Entretien de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe, avec France 24 le 19 janvier 2023, sur la politique énergétique au sein de l'Union européenne, les relations commerciales euro-américaines et euro-chinoises.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Laurence Boone - Secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe

Média : France 24

Texte intégral

(...)

Q - La crise énergétique, c'est l'un des grands sujets qui est discuté ici, à Davos, notamment la crise énergétique en Europe. Près de 11 mois après le début de la guerre en Ukraine, est-ce que l'Europe a réellement réussi à réduire sa dépendance aux énergies fossiles russes ?

R - Absolument, l'Europe a réussi à réduire sa dépendance aux énergies fossiles russes ; elle ne l'a pas supprimée. L'Europe a fait plusieurs choses : elle a réduit sa consommation, elle a fait des plans de solidarité, et elle a préparé l'avenir avec des directives qui vont permettre de construire beaucoup plus d'énergies renouvelables.

Q - Préparer l'avenir, mais à court terme, en attendant, on a eu recours à plus d'énergies fossiles. La France, l'Allemagne et certains pays ont même rouvert des centrales à charbon. Est-ce que c'est le prix à payer à court terme sur le plan climatique à cause de cette guerre et de ce conflit ?

R - Non, je crois d'abord qu'il faut garder le cap, qui est celui d'assurer à la fois la sécurité de nos approvisionnements, des prix peu élevés et la transition énergétique. Et ce cap de transition, on ne le perd pas. Ce qui s'est passé cette année, ce doit être un cri d'alarme pour que nous accélérions sur la transition, tout en faisant très attention aux prix pour protéger les entreprises et pour protéger les ménages.

Q - Accélérer cette transition énergétique, beaucoup de pays souhaitent le faire en subventionnant notamment les énergies renouvelables, on le voit en Chine, aux États-Unis. Est-ce qu'on se dirige vers une guerre commerciale dans le secteur des énergies renouvelables ?

R - D'abord, je crois qu'il faut se féliciter que tout le monde travaille à cette transition énergétique. Ensuite, il faut être très clair, il y a un écart de compétitivité entre les États-Unis et l'Europe à cause des prix de l'énergie et à cause de l'"Inflation Reduction Act" américain. Quelle doit être la réponse européenne ? Trois choses : on veut un choc de simplification, nos procédures pour permettre la transition sont trop longues, trop compliquées ; l'"Inflation Reduction Act" c'est très simple, très rapide, avec des crédits d'impôt. Donc un choc de simplification. Un choc stratégique : investir plus et mieux dans les secteurs de la transition, donc c'est tout ce qui est technologies numériques, technologies énergétiques, et puis aussi la santé. Et un choc, ensuite, européen : nous voulons préserver des conditions équitables et un environnement sain pour les affaires dans toute l'Europe ; et ça, c'est des financements européens. Simplification, stratégie, financements européens.

Q - Cette loi américaine que vous avez mentionnée, l'"Inflation Reduction Act", qui vise à subventionner les énergies renouvelables et les entreprises, par exemple, de véhicules électriques aux États-Unis, qui investissent aux États-Unis, est-ce qu'elle risque d'avoir un effet négatif sur les entreprises européennes ? Ou est-ce que les mesures que vous avez mentionnées, qui ont été aussi mentionnées par la présidente de la Commission européenne, vont permettre d'y faire face et de se faire concurrence dans un environnement sain ?

R - Vous savez, je crois qu'avec cet "Inflation Reduction Act", la réponse européenne elle doit venir d'elle-même. Ça doit être à nouveau un cri d'alarme, un réveil, pour que nous ayons un plan industriel de transition énergétique beaucoup plus important. C'est pourquoi, en écho à ce que disait la présidente de la Commission mardi, avec le Président et la ministre de l'énergie, ce plan en trois points de simplification, d'investissements stratégiques et de financements européens doit absolument être poursuivi. C'est ce qui nous permettra d'être concurrents à parts égales, sur un pied d'égalité, avec les États-Unis.

Q - Concurrents à pied égal avec les États-Unis, et qu'en est-il avec la Chine ? Est-ce qu'on fait face à une concurrence déloyale ?

R - C'est une excellente question. La Chine, depuis le début de cette année, l'Union européenne s'est dotée d'un instrument qu'on appelle "antisubventions". Il consiste en deux choses : si on peut prouver qu'un gouvernement subventionne, j'allais dire, de façon excessive, une industrie comme celle des véhicules électriques, alors l'Union européenne taxera ces entreprises à leur entrée sur le marché européen, et restaurera donc des conditions de concurrence saines et loyales.

Q - Des conditions de concurrence saines et loyales, c'est ce que vous préconisez donc. Un autre sujet sur lequel je voudrais revenir, c'est l'économie européenne. Parlons un peu d'économie, puisque vous êtes aussi économiste. Le Fonds monétaire international s'inquiète des risques de récession, au niveau mondial, mais aussi au niveau européen. Une économie sur deux qui serait touchée par la récession en Europe. Est-ce qu'il faut s'en inquiéter ? Est-ce que c'est la conséquence aussi de la proximité de l'Europe avec l'Ukraine et le conflit ?

R - C'est sûr, l'agression de la Russie en Ukraine est horrible et une horreur pour les Ukrainiens. Nous devons absolument tout faire pour les soutenir, comme nous l'avons fait pour le début. C'est évident que c'est sur le continent, avec le prix de l'énergie, que nous souffrons le plus. Maintenant, je voudrais dire deux choses : la première, c'est que nous avions beaucoup d'inquiétude à l'entrée dans l'hiver 2022-2023. Avec la réduction de la demande, avec toutes les mesures mises en place en Européens, nous avons passé un hiver sans souci de provisions d'énergie, et les prix du gaz sont aujourd'hui revenus à ce qu'ils étaient avant la guerre. Donc on a fait la preuve pour l'hiver 2022-2023. Nous ne sommes pas tout à fait sortis du bois, nous avons l'hiver 2023-2024 ; il faut que nous continuions sur ces efforts. Mais si nous continuons comme nous l'avons fait, il n'y aura pas de récession.

Q - Merci beaucoup, Laurence Boone, d'avoir répondu à nos questions depuis Davos.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 janvier 2023