Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur l'action de la France en faveur de la liberté de la presse dans le monde, à Paris le 24 janvier 2023.

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Circonstance : Voeux à l'Association de la presse diplomatique

Texte intégral

Vous avez tenu dans les 5 minutes, Monsieur le Président, je vous en félicite,

Mesdames et Messieurs, chers amis, vous allez souffrir, je préfère vous l'annoncer, parce qu'avant de mériter, chers lauréats, votre prix, avant de mériter, chers amis, ce que je crois être un Perrier, c'est vraiment fête, ce soir, au Quai d'Orsay, vous allez devoir m'entendre vous adresser mes voeux, bien évidemment ne répondre à aucune des questions que vous m'avez posées, je ne suis pas là pour ça, mais peut-être à quelques-unes que vous ne m'avez pas posées, ceci dit sans paraphraser le général de Gaulle. Vous allez souffrir parce que contrairement à mes instructions les plus formelles, répétées et sans aucun effet, je vais prononcer un discours qui va dépasser les 5 minutes. Donc merci de votre patience et de votre indulgence. Mais vous verrez que c'est pour la bonne cause. En tout cas, de bon coeur.

Merci, M. le Président, de vos voeux et de ceux que vous exprimez au nom de l'association, avec parmi elle quelques visages amis qui n'ont pas changé du tout ! Merci de vos voeux et en retour, recevez les miens, chaleureux, pour vous-mêmes, vos familles, mais aussi professionnellement.

Je suis particulièrement heureuse d'avoir la chance d'être une ministre qui peut accueillir au Quai d'Orsay les voeux de l'Association de la presse diplomatique, en vrai de vrai, après deux ans de pandémie, deux ans et demi, deux ans d'interruption, et donc voeux ici, pour la première fois depuis le 27 janvier 2020, si ce que m'a dit Laetitia est exact, mais je n'en doute pas. Ça fait trois ans, quand même.

Depuis 2020, vous n'avez pas manqué d'activité. Vous avez été aux premières loges, c'est votre rôle, c'est votre métier, pour observer et rendre compte des transformations du monde et, pour tout dire, de ses désordres.

La Chine affirme sa puissance, de façon parfois appuyée, vous voyez l'understatement diplomatique derrière ce qualificatif.

Les réseaux de désinformation russes sont à l'oeuvre, en Afrique et en Europe aussi, notamment, pas seulement.

La pandémie de Covid-19 que nous venons de traverser a fait des millions de morts. Les régimes autoritaires ne désarment pas.

La crise climatique est de plus en plus manifeste, la guerre est revenue sur le continent européen, l'ordre international fondé sur la règle de droit est mis en cause.

Je pourrais continuer longtemps l'énumération de ce qui fait votre quotidien, comme le nôtre, autant, sinon plus que les bonnes nouvelles. Je ne veux pas tomber dans le travers qui est le vôtre, de parler surtout des mauvaises nouvelles. Et pourtant, je sais que ça fait votre quotidien autant, et sinon plus, que le Jubilé de la Reine Elizabeth ou les avancées de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne, dont je me propose précisément de vous entretenir pendant une quinzaine de minutes... Non ! Je voudrais centrer mon propos, ne m'en veuillez pas et on pourra parler des questions que vous évoquées hors micro, et je le ferai volontiers, je voudrais centrer mon propos sur un phénomène qui vous touche directement, tout comme il nous touche : la prolifération des manipulations de l'information et des attaques menées à l'encontre des journalistes.

Vous avez rappelé les chiffres terribles et éloquents donnés par Reporters sans Frontières. 57 journalistes assassinés en 2022. Je crois qu'hélas, c'est une année record. Et 533 journalistes en détention. Je crois aussi que c'est un triste record. Je veux penser à eux, comme vous pensez à eux. Je salue leur courage et mesure tout autant que vous ce que nous leur devons.

Dans ces temps tumultueux, changeants, bouillonnants, devrais-je dire, compliqués, accélérés aussi, il est plus que jamais nécessaire de pouvoir disposer d'une information libre, fiable et de qualité, comme de soutenir ceux qui la produisent. Vous jouez un rôle essentiel, vous l'avez dit, mais je vous appuie, afin de décrypter ce monde complexe et dangereux, de déjouer les facilités d'une pensée binaire, qui confine souvent au populisme ou qui y mène, de contextualiser, d'expliquer, de rétablir les faits, s'il le faut, face aux fossoyeurs de la vérité, en un mot d'INFORMER, noble métier, forte responsabilité. Le monde a besoin de vous, journalistes, et j'espère que les quelques années que j'ai passées auprès de vous, de l'autre côté de la barrière, oui, mais pas complètement de l'autre côté, en tout cas pas du côté opposé, me permettent de prononcer cette phrase avec, à vos yeux, une petite crédibilité.

Je veux ainsi saluer les lauréats du prix de l'Association de la presse diplomatique, Clément Roma et Carol Valade, récompensés pour la qualité de leur travail d'investigation sur l'influence russe - ce n'est pas moi qui suis dans le jury ! - et le déploiement de Wagner en République centrafricaine, avec son cortège de désinformation et d'exactions. Travail remarquable, rassemblé dans leur documentaire : "Centrafrique : le soft power russe".

La guerre de l'information, c'est d'abord une guerre contre l'information. Certains la mènent activement, d'abord contre les journalistes, expulsés, menacés, harcelés ou empêchés de remplir leur mission.

Je tiens donc ici à rendre hommage, en cette occasion, à tous les journalistes qui ont payé de leur vie leur engagement au service de la vérité, et notamment à nos deux compatriotes, Frédéric Leclerc-Imhoff et Pierre Zakrzewski, morts en Ukraine l'an dernier. Le premier, lorsque j'ai effectué mon premier déplacement en Ukraine, je crois que c'était le 30 mai dernier. Nos pensées vont également à Olivier Dubois, enlevé il y a plus de 21 mois, à sa famille et à tous ses amis du journal Libération et au-delà. Je veux juste vous dire, et vous me permettrez de ne pas en dire plus, que notre mobilisation, la mobilisation de l'Etat, la mobilisation de la République, est totale pour obtenir sa libération.

Partout dans le monde, la France continuera cette année à défendre la liberté de la presse et la liberté d'expression, à protéger les journalistes et les voix libres, et à promouvoir une presse de qualité.

Ma conviction, c'est aussi que cette mission, les Etats, même les Etats démocratiques, ne peuvent pas l'endosser seule. C'est avec vous, les professionnels, et avec les citoyens, que nous pourrons définir les standards d'une information libre et de qualité, dont la condition première, bien sûr, je le dis et le répète, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, est l'INDEPENDANCE. Ce programme d'action, je voudrais vous en dire un mot, ce soir. J'ai centré mon propos là-dessus.

Parce que la sécurité des journalistes est une condition absolue pour l'exercice de la liberté de la presse, la France agit pour permettre à des journalistes menacés de poursuivre leur mission. Vous le savez, mais je le redis, elle a ainsi accordé accueil et protection à un grand nombre de journalistes afghans menacés en raison de leur activité.

Nous entendons poursuivre et soutenir les initiatives visant à accueillir, accompagner et former les journalistes et les médias ukrainiens, biélorusses et russes en particulier. Parce que pour reprendre l'expression de l'un de vos confrères, la propagande russe constitue une arme à part entière dans cette guerre d'agression russe en Ukraine.

Nous nous sommes donc fortement impliqués pour mettre en place à Bucarest, avec France Médias Monde et Canal France International (CFI), une plateforme de soutien et d'appui aux journalistes ukrainiens, afin qu'ils puissent poursuivre leur activité, hors d'Ukraine, et je compte m'y rendre prochainement.

J'ai aussi réitéré ce message d'accompagnement ici même, à M. Dmitri Mouratov, cofondateur et rédacteur en chef du journal russe indépendant Novaïa Gazeta, et lauréat du prix Nobel de la paix en 2021, lorsque je l'ai reçu le 14 décembre dernier. Il est essentiel qu'une presse indépendante puisse continuer à oeuvrer pour apporter une information de qualité et vérifiée à la population russe, à la population ukrainienne, à la population biélorusse, à nous aussi.

Mais au-delà, c'est aujourd'hui le cadre même d'une information libre qu'il s'agit de préserver. Je voudrais aller un peu au-delà de ce premier point en élargissant la focale, comme on dit : ce cadre est différemment mis en cause, mais il est mis en cause par un certain nombre d'acteurs, parfois étatiques mais pas seulement, il est également fragilisé par des modèles économiques agressifs, comme ceux des réseaux sociaux.

Nous poursuivrons donc les efforts engagés à travers le Partenariat Information et démocratie, lancé en 2019 avec Reporters sans frontières, qui réunit aujourd'hui 50 Etats et dont j'ai pu présider le deuxième sommet, ce fut un honneur, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, à New York, en septembre dernier.

Le dialogue avec les plateformes, ô combien nécessaire, sera également poursuivi sur la base de la législation pionnière dont l'Union européenne s'est dotée, législation pionnière, sous présidence française du Conseil de l'Union européenne : règlement européen sur les services numériques, mieux connu sous l'acronyme DSA, dans le prolongement de l'Appel de Christchurch, lancé ici par le Président de la République et la Première ministre d'alors, Jacinda Ardern. Hommage lui soit rendu.

Le principe est simple dans notre dialogue avec les plateformes : ce qui est interdit hors ligne ne saurait être permis en ligne. Il s'agit donc d'élaborer un référentiel, qu'ils élaboreront, et qui permettra de soutenir plus efficacement les régulateurs, en particulier dans des pays qui connaissent encore assez mal les dispositifs que nous avons en Europe, je pense notamment à l'Afrique, mais il y aurait bien d'autres lieux où ce sera utile.

A cet égard, je veux aussi saluer l'engagement de l'Autorité de Régulation de la Communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), qui accompagne ses homologues dans le cadre du Réseau francophone des régulateurs des médias. J'ai reçu son président, Roch-Olivier Maistre, que nous connaissons un peu, il y a peu de temps. Je l'ai vraiment encouragé à développer cette action, comme il en a l'intention et comme il le fera au tout début de l'année qui vient de s'ouvrir.

Il n'est pas acceptable en effet qu'un état de non-droit informationnel, parce que c'est ça, la réalité, contribue à déstabiliser, saper les systèmes démocratiques, ou à générer des vagues de violences ethniques. A cet égard, et je ne veux choquer aucun d'entre vous, mais je vous lis parfois, j'ai vu des débats sur ce qui vient de se passer, soyons clairs et précis, si vous le voulez bien, nous devons nous réjouir de ce que cette station de propagande qu'était RT France ait dû annoncer l'arrêt de ses activités, suite aux mesures que nous avons prises en application des sanctions européennes. Ce fut, je le dis, un jour important pour l'intégrité du débat démocratique, et là, je vais citer l'un d'entre vous : "interdire RT ne revient pas à interdire un média, mais à interdire une arme de guerre."

La liberté de la presse suppose l'existence de médias libres, indépendants et pluralistes. Et c'est dans ce cadre que je situe notre audiovisuel extérieur public. Nous continuerons de soutenir l'action du groupe France Médias Monde dans le cadre de la réforme annoncée, de même que nous continuerons d'appuyer TV5 Monde avec nos partenaires internationaux.

Enfin, nous devons soutenir les médias locaux, lorsqu'ils aident à préserver l'espace de respiration démocratique, là où il est en recul ou attaqué. Nous devons préserver, grâce à ce moyen aussi, le débat public, le débat citoyen.

Canal France International, l'agence française pour le développement des médias, disposera à cette fin de moyens supplémentaires cette année pour soutenir encore plus efficacement les journalistes et les médias étrangers, en renforçant notamment ses actions en matière d'éducation aux médias. J'ajoute que CFI organisera un grand forum, en juin prochain, à Paris, qui s'appelle Médias et développement, qui réunira des acteurs des médias et des partenaires.

Dans cette perspective également, nous avons apporté un soutien financier important au Fonds international pour les médias d'intérêt public, coprésidé par Maria Resa et Mark Thompson (IFPIM), qui aidera les médias indépendants en difficulté à construire un modèle économique soutenable. Vous avez peut-être vu, en marge du Forum de Paris sur la paix, la décision prise par le Fonds de s'installer à Paris. C'est pour nous une bonne nouvelle, en même temps qu'une reconnaissance, puisque je crois que cela atteste de l'engagement de notre pays à cet égard.

Certains d'entre vous ont peut-être suivi la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, c'était il y a quelques mois, mais enfin peu de mois, et je voudrais rappeler l'insistance que j'ai mise à faire de ce qu'on appelle la résilience démocratique une des priorités de notre action, parce que je crois que nous sommes ici pour défendre nos valeurs et ce que nous sommes, tout autant que nos intérêts.

Le soutien aux médias en constituera un axe essentiel, tout comme le soutien à l'environnement de l'information, qu'il s'agisse des journalistes dédiés à la vérification de l'information ou de tous ces militants courageux qui, d'Iran à la Russie, permettent au grand public d'accéder à des informations que souvent les régimes autoritaires ou les dictatures tentent de dissimuler pour que nous ne voyions pas leur vrai visage. Vous-mêmes suivez régulièrement leurs comptes et vous relayez leurs informations et leurs publications. Grâce à vous, à travers vous, ils ont une résonance souvent planétaire.

Comme je l'ai noté, l'Etat n'a pas toutes les réponses. Nous allons donc lancer, de façon imminente, les Etats généraux du droit à l'information. Le Président de la République a annoncé que ce chantier sera lancé tout prochainement. Ce sera l'occasion de débattre avec vous et tous les acteurs impliqués de ce qu'est ce droit à l'information, de la meilleur façon de le préserver, de le faire croître, de le développer, là où il n'existe pas, et je l'espère, de faire émerger, grâce à ce débat, grâce à vous, de nouvelles initiatives.

Si les acteurs de l'information sont les premiers acteurs de la lutte contre les manipulations de l'information, -vous voyez la responsabilité que je fais peser sur vos épaules-, notre diplomatie, quant à elle, a la responsabilité de défendre notre pays lorsqu'il est la cible de ces manipulations. Elle doit donc s'organiser pour faire face à ces attaques. C'est ce que nous faisons. C'est ce que nous avons fait. Nous nous organisons pour y faire face, qu'il s'agisse de la transformation des moyens de communication comme du soutien renforcé que j'évoquais à la protection du journalisme.

Nous avons renforcé les moyens de ce ministère avec la création d'une nouvelle équipe "Veille et Stratégie" au sein de la Direction de la communication et de la presse. Nous nous sommes mis en ordre de bataille pour rétablir les faits et, s'il le faut, riposter. Riposter, je veux le préciser, toujours dans le respect de nos valeurs et de nos principes démocratiques. Nous ne pratiquerons pas ce que nous reprochons à d'autres de pratiquer, mais nous devons pouvoir riposter, rétablir la réalité, et donc être plus actifs pour contrer ces campagnes de manipulations qui portent atteinte à notre action et pas seulement à notre image.

J'ai aussi demandé à nos ambassadrices et ambassadeurs d'être plus présents sur les réseaux sociaux, plus présents dans les espaces virtuels, en fixant un objectif assez facile à atteindre, à vrai dire, de 100% d'ambassadrices et d'ambassadeurs présents sur les réseaux sociaux d'ici la prochaine conférence des ambassadrices et des ambassadeurs.

Dans cette même logique, je rappelle que nous avons investi en 2022 de nouveaux champs médiatiques, il faut poursuivre cette bonne tendance, nous avons lancé un podcast Sources diplomatiques, une série de live instagram et des capsules vidéo pédagogiques 100% diplo. Je voudrais dire à ceux qui ne le sauraient pas encore qu'aux six langues de communication du ministère sur les réseaux sociaux viendra bientôt s'ajouter le mandarin. Derrière tout cela, il y a beaucoup de travail, un peu de budget, beaucoup d'investissement, beaucoup d'engagement, et je veux en remercier la DCP.

Un fonds d'innovation pour la communication viendra également cette année renforcer les capacités de communication de nos ambassades et de nos consulats pour mieux faire connaître et comprendre notre action. Je crois, Madame la Directrice, que nous l'avons doté d'un demi-million d'euros, ce qui est, à l'échelle de ce ministère, considérable.

J'ai aussi souhaité qu'Anne-Claire Legendre, Directrice de la communication et de la presse et porte-parole, que vous connaissez tous et qui mène avec son équipe, ici présente, un travail exemplaire, puisse reprendre la pratique des points de presse réels, " live ". Des vrais points de presse. Et Marie, vous me permettrez d'ajouter : "enfin !"

Je n'en dirais pas plus. Donc Anne-Claire, avec François Delmas, a repris cette pratique et j'en ai de très bons échos. Donc, je les encourage à continuer, et je vous encourage à les questionner !

Mesdames et Messieurs, chers amis, j'ai dit il y a quelques jours, devant le corps diplomatique, mon espoir que cette année 2023 soit l'année du retour de la diplomatie, parce que cela n'a pas été tout à fait la marque de fabrique de l'année 2022. Une des conditions de la diplomatie, c'est le respect de la vérité et la possibilité d'un dialogue de bonne foi, comme nous entendons le mener avec vous.

Je voudrais donc, pour conclure, citer Soljenitsyne : "la violence trouve son seul refuge dans le mensonge et le mensonge son seul soutien dans la violence. Tout homme qui a choisi la violence comme moyen doit inexorablement choisir le mensonge comme règle". Chers amis, vous êtes là aussi pour rappeler cela. Ces mots résonnent aujourd'hui, comme ils résonnaient, il y a 50 ans.

Le voeu que je forme donc aujourd'hui, c'est que nous nous travaillions, nous, ensemble, encore plus efficacement à rendre la presse plus résiliente, à garantir votre sécurité dans l'exercice de vos missions, à promouvoir une information libre et fiable qui puisse contribuer à éclairer les esprits, apaiser les tensions et nous aider à bâtir la paix.

Je vous remercie de l'intérêt constant que vous portez à la diplomatie, de votre exigence aussi, et de votre contribution à la démocratie. Merci à toutes et à tous, je vous renouvelle mes voeux de bonne année à vous, à vos proches, pour vous-mêmes et pour les organes de presse que vous servez, et donc pour notre démocratie aussi. Merci à toutes et à tous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 janvier 2023