Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le conflit en Ukraine, à Odessa le 26 janvier 2023.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe avec M. Dmytro Kuleba, ministre des affaires étrangères de l'Ukraine

Texte intégral


Merci beaucoup Dmytro,

Mesdames et Messieurs, bonjour. Merci de votre présence et merci de votre intérêt.

Merci de ton accueil, Dmytro, et merci de ton invitation à Odessa. Je suis très heureuse d'être ici.

Ma visite permet de montrer que la France est aux côtés de l'Ukraine, et qu'elle soutient, sa souveraineté, son indépendance, son intégrité territoriale, aujourd'hui comme hier, et à Odessa comme ailleurs. C'est un message d'amitié et de soutien que je suis venue porter, ce message c'est la quatrième fois que je viens le porter ici, en Ukraine, pour la France, de la part du Président de la République, et à sa demande, pour l'Ukraine et pour le peuple ukrainien. Je crois que depuis que j'ai pris mes fonctions à la fin du mois de mai, étant venue quatre fois, l'Ukraine est le pays dans lequel je me suis rendue le plus souvent, ce qui est à la fois normal et nécessaire.

Dmytro Kuleba l'a dit, cette visite, cette fois-ci se déroule à Odessa, une ville mondialement connue, une ville d'histoire et de culture, et une ville qui a des liens particuliers avec la France, non seulement grâce au Duc de Richelieu, mais parce qu'Odessa est jumelée avec Marseille, un autre grand port. Et de plus, Odessa a l'honneur - honneur qui est mérité - d'être depuis hier inscrite au Patrimoine mondial de l'UNESCO. Permettez-moi, comme l'a fait Dmytro, de féliciter Odessa et les habitants d'Odessa, mais aussi de saluer la décision du comité du Patrimoine mondial et de saluer l'engagement de l'UNESCO, de la directrice générale de l'UNESCO, qui a aidé Odessa à préparer cette candidature, et qui a pu la mener à bonne fin, malgré la complexité de la situation qui est celle d'aujourd'hui.

Je veux en tirer une leçon positive, qui est que le multilatéralisme marche, quand il est pratiqué de bonne foi et pour de bonnes raisons. Il permet non seulement d'apporter une contribution positive pour la protection du patrimoine culturel, mais également pour la paix, parce que grâce à cette inscription, Odessa pourra bénéficier de l'aide de l'UNESCO pour la protection de son patrimoine, pour la mise en valeur future de son patrimoine quand la paix reviendra, car elle reviendra. Mais d'ores et déjà, Odessa est placée sous la protection renforcée de la communauté internationale, grâce à cette inscription. Malheureusement, l'UNESCO a dû hier également prendre la décision d'inscrire Odessa sur la liste du Patrimoine mondial en danger, à cause de la guerre qui menace cette ville, comme elle menace tant et tant de villes et de campagnes en Ukraine.

Le ministre a évoqué quelques-uns des sujets dont nous avons pu parler, et je voudrais simplement tout à la fois confirmer ce qu'il a dit, et compléter avec quelques réflexions qui viennent de la part de la France, parce que cela fait bientôt un an que la Russie poursuit sa guerre d'agression au mépris des règles les plus fondamentales de la Charte des Nations unies, et au mépris des propres engagements qui étaient les siens. Près d'un an aussi, qu'elle multiplie les exactions et les crimes de guerre. Près d'un an qu'elle tente de briser la résistance de la population ukrainienne, en ciblant les civils, en détruisant systématiquement les installations énergétiques et critiques ukrainiennes. La centrale que nous avons visitée ce matin, qui avait été déjà frappée par des bombardements russes et qui a été frappée à nouveau aujourd'hui illustre malheureusement les crimes qui sont commis, jour après jour, par la Russie en Ukraine. Frapper les civils, ce n'est pas faire la guerre, c'est faire des crimes de guerre.

Si nous sommes aux côtes de l'Ukraine, c'est parce que cette guerre, engagée par la Russie, menée par elle depuis bientôt un an, engage non seulement la sécurité de l'Ukraine mais celle du continent européen. Et pour cette double raison, je veux redire que nous serons aux côtés de l'Ukraine aussi longtemps que ce sera nécessaire. Avec ses partenaires européens, avec ses alliés, la France prend tout sa part à cet effort pour aider l'Ukraine à se défendre et à recouvrer sa souveraineté. Elle fournit du matériel qui correspond aux besoins exprimés par l'Ukraine, et nous sommes en dialogue constant avec les autorités ukrainiennes pour savoir ce qui peut répondre à leurs besoins. Elle fournit des équipements, elle fournit de la formation, elle fournit des capacités, je dirais, complètes.

Vous savez que nous avons d'ores et déjà livré de l'artillerie, des munitions, des véhicules de l'avant blindé, et annoncé au début du mois de janvier que la France fournira des chars AMX-10. Et je crois pouvoir dire que cette décision a permis d'engager une dynamique positive, qui a permis de mener à des décisions prises hier par nos partenaires, décisions que nous appuyons et que nous saluons.

Nous aidons aussi l'Ukraine sur le plan humanitaire, comme nos partenaires. Nous avons réuni à Paris une Conférence d'aide à la résilience du peuple ukrainien, le 13 décembre. Je suis heureuse de pouvoir dire que nous tenons nos engagements. Nous avions promis 120 millions d'euros - un peu plus, 125, si je me souviens bien. Des transformateurs ont été livrés, des générateurs ont été livrés, d'autres sont en route. Nous avons promis de livrer aussi 5 millions d'ampoules LED, moins consommatrices d'énergie, et elles sont en route.

Dmytro a également évoqué l'important sujet, l'indispensable sujet de la lutte contre l'impunité. Nous aidons l'Ukraine, nous aidons les juridictions ukrainiennes. Nous avons déjà fourni du personnel, nous avons fourni un laboratoire ADN, et je peux vous annoncer que le deuxième laboratoire ADN arrivera au mois d'avril. Et nous examinons activement la possibilité de créer, en complément de l'ordre juridique existant, un tribunal hybride. Dmytro ne l'a pas précisé, mais la France s'honore de faire partie de ce groupe "KORD Group", qui s'est déjà réuni et qui se réunit à nouveau aujourd'hui. Et nous aidons bien sûr, comme d'autres, comme nos partenaires, comme nous le devons, l'Ukraine sur le plan de la santé ou sur le plan de la sécurité civile.

La question de la sûreté nucléaire nous préoccupe également et nous y travaillons, en lien avec l'Ukraine et nos amis. L'Agence internationale de l'énergie atomique a pu récemment accomplir une mission en Ukraine, pour faire que du personnel de l'AIEA permanent soit présent dans chacune des centrales ukrainiennes ; c'est fait. Et je suis heureuse de pouvoir annoncer que la France va donner une aide de 3 millions d'euros à l'AIEA pour qu'elle puisse accomplir ce travail, maintenir du personnel permanent, assurer l'état des générateurs des secours, et assurer mieux la sécurité et la sûreté des centrales.

Militaire, économique, sanitaire, humanitaire, mais notre aide est aussi diplomatique et politique. Nous en avons parlé une fois de plus avec le ministre, cher Dmytro, pour contrer les efforts de la Russie d'inverser les responsabilités et de présenter la situation comme elle n'est pas, puisqu'il faut rappeler qu'il y a un agresseur et un agressé dans cette guerre. Et tout en découle. La Russie a choisi d'agresser un pays voisin, indépendant, souverain, l'Ukraine ; et d'y mener une guerre depuis bientôt un an, et qui plus est d'y mener une guerre qui ne respecte pas les lois de la guerre. Donc je veux répéter une fois de plus que les responsabilités sont claires. Et à l'inverse, l'Ukraine est bien dans le camp de la solidarité quand elle offre des céréales, par exemple à la Somalie ou à l'Ethiopie, pour atténuer les effets de la crise alimentaire causée par l'agression russe. Et je dis bien donner, pas vendre : donner. Elle est également dans le camp de la solidarité quand elle aide, par les corridors de solidarité, qui permettent d'exporter par le continent. Et c'est elle aussi qui est dans le camp de la paix en présentant le plan de paix en dix points qu'a présenté le Président Zelensky au G20, plan de paix auquel la France apporte son soutien, comme le Président de la République l'a dit au Président Zelensky lorsqu'ils se sont parlés mardi, et à partir duquel nous bâtirons notre action diplomatique en vue de l'échéance du 24 février.

Je termine ici avant de répondre à vos questions, si vous en avez, mais pour vous assurer, Monsieur le Ministre, cher Dmytro, que dans tous ces domaines, tous ceux que j'ai cités, la France est déterminée à faire plus, à faire plus vite, dans les mois et dans les jours qui viennent, et à rester à vos côtés jusqu'à ce que l'Ukraine recouvre sa souveraineté. Elle sortira de la guerre debout, comme Odessa aujourd'hui est debout. Et donc je suis heureuse d'être ici.

(...)

Q - Madame la Ministre, je vous adresse cette question : on assiste à la mise en place d'une coalition européenne pour fournir à l'Ukraine, notamment, des chars Leopard. On évoque aussi des chars Leclerc. Est-ce que vous auriez des nouvelles sur ce sujet qui a été évoqué, déjà ?

R - Merci, Monsieur, de votre question. Je crois que la décision prise par la France, le 4 janvier, fait de la France le premier pays qui a décidé d'envoyer des chars à l'aide de l'Ukraine. Je parle là des chars AMX-10 RC. Mais si votre question porte, peut-être, sur d'autres types de chars, et notamment sur les chars Leclerc, je peux vous redire que le Président de la République a demandé à notre ministre des armées d'étudier cette question. Et, au moment où je vous parle, aucune décision n'a été prise et aucune décision n'est exclue. Ceci dit, permettez-moi d'ajouter, en complément, que notre dialogue avec les autorités ukrainiennes sur les besoins de l'Ukraine en matière militaire est constant, pour ne pas dire permanent. Et, comme vous l'a dit le ministre, nous en avons encore parlé, l'un et l'autre, tout à l'heure. Et je voudrais rappeler aussi que, pour l'heure, le besoin prioritaire de l'Ukraine porte sur de la défense anti-aérienne, je crois que le ministre de la défense ukrainien l'a encore redit hier. Et je peux vous dire que nous répondrons à cette demande.

Q - Ma question concerne la décision d'hier : le centre-ville d'Odessa a été inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Si, dans ces nouvelles circonstances, la Russie s'avisait, malgré tout, d'attaquer le centre-ville, quel prix devra-t-elle en payer ?

R - Je crois que la décision de l'UNESCO, qui est une organisation des Nations unies, exprime la volonté de l'ensemble de la communauté internationale. Il s'agit d'une décision d'un organe des Nations unies. Et donc la Russie - qui a voté contre, d'ailleurs, hier, je crois, cette décision, pour des raisons inexplicables, parce qu'il est évident que, sur le plan culturel, la qualité de la candidature d'Odessa méritait que cette candidature soit accueillie - devrait réfléchir à la nouvelle erreur qu'elle commettrait de négliger la volonté de la communauté internationale.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 février 2023