu -, la France et l'Allemagne demandent à la Commission d'adapter le cadre relatif aux aides d'État afin d'autoriser un soutien ciblé à certains secteurs, notamment les secteurs clés pour la transition verte - le photovoltaïque, l'éolien, l'hydrogène et les pompes à chaleur -, et d'accélérer et de simplifier les procédures d'approbation des projets financés par l'Union et de ceux pour lesquels de larges aides d'État sont autorisées, tels que les PIIEC - projets importants d'intérêt européen commun.
Il nous faut trouver des réponses entre Européens. Il ne s'agit pas de se livrer à une guerre économique ou de fragmenter le marché unique : nous devons absolument sortir plus forts, tous ensemble, de cette crise, qui est notamment énergétique. Dans ce domaine, nous voulons assurer notre sécurité au meilleur prix et sur le plan européen. La solidarité est essentielle, on l'a vu cet hiver, à la fois pour nous, quand nous importions de l'électricité, ce qui n'est désormais plus le cas, mais aussi pour nos voisins, à qui nous avons exporté du gaz. Ceux qui réclament de faire de la France un îlot électrique font un premier pas en direction d'un Frexit. Prenons garde à ces brèches dans la solidarité européenne. À l'inverse, il était important d'adopter, comme vous l'avez fait hier, le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Je saisis cette occasion pour vous en remercier.
Au fil des crises successives et de la guerre en cours, de nouvelles réalités se présentent à nous dans un environnement virtuel hautement instable. Cela nous impose non seulement de prendre en compte les implications stratégiques d'une véritable confrontation qui dépasse le monde physique mais aussi les menaces qui pèsent sur nos infrastructures essentielles et nos institutions démocratiques, touchées par les fausses nouvelles et la désinformation. Cet enjeu est au cœur de plusieurs textes qui sont sur le point d'aboutir dans le cadre de la politique européenne de cyberdéfense. Leur adoption est envisagée sous forme de conclusions du Conseil Affaires étrangères, en mai-juin 2023. Grâce à ces outils, nous voulons que l'Union atteigne un niveau renforcé de cybersécurité et de résilience de ses infrastructures. C'est crucial à cette étape géopolitique. Par ailleurs, le conseil Justice et affaires intérieures qui s'est tenu les 8 et 9 décembre 2022 a adopté une recommandation visant à intensifier le soutien de l'Union européenne au renforcement de la résilience des infrastructures critiques et à s'assurer d'une bonne coordination européenne en matière de préparation et de réaction.
Les chefs d'État et de gouvernement se sont également penchés sur les relations avec notre voisinage méridional, essentielles pour la plupart des pays de l'Union européenne, en préparation du sommet dédié au voisinage sud qui est prévu pendant la présidence espagnole du Conseil, au deuxième semestre 2023. Vous savez à quel point le soutien à la prospérité et à la stabilité de cette région, comme de l'ensemble de notre voisinage, compte pour la France et pour l'ensemble de l'Union européenne. Nous proposerons un agenda positif incluant des projets relatifs aux défis partagés, notamment la sécurité alimentaire et énergétique, à l'image de ce qui a été fait pour les Balkans l'année dernière.
Cela m'amène, tout naturellement, aux Balkans occidentaux et à la Bosnie-Herzégovine. Le Conseil européen a endossé les conclusions du Conseil sur l'élargissement, adoptées le 13 décembre dernier, et marqué son accord à l'octroi à la Bosnie-Herzégovine du statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Dans le contexte géopolitique actuel, marqué par l'offensive militaire de la Russie et ses ingérences déstabilisatrices très fortes dans toute la région, accorder ce statut revenait à donner de la chair au rapprochement, que nous considérons comme important, entre l'Union européenne et les Balkans. Octroyer à la Bosnie-Herzégovine le statut de pays candidat à l'adhésion est à la fois un témoignage positif et une incitation pour ce pays à produire des efforts de réforme pour se rapprocher de l'Europe, particulièrement en matière d'État de droit. La croisade pour l'État de droit dans les pays de notre voisinage est essentielle pour nous ; pour le peuple de Bosnie-Herzégovine, c'est la promesse d'un avenir commun de paix, d'unité et de prospérité.
L'ordre du jour du Conseil européen était exceptionnellement chargé. Il reflétait aussi notre volonté toujours très forte de faire face ensemble - j'insiste sur ce terme car, chaque fois, au-delà des sujets de long terme, plus structurants, qui font notre unité, il y a eu un consensus sur les conséquences de l'agression russe contre l'Ukraine.
J'en viens à la Hongrie et à la mise en œuvre, pour la première fois, du mécanisme de conditionnalité des fonds européens. La Commission et les États membres ont déployé une action concertée, qui se poursuivra, face aux atteintes à l'État de droit partout dans l'Union européenne. S'agissant de la Hongrie, une action particulière a été engagée par la Commission parce que les risques d'atteinte aux intérêts financiers de l'Union, et donc du contribuable européen, étaient particulièrement élevés. Ces risques ont été identifiés, documentés, analysés, et ils ont conduit la Commission à actionner pour la première fois le mécanisme de conditionnalité. Nous pouvons nous réjouir que ce mécanisme ait porté ses fruits, la Hongrie ayant donné des gages concrets : elle s'est engagée à mener des réformes pour lutter contre la corruption. Toutefois, la Commission et les États membres ne sont pas naïfs : si les promesses et les textes comptent, leur mise en œuvre aussi. C'est pourquoi l'application du mécanisme se poursuit. La Hongrie devra continuer de progresser dans la mise en œuvre de ses engagements. Il faut saluer, par ailleurs, le dialogue ferme et respectueux qui est mené par la Commission avec Budapest, sans jamais se départir du haut degré d'exigence que nous avons pour nos valeurs européennes.
Je tiens aussi à dire quelques mots de la Communauté politique européenne, une initiative de la France que nous avons déjà évoquée à plusieurs reprises au sein de votre commission. Je vous remercie, Monsieur le président, d'avoir organisé une table ronde sur ce sujet, en présence de l'Ambassadeur Pierre Vimont et de plusieurs experts. Il faut faire vivre ce projet, et les idées du Parlement sont extrêmement utiles pour le concrétiser. La CPE ne se substitue à aucune des structures du continent européen ; elle vise, au contraire, à les compléter. La prochaine réunion aura lieu en Moldavie, au mois de juin. C'est, là encore, un signe important vis-à-vis de la Russie.
La diplomatie parlementaire est essentielle, non seulement pour ce projet mais aussi plus largement pour la défense des positions françaises en faveur d'une Europe plus forte, plus intégrée, plus souveraine et plus démocratique. Je pense en particulier à la Cosac, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, qui revêt une grande importance et où la France exerce une grande influence. Il faut continuer à l'utiliser pour faire avancer l'Europe et le débat démocratique. Je pense aussi, Madame Klinkert, à l'Assemblée parlementaire franco-allemande : ses travaux sont cruciaux pour mieux appréhender les défis communs, particulièrement dans la perspective du prochain Conseil des ministres franco-allemands (CMFA), qui se tiendra le 22 janvier 2023. Je pense également à tous les groupes d'amitié parlementaires, dont je salue la constitution, au mois de décembre. Soyez assurés que je reste à votre disposition et que je continuerai d'associer les députés nationaux et européens à tous mes déplacements, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire.
En conclusion, je rappelle que Charles Michel a décidé de convoquer un Sommet extraordinaire des chefs d'État et de gouvernement les 9 et 10 février 2023, pour traiter de deux sujets principaux : les questions migratoires et la politique industrielle européenne dans le contexte de la concurrence exercée par la Chine, mais aussi de l'adoption de l'IRA par les États-Unis. Face à ces enjeux et aux menaces à l'encontre de nos valeurs, il est indispensable que les chefs d'État et de gouvernement donnent rapidement des impulsions décisives. S'agissant de l'IRA, cette réunion sera préparée sur la base des propositions de la Commission mais également de toutes les bonnes idées qui pourraient être les vôtres.
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Nous subissons un choc de compétitivité colossal en raison de la hausse des prix de l'énergie et de l'IRA - ce sont les deux à la fois. Notre écart de compétitivité avec les États-Unis se creuse notamment.
Je pense, contrairement à Mme Oziol, que nous pouvons utiliser des mots forts pour expliquer ce que nous faisons. Je l'ai dit, le Président de la République le répète lors de tous les Conseils européens et la ministre de l'énergie, Mme Pannier-Runacher, fait de même : l'objectif de la France est d'assurer des prix de l'énergie plus bas et la sécurité d'approvisionnement. Ce "et" est très important : n'en déplaise à ceux qui n'apprécient pas la concurrence internationale, il existe une compétition mondiale pour l'approvisionnement en électricité et en gaz. J'ajouterai même un autre "et" : les prix, la sécurité d'approvisionnement et la transition énergétique. Nous avons toujours gardé le cap de la transition énergétique et, à court terme, celui des économies d'énergie - ce n'est pas la première fois que nous en faisons dans notre histoire, et c'est encore le meilleur moyen de faire baisser les prix.
Le remplissage des stocks est, par ailleurs, une mesure extrêmement efficace. Nos stocks sont aujourd'hui pleins à 85-90%. Je vous rappelle que nous craignions de ne pas y parvenir.
Baisse de la demande, stockage et achats conjoints se conjuguent. Plusieurs d'entre vous m'ont interrogée sur le dernier point. La plateforme d'achats est en cours de mise en place. En décembre, la Commission européenne et des énergéticiens se sont réunis pour définir le cadre dans lequel nous pourrions parvenir à une entente afin d'acheter de l'énergie à des prix moins élevés en utilisant le pouvoir de levier de toutes les entreprises européennes. Le travail est en cours, et d'autres réunions auront lieu.
À cela s'ajoutent des discussions avec des partenaires fiables, en premier lieu la Norvège. Le chancelier allemand, le Président de la République et la présidente de la Commission ont rencontré le Premier ministre norvégien, et des discussions sont en cours entre les énergéticiens français, européens et norvégiens au sujet des approvisionnements.
Nous allions la baisse de la demande, le stockage, la conclusion de contrats, la création d'une plateforme d'achats conjoints et l'augmentation de la capacité de production d'énergie bas-carbone - nucléaire et énergies renouvelables -, qui a toujours été le combat de la France. Le vote de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables est le meilleur garant de la baisse des prix.
Depuis le début de la crise, de nombreux pays européens qui étaient hostiles au nucléaire reviennent sur leur position. C'est important, car nous allons pouvoir déployer notre nucléaire plus sûrement et le rendre plus rentable grâce à des exportations.
Le dernier point sur lequel j'insisterai est la solidarité. Madame Mélin, vous voulez sortir du marché unique de l'énergie.(...) Si nous avions décidé d'un moratoire cet hiver, nous n'aurions pas disposé de suffisamment d'électricité pour tout le monde. On peut sortir du marché de l'électricité, mais il me semble que nous devons à nos concitoyens de leur assurer de l'électricité tout l'hiver et toute la nuit. Il faut choisir.
Aujourd'hui, nous exportons à nouveau de l'électricité bas-carbone et du gaz, mais il se peut très bien que nous en manquions un jour ; la solidarité jouera alors. Le meilleur moyen d'abaisser les prix est la solidarité européenne, qui nous évite de sur-stocker ou de sur-acheter dans la mesure où nous pouvons compter sur vos voisins.
Notre combat pour des prix bas et la sécurité d'approvisionnement en énergie bas-carbone m'amène à l'IRA.
Le premier pilier de notre compétitivité est la fourniture d'énergie à bas prix et fiable, la fiabilité étant cruciale pour les entreprises comme pour les ménages. Dans le cadre de l'IRA, les États-Unis mettent en place des mesures à hauteur de 367 milliards de dollars, dont près de 200 milliards ne sont pas conformes aux règles de la concurrence et de la gouvernance mondiale, alors qu'un État de droit comme l'Union européenne souhaite respecter ces règles. Si nous pouvons nous féliciter que les États-Unis s'engagent enfin dans la lutte contre le changement climatique, nous n'avons pas envie qu'ils le fassent à nos dépens.
Les négociations en cours entre l'Union européenne et les États-Unis suffiront-elles ? Non. Le second pilier est donc la nécessité que les Européens prennent en main leur autonomie stratégique et la souveraineté européenne, comme le Président de la République l'a appelé de ses vœux, en déployant un grand plan industriel.
Cela passe par une simplification des procédures, qui a fait l'unanimité, leur accélération, puisque les États-Unis accordent un crédit d'impôt, une mesure très rapide à mettre en place, et un renforcement des moyens, en ciblant mieux les secteurs concernés : technologie numérique et énergétique, transformation de notre industrie énergétique, cybersécurité et technologie de santé. Notons à cet égard que des usines - une en Autriche et deux en France - se remettent à produire en Europe des médicaments basiques, comme le Doliprane et l'amoxicilline, premières concrétisations visibles de la stratégie européenne de souveraineté et d'autonomie.
Si des moyens supplémentaires se révélaient nécessaires, nous nous assurerions qu'ils ne soient pas captés par un seul pays, ce qui pourrait être le cas si l'on se contentait de flexibiliser les aides d'État, tous les pays n'ayant pas la même capacité à en accorder. Afin de le garantir, nous œuvrerons pour qu'un instrument européen réduise ce qu'on appelle la fragmentation et offre à tous les États membres les mêmes conditions de simplification et de financement. C'est ce que demandera la France au prochain Conseil européen.
Grâce à ce plan stratégique et aux mesures concernant l'énergie, nous renforcerons non seulement la compétitivité de l'économie européenne, mais également son attractivité et donc la création d'emplois, ce qui va de pair avec un renforcement des compétences, du taux d'emploi et de la qualité du travail dans notre pays.
J'en viens aux avancées sociales. Je rappelle à Mme Oziol que la présidence française de l'Union européenne est parvenue à l'adoption d'un cadre commun en matière de salaire minimum, alors qu'une telle évolution était restée inenvisageable pendant des années. Tous les pays scandinaves refusaient une législation en la matière, car leurs partenaires sociaux négocient admirablement. La discussion n'a donc pas été facile pour Nicolas Schmit. Nous pouvons, je pense, nous féliciter du résultat obtenu.
En ce qui concerne l'écologie, nous avons adopté une grande partie du paquet "Fit for 55" avant la fin de l'année dernière. C'est la plus grande ambition politique pour faire face au changement climatique qui ait jamais vu le jour.
S'agissant des produits alimentaires à prix abordable, vous connaissez la stratégie "Farm to fork" - de la ferme à la fourchette. La France et l'Europe prônent une agriculture de qualité, respectueuse de l'environnement et à même de produire suffisamment pour que nous ne manquions pas de produits alimentaires à prix raisonnable et que nous n'affamions pas non plus le reste du monde. C'est, là aussi, une des grandes avancées de ces dernières années.
La question des droits humains en Iran comprend deux volets. La France appelle encore et toujours à une plus grande humanité dans ce pays, et plusieurs paquets de sanctions ont été instaurés. Un nouveau, extrêmement fort, qui vise des personnes, est à l'étude pour le prochain Conseil des affaires étrangères. Dans le même temps, il convient d'être responsable, car nous avons des otages dans les prisons iraniennes et nous voulons les protéger.
Notre action est très volontariste : nous appelons au respect des droits des femmes, nous publions des vidéos, nous mettons en place des sanctions contre des personnes, des groupes de personnes et des régions, de façon très ferme. Nous menons une lutte sans répit pour conforter les droits des hommes et des femmes en Iran, où nous appelons à un changement radical de politique, qu'il s'agisse du port du voile obligatoire, des mariages précoces, dès la puberté, de l'interdiction de l'avortement ou des crimes d'honneur. Nous avons dit et répété que les exécutions en cours étaient révoltantes, et nous continuerons à adopter de nouvelles sanctions tant que le régime iranien s'enfermera dans la voie de la répression.
Nous lançons également des appels pour que les ressortissants français soient en sécurité. Nous leur demandons de ne pas rester en Iran et nous essayons de protéger et de libérer nos otages.
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S'agissant du Pacte sur la migration et l'asile, nous progressons sous plusieurs angles, dont le premier est l'accueil des bateaux, après le drame de l'Ocean Viking en décembre - ou du moins ce qui aurait pu se révéler un drame.
À la suite d'une réunion extraordinaire du Conseil européen, nous avons instauré un groupe de contact regroupant les États membres et des ONG pour veiller à une bonne coordination quand un bateau transportant des migrants s'approche de nos côtes. Il s'agit d'assurer la sécurité des migrants et de garantir le suivi de la procédure relative à la prise en charge des demandeurs d'asile. C'est une bonne mesure, qui évitera des situations humainement indignes.
Après les progrès permis par la première étape du Pacte sur la migration et l'asile, la seconde étape consistera, d'abord, en un meilleur filtrage à l'entrée. Il faut s'assurer que toutes les personnes sont bien enregistrées, que leur demande est rapidement étudiée et qu'un suivi ait lieu. Il arrive que des gens s'inscrivent plusieurs fois, dans plusieurs pays ; cela ne sera plus possible grâce au nouveau système. Il y aura un volant relatif à la solidarité, comportant notamment l'accueil, et un volant relatif à la responsabilité, pour éviter ce que je viens d'évoquer.
Une troisième étape, actuellement à l'étude, permettra d'améliorer notre politique à l'égard des pays de départ. Nous devons renforcer l'aide au développement et le soutien aux structures économiques, mais aussi veiller à la sécurité : il n'est pas normal que des personnes mettent leur vie en danger en montant dans des bateaux.
J'en viens à la route des Balkans. Les migrants qui empruntent la voie maritime ne représentent pas la majeure partie des personnes arrivant en Europe.
L'entrée de la Croatie dans l'espace Schengen est une bonne nouvelle. Cette décision a d'ailleurs été adoptée à l'unanimité. Au-delà de la question des frontières que vous avez évoquée, Madame Tanguy, c'est un signal très fort. Si l'entrée de la Croatie a fait l'objet d'un consensus, c'est parce que ce pays n'a absolument pas ménagé ses efforts, depuis des années, pour se conformer à l'ensemble des critères, extrêmement exigeants, qui sont requis pour adhérer à l'espace Schengen. La Croatie a travaillé très efficacement avec la Commission.
Par ailleurs, elle est consciente de son rôle de gardienne de la plus longue frontière extérieure de l'Union européenne, qu'elle partage avec la Bosnie-Herzégovine sur près de 1 000 kilomètres. Dans le contexte des flux migratoires sur la route des Balkans, la Croatie a pris des mesures de protection supplémentaires pour mieux contrôler ses frontières, de la même façon que plusieurs pays des Balkans ont ajusté leur politique de visas pour l'aligner plus précisément sur celle de l'Union européenne.
J'en profite pour saluer le travail que vous avez réalisé, Madame Tanguy, lorsque vous présidiez le groupe d'amitié franco-croate.
Depuis plusieurs années, la politique française à l'égard des Balkans a beaucoup évolué. En raison du drame de la guerre en Ukraine, nous devons nous assurer de la solidité et de la robustesse de notre continent. C'est d'ailleurs l'objet de la Communauté politique européenne. Dans le cadre de cette politique renouvelée, beaucoup plus de visites ministérielles et de travaux communs, portant sur des projets concrets, se déroulent. Lorsque je me suis rendue en Albanie en compagnie de Mme Tanguy et de Mme Vedrenne, députée européenne, nous avons ainsi évoqué des projets de l'AFD relatifs à l'approvisionnement en eau potable.
S'agissant de la Bosnie-Herzégovine, nous portons un intérêt particulier à l'action de l'AFD et d'Expertise France, qui travaille sur l'amélioration du système judiciaire. Je me rendrai prochainement dans ce pays, où nous amplifierons les projets concrets qui sont menés.
Vous m'avez demandé, madame Tanguy, pourquoi nous n'avons pas agi plus tôt. Il y a un arbitrage à faire entre la rapidité de l'accession au statut de candidat à l'adhésion et la mise en œuvre des réformes. Un profond changement est en train d'avoir lieu en la matière. Un consensus se fait autour de l'idée que l'intégration dans l'Union européenne prend trop de temps et que nous devons accompagner mieux, et davantage, les pays qui se sont engagés sur le chemin des réformes. Le travail sur l'État de droit, les procédures et l'acquis communautaire demande une bien plus forte implication de la Commission et des États membres. Comme le Président de la République l'a souhaité, le processus d'élargissement doit être plus rapide et il faut un accompagnement renforcé. Cela ne doit pas être une antichambre dans laquelle on désespère, ainsi que cela a pu être le cas par le passé.
J'ajoute que les partenariats sont multiples : ils portent aussi bien sur l'eau que sur les infrastructures de transport et énergétiques. J'en profite pour évoquer le corridor VIII, auquel j'attache une grande importance, car c'est un élément essentiel - il s'agit de la ligne ferroviaire qui part de la pointe des Balkans et remonte vers l'Italie. Plus généralement, tout ce qui peut aider à accélérer les processus de réforme doit être soutenu. Nous le faisons en Bosnie-Herzégovine, et nous ne comptons pas nous arrêter là.
La Pologne, contrairement aux autres États membres, n'a pas pu bénéficier de versements dans le cadre du plan de relance européen, en raison de la procédure qui a été engagée. Les dernières contraintes ont certes été levées, mais pas un euro n'a encore été déboursé. En effet, un vote doit avoir lieu demain en Pologne pour entériner la réforme assurant l'indépendance de la justice. Le déblocage des fonds est lié à sa mise en œuvre.
Vous avez été nombreux à m'interroger sur la pêche. Si le thon rouge est de nouveau abondant, c'est grâce à la politique de régulation et de préservation de l'environnement. Il faut le répéter pour que tout le monde prenne bien conscience des politiques mises en œuvre. Elles n'ont pas pour vocation d'embêter les pêcheurs mais de maintenir la capacité à pêcher sur le long terme.
Monsieur Pont, vous avez relevé que le Conseil Pêche de décembre a permis à la France d'obtenir satisfaction sur un grand nombre de points, notamment les stocks partagés avec le Royaume-Uni. A priori, le règlement correspondant devrait être publié fin janvier. Par ailleurs, les consultations avec la Norvège se poursuivent activement. Une séance de négociations a lieu aujourd'hui même, et une autre se tiendra demain.
La pluriannualité des quotas est chère au cœur des pêcheurs et au nôtre. Le secrétaire d'État Hervé Berville se bat sur ce sujet, et je le soutiens. Pour l'heure, l'allocation des quotas se fonde sur des rapports scientifiques annuels. Nous poussons en faveur d'une prévisibilité à moyen terme, l'objectif devant, bien sûr, être de préserver la pêche sur le long terme.
Madame Karamanli, une Europe souveraine dotée d'une autonomie stratégique nécessite une politique industrielle robuste - c'est un premier pilier indispensable - mais aussi une politique extérieure cohérente et forte. À cet égard, la présidence française de l'Union européenne nous a dotés d'une variété d'outils : des mesures anti-coercition, des mesures miroirs ainsi qu'un instrument antisubventions particulièrement intéressant.
Lorsqu'un pays étranger subventionne outrageusement un secteur ou une entreprise et qu'il entend ensuite vendre les produits qui en sont issus au sein de l'Union européenne, nous avons le pouvoir de mener une enquête. S'il est démontré que des subventions excessives et outrageuses ont été versées, il est dorénavant possible d'appliquer des mesures tarifaires à titre de compensation. C'est un instrument particulièrement puissant vis-à-vis des pays tiers, et qui montre aussi à nos concitoyens que nous savons nous battre contre ceux qui ne respectent pas les règles.
S'agissant des investissements, nous ne devons pas faire preuve de naïveté. Certains sont un peu duaux, si je puis dire : ils offrent la possibilité de récupérer des données ou des technologies. À ce stade, les décisions relatives aux investissements relèvent largement des prérogatives nationales. Voulons-nous, pour assurer l'intégrité du marché unique, qu'elles soient en partie européennes ? Je pose cette question sans engager qui que ce soit, mais nous pourrons en débattre si vous le souhaitez.
Nous pouvons nous réjouir de l'instauration d'un impôt minimal sur les sociétés, qui montre une nouvelle fois que les règles de la gouvernance mondiale peuvent être effectives et efficaces. Cette mesure devrait permettre de dégager 150 milliards d'euros au niveau mondial, l'évaluation étant à affiner par pays.
S'agissant des technologies et de la résilience en matière de défense, nous agissons dans les domaines de la recherche, du développement de l'industrie et des achats.
Dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix, nous cherchons à faire en sorte que les pays européens, notamment les petits, qui n'ont pas beaucoup de munitions et de stocks mais qui ont fait beaucoup de sacrifices pour l'Ukraine puissent se réapprovisionner avec le soutien de l'Union européenne, et de préférence en matériel européen. Par ailleurs, des crédits européens permettront d'investir dans la recherche de défense.
En ce qui concerne les achats au sens large et l'industrie, l'ambition de la France est claire : il s'agit de développer une industrie de défense beaucoup plus large en Europe. Cela prendra un peu de temps, il faut le reconnaître. Dans la situation actuelle, des matériels sont nécessairement achetés ailleurs qu'en Europe. L'objectif est de disposer à terme, grâce aux synergies européennes, d'une industrie suffisamment puissante pour que ce soit de moins en moins fréquent. Vous l'avez dit, tout se fait en coopération avec l'Otan : la défense européenne et la défense transatlantique sont complémentaires et ont vocation à l'être. Nous pouvons nous réjouir, un peu en amont du CMFA, de l'accord sur le Scaf, qui combine tous ces éléments.
Monsieur Buchou, vous m'avez interrogée sur le Fonds social pour le climat et sur le Fit for 55. Notre objectif, en Europe, est d'être la première économie décarbonée au monde. Nous nous sommes fixé les ambitions les plus exigeantes et les plus pragmatiques. Il convient maintenant d'avancer avec nos entreprises et nos concitoyens. Des mesures telles que la taxe carbone et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières sont ainsi destinées à protéger notre industrie et nos emplois. Quant au Fonds social pour le climat, il tend à protéger les personnes en les accompagnant sur la voie de la transition. Quand un pays ferme des mines de charbon, il doit être en mesure de réindustrialiser la région concernée avec d'autres activités, comme le fait l'Allemagne en Rhénanie du Nord, mais aussi d'accompagner les personnes, soit dans une formation pour qu'elles trouvent un nouvel emploi dans la région, soit vers d'autres secteurs. Le Fonds social pour le climat servira à le faire. Il faudra le réévaluer et, si besoin, le réabonder au fur et à mesure de la transition.
Merci pour la question portant sur les prochaines étapes de la Communauté politique européenne. Nous travaillons actuellement à des projets concrets dans les sept secteurs qui ont été identifiés à Prague, dont la cybersécurité, l'énergie, les infrastructures et les échanges étudiants. Nous consultons toutes les institutions financières internationales et européennes, car la réalisation de projets concrets nécessite des fonds. Notre objectif est d'inclure ces institutions dans la Communauté politique européenne. Cela devrait être fait très prochainement, à l'occasion de la réunion en Moldavie ou sinon plus tard, en Espagne.
Pour ce qui est de l'influence politique, je rappelle que le Président de la République et Charles Michel se sont longuement entretenus, lors du premier sommet de la Communauté politique européenne, avec les dirigeants de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan sur la mise en place de la mission d'observation qui doit conduire à une discussion constructive sur les frontières. Par ailleurs, le fait que la prochaine réunion de la Communauté politique européenne interviendra après les élections turques peut être intéressant.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 janvier 2023