Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat d'actualité sur le thème : "La crise du système de santé".
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Le temps de réponse du Gouvernement à l'issue du débat est limité à cinq minutes.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l'hémicycle.
Dans le débat, la parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous la souhaitons en masse le 1er janvier, nous trinquons, étrangement d'ailleurs, en son nom, et nous nous rendons compte encore plus de son importance depuis trois ans. Nous savons à quel point elle nous est précieuse : oui, la santé est et doit demeurer au cœur de nos politiques publiques, car elle est au cœur de nos vies.
Nous l'avons déjà dit, mais il faut toujours le répéter, et la triple épidémie à laquelle nous faisons face nous le rappelle : les professionnels de santé sont essentiels à notre pays.
Leur importance est connue de tous, mais le constat demeure alarmant : trop de Français sont sans médecin traitant, et trop de professionnels de santé sont surmenés face à un flot de patients qui ne baisse pas. Trop de nos concitoyens vont aux urgences faute d'accès à un médecin de garde, et trop de services d'urgences sont surchargés par ces arrivées qui ne devraient pas être nécessaires.
Face à cette situation inquiétante, je souhaite rappeler ici que de nombreuses mesures ont déjà été prises, dont les 19 milliards d'euros investis à travers le Ségur, avec des revalorisations allant de 180 à 400 euros par mois, l'augmentation du nombre de places ouvertes aux infirmiers et aux infirmières, la mission flash sur les urgences et soins non programmés – qui concerne pour partie les difficultés des services d'urgences –, le renforcement des champs de compétences de plusieurs de nos professionnels de santé, ou encore la montée en puissance du parcours d'infirmier en pratique avancée (IPA).
Ces mesures ont ainsi, pour un temps, pansé les plaies de notre système, mais les mouvements de grève nous montrent qu'il reste encore beaucoup à faire.
Plusieurs chantiers nous attendent. Je souhaiterais ici m'arrêter tout particulièrement sur celui de l'égal accès aux soins sur l'ensemble de notre territoire. Cela suppose de répondre à un double enjeu : permettre à chacun de nos concitoyens d'être soigné près de chez lui dès qu'il en ressent le besoin tout en répondant au surmenage de nos professionnels de santé – un travail d'équilibriste, j'en conviens.
C'est ce sujet même qui avait motivé la présentation d'un rapport, rédigé avec mon collègue Philippe Mouiller, intitulé Les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action. Nous y avions proposé des pistes de réflexion pour améliorer l'accès aux soins dans les territoires avec le concours des collectivités territoriales, car elles sont évidemment centrales dans la mise en œuvre d'une politique de santé ambitieuse. Ainsi, leurs élus sont parmi les premiers à constater et à subir les inégalités géographiques dans l'accès aux soins.
En dépit des moyens limités dont elles disposent en matière de santé, les collectivités sont nombreuses à prendre des initiatives afin de répondre aux difficultés d'accès aux soins de leurs administrés : création de centres de santé ou de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), développement de la médecine ambulante et de la télémédecine. De fait, elles ne manquent pas d'imagination et de volonté pour apporter des solutions à ce problème.
Plusieurs mesures présentées par le Président de la République lors de ses vœux vont dans ce sens. Je pense ainsi à l'amélioration des conditions de vie de nos soignants, afin de renforcer l'attractivité de ces métiers dans tous nos territoires.
Je pense également à la suppression du plafond de 20 % pour les téléconsultations, car, sans être une solution universelle, ce nouveau mode de consultation est un outil indiscutable pour répondre à la pénurie de médecins, et notamment de spécialistes, dans certains de nos territoires.
Je pense enfin à l'engagement pris de permettre aux 600 000 patients atteints d'une maladie chronique d'avoir un médecin traitant attitré avant la fin de l'année.
Le Président a également annoncé vouloir travailler sur la question des rendez-vous non honorés. Je m'en félicite, car j'ai présenté des amendements allant dans ce sens lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le temps médical est précieux, et il n'est pas juste que certains de nos concitoyens le gâchent en ne respectant pas les rendez-vous pris.
Renforcer le temps médical de nos médecins implique aussi que l'on simplifie les différentes tâches administratives qui leur incombent ou encore qu'on leur apporte le soutien nécessaire.
Face à ces mesures, un enjeu d'importance perdure, et je sais qu'il concentre toute notre attention : la permanence des soins. Je crois profondément au rôle que pourront avoir les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) dans l'organisation de cette dernière. Je crois également que les professionnels de santé ont leur rôle à jouer à cet égard, en faisant en sorte de garantir à nos concitoyens, partout en France, un égal accès aux soins, chaque fois qu'ils en ont besoin.
Aucun Français ne devrait se sentir désemparé et seul lorsqu'il est question pour lui de préserver sa santé face à une pathologie ou à l'imprévu.
Des travaux sont en cours ; je pense évidemment aux nombreuses discussions qui ont pu avoir lieu au sein du Conseil national de la refondation en santé (CNR Santé) au niveau de nos territoires. Le dialogue, la coordination et la collaboration nous permettront de préparer les chantiers qui s'ouvrent à nous.
Madame la ministre, à la suite du CNR Santé et des concertations que j'ai évoquées, quelles sont les premières solutions que vous pourriez proposer pour assurer un égal accès aux soins, et plus particulièrement pour garantir la permanence des soins dans tous nos territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tenais tout d'abord, à l'occasion de cette première réponse de l'année, à vous présenter mes meilleurs vœux et à vous souhaiter, comme vous l'avez fait, madame la sénatrice, une bonne santé. Ce serait en effet une très bonne chose si nous pouvions tous être en très bonne santé…
Répondre en deux minutes à la question fondamentale que vous venez de me poser me semble assez difficile, mais, puisque l'occasion me sera offerte de répondre à plusieurs autres questions, je vais tenter de le faire au fur et à mesure de ce débat.
Vous avez commencé votre propos en insistant sur la nécessaire coordination entre les collectivités, les soignants, les élus, les agences régionales de santé et l'État pour satisfaire les besoins de santé de nos concitoyens. Ainsi, nous avons vu pendant la crise sanitaire à quel point les collectivités ont su apporter l'aide nécessaire pour répondre à l'enjeu de la vaccination. Nous pensons que cette coordination est indispensable.
Je suis ministre chargée de l'organisation territoriale : lors de mes nombreux déplacements, je constate à quel point la volonté des élus locaux de participer à l'organisation des soins, de répondre aux besoins de santé de nos concitoyens est forte.
Telle est d'ailleurs la nouvelle méthode souhaitée par le Président de la République : c'est avec les territoires et à partir des territoires, ensemble, que nous répondrons aux besoins de santé de nos concitoyens.
C'était aussi tout l'enjeu du Conseil national de la refondation : plus de trois cents réunions ont eu lieu, dont mon ministère est en train de faire la synthèse, puisque la dernière réunion s'est déroulée le 16 décembre dernier.
Le ministre François Braun et moi-même présenterons à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février le résultat de ces consultations, qui viendra compléter les propositions faites par le Président de la République vendredi dernier lors de ses vœux aux acteurs de la santé.
Nous parviendrons ensemble à répondre aux besoins de santé de nos concitoyens, au travers à la fois de la refondation de l'hôpital et de celle de la médecine de ville, car l'un ne va pas sans l'autre. Il s'agit d'une absolue nécessité, et même si l'enjeu reste devant nous, ensemble, nous réussirons !
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'imagine que, si le président et le bureau du Sénat nous ont invités à débattre d'un tel sujet aujourd'hui, c'est évidemment au regard de l'état actuel de notre système de santé.
Beaucoup de Français, beaucoup de nos compatriotes se demandent comment il est possible que, dans un pays qui consacre 55 % de ses moyens à la dépense publique, laquelle a augmenté de neuf points en vingt ans, la justice et les infrastructures ferroviaires soient dans un tel état, et que le système de santé, que nous croyions jusqu'il y a encore quelques années être le meilleur au monde, soit en train de s'effondrer, tant à l'hôpital qu'en ville.
Il faut leur fournir une réponse. Du reste, on se trompe en ne le faisant pas, car, sans cette réponse, on ne peut pas élaborer le cadre politique approprié pour agir.
À regarder de près cette dépense publique qui a progressé de neuf points en vingt ans, on s'aperçoit en fait que, ce qui s'est accru, ce sont les transferts vers les ménages et les entreprises : ils ont augmenté de dix points en vingt ans.
Le budget consacré aux services publics, quant à lui, a régressé. Et c'est là l'explication principale de l'état actuel de nos services publics : celui-ci ne représente plus qu'un tiers de la dépense publique.
Le secteur de la santé n'a que très partiellement échappé à cette évolution. Si sa part dans la dépense publique a bénéficié d'une hausse de 8 % depuis les années 1980, les plus de soixante ans, pour prendre cet exemple, cette population qui représente l'essentiel de la dépense, a quant à elle progressé de plus de 30 % dans le même temps. Nous consacrons donc, en 2022 et en 2023, moins de moyens à la santé que nous n'en consacrions à la fin du septennat de Valéry Giscard d'Estaing.
Intéressons-nous maintenant à la rémunération des professionnels, y compris ceux qui travaillent dans le privé – en effet, s'il y a des acteurs privés, le financement est, vous le savez très bien, essentiellement public – : sa part dans le PIB a baissé de 2 points depuis 1995.
Mes chers collègues, nous pourrons aborder tous les thèmes et engager tous les débats essentiels relatifs à la gouvernance et à la conception du système de santé, la répartition des tâches entre les uns et les autres, tous ces points qu'Alain Milon a d'ailleurs listés tout à l'heure en posant sa question d'actualité au Gouvernement, mais tant que nous resterons dans ce cadre général, nous ne ferons que gérer la pénurie.
La maison France sous-finance ses services publics depuis au moins vingt ans. Et cela n'a pas changé ces six dernières années ! Cela continue puisque nous avons adopté un budget de la sécurité sociale qui, pour la première fois depuis que l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) existe, progressera moins que l'inflation. Ce sont des faits incontestables.
Malgré tout, il faut se pencher sur les différents chantiers en cours.
Aussi, j'ai entendu, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le chef de l'État.
Il y a six ans, j'étais comme un certain nombre d'entre vous à l'Élysée et j'avais applaudi à la fin du discours du Président consistant à présenter Ma santé 2022 et ses dix chantiers prioritaires.
Lors de ses vœux aux professionnels de santé la semaine dernière, j'ai constaté que les propositions du chef de l'État étaient restées les mêmes six ans plus tard : six ans de perdus !
La réforme de la tarification à l'activité, la T2A, figurait déjà dans Ma santé 2022. Elle est nécessaire, mais n'a toujours pas été menée. Et l'épidémie de covid-19 n'explique pas tout, loin de là !
Affirmer que la santé est une politique prioritaire de notre pays, que préserver le service public de santé revient à préserver un haut niveau de soins et un égal accès aux soins pour nos concitoyens constitue donc une nécessité politique. Ce n'est qu'ensuite, et ensuite seulement, que l'on pourra discuter des différents sujets et faire en sorte que cette discussion ne soit pas un simple instrument de gestion de la pénurie, mais permette d'impulser un nouvel élan à la politique de santé de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, pour tenter de répondre à votre question, je vais tout d'abord me permettre de vous rappeler deux chiffres : depuis 2017, le budget consacré à la santé a augmenté de 53 milliards d'euros, soit une hausse de 20 %, pour s'établir à plus de 240 milliards d'euros ; par ailleurs, cela fait deux projets de loi de financement de la sécurité sociale, deux années de suite donc, que nous ne faisons aucune économie sur le budget de l'hôpital.
Vous avez raison : l'enjeu est à la fois de faire en sorte que les moyens soient bien utilisés et orientés vers les bonnes personnes. Tel est le défi que nous avons à relever.
Notre objectif est de fidéliser les soignants, car nous savons très bien que, par exemple à l'hôpital, ce n'est pas parce que les moyens manquent que les lits ferment, mais parce qu'il n'y a pas assez de personnel.
Nous devons aussi rendre les métiers attractifs. Pour ce faire, nous avons notamment, chose que personne n'avait jamais faite, procédé à un rattrapage au niveau des salaires.
Vous l'avez souligné, le Ségur de la santé a contribué à une augmentation des rémunérations, dont une enveloppe de 12 milliards d'euros pour les soignants, et à débloquer 19 milliards d'euros pour les investissements.
En 2018, le Président de la République avait posé un diagnostic clair. Ce qu'il a établi vendredi dernier à Corbeil-Essonnes, ce n'est pas le diagnostic, mais la feuille de route : il a ainsi fixé un cap et un objectif ambitieux.
Enfin, monsieur le sénateur, si la réforme de la T2A n'a pas pu être menée à bien depuis le lancement du plan Ma santé 2022, c'est parce que – vous ne l'avez sans doute pas oublié –, entre-temps, nous avons fait face à une crise sanitaire et que les soignants et les personnels administratifs avaient vraisemblablement autre chose à faire qu'à réformer le système de financement de l'hôpital ! (M. Bernard Jomier hoche la tête en signe de désapprobation.)
M. Éric Jeansannetas. Trop facile !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vendredi dernier, le Président de la République, lors de la présentation de ses vœux aux personnels de santé, a reconnu que notre système de santé connaissait une crise multifactorielle et qu'il fallait le réorganiser, mais ce sans moyens supplémentaires.
Ainsi, alors que l'hôpital est à l'agonie, que la médecine de ville est en grande difficulté, aucun financement exceptionnel ne sera dégagé par le Gouvernement.
Emmanuel Macron a acté l'épuisement des soignantes et des soignants, constaté que de nombreux patients n'ont plus de médecin traitant, déploré que de plus en plus d'étudiantes et d'étudiants infirmiers abandonnent leurs études en cours de route. Ce sont autant de problèmes que nous avons dénoncés dans cet hémicycle, sans que les ministres au banc les prennent en compte.
Et le président Macron continue dans la même veine en prescrivant les mêmes remèdes qui ont aggravé les maux de notre système de santé.
Pour répondre à la grogne des médecins libéraux, notamment à propos de la charge administrative excessive qui est la leur, il a promis de créer 10 000 postes d'assistants médicaux d'ici à la fin de 2024, sans pour autant instaurer de dispositif de régulation à l'installation. Il a également misé sur une forme de récompense pour celles et ceux qui accepteraient de prendre en charge davantage de nouveaux patients.
S'agissant des gardes de nuit et des week-ends, au lieu de revenir sur le décret Mattei qui, en 2002, a supprimé l'obligation pour tous les médecins d'y participer, il en est resté à des mesures d'incitation particulièrement inefficaces.
Je vous rappelle, madame la ministre, que notre groupe demande depuis des années le rétablissement de cette obligation pour les généralistes, ainsi que pour les spécialistes, d'assurer ces permanences.
Face aux nombreuses luttes en cours du côté des médecins libéraux et des personnels hospitaliers, aux alertes de plus en plus nombreuses en raison de la triple épidémie de covid-19, de bronchiolite et de grippe, qui renforce le désarroi et la colère des soignants, on aurait pu espérer que les réponses du Président changent radicalement la donne.
Or, alors que les différents personnels sont épuisés, que toutes et tous remettent en cause les conditions et la charge de travail, qui entraînent les départs en nombre de praticiens hospitaliers, ce seraient les 35 heures qui seraient à l'origine de la désorganisation de l'hôpital.
Mais pourquoi ne pas plutôt s'interroger, madame la ministre, sur la hausse du nombre d'embauches qui aurait dû accompagner cette baisse du temps de travail ? Pensez-vous motiver les équipes, au bout du rouleau, en leur demandant de gérer la pénurie de personnels ?
Les revendications sont sur la table depuis longtemps : revalorisation des carrières et augmentation des traitements indiciaires de la fonction publique, moratoire sur les fermetures de services, d'établissements, ainsi que sur les suppressions de lits. Depuis 2017, 21 000 lits d'hospitalisation ont été supprimés, soit 5 % des capacités d'accueil !
Mais, surtout, il y a urgence à mettre en place un plan de recrutement dans le service public hospitalier, en créant 100 000 emplois, comme le demandent les syndicats et les collectifs de défense de l'hôpital.
Parallèlement, il faut revenir sur Parcoursup, supprimer le numerus apertus et accroître les capacités de formation des universités.
En outre, pour mieux articuler soins hospitaliers et soins de ville, il convient de développer des centres de santé partout en France, en veillant à leur attribuer les moyens nécessaires.
Madame la ministre, mes chers collègues, ce qui ressort des nombreuses auditions que la commission des affaires sociales a conduites, c'est la déshumanisation de l'hôpital et l'hérésie d'un "hôpital-entreprise".
Aussi, pour redonner de l'attractivité à l'hôpital, il faut "redonner de la bientraitance institutionnelle", comme le souligne le docteur Gérald Kierzek, médecin urgentiste.
Cela passe, outre l'amélioration des conditions de travail que j'ai déjà mentionnée, par la mise en œuvre de la démocratie sanitaire.
Ainsi, la création d'un tandem administratif et médical est une mesure positive qui répond à une demande très forte des soignants hospitaliers. Il faudra l'accompagner d'autres mesures, comme la suppression des pôles au profit des services, le retour d'un conseil d'administration qui garantisse une meilleure représentation des personnels, des élus, ainsi que des usagers, et qui soit doté d'un droit de veto sur le budget et le projet d'établissement.
Alors, bien sûr, il faut rompre avec la T2A. Mais l'essentiel est d'arrêter de faire voter un budget de la sécurité sociale insuffisant chaque année, car nous en subissons les conséquences au travers de la dégradation quotidienne de l'offre de soins pour toutes et tous sur l'ensemble du territoire.
En conclusion, madame la ministre, ma question est simple : allez-vous enfin garantir un financement de l'assurance maladie à la hauteur des besoins, et donc augmenter les recettes au lieu de réduire les dépenses, ce qui met à mal l'hôpital et la médecine de ville ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, vous avez raison, la crise est multifactorielle. C'est bien la raison pour laquelle il nous faut absolument refonder notre système de santé. Et quand je dis "refonder notre système de santé", il s'agit à la fois de l'hôpital et de la médecine de ville. On n'y arrivera pas si l'on ne travaille que sur une seule jambe. Pour que tout aille bien, il nous faut absolument agir à la fois pour la ville et pour l'hôpital.
Je le répète, nous avons contribué à une augmentation de 20 % du budget consacré à la santé depuis 2017, dont 12 milliards d'euros alloués à l'augmentation des salaires – même si nous sommes d'accord qu'il ne s'agissait que d'un rattrapage – et 19 milliards d'euros en investissement.
On peut toujours décréter qu'il faille embaucher 100 000 personnes. Moi, je vais rappeler un chiffre : l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) a embauché 2 200 infirmières en 2022, alors que, entre-temps, 2 800 d'entre elles sont parties.
Mme Laurence Cohen. Et pourquoi ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. L'enjeu, je le redis, est à la fois de mettre en œuvre tous les moyens pour fidéliser les personnels en activité et de rendre les métiers attractifs.
Pour fidéliser les personnels en place, il faut tout d'abord – vous l'avez évoqué – prévoir un rattrapage au niveau des salaires : celui-ci a eu lieu ; il nous faut aussi travailler et travailler encore sur la question de la qualité de vie et coconstruire sur ce sujet.
La fidélisation passe aussi, comme l'a dit le Président de la République, par la refonte des emplois du temps à l'échelle des services.
Il convient également de redonner du sens aux métiers, en permettant aux soignants de rester dans le même service, en leur évitant, comme certains le pensent ou le disent peut-être, de "boucher les trous" dans le service d'à côté.
Il faudra enfin sortir de cette spirale négative et aboutir à ce que chacun se dise que ces métiers de la santé sont de beaux métiers, donner envie aux jeunes de s'engager dans cette filière. On ne réussira que si, à un moment donné, tout le monde en parle positivement.
Pour conclure, je rappellerai que la majoration des indemnités pour travail de nuit a été prolongée dans le cadre de la mission flash sur les urgences l'été dernier.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, si vous réussissez tout aussi bien que vous le dites, comment expliquer que notre système de santé soit dans l'état dans lequel il est ?
Ensuite, parlons chiffres : excusez-moi, mais la réalité, c'est 1,7 milliard d'euros de moins pour le budget de la santé. Voilà la réalité ! C'est cela que vous avez fait voter !
Vous nous parlez d'argent, mais cet argent existe ! Simplement, ce sont vos choix politiques qui sont en cause : il manque 70 milliards d'euros dans les caisses de la sécurité sociale du fait de l'exonération des cotisations patronales. Eh bien c'est là qu'il faut puiser, car il n'est pas vrai de dire que cette mesure est créatrice d'emplois.
Les besoins dans le domaine de la santé, hors inflation, sont évalués à 10 milliards d'euros.
Vous voyez, madame la ministre, d'un côté, il y aurait 70 milliards d'euros de recettes, de l'autre 10 milliards d'euros de dépenses. Mais vous ne voulez pas faire ce choix-là et vous êtes en train de mettre notre système de santé à genoux.
Certains personnels sont en souffrance et ne se satisfont pas de vos paroles : regardez tous les mouvements qui se développent un peu partout. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'importance de notre débat m'invite à commencer mon propos par une citation de William Arthur Ward : "Le pessimiste se plaint du vent ; l'optimiste espère qu'il va changer ; le réaliste ajuste ses voiles."
Crise des urgences, tensions engendrées par la triple épidémie de covid-19, de grippe et de bronchiolite, déprogrammation de soins médicaux, déficit criant de personnels hospitaliers, postes vacants, démissions, soignants en burn-out : la liste des notes de cette triste mélodie est bien longue.
La situation de l'hôpital continue d'inquiéter dans un contexte où la demande augmente du fait du vieillissement de la population. Nos services publics d'urgence connaissent des sous-effectifs chroniques et restent sous tension pour faire face à un afflux important de patients.
Cette situation inadmissible, qui continue à se dégrader depuis l'été 2022, est le révélateur de la crise profonde que traverse notre système de santé et témoigne du poids important de l'hôpital, en particulier de l'hôpital public, dans la prise en charge des urgences.
L'engorgement des urgences résulte d'une conjonction d'éléments défavorables.
D'abord, l'accès à une consultation chez un médecin généraliste dans un délai raisonnable devient de plus en plus compliqué. La question du temps médical disponible continuera de s'aggraver avec la croissance des départs à la retraite non remplacés.
Ensuite, les praticiens ne s'installent pas de façon harmonieuse sur le territoire. Le problème des déserts médicaux est récurrent, non seulement en secteur rural et en outre-mer, mais aussi en zone urbaine.
Enfin, il existe un déficit d'information sur la conduite à tenir en cas de problème de santé. Ainsi, de nombreux patients qui se rendent aux urgences de leur propre chef le font faute d'une meilleure orientation.
Il importe de mettre en place des mesures alternatives pour accueillir des soins non programmés, et ce afin de répondre aux besoins des patients qui souffrent d'un mal qui ne relève pas de l'urgence vitale, ce que l'on appelle la petite "bobologie".
Il serait aussi pertinent d'inciter les médecins de ville installés dans les maisons de santé à maintenir une permanence particulièrement les week-ends, afin de désengorger les urgences.
Néanmoins, ce dispositif ne peut être imposé au niveau national tant les situations sont différentes d'une région à une autre. En revanche, les agences régionales de santé peuvent jouer un rôle moteur dans différentes expérimentations. Je vous mets cependant en garde : à trop attendre, la voie de l'obligation de garde finira par s'imposer.
Au-delà, des adaptations du terrain se révèlent nécessaires : une meilleure coordination des soins, un meilleur partage des compétences, une meilleure répartition du pouvoir de décision et des responsabilités entre médecine de ville et hospitalisation.
Augmentation des capacités d'accueil en médecine de ville, accompagnement au travail collectif, développement de la télémédecine de manière bien encadrée, amélioration de la qualité de vie au travail, réduction du temps perdu dans les démarches administratives sont d'autres pistes de réflexion.
La pénurie de soignants, d'infirmiers et de médecins risque de s'installer dans la durée. Force est de constater que l'augmentation des salaires prévue dans le cadre du Ségur de la santé n'a pas entraîné une nette évolution des recrutements. Afin de résoudre le problème de ressources humaines en santé, il est essentiel d'établir un plan pluriannuel.
Mes chers collègues, face à cette crise, aucune solution simple n'existe. Mais, pour reprendre les mots de Winston Churchill, "mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge". Hélas, je crois que c'est déjà fait… (Mme la ministre déléguée rit.)
Madame la ministre, notre retard est significatif. N'attendons plus ! Alors que plus de six millions de Français n'ont pas de médecin traitant, une transformation ambitieuse de notre système s'impose. Celle-ci nécessite l'engagement de toutes les professions de santé dans une démarche collaborative pour améliorer l'accès aux soins et garantir la qualité des pratiques.
À l'aube de cette nouvelle année, reconstruisons ensemble notre système de santé.
Avec mes collègues du groupe Union Centriste, je souhaiterais que vous nous exposiez, madame la ministre, votre vision réformatrice, ainsi que le plan d'action du Gouvernement en matière de prévention, de gestion de crise, pour répondre dans l'urgence aux défis auxquels est confronté l'ensemble de notre système de santé avec ses deux piliers, le public et le privé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, 87 % du territoire est un désert médical.
L'hôpital ne va pas bien et c'est bien la raison pour laquelle – je le redis et je pense que je vais le redire encore et encore – il est nécessaire de refonder notre système de santé – médecine de ville et hôpital – et de travailler à une meilleure coordination entre public et privé – vous avez bien fait de le souligner.
En six mois, j'ai effectué environ quarante déplacements, souvent lointains. Je peux vous assurer, et ce que vous avez dit sur le sujet est très juste, que nous ne pouvons pas appliquer la même méthode en Île-de-France, qui est le plus vaste désert médical, que dans la Drôme, où je suis allée récemment. C'est donc bien à partir des territoires et avec les territoires que nous allons élaborer les réponses.
Je suis raisonnablement optimiste parce que nous constatons que les territoires apportent des solutions efficaces. La volonté et la résilience des professionnels, de tous les professionnels, il faut le souligner, nous rendent raisonnablement optimistes et vont nous permettre, en complément de la feuille de route établie par le Président de la République et des travaux du CNR, de vous faire des propositions.
Ce dont nous sommes convaincus, c'est qu'il nous faut mieux répartir la tâche – c'est particulièrement vrai pour ce qui concerne la permanence des soins. Nous ne pouvons pas laisser à quelques médecins seulement la charge d'assurer cette permanence. Il nous faut développer sur le thème de la responsabilité collective une logique de "gagnant-gagnant". C'est ce que nous sommes en train de faire, notamment dans le cadre de la négociation collective menée avec les médecins.
Comme je viens de le dire, il nous faut donc mieux répartir la charge de la permanence des soins. C'est ce sur quoi nous travaillons et c'est l'une des réponses que je peux apporter à vos nombreuses questions.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, selon le préambule de la Constitution de 1946, la Nation "garantit à tous […] la protection de la santé". Mais ça, c'était avant !
Depuis le début de la présidence En Marche, les Français ont pourtant entendu tant de promesses : dès 2018, le président Macron présentait un grand plan pour la santé appelé Ma santé 2022, censé structurer notre système pour les cinquante prochaines années. En 2020, c'était le Ségur de la santé, en 2021, le plan Innovation Santé 2030 puis, en 2022, l'annonce brutale de la refondation d'un système que vous jugez "à bout de souffle".
Notre système de santé, envié par le monde entier, a été saccagé en quelques années.
Car la réalité de votre politique, la voilà : 4 300 lits fermés à l'hôpital public en 2021, 5 700 lits fermés au cœur de la pandémie en 2020 ! Au total, 21 000 lits ont été supprimés en cinq ans, lesquels viennent s'ajouter aux 10 000 lits fermés sous François Hollande et aux 37 000 fermés sous Nicolas Sarkozy.
On comptabilise près de 100 000 lits fermés en vingt ans alors que notre population augmente et que son vieillissement nécessite davantage de soins et, donc, de moyens.
Les déserts médicaux concernent la France rurale, mais aussi une partie de la France urbaine, jusqu'à nos hôpitaux où nous trouvons porte close devant les urgences.
Notre système de santé encourage à faire du chiffre, ne promeut plus la qualité des soins et essore le personnel soignant.
Les images qui nous viennent de tous les hôpitaux de France sont déplorables : depuis le début de décembre, 150 patients seraient morts aux urgences faute de prise en charge.
Je veux aussi vous dire, madame la ministre, que des milliers de soignants non vaccinés viennent, pour la deuxième fois, de passer les fêtes de Noël suspendus, sans salaire et sans indemnités de chômage. La France est le dernier pays européen à ne pas les avoir réintégrés ! Le dernier ! Vous qui n'avez de cesse de vous référer en toutes circonstances à nos voisins européens, qu'attendez-vous pour les imiter ?
Je manque de temps pour évoquer les pénuries enregistrées par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, conséquence de notre dépendance à la production étrangère.
En ce début d'année où nous échangeons des vœux de bonne santé – que je vous adresse bien sincèrement, madame la ministre –, quelles sont les actions concrètes qu'a déjà engagées votre gouvernement pour creuser les "oasis" nécessaires au milieu de ce désert médical national ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous avez beaucoup parlé d'Europe. Je vous invite, puisque vous observez ce qui se passe à l'étranger, à regarder l'état dans lequel se trouvent les systèmes de santé des autres pays européens : le manque de professionnels est mondial, j'y insiste.
On ne peut pas se satisfaire de cette réponse, mais on ne peut pas non plus dire que l'herbe est plus verte ailleurs. Regardez bien ce qu'il se passe en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne et même aux États-Unis : le manque de professionnels de santé, je le répète, est mondial.
Il nous faut trouver des moyens pour notre pays : c'est ce à quoi nous travaillons et c'est ce que nous allons faire grâce à la feuille de route fixée par le Président de la République.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réplique.
M. Stéphane Ravier. Madame la ministre, j'avoue mon humilité : je suis sénateur français, c'est donc le système médical français et nos compatriotes qui m'intéressent. Je ne peux me contenter d'entendre dire qu'ailleurs c'est pire ou de vous écouter justifier la situation qui est la nôtre, laquelle est pourtant le résultat direct des politiques menées par les gouvernements français.
Faisons preuve d'un peu d'audace, de réflexion et d'autonomie pour que les idées franco-françaises permettent à notre système de santé d'évoluer de nouveau selon une pente favorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (M. Henri Cabanel applaudit.)
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout au long du XXe siècle, la France avait le meilleur système de santé du monde. Mais depuis trente ans, si l'excellence est toujours là, notre système de santé publique connaît sans doute l'une des plus grandes crises de son histoire.
C'est bien simple, trop de nos concitoyens, ruraux en particulier, ne trouvent plus de médecins de ville et les médecins qui restent n'en peuvent plus.
C'est tout le système de santé qui doit donc se réinventer, moyennant l'investissement de tous, à la mesure de ses moyens, et grâce à la responsabilité de chacun.
Lors de ses vœux aux personnels soignants, le Président de la République a évoqué quelques pistes d'action, dont certaines méritent d'être précisées.
Parfois, ce qui paraît être une bonne idée peut s'avérer complexe. Je citerai un exemple, celui des 600 000 malades chroniques. Un malade chronique peut souffrir de diabète, d'une entorse au pied ou d'une dépression. Pas de chance, me direz-vous, mais à qui devra-t-il alors s'adresser, sachant que le médecin de ville est la personne à qui l'on parle de tout ?
Vous me permettrez en effet d'adopter un point de vue, celui du patient qui cherche, qui parfois a peur et qui doit être aiguillé, parce que ce n'est pas son métier. À ce titre, le préadressage est essentiel. Nous souhaitons rapidement surdoter les centres 15 et 18 dans chaque département. Nous demandons la prompte mise en œuvre des plateformes de service d'accès aux soins (SAS), prévues pour orienter convenablement les patients, selon une logique de pluridisciplinarité. Nous pensons qu'il est utile de généraliser des plateaux techniques avec des infirmiers en pratique avancée, permettant de traiter la "bobologie", quand cela est opportun, ou de préadresser les patients aux urgences avec des examens déjà réalisés.
Le Président de la République a évoqué une sorte de donnant-donnant visant à rétablir des permanences de santé contre une consultation mieux rémunérée. Des maisons médicales de garde ouvertes le week-end seraient, à nos yeux, un objectif prioritaire. Les plateformes SAS pourraient déjà disposer de créneaux de réservation de rendez-vous des médecins de ville, des kinésithérapeutes ou des infirmiers. Nous souhaitons en retour que les rendez-vous non honorés soient sanctionnés quand l'abus est manifeste, parce que ces créneaux sont des trésors.
Nous avons besoin d'une réelle régulation publique, décentralisée et pluridisciplinaire.
Où concentrer nos efforts à moyen terme ? Dans les territoires, avec les acteurs locaux, et ce dès le début de la scolarité supérieure. Nous avons constaté que les plus jeunes médecins et infirmiers souhaitaient pratiquer la médecine de façon collégiale, une proposition identique devrait alors être faite – je le crois – à nos étudiants.
Nous déplorons tous l'installation des jeunes médecins ailleurs que dans nos territoires ruraux ou sous-dotés. Cependant, c'est oublier que la cassure territoriale se produit dès le premier stage d'internat. Nous proposons ainsi la création de lycées médicaux, ou d'options médicales, sur le modèle des lycées agricoles.
Nous croyons également nécessaire d'introduire, de nouveau, un entretien dans le cadre des inscriptions en école d'infirmiers et en faculté de médecine, afin d'éviter de trop nombreux abandons, mais aussi de permettre le redoublement de la première année pour empêcher les fuites à l'étranger.
Nous proposons l'agrandissement des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et la création de petits centres universitaires médicaux décentralisés dans des villes moyennes, adossés à des logements. Ainsi, les étudiants en médecine, insupportablement sous-payés, pourront découvrir, avec leurs amis, la réalité de nos territoires, dans le cadre d'une démarche contractualisée. Ils n'auront plus à s'inquiéter de trouver un toit ni de chercher à revendre leurs tours de garde à des camarades plus riches afin d'assurer leur subsistance. Les collectivités locales y sont prêtes. Les Alpes de Haute-Provence y sont prêtes, car nous savons combien un soignant en devenir, ou en place, est précieux.
Cela me conduit à mon dernier point.
Nos territoires sous-dotés ont dû investir dans le recours à des médecins intérimaires hospitaliers, parce que rien ne marchait. Nous ne cautionnons pas ces pratiques, mais il est cependant nécessaire de faire avec l'existant. Le Conseil constitutionnel a censuré une disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale limitant ce recours, tandis que la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, prévoyait une restriction d'emplois au cours de cette année. Le flou profite déjà aux intérimaires, qui dressent des listes d'établissements acceptant ces pratiques, et il est bien évident que nos établissements publics hospitaliers ne pourront pas s'aligner.
Madame la ministre, comment nos hôpitaux, déjà exsangues, pourront-ils tenir s'ils sont désertés du jour au lendemain par ces intérimaires ? Ne pourrions-nous pas créer, dans ces cas précis, des postes fixes dans les structures concernées ? (M. Henri Cabanel applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous m'avez posé de nombreuses questions, aussi vais-je essayer de répondre à quelques-unes d'entre elles.
S'agissant de nos 657 000 concitoyens souffrant d'une affection de longue durée (ALD), donc suivis pour une pathologie chronique, c'est l'urgence. Nous devons apporter des réponses à leur situation, collectivement avec les médecins.
Le cap a été fixé par le Président de la République : avant la fin de l'année, chaque patient atteint d'une ALD doit avoir accès à un médecin traitant. Ce travail sera réalisé avec la Caisse nationale d'assurance maladie.
Nous allons rapidement pouvoir appeler chaque patient souffrant d'une ALD et le mettre en contact avec un médecin traitant. Nous sommes dans une logique de "gagnant-gagnant". Les médecins sont les premiers concernés, si je puis dire, et veulent absolument nous accompagner afin de répondre à ce besoin. Un patient atteint d'une ALD, par exemple en situation de décompensation diabétique, se retrouvera alors aux urgences. Il nous faut donc travailler très rapidement sur ce sujet.
Nous avons déjà eu l'occasion de l'évoquer dans cet hémicycle : la réforme ou l'évolution du parcours de formation de nos infirmières et de nos infirmiers est nécessaire ; nous le savons.
Un taux de fuite s'élevant à 30 % en première année, puis à 20 % à la fin de la formation, signifie que 50 % de nos jeunes qui ont commencé une formation d'infirmier ou d'infirmière ne la poursuivent pas jusqu'à son terme. Cela veut dire qu'un problème existe. Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) est très clair sur ce point. Nous allons aussi, rapidement, faire des propositions afin d'éviter cet écueil.
Au sujet des rendez-vous non honorés, nous pouvons tous apporter des réponses si nos concitoyens nous y aident. Les besoins de santé ne sont pas des besoins de consommation et un rendez-vous n'est pas un bien de consommation comme un autre : je prends un rendez-vous, je l'honore, car si je ne m'y rends pas, cela signifie que quelqu'un d'autre n'a pas pu être pris en charge. Nous allons donc travailler et faire des propositions.
Concernant le pacte avec les collectivités, souhaité par le Président de la République, celui-ci est nécessaire. Mes nombreux déplacements montrent à quel point l'investissement des collectivités, afin de rendre le territoire attractif et d'accueillir de jeunes internes ou de jeunes médecins, est intéressant.
La maison des internes et des soignants à Morteau est un bel exemple de travail de coconstruction entre les collectivités, les ARS et les soignants, afin de permettre aux jeunes de découvrir le milieu rural ou semi-urbain et d'éventuellement s'y installer.
Enfin, s'agissant de l'intérim, nous avons pris la décision d'une mise en application à partir du mois de mars : cette loi est votée et doit donc être appliquée. Nous avons trouvé une voie avec les ARS et les hôpitaux. Les ARS sont prévenues, mais évidemment, il nous faut trouver les personnels… (M. Jean-Yves Roux acquiesce.)
M. le président. Madame la ministre déléguée, veuillez conclure.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Oui, monsieur le président. Je compléterai ma réponse tout à l'heure.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de ses vœux aux acteurs du secteur, le Président de la République a tenté de fixer un nouveau cap pour la santé dans notre pays.
Ce cap était nécessaire et attendu. Après trois ans d'une pandémie qui a épuisé les soignants et qui continue de les mobiliser quotidiennement, il se devait d'aller au-delà d'une sorte de rediffusion de Ma santé 2022 voire d'un "autosatisfecit" presque gênant.
Le constat dressé par le Président de la République est largement connu et partagé. Les annonces, en revanche, manquent de contenu et, concrètement, de crédibilité au service de la santé des Françaises et des Français.
La médecine de ville est en crise, tiraillée entre des besoins plus importants de la population, des "déserts médicaux" toujours plus préoccupants et des professionnels de santé qui, en nombre insuffisant, peinent à dégager le temps médical nécessaire.
Face à cela, nous avons eu droit au catalogue des annonces relatives au système de santé des cinq dernières années.
Quelle signification concrète pour la solidarité collective, les revalorisations différenciées, la valorisation de l'exercice coordonné ? Certes, ce n'est pas simplement une question de moyens, mais nous sommes au milieu d'une négociation conventionnelle particulièrement tendue !
D'un seul coup, le seuil de 20 % de téléconsultations ne serait plus pertinent. Quelle médecine voulons-nous ? Une médecine sans examen clinique pratiquée dans des centres d'appels éloignés des populations ? Une médecine à deux vitesses vidant un peu plus encore les territoires ? La télémédecine est un outil complémentaire, mais ne doit pas être un substitut "ubérisé" à une médecine de qualité.
Il faut embaucher davantage d'assistants médicaux, nous dit le Président de la République. Soit ! Cependant, pour ce qui est du financement, aucune précision !
Bien sûr, le Président de la République s'est aussi prononcé sur la délégation d'actes, estimant qu'elle devait être "simplifiée, généralisée" et qu'"il ne faut pas qu'il y ait de conflits entre les professions". Quels choix cette formule sibylline traduit-elle ? Que veut dire concrètement apporter une "solution de santé en incitant les acteurs de santé sur un territoire à coopérer entre eux" ? Quid, par exemple, des infirmiers en pratique avancée, à peine cités par le Président de la République ?
Au chapitre des solutions simples, le Président de la République a annoncé, concernant les 6 millions de Français sans médecin traitant, que les 600 000 malades chroniques qui n'en disposent pas s'en verraient prochainement proposer un par la Caisse nationale de l'assurance maladie. On se demande pourquoi cette annonce n'est pas venue plus tôt…
Surtout, se poser la question du nombre de Français dépourvus de médecin traitant est une chose ; se demander quel est le rôle de ce dernier aujourd'hui dans le système de soins en est une autre. Or, pour cette seconde question, aucune vision n'est portée par l'exécutif. "Le médecin traitant doit être la porte d'entrée, mais pas le verrou de notre système" : en disant cela, certes, on ne fâche personne, mais on ne résout aucun problème.
Quelle est la feuille de route poursuivie par la multiplication désordonnée des accès directs ? Comment ces derniers sont-ils justifiés, mis en cohérence ? Au-delà d'être la "porte d'entrée", comment donner réellement au médecin traitant les moyens d'être le pivot ?
En Suède, où s'est rendue la commission des affaires sociales, le rôle du médecin traitant n'est pas de s'occuper de la régulation, laissée souvent aux infirmiers, mais bien du diagnostic médical et de la coordination des soins. Est-ce le choix qui nous est annoncé ?
S'agissant de l'hôpital, qui connaît une crise tout aussi profonde et durable, malheureusement, le discours présidentiel n'était pas beaucoup plus clair.
Bien sûr, l'annonce "choc" relative à la tarification à l'activité a fait couler beaucoup d'encre. Derrière ce slogan d'une fin de la T2A, le Président de la République n'a fait que reprendre ce que la commission d'enquête du Sénat appelait de ses vœux l'an dernier : un modèle de financement mixte, avec une part de dotation communément appelée populationnelle, un financement lié à la qualité et, bien sûr, une part demeurant assise sur l'activité.
Cette annonce ne suffira pas à rassurer les professionnels de santé, car, répétons-le, le problème de la T2A n'est pas de lier le financement à l'activité, mais bien d'appliquer un tarif qui ne couvre pas réellement les charges des établissements. Se tromper de problème, c'est apporter une mauvaise solution.
Par surcroît, on nous dit aujourd'hui qu'il n'y aura pas de transition et que le nouveau modèle sera voté dès le PLFSS pour 2024 ! Que de promesses quand nous voyons que le Gouvernement n'a même pas conduit l'expérimentation d'un tel modèle de financement, pourtant votée dans le cadre de la LFSS pour 2021, et que les réformes du financement des soins de suite ou de la psychiatrie, jamais passés à la T2A, ne sont toujours pas effectives.
J'aimerais, pour ma part, que le Gouvernement nous fasse l'exégèse du verbe présidentiel quand il proclame qu'"on doit sortir de la tarification à l'activité dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale", tout en annonçant plus loin "une part de rémunération à l'activité qui est tout à fait légitime et qui doit continuer".
Surtout, en évoquant un changement de modèle de financement, le président Macron évite précautionneusement le sujet de la dépense et de sa régulation. Alors que l'on nous annonce des revues de dépenses et que la maîtrise de la dépense publique est une nécessité, quelle part le Gouvernement veut-il réellement consacrer à l'hôpital ?
Madame la ministre, si le nouveau modèle de financement n'est qu'une nouvelle règle de partage du même gâteau, économisons-nous des débats techniques et gardons le système actuel !
Le premier engagement à prendre à l'égard de l'hôpital est celui de l'humilité. La commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France avait choisi de ne pas appeler à une nouvelle loi Santé, comme elle avait revendiqué de ne pas engager de nouveau des modifications de la gouvernance, estimant que le cadre issu des réflexions du professeur Claris laissait la souplesse nécessaire pour revaloriser le service, d'une part, et pour "médicaliser" la direction, d'autre part.
Cessons d'annoncer de fausses révolutions et des changements de paradigme en trompe-l'œil : le véritable besoin des soignants aujourd'hui, ce sont les effectifs. Où en sont les recrutements ? Comment les hôpitaux sont-ils en capacité de renouer avec l'attractivité des postes, des carrières, et en capacité de financer davantage de soignants auprès du lit des patients ?
C'est cela la réalité des prix, madame la ministre ; c'est cela la réalité de la politique que vous avez à mener.
La feuille de route donnée par le Président de la République ne permet de déceler aucune ambition concrète pour les soignants et le système de santé qu'ils portent et, je le crains, n'annonce aucune politique structurée de la part du Gouvernement face à la crise que nous connaissons.
Vous l'avez compris, mes chers collègues, cette année 2023 commence par des annonces qui n'en sont pas, pour des réalisations dont je crains qu'elles n'en soient pas. Des mots, toujours des mots, les mêmes mots, rien que des mots… Je vous souhaite néanmoins, madame la ministre, une excellente année 2023. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, je vais essayer, par des mots qui seront suivis d'actes, de vous convaincre.
S'agissant des assistants médicaux, l'objectif du Gouvernement est que leur nombre passe de 4 000 à 10 000. En effet, l'emploi d'un assistant médical engendre un gain de 15 % de temps médical que le médecin généraliste peut alors consacrer au suivi des patients et à la prise en charge de nouveaux malades.
Concernant le financement, il faut être très clair : il est annoncé et s'élève à 36 000 euros la première année, à 27 000 euros la deuxième année et à 21 000 euros à partir de la troisième année. Le financement est donc assuré après la troisième année.
Le médecin traitant doit demeurer la pierre angulaire de notre système de santé. Le Président de la République l'a clairement dit ; c'est une volonté affichée et assumée. Il peut être le chef d'orchestre, mais ne sera pas l'homme-orchestre. Le Président de la République l'a également affirmé, me semble-t-il, et vous l'avez certainement noté.
Quand le Président de la République souligne qu'il ne doit pas être un verrou, cela signifie que d'autres professionnels pourraient constituer une porte d'entrée permettant d'amener ces quelque 6 millions de nos concitoyens dépourvus de médecin traitant vers l'un d'entre eux.
À propos de la téléconsultation, la crise sanitaire a été un accélérateur de son usage ; nous avons gagné presque quinze ans s'agissant de son développement. Néanmoins, lorsque le Président de la République aborde la question du seuil maximal de 20 % de téléconsultations par an, il ne s'agit pas de déréguler le système, mais de tenir compte du caractère bloquant de ces 20 % pour certaines spécialités. Je pense notamment à la psychiatrie, pour laquelle ce seuil est clairement limitant.
Ce n'est donc pas déréguler le système, mais faire en sorte de l'utiliser au mieux pour certaines spécialités. L'usage de la téléconsultation – et nous partageons la même analyse – est aussi un complément, qui, dans certains territoires, peut être intéressant. C'est bien l'objectif fixé.
Concernant la T2A, le Président de la République n'a pas annoncé sa suppression totale. Je rappelle que cela figurait dans la feuille de route de 2018. Il était impossible – je l'affirme de nouveau – de réformer le financement de l'hôpital avec la crise sanitaire que nous avons traversée dès 2020.
L'objectif est de coconstruire, avec les professionnels, cette réforme de la tarification de l'hôpital, tout en tenant compte des enjeux en matière de populations, de qualité et de pertinence des soins – comment éviter certaines dépenses ? M. le sénateur Milon l'a évoqué tout à l'heure –, sans sortir complètement de la T2A, puisqu'une part pourra être conservée. Puisque vous avez été également attentive au discours, vous savez que le chantier de cette réforme sera lancé dès le PLFSS pour 2024.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Mme Colette Mélot applaudit.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord saluer le travail des soignants, que ce soit en ville, en médico-social ou à l'hôpital. Ils réalisent un travail remarquable dans des conditions très difficiles.
Depuis de nombreuses années maintenant, le monde de la santé fait face à de graves difficultés. La pandémie a révélé et aggravé les contraintes qui pèsent sur notre système de santé, malgré une augmentation importante de l'Ondam de 4 % cette année et de 57 milliards d'euros depuis 2017.
Nous sommes maintenant à un tournant. Nous ne pouvons plus laisser notre système de santé se dégrader davantage. Avec vous, madame la ministre, nous devons trouver des solutions pour remédier à la situation.
À la croisée des nombreuses difficultés que connaît notre système de soins se trouvent les services d'urgence. Leur état d'engorgement est alarmant, comme le soulignera mon propos.
Alors que l'État doit pouvoir garantir de disposer de soins sur l'ensemble du territoire, les urgences sont aujourd'hui devenues le dernier rempart médical pour un nombre important de nos concitoyens.
Il est cependant essentiel que ces services restent focalisés sur les cas graves et qu'ils ne soient pas "embolisés" simplement par des soins non programmés, qui n'ont pas pu être prodigués faute de médecins.
Pour qu'ils puissent accomplir au mieux leur mission, les services d'urgence doivent tout d'abord être préservés, en amont, par une régulation efficace. En Corrèze, le nombre de personnes qui se sont rendues aux urgences au cours de l'année 2022 a augmenté de 10 %, soit un doublement en vingt ans. La régulation doit permettre de distinguer ce qui relève de l'urgence de ce qui n'en relève pas.
Une bonne régulation doit aussi réorienter. À cet égard, il me semble indispensable que les médecins de ville, qui auront à leur disposition des IPA et des assistants médicaux afin de libérer du temps médical, acceptent de réaliser davantage de soins non programmés, notamment ceux qui sont destinés aux patients qui auront été réorientés depuis les services d'accès aux soins, qui sont aux côtés du médecin régulateur.
Ces soins pourraient être assurés dans le cadre d'une communauté professionnelle territoriale de santé avec des maisons de santé pluriprofessionnelles, qui pourraient être de garde à tour de rôle afin de prendre en charge les soins non programmés.
Il convient ensuite de soulager les services d'urgence également en aval. Une fois la situation médicale du patient stabilisée, il doit être transféré hors des urgences. Un problème se pose alors. En effet, il est très fréquent que les autres services hospitaliers, devenus hyperspécialisés, refusent d'accueillir un patient qui ne relève pas de leur spécialité.
Les services d'urgence n'ont pourtant pas les moyens de conserver ces patients sans mettre en péril l'exercice de leur mission. Il faudrait mettre en place, en aval, des services de soins polyvalents destinés à accueillir les patients qui doivent être hospitalisés.
Pour cela, madame la ministre, il faudra trouver les moyens de rouvrir des lits. Ces dernières années, beaucoup de lits ont été fermés en raison d'un manque de personnel. Pour les médecins, la suppression du numerus clausus – je n'en parlerai pas – aura des effets seulement en 2030.
Actuellement, des mesures peuvent être prises afin de disposer de davantage d'infirmières et d'aides-soignantes. Ce besoin ne fera d'ailleurs que croître avec le temps, au fur et à mesure que la population deviendra de plus en plus dépendante, en raison notamment de son augmentation entre 2020 et 2030.
La prévention sera nécessaire, tout comme la prise en charge de nos aînés. Or, à ce jour, cette dernière est minutée dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ce qui décourage les soignants. Le plan Grand Âge doit être rapidement mis en place, avec les 50 000 emplois annoncés par le ministre Jean-Christophe Combe.
Un plan massif de formation est aussi nécessaire. La validation des acquis de l'expérience semble être une bonne piste.
Par ailleurs, aux termes du dernier PLFSS, les étudiants devront effectuer une quatrième année d'internat auprès d'un médecin maître de stage ; or il n'y en a pas partout. Je suggère que les six derniers mois puissent être réalisés auprès d'un médecin référent pour irriguer l'ensemble des territoires. Le médecin référent connaît bien la patientèle et est apte à conseiller ainsi qu'à orienter. Un médecin senior, en dixième année et détenteur d'une thèse, doit être payé comme un remplaçant, c'est-à-dire dix consultations par jour minimum.
Les défis que nous devons relever sont nombreux. Madame la ministre, nous devons ensemble, le plus rapidement possible, résoudre les problèmes situés en amont et en aval des urgences, ainsi qu'embaucher massivement des infirmières et des aides-soignantes, afin de prendre en charge les personnes arrivant dans ces services.
Un aménagement de la quatrième année est obligatoire pour irriguer tout le territoire, mais aussi, comme cela a été dit, pour aider les collectivités à embaucher des médecins salariés. La téléconsultation peut également rendre quelques services. (Mme Colette Mélot et M. Jean-Claude Requier applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous avez raison, les défis devant nous sont nombreux. Ensemble, nous trouverons les solutions à mettre au service de notre système de santé.
Je partage pleinement la nécessité d'assurer une gradation du recours aux différents niveaux de soins. Les services d'urgence sont aujourd'hui trop souvent la seule solution identifiée, par défaut, par nos concitoyens. Le manque de médecins de ville en est sans doute le meilleur des exemples.
Le déploiement du service d'accès aux soins constituera une véritable solution pour les patients afin que chacun soit orienté, en cas d'indisponibilité de son médecin traitant, vers une solution de soins non programmés, adaptée à son état de santé.
C'est ce que nous allons réaliser, puisque les services d'accès aux soins, après avoir été mis en place cet été dans le cadre de la mission d'urgence, seront développés, car ils apportent une réelle réponse aux besoins des territoires.
En amont des urgences, nous sommes résolument engagés à soutenir les services de régulation grâce à un plan massif afin d'attirer des candidats et de former des assistants de régulation médicale, mais aussi en faveur des médecins régulateurs, dont nous avons déjà revalorisé financièrement la mission depuis l'été 2022.
Vous avez raison, il nous faut aussi agir en aval des urgences pour fluidifier les parcours. Pour cela, nous avons réactivé les cellules de gestion territoriale des lits qui ont fait leurs preuves durant la crise sanitaire et qui permettent d'avoir une vision complète des capacités d'accueil de l'ensemble des établissements d'un territoire.
Nous avons aussi autorisé, face aux tensions induites par la triple épidémie, des mesures dérogatoires pour disposer de davantage de véhicules susceptibles d'assurer des transports, grâce au possible remboursement par l'assurance maladie des trajets de taxi effectués à la sortie des services d'urgence ou grâce au recours à des équipages d'auxiliaires ambulanciers pour des transports ne nécessitant pas de surveillance médicale.
La clé, vous le soulignez, réside dans les ressources humaines, qu'il s'agisse de former de nouveaux professionnels ou de convaincre ceux qui ont quitté le système de revenir.
C'est sur les enjeux d'attractivité et de prise en compte de la pénibilité que nous sommes en train de travailler, travail qui doit produire des effets très rapidement.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui de la crise du système de santé.
Je crains, malheureusement, que cette question ne soit déjà obsolète.
Notre système de santé n'est plus en crise. Une crise, c'est soudain, une crise, c'est brusque et momentané, et puis une crise, cela passe.
Notre système de santé n'est plus en crise. Notre système de santé n'est même plus au bord de l'effondrement : notre système de santé s'effondre, sous nos yeux.
Qui aurait pu le prévoir ? Toute personne s'étant renseignée sur le sujet !
Si notre système de santé s'effondre, c'est la conséquence mécanique, logique et implacable de choix politiques, de mauvais choix politiques, qui ont déjà coûté des vies parmi, comme toujours, les populations les plus précaires et qui maltraitent, chaque jour, des soignantes et des soignants.
Trente-six des trente-huit infirmiers et infirmières ou soignants du service des urgences de l'hôpital de Saint-Avold sont en arrêt maladie. Résultat : l'absence d'accueil la nuit à partir de dix-neuf heures.
À l'hôpital de Pontoise, en région parisienne, 90 % des effectifs des urgences sont en arrêt maladie.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Je ne peux plus entendre dire que c'est la faute du covid-19, de la grippe, des bronchiolites ou, comme on nous le rabâche tous les matins depuis des mois, des trois à la fois.
Un système de santé existe pour éviter que les gens ne tombent malades et pour les soigner quand ils le sont.
Un système de santé ne s'effondre pas à cause des maladies, comme un système éducatif ne s'effondre pas à cause de l'illettrisme, comme un système judiciaire ne s'effondre pas à cause des crimes, comme un système électoral ne s'effondre pas à cause des élections.
Le système de santé est là parce que la maladie existe, parce que la prévention est nécessaire et parce que la guérison est possible. C'est son objet, le sens même de son existence.
S'il s'effondre parce que les gens tombent malades, c'est qu'il s'effondre de lui-même. Et s'il s'effondre de lui-même, c'est parce qu'il a été sous-financé au point qu'il ne puisse simplement plus tenir.
Je ne peux pas entendre, non plus, que c'est la faute des 35 heures.
Quel déshonorant mépris à l'encontre de celles et de ceux qui, à bout de souffle, s'épuisent chaque jour et chaque nuit, et qui persistent à le faire, malgré tout, afin de remplir la mission qu'ils ont acceptée : soigner.
Si, pour soigner, il faut soi-même être malade et épuisé, si, pour guérir les autres, il faut se tuer à la tâche, si notre système de santé doit reposer sur des personnes condamnées à en avoir besoin, car elles ne sont pas en bonne santé, tout cela n'a plus aucun sens.
Alors non, la responsabilité de l'effondrement de notre système public de santé n'est celle ni des maladies ni des 35 heures.
La responsabilité incombe à celles et à ceux qui ont organisé le désinvestissement dans l'hôpital public, le forfait patient urgences, les salaires de misère, les conditions de travail indignes, la tarification à l'acte, les fermetures de lits et de services, les déserts médicaux.
Notre système de santé subit l'enchaînement, depuis plusieurs décennies, de décisions politiques à courte vue, dominées par une idéologie mortifère, qui consiste à considérer que les services publics doivent coûter le moins cher possible ainsi qu'à ne pas reconnaître la santé comme un bien commun et que le service public qui s'en occupe doit – nous le répétons depuis tellement d'années ! – être organisé uniquement en fonction des besoins.
Cependant, il y a sans doute plus grave encore. Permettez-moi de vous lire quelques phrases.
"Selon un rapport de l'OMS de 2016, 23 % des décès dans le monde sont directement liés au fait d'avoir vécu ou travaillé dans un environnement insalubre. […] Ce sont les plus défavorisés qui supportent la plus forte charge de morbidité liée à l'environnement. Le changement climatique et l'appauvrissement de la biodiversité provoqueront des chocs écologiques de forte amplitude sur notre économie et la société, dont la pandémie actuelle, d'origine zoonotique" – ce texte date quelque peu – "n'est qu'une des premières manifestations. […]
"[…] Notre protection sociale n'est pas suffisamment résiliente face aux risques environnementaux et l'État ne s'est pas doté des outils prospectifs pour faire face à la survenance plus fréquente et plus aiguë d'événements climatiques et de crises imprévues, dont les effets sur les finances publiques seront lourds de conséquences. La pandémie […] l'a démontré avec force. Les chocs futurs risquent d'être encore plus violents. Il est donc urgent de changer de paradigme, avec des politiques publiques dont l'impact environnemental est pris en compte dès la conception et en développant une culture de prévention, d'adaptation et de résilience de notre système de protection sociale."
Ce n'est pas moi qui ai écrit ces quelques lignes, en tout cas pas directement ; elles viennent du rapport adopté par notre chambre sur la sécurité sociale écologique, dont j'avais l'honneur d'être la rapportrice.
Qui peut prévoir l'impasse vers laquelle nous fonçons ? Ici, tout le monde ; simplement, tout le monde ici n'est pas au pouvoir pour l'éviter… (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
(Mme Pascale Gruny remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, ce n'est effectivement pas une crise que traverse notre système de santé et, ce que nous devons accomplir, c'est sa réforme structurelle. C'est bien pourquoi nous parlons de refondation.
Comme toute activité humaine, le système de santé est bien sûr sensible aux enjeux climatiques. Le Gouvernement fait de la santé environnementale une de ses priorités dans la politique de santé : ce sujet figure ainsi dans ma feuille de route. À ce titre, j'ai pris part ce matin aux travaux du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), au cours desquels nous avons pu poser quelques briques d'un projet de santé environnementale dont j'aurai sans doute l'occasion de venir vous parler dans les semaines à venir.
La France fait partie des États européens les plus engagés en matière de santé environnementale. Elle élabore tous les cinq ans un plan national santé environnement (PNSE) décliné en région.
Inscrits dans le code de la santé publique, les plans successifs ont permis des avancées notables pour réduire l'impact de l'environnement sur la santé, mieux prendre en compte la santé environnementale à toutes les échelles du territoire et développer des programmes de recherche structurés.
Le quatrième plan a été lancé en 2021. Il comporte plusieurs axes pour réduire les expositions environnementales affectant la santé humaine ou encore mieux connaître les expositions et les effets de l'environnement sur la santé des populations et des écosystèmes.
De même, nous prenons en compte les impacts environnementaux des activités de santé. L'évacuation des déchets d'activités de soins à risques infectieux sans atteinte de l'environnement ou le développement des possibilités de recyclage font ainsi l'objet de travaux associant l'ensemble des professionnels de santé.
De tels enjeux concernent beaucoup de ministères : soyez convaincue que le Gouvernement met tout en œuvre pour que ce dossier soit traité à l'échelle interministérielle. Je suis systématiquement aux côtés de Christophe Béchu et de Bérangère Couillard lorsqu'il s'agit de parler des problèmes relatifs à l'air ou à l'eau. La santé environnementale figure bien parmi nos sujets de préoccupation.
Enfin, prévenir, c'est guérir : voilà pourquoi la prévention est aussi un enjeu majeur de la politique que nous avons l'intention de mener. C'est tout le rôle du ministre de la santé et de la prévention et, dans le cadre du dernier PLFSS, nous avons déjà pris des mesures en ce sens.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tous les secteurs de la santé dans notre pays traversent une crise profonde, qu'il s'agisse de la médecine de ville, de l'hôpital ou des professions paramédicales. Tous les acteurs de santé font état de leur épuisement et de leur découragement.
La santé est un bien commun. Chaque citoyen devrait pouvoir se faire soigner de manière optimale, ce qui n'est plus le cas, loin de là, depuis de nombreuses années.
La crise actuelle renforce ma conviction profonde : il est absolument nécessaire de créer un nouveau service public de la santé et il est indispensable que ce dernier soit fort.
Rappelons une évidence : le service public est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas.
Les réactions des différents acteurs de la santé à l'intervention présidentielle de vendredi dernier sont majoritairement marquées par un sentiment de déception.
Le président Macron est fidèle à sa ligne politique avec, par exemple, la remise en cause des 35 heures à l'hôpital, vieille lune de la droite. La réponse au malaise actuel de l'hôpital serait de faire travailler plus les personnels hospitaliers sans que ces derniers gagnent plus.
Rappelons que, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, la majorité présidentielle a voté la possibilité pour les médecins et les infirmières de travailler jusqu'à 72 ans : quel cynisme !
Il est urgent de dégager des vraies solutions pour répondre à la pénibilité des métiers. Beaucoup d'infirmières, par exemple, abandonnent leurs fonctions moins de cinq ans après leur diplôme.
Certaines solutions préconisées peuvent sembler aller dans le bon sens, comme la remise en cause de la T2A à l'hôpital ; mais prenons garde aux modalités d'application.
En outre, madame la ministre, pouvez-vous nous préciser ce que sont "les objectifs de santé à l'échelle d'un territoire" évoqués par le Président de la République ?
Le chef de l'État a aussi mentionné les conseils d'administration des hôpitaux, qui, semble-t-il, sont censés se substituer aux conseils de surveillance actuels. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Il vous appartiendra de mettre en application les annonces présidentielles, mais – force est de le constater – vous paraissez affaiblie par la nécessité, éprouvée par le Président de la République, de monter en première ligne.
La réorganisation de la médecine de ville a peu été abordée, alors qu'elle constitue le cœur du problème. Les dispositifs d'incitation ont échoué : même l'ancienne ministre de la santé Roselyne Bachelot le dit, alors qu'ils ont été créés sur son initiative.
Au titre des gardes, on ne prévoit pas de mesure contraignante pour les médecins libéraux. L'obligation de garde permettrait pourtant de décharger les urgences hospitalières des "petites urgences".
En parallèle, les conditions d'exercice, pourtant difficiles, des internes en médecine hospitalière ne font l'objet d'aucune réflexion.
Rappelons que 30 % de nos concitoyens vivent dans un désert médical, que 6 millions de Français n'ont pas de médecin traitant et que 600 000 d'entre eux souffrent d'une affection de longue durée. Sur ce point précis, les mesures annoncées vendredi dernier ne rassurent pas.
La délégation de soins et, donc, la possibilité pour les paramédicaux de prescrire est une orientation intéressante, mais dangereuse, si elle n'emporte pas l'adhésion des professionnels de santé et si elle ne s'inscrit pas dans un projet global.
Le Président de la République semble avoir totalement renoncé au volontarisme politique dans le domaine de la santé : pas de moratoire sur les fermetures de lits ; incertitudes quant aux moyens ; pas d'annonce sur les déserts médicaux.
La santé a besoin d'un plan global et cohérent, loin des annonces à l'emporte-pièce. C'est pourquoi nous, sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sommes favorables à un plan massif d'investissement dans le domaine de la santé.
En conclusion, j'insiste sur l'importance d'associer l'ensemble des parlementaires, notamment les sénateurs, à la construction d'un projet global de santé pour notre pays, seul à même de garantir le droit à la santé pour tous nos concitoyens.
Mme le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Jean-Luc Fichet. Dans le cadre des réflexions et des travaux à venir, il nous faudra saisir l'occasion de mettre un coup d'arrêt à la gestion privée…
Mme le président. Cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole et je vous rappelle qu'un autre débat doit suivre.
M. Jean-Luc Fichet. Merci ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, nous sommes d'accord au moins sur un point : la santé est un bien commun.
C'est bien parce que les différents secteurs de la santé et leurs acteurs vont mal qu'il nous faut – je le répète – refonder l'ensemble de notre système de santé, qu'il s'agisse de l'hôpital ou de la médecine de ville.
Le Président de la République n'a pas remis en cause les 35 heures à l'hôpital. Il a simplement dit qu'il fallait donner plus de souplesse et d'autonomie au système hospitalier pour organiser les emplois du temps à l'échelle d'un service. Ce sera le moyen d'accroître la qualité de vie au travail et de redonner du sens à celui-ci. Il faut permettre aux soignants de rester dans le service qu'ils ont choisi au lieu d'aller de service en service, comme c'est trop souvent le cas actuellement.
La réforme de la T2A doit être programmée par le prochain PLFSS ; cette réflexion sera lancée prochainement. À cet égard, nous devons coconstruire différents objectifs de santé publique, y compris à l'échelle des territoires. En effet, ces objectifs ne peuvent pas être les mêmes partout ; ce n'est pas possible, même si nous devons assurer un socle national.
Pour ce qui concerne les médecins généralistes, la nouvelle convention médicale est en cours d'élaboration : les discussions doivent se poursuivre jusqu'au mois de mars prochain.
Nous souhaitons que la médecine de ville s'inscrive dans une logique de gagnant-gagnant et le médecin traitant doit rester la pierre angulaire de notre système de santé.
Je rappelle que 650 000 de nos concitoyens en ALD sont actuellement sans médecin traitant. Pour ce qui les concerne, nous nous sommes fixé un objectif ambitieux et je suis sûre que nous arriverons, avec les médecins, à répondre à leurs besoins.
Enfin, la délégation de tâches ne se fera pas contre les professionnels, bien au contraire : elle se coconstruira avec eux, et avec eux tous. C'est tout l'enjeu du comité de liaison des institutions ordinales (Clio), lesquelles ont exprimé une volonté unanime en ce sens ; c'est ce que nous allons mettre en œuvre avec les professionnels de santé.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique. (Mme Catherine Deroche proteste.)
M. Jean-Luc Fichet. Cette réplique me permettra de conclure mon propos, madame la présidente.
Il est temps de mettre un coup d'arrêt à la gestion privée lucrative des établissements de santé. Le scandale Orpea a révélé ce qui peut se passer dans les maisons de retraite : à la lumière de cette affaire, il est grand temps de s'orienter davantage vers le public et le privé non lucratif.
Mme le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre système de santé traverse une crise grave, profonde, inédite et généralisée, dont les victimes sont tout autant les soignants que les patients. Chacun d'eux se sent lésé, oublié et désespéré.
Le problème dont il s'agit est d'ordre mathématique : il y a, d'un côté, une demande de soins et, de l'autre, une offre de soins. L'unité de mesure est le temps horaire. Il faut réussir, très vite, à remettre un signe "égal" entre les deux membres de cette équation.
Du côté de la demande de soins, il faut un travail de fond sur la prévention, d'une part, et la bonne orientation des patients, de l'autre. Il faut éviter que ce volume ne soit gonflé par tout ce qui est évitable, tout particulièrement par les actes redondants.
Les mesures de prévention relèvent du temps long ; l'efficacité du parcours de soins relève d'un temps plus court, mais elle est très perturbée par la pénurie généralisée de soignants, associée à une forme de panique des patients, qui leur fait rechercher n'importe quelle solution en cas de besoin.
Du côté de l'offre de soins, le volume est gravement insuffisant, toutes professions de santé confondues.
Madame la ministre, concernant l'offre de temps médical, il faut des mesures urgentes et parfois de simple bon sens, qui nous remontent du terrain, que vous connaissez déjà, mais que l'on n'arrive pas à rendre opérationnelles.
Par exemple, les dossiers de médecins étrangers, européens ou non, aux équivalences reconnues en France, doivent être traités en urgence par les services du Conseil national de l'ordre. Ils sont des milliers en souffrance ; certains de ces praticiens attendent parfois depuis des mois une date de réunion de commission et l'on nous sollicite tous les jours pour des dossiers de cette nature : c'est incroyable qu'on ne puisse pas faire mieux. Renforcez les services s'il le faut, madame la ministre.
Pour reprendre mon équation à multiples inconnues, je ne pense pas que le temps médical soit toujours optimisé. Nous disposons pourtant de plusieurs solutions : délégation de tâches de soin, télémédecine dans certains cas, ou encore allégement des tâches administratives. Il faut que les médecins puissent se concentrer sur leur principale plus-value, c'est-à-dire le diagnostic. Ils ne doivent plus perdre la moindre minute à effectuer des transports ou encore à remplir des papiers.
Le volume de temps médical offert dépend bien sûr du nombre de médecins. Si, pour de multiples raisons, les nouveaux praticiens produisent globalement deux fois moins de temps médical que ceux des générations précédentes, il faut théoriquement en former deux fois plus.
Même si l'on actionne les autres leviers, force est de constater qu'avec 12 000 médecins formés par an au lieu de 20 000 la situation ne fera qu'empirer.
Nos facultés et nos professeurs de médecine, même avec les cours en distanciel, ont-ils atteint un maximum capacitaire ? Chaque année, des professeurs de médecine démissionnent désormais de leur chaire faute de moyens pour mener leurs travaux : dès lors, on comprend qu'il faut redonner de l'attractivité à ces carrières essentielles.
Certains de nos étudiants partent aujourd'hui pour la Roumanie ou l'Espagne afin de former.
Mme Sonia de La Provôté. Tout à fait !
Mme Nadia Sollogoub. Cette situation traduit un élitisme insupportable. Nous sommes face à un grave constat d'échec.
D'une façon plus générale, l'attractivité des carrières est un sujet d'une brûlante actualité.
Les médecins généralistes ne réclament pas qu'une augmentation de leurs actes. (Mme la ministre déléguée le confirme.) J'entends surtout qu'ils demandent un dialogue, une reconnaissance et les moyens d'attirer, partout sur le territoire, de jeunes praticiens passionnés.
Pour ma part, je m'interroge : comment se sentent les étudiants en fin de cursus, avant de faire le grand saut dans la marmite bouillonnante du système de santé français ? Ce ne sont pas des primes qu'il faut leur donner, mais des assurances.
Nous manquons de 60 000 infirmiers, mais 120 000 diplômés n'exercent pas en France. Peut-on renouer le dialogue avec ces derniers ? Il serait plus rapide de les faire revenir que d'en former de nouveaux. En parallèle, comment éviter que nos futurs diplômés ne jettent l'éponge au bout de quelques années ? Ce gâchis de formation est dramatique et coûte terriblement cher.
L'attractivité – je l'ai dit – n'est pas purement financière. Nos auditions nous laissent entendre que l'hôpital pâtit aussi de problèmes de gouvernance et de lourdeurs administratives. À cet égard, l'hôpital de Valenciennes, où les soignants semblent s'épanouir et dont le budget est excédentaire, peut-il être une source d'inspiration ?
J'ai évoqué la situation des médecins et des infirmiers. Mais que dire des aides-soignants, des sages-femmes, formées en nombre dramatiquement insuffisant, des dentistes, qui sont toujours sous les radars, ou encore des kinés…
Mme le président. Merci, chère collègue !
Mme Nadia Sollogoub. La réplique me permettra de conclure… (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, avec la mise en place du numerus apertus en 2019, nous avons beaucoup augmenté notre capacité à former des médecins. Ce sont ainsi près de 52 000 étudiants en médecine qui seront formés entre 2021 et 2025 par toutes les facultés du pays, soit 10 300 par an en moyenne. Toutefois, compte tenu de la longueur des études de médecine, les effets de la fin du numerus clausus ne seront pas perceptibles avant 2030 : nous avons encore huit années difficiles devant nous.
Il nous faut donc travailler autrement.
Vous évoquez la délégation de tâches : c'est clairement une solution que nous devons approfondir.
Je le répète, nous souhaitons que le médecin reste la pierre angulaire et le chef d'orchestre de notre système de santé. Contrairement aux caricatures que l'on rencontre parfois, il ne s'agit pas de le remplacer par des acteurs moins qualifiés.
Au contraire, nous voulons que chaque professionnel de santé puisse se concentrer sur les missions pour lesquelles il a été formé, donc lui permettre d'exercer son métier. Certaines tâches, un peu répétitives ou plus simples, peuvent ainsi être déléguées à des professionnels paramédicaux. La délégation d'actes doit être simplifiée, généralisée, et s'inscrire dans une logique d'exercice coordonné ou de réseau pour inciter chacun à coopérer.
Pour ce qui concerne les praticiens diplômés hors Union européenne (Padhue), nous avons retenu, dans le cadre du dernier PLFSS, la date du 30 avril 2023 pour assurer la gestion du stock de demandes. Cet objectif sera tenu. Pas plus tard que tout à l'heure, nous avons évoqué cette question lors d'une réunion avec l'ordre des médecins ; ce dernier s'engage à nous accompagner, avec le centre national de gestion (CNG), pour tenir ce cap. De même, il s'engage à travailler, dans le cadre du projet de loi relatif à l'immigration, à la gestion du flux de demandes.
J'en viens à "Mon espace santé". À ce titre, 65 millions de Français ont aujourd'hui un espace ouvert et moins de 2 % de nos concitoyens se sont opposés à sa création. Plus de 5 millions de documents y sont versés chaque mois. C'est un outil au service de la coopération entre les professionnels de santé. De plus, grâce à lui, les Français peuvent s'approprier pleinement leur dossier médical.
Vous avez raison : renouer avec tous les professionnels qui n'exercent plus, afin de les faire revenir, est aussi un moyen de répondre plus rapidement au manque d'effectifs criant que nous constatons. Je le répète, nous ne manquons pas tant de moyens que de professionnels.
Mme le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. Parmi les professionnels en souffrance, je tiens également à citer les pharmaciens.
Madame la ministre, selon moi, le cœur de l'équation n'est pas le nombre de professionnels de santé, mais le temps médical. Certes, on augmente de 10 % le nombre de médecins formés, mais les intéressés donneront beaucoup moins de temps médical que leurs prédécesseurs. Si ce temps est réduit par deux, il ne faut pas 10 % de médecins supplémentaires : il en faut deux fois plus.
Voilà pourquoi l'équation retenue par le Gouvernement est mauvaise. La suppression du numerus clausus ne résout pas du tout le problème : on ne forme toujours pas suffisamment de médecins et la situation ne va faire qu'empirer. (Marques d'approbation sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Bravo !
Mme le président. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour un débat d'actualité relatif à la crise du système de santé. Malheureusement, le terme d'actualité est un euphémisme : quand une situation dure et se dégrade, de jour en jour, de mois en mois et d'année et d'année, on parle de routine quotidienne, si délétère soit-elle.
Le sujet est vaste et ces quelques minutes ne sauraient suffire pour balayer les multiples causes qui ont conduit à la situation actuelle.
La pandémie a évidemment aggravé l'épuisement des professionnels de santé, à l'hôpital comme en ville. Elle a surtout révélé la perte de notre souveraineté sanitaire.
La crise du système est d'abord le fruit de plusieurs années de politiques hasardeuses en matière de santé. Comment ne pas rappeler les coups de rabot subis par l'hôpital, comme par le secteur du médicament et du dispositif médical, dans une logique dominée par la maîtrise des dépenses de santé et la réduction du déficit de la sécurité sociale ? Comment en est-on arrivé là ?
Les 35 heures non compensées ont été appliquées à l'hôpital alors que ce dernier prend en charge des patients vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Qu'on le veuille ou non, elles l'ont désorganisé.
En conséquence, on a demandé aux internes de travailler sans compter ; on sait combien leur contribution est importante pour le fonctionnement de l'hôpital. En est résulté, pendant des années, une formation très "hospitalocentrée", cependant que la médecine générale était dévalorisée.
Le souci du déficit de la sécurité sociale est d'abord celui d'une juste dépense de l'argent public ; mais depuis des années Bercy a pris, à ce titre, le pas sur l'avenue Duquesne, à une exception près – il faut le reconnaître –, la pandémie de covid-19. Pour répondre à cette crise sanitaire, l'on a accepté un déficit historique de la sécurité sociale.
L'objectif national de dépenses d'assurance maladie pour 2023, rejeté dans cet hémicycle en novembre dernier, illustre l'incohérence entre, d'un côté, d'importants moyens financiers – ils s'élèvent à 250 milliards d'euros – et, de l'autre, des missions d'intérêt général parfois mal identifiées ou encore un financement de l'hôpital qui ne fait l'objet d'aucun débat, faute d'information.
Le 15 décembre dernier, lors des traditionnelles questions d'actualité, j'alertais en outre le Gouvernement sur notre souveraineté sanitaire.
Les ruptures de stocks de médicaments et de vaccins avaient déjà fait l'objet d'une mission d'information sénatoriale en 2018, donc avant la pandémie. Alors même que le monde traverse une tempête diplomatique inédite depuis la fin de la guerre froide, il semble fondamental de prendre à bras-le-corps la question de la souveraineté sanitaire.
Je tiens d'ailleurs à saluer l'initiative de nos collègues du groupe CRCE visant à créer une commission d'enquête relative auxdites ruptures de stocks et, ce faisant, à poursuivre les travaux du Sénat sur ce sujet. À titre personnel, je n'ai jamais vu une telle situation en quarante ans d'exercice professionnel. Madame la ministre, je suis sûre que vous êtes dans la même situation.
Enfin, la souveraineté du médicament est intimement liée à son prix, qu'on le veuille ou non. Dans un marché concurrentiel marqué par une demande mondiale en augmentation, certains laboratoires préfèrent se tourner vers des pays où les prix sont plus avantageux. Cette situation a des conséquences directes sur les capacités d'innovation dans le domaine de la recherche. Dans certains cas, se pose ainsi la question de l'efficience de la clause de sauvegarde.
Enfin, pour ce qui concerne la fixation du prix du médicament, un amendement a été voté sur l'initiative de mon collègue René-Paul Savary afin d'encourager les entreprises du médicament qui relocaliseraient leurs sites de production en Europe. Malheureusement, le Gouvernement n'a pas écouté la sagesse du Sénat.
Comment ne pas évoquer, lors de ce débat, la question de la formation en internat de médecine générale ?
Je rappelle une nouvelle fois qu'un amendement avait été voté à la quasi-unanimité du Sénat en 2019, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, afin de transformer la dernière année de troisième cycle de médecine générale en une année de professionnalisation dans les territoires sous-dotés. À l'issue de la commission mixte paritaire, nous avions abouti à un accord pour créer un semestre de formation, mais le décret d'application n'est jamais paru.
Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, le Gouvernement a repris l'idée de la proposition de loi du président Bruno Retailleau votée en octobre dernier, à savoir la création d'une quatrième année de professionnalisation pour les internes de médecine générale.
Ce sujet inspire deux constats amers.
Premièrement, que de temps perdu depuis la loi de 2019 ! Cette mesure aurait pu entrer en application le 1er novembre 2021.
Deuxièmement, le Gouvernement a dénaturé la mesure proposée initialement, en permettant que cette quatrième année puisse être en partie accomplie à l'hôpital : l'esprit initial était de renforcer une médecine de ville aux abois.
Pour approfondir le sujet majeur de l'accès aux soins, je rappelle l'importance qu'occupe et que doit continuer d'occuper la médecine générale. Le peu de temps que le Président de la République a consacré, dans son discours de vœux, à la médecine de ville interroge à tout le moins. Un tel choix est même un peu choquant.
L'hôpital ira mieux si la médecine de ville va mieux.
"Nous sommes face à un système de santé au bord de la rupture" : cette phrase n'est pas de moi, même si, au terme d'une journée de travail, je puis nourrir une telle pensée. C'est le cri d'alarme lancé par le collège de la Haute Autorité de santé (HAS) en avril 2022.
Le collège de la HAS a en effet publié une lettre ouverte "à tous ceux qui œuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements". Tout y était : pénurie des personnels soignants et médicaux, déserts médicaux, mauvaise qualité des soins, accès aux soins, etc. Dans le même temps, le collège proposait bien sûr un certain nombre de mesures urgentes à mettre en œuvre.
Madame la ministre, avez-vous pris connaissance de l'appel de la HAS ? Qu'en avez-vous fait ? Si ce jugement est sévère et nous attriste tous, il reflète aussi, à bien des égards, la triste réalité.
Les professionnels de santé sont épuisés. L'ensemble des soignants sont sous l'eau. Que ferons-nous le jour où la digue sautera ? Un effondrement de notre système de santé aurait des conséquences sur l'ensemble de la société et menacerait directement l'équilibre du pays.
Je tiens à saluer tous ceux qui tiennent bon et qui, avec conscience professionnelle et abnégation, continuent jour après jour à prendre en charge des patients.
Je tiens également à rappeler la formidable implication des élus locaux, qui se battent sans relâche afin de faciliter l'installation de professionnels de santé dans leurs communes. C'est un véritable cri de désespoir que les élus et les patients poussent eux aussi. Nous l'entendons régulièrement dans nos départements respectifs.
La crise de notre système de santé est évidemment majeure, à l'hôpital comme en médecine de ville. Pourtant, nombre de professionnels de santé sont prêts à agir pour sauver ce système, dans l'intérêt des patients, notamment grâce aux progrès technologiques et à certaines innovations thérapeutiques majeures.
Cette crise touche aussi le secteur médico-social et tous les acteurs qui interviennent dans la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées à domicile : ne l'oublions pas.
À ce titre, que dire du Ségur, dont l'intention initiale était bonne, mais qui a fait tant et tant d'oubliés ? Parler de l'attractivité des métiers ne suffit pas : il faut effectivement fidéliser les personnes en poste.
Enfin, si vous savez pouvoir compter sur les maisons de santé pluriprofessionnelles et sur les professionnels de santé qui les composent, ayez le courage de reconnaître que les communautés professionnelles territoriales de santé ne sont pas la solution…
Mme le président. Merci, chère collègue ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Il ne me manquait que dix secondes, mais je finirai après ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, je vais essayer de répondre aux nombreuses questions que vous avez posées, en particulier pour ce qui concerne la pénurie de médicaments.
Annoncé par le Président de la République en 2021, le volet santé du plan France 2030 prévoit un ensemble de mesures législatives et réglementaires ainsi que 7,5 milliards d'euros pour faire de la France la nation la plus innovante et souveraine en santé d'Europe. Il s'agit notamment de l'élever au rang de leader en matière de produits de santé innovants et de renforcer son attractivité.
C'est un défi majeur, que nous avons largement abordé pendant la crise sanitaire et pour lequel nous agissons. Notre objectif est de réinstaller en France, et plus largement en Europe, les industries ô combien essentielles de production de médicaments.
Des projets de relocalisation très concrets émergent progressivement. À terme, ils permettront de limiter notre dépendance, qu'il s'agisse de l'usine de paracétamol relevant du projet Seqens, de l'usine de masques et de gants en nitrile ou encore de l'usine pour la production de médicaments dérivés du sang, à partir de plasma sanguin, à Arras.
En 2023, l'Ondam s'établit à 244 milliards d'euros, ce qui représente une croissance de 3,5 % hors dépenses covid. Il est donc difficile de parler de coups de rabot. En outre – je vous le répète –, le budget dédié à la santé a augmenté de 20 % entre 2017 et 2023.
Par ailleurs, aucune économie n'est envisagée sur les hôpitaux.
Quant à la quatrième année du diplôme d'études spécialisées de médecine générale, elle n'est pas destinée à réaliser un stage en zone sous-dense. Cette réforme a pour objectif de doter la spécialité de médecine générale d'une phase de consolidation : c'est un apport pédagogique qui vise à permettre au docteur junior d'acquérir de l'autonomie dans le cadre protecteur de la supervision, pour pouvoir s'installer rapidement, ensuite, à la sortie de ses études. La maquette de formation de troisième cycle des études de médecine générale est d'ailleurs en cours de révision dans le cadre de cette réforme.
La médecine générale et l'hôpital doivent être réformés : c'est l'enjeu de la refondation à l'œuvre. Nous sommes au moins d'accord sur ce point.
Mme le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.
Mme Corinne Imbert. Madame la ministre, vous terminez votre propos en parlant de refondation.
Dans ses vœux, le Président de la République a quant à lui parlé d'un conseil national de la refondation locale, qui relève à l'évidence de la réunionnite aiguë. Or les professionnels de santé n'ont pas de temps à perdre.
Je le répète, vous pouvez compter sur les maisons de santé pluriprofessionnelles et sur les professionnels de santé qui les composent. Toutefois, les CPTS ne sont pas la solution à tout, même si certaines d'entre elles fonctionnent bien.
Le ministère, via les unions régionales des professionnels de santé (URPS), veut qu'elles couvrent tout le territoire national. Mais, dans le département que je connais le mieux, c'est là où il y a le plus de problèmes qu'il n'y en a pas, et pour cause : les soignants n'ont pas de temps à perdre.
Les professionnels de santé peuvent être de très bonne volonté. Si les médecins et les patients changent, vous pouvez compter sur eux pour s'organiser dans une logique de proximité ; laissez-les faire, ils sauront aller à l'essentiel.
Mme Catherine Deroche. Très bien !
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez choisi de consacrer l'un de vos premiers débats de l'année qui s'ouvre à la crise du système de santé ; je suis d'accord avec vous pour considérer comme une priorité la nécessité de s'attaquer aux difficultés structurelles dont souffre notre système de santé et je partage avec vous le sens de l'urgence qu'exprime clairement la notion de crise, que vous avez choisi de développer.
En effet, si nous sortons aujourd'hui de la violente tempête épidémique de la covid-19, dont les vagues successives ont ébranlé notre système de santé, celui-ci n'en est pas moins en "crise" et vos nombreuses questions et interventions le démontrent.
Oui, la baisse inexorable de la ressource médicale, conséquence de choix politiques d'un autre temps, le vieillissement de notre population, la mutation des modes de vie et des aspirations des professionnels de santé, la perte de sens de ces beaux métiers du soin sont des déterminants de la crise systémique qui se fait jour dans un monde qui change. Ce constat de crise, ce diagnostic, a déjà été maintes fois posé et le Président de la République a eu l'occasion de le rappeler vendredi dernier, lors de ses vœux aux acteurs de la santé.
Une fois cela dit et répété, il nous faut désormais être à la hauteur des enjeux dans ce qui constitue un moment charnière : nous devons bâtir. Le Président de la République a tracé un cap clair le 6 janvier dernier dans son allocution à l'hôpital de Corbeil-Essonnes et il a posé des jalons pour la mise en œuvre des mesures à prendre. Pour faire avancer ensemble ce chantier collectif, nous avons fixé un horizon et des objectifs.
Notre premier combat reste celui de la lutte contre toutes les inégalités en matière de santé, que celles-ci soient sociales, géographiques ou liées à des vulnérabilités particulières, comme le handicap ou le grand âge. Un chiffre symbolise pour moi cette crise de l'accès aux soins : 657 000 de nos concitoyens, atteints de maladies chroniques, n'ont pas accès à un médecin traitant ou à une équipe soignante. Cette réalité, il faut la regarder en face, sans que cela la rende pour autant plus tolérable.
J'ai pu le souligner précédemment, une bonne politique fait correspondre le temps bref des crises avec le temps long des grands changements structurels.
Nous avons transformé le numerus clausus en numerus apertus et corrigé une erreur historique, mais les bénéfices de cette réforme ne seront visibles que dans une décennie. Aussi notre objectif et notre défi consistent-ils à mobiliser tous les leviers afin de gagner du temps médical pour nos soignants, au service des patients.
Ce temps, nous le dégagerons en délestant les médecins de toutes les tâches, notamment administratives, qui rongent leur emploi du temps, déjà largement surchargé. Ce temps, nous le partagerons mieux entre les différents maillons de la chaîne des soins, via une organisation coordonnée dans laquelle chacun pourra, à sa place, être le plus efficace et le plus utile.
Concrètement, cela passe, d'une part, par l'accélération des recrutements d'assistants médicaux, dont nous voulons porter le nombre de 4 000 à 10 000 d'ici à l'année prochaine et, d'autre part, par un effort inédit sur les formations paramédicales, avec notamment l'augmentation de 20 % des places dans les instituts de formation en soins infirmiers. Ces nouveaux paramédicaux, nous leur donnerons des perspectives d'évolution de carrière et de nouvelles compétences, grâce à toutes les mesures et expérimentations concernant la pratique avancée, l'accès direct et les délégations de compétences.
Nous nous assurerons en outre que les efforts seront plus équitablement répartis entre tous les acteurs : hospitaliers et libéraux, cliniques et hôpitaux doivent participer avec la même intensité à la permanence des soins et être rémunérés en conséquence. Pour la médecine de ville comme pour notre hôpital, nous oserons prendre à bras-le-corps le dossier de l'organisation de l'offre de soins, en accompagnant ces transformations.
Cela passera en particulier par une direction hospitalière rénovée pour mieux équilibrer les décisions, par le passage de la rémunération à l'activité à une rémunération fondée sur des objectifs de santé publique et par un assouplissement des règles relatives au temps de travail, toujours dans le but de s'adapter à la réalité et de permettre de répondre aux besoins d'un univers médico-social en mutation.
Quant à nos soignants, nous devrons très concrètement faciliter l'exercice quotidien de leur profession, dont l'exigence et parfois la pénibilité ne sont plus à prouver. Nous avancerons dans la compensation de la pénibilité et du travail de nuit et, dans l'attente de cette évolution, les mesures transitoires prises à l'occasion de la mission flash sur les urgences seront maintenues sine die. La dureté de l'exercice ainsi que l'enjeu majeur de la prévention de l'usure professionnelle seront, comme l'a dit la Première ministre hier, pris en compte dans la prochaine réforme des retraites.
Je me réjouis que nous ayons eu ce débat essentiel dans la perspective de la refondation de notre santé publique, pour laquelle certaines pierres importantes ont déjà été posées. (MM. Ludovic Haye et Pierre Louault applaudissent.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat d'actualité sur le thème : "La crise du système de santé".
Source http://www.senat.fr, le 23 janvier 2023