Interview de M. Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics, à France Inter le 1er février 2023, sur la réforme des retraites.

Prononcé le 1er février 2023

Intervenant(s) : 
  • Gabriel Attal - Ministre délégué chargé des Comptes publics

Texte intégral

LEA SALAME
Bonjour Gabriel ATTAL.

GABRIEL ATTAL
Bonjour.

LEA SALAME
Merci d’être avec nous ce matin. Mobilisation record hier, 1,3 million Français dans la rue, 2,5 millions selon les syndicats, deux nouvelles journées de mobilisation prévues, vous les entendez les Français ?

GABRIEL ATTAL
Evidemment, il faut non seulement entendre, mais comprendre le message qui est passé à l’occasion de ces mobilisations, moi j’ai un profond respect pour les Français qui prennent de leur temps, une journée, pour aller faire valoir leurs convictions et en l’occurrence ici leur opposition à une réforme.

LEA SALAME
Vous les entendez, mais est-ce que vous les écoutez Gabriel ATTAL ?

GABRIEL ATTAL
Il y a des inquiétudes, il y a des doutes, évidemment qu’on les écoute Léa SALAME, vous savez moi je me déplace chaque semaine partout en France pour faire des réunions publiques avec des Français directement, pas des militants politiques, mais pour échanger. Parfois la discussion est difficile, mais moi je pense qu’il faut toujours être au contact et toujours être dans l’échange, et puis entendre ce qui est exprimé. Il y a des inquiétudes, des doutes, face à une réforme qui évidemment demande un effort, travailler progressivement plus longtemps à horizon 2030, et moi ce que je vois aussi derrière ces mobilisations, et ça je pense que ça peut nous unir, c’est un attachement profond à notre système de retraite par répartition, qui est aujourd’hui menacé. On aura un gros problème pour payer les pensions de retraite dans les années à venir si on ne fait rien, c'est pour ça qu'on se mobilise.

LEA SALAME
Vous avez expliqué que vous allez au contact des Français, vous avez expliqué que s'il y avait un problème, si ça ripait, c’était un problème d’explication…

GABRIEL ATTAL
Non, ce n’est pas ce que j’ai dit.

LEA SALAME
Pas vous personnellement, mais plusieurs ministres ont expliqué qu’il y avait un problème, un déficit de pédagogie, mais le problème c’est que plus vous l'expliquez cette réforme, plus les gens sont contre. Frédéric DABI de l'IFOP le dit clairement : au fur et à mesure que les Français prennent connaissance de la réforme, l'adhésion recule. Alors est-ce un problème de pédagogie ou est-ce un problème du fond de la réforme ?

GABRIEL ATTAL
Moi je n’ai jamais été dans la logique que vous évoquez, je pense que c'est évidemment toujours important de s'expliquer, de rendre des comptes, mais quand je me déplace pour rencontrer les Français c'est aussi pour les entendre, ça a vocation à enrichir notre projet.

LEA SALAME
Et ils vous disent quoi ?

GABRIEL ATTAL
Il y a beaucoup d'expression sur la qualité de vie au travail, j’ai beaucoup de Français…

LEA SALAME
Ils vous disent quoi sur les 64 ans honnêtement ?

GABRIEL ATTAL
J’ai beaucoup de Français qui disent, " un, j’ai un métier pénible, je pourrai pas aller jusqu'à 64 ans ", ensuite quand on regarde les dispositifs, qu’on renforce sur la pénibilité et sur les carrières longues, régulièrement beaucoup découvrent qu'ils n'iront pas jusqu'à 64 ans, quatre Français sur dix, à l’issue de notre réforme, partiront avant 64 ans, pour certains à 62 ans, pour d’autres à 60 ans, pour d’autres encore à 58 ans parce qu’on tient compte des carrières longues et de la pénibilité. Et ensuite, il y a des choses très concrètes sur la carrière, sur le travail…

LEA SALAME
On va y venir.

GABRIEL ATTAL
Parce que… [un] Français, je vais vous dire, qui me disait " vous savez, moi je serais d’accord de travailler plus longtemps, deux ans de plus, la question c’est les conditions dans lesquelles je travaille ", on dépense, Léa SALAME, chaque année, 40 millions d’euros pour améliorer les conditions de travail, on va passer, avec notre réforme, à 200 millions d’euros par an, c’est très concret, c’est des fonds pour réduire la pénibilité au travail, pour accompagner les entreprises, les administrations.

LEA SALAME
On va en parler, vous avez une proposition Gabriel ATTAL, je vais y venir, mais tout de même, soyons clairs, parce que c’est ça qui se joue aujourd’hui. Elisabeth BORNE a dit le week-end dernier " les 64 ans ne sont plus négociables ", vous le redites ce matin ?

GABRIEL ATTAL
Mais parce que l’alternative c’est quoi ? L’alternative…

LEA SALAME
Vous le redites ce matin, les 64… ne me parlez pas de l’alternative, est-ce que les 64 ans ne sont plus négociables ?

GABRIEL ATTAL
Mais moi je m’inscris évidemment dans ce que dit la Première ministre Léa SALAME, ce que je dis c’est quoi ? c’est que là on est à l’heure des choix, que le débat parlementaire a commencé et qu’on voit bien l’alternative à ce que nous proposons, qui est proposé par les oppositions, c’est une augmentation massive des impôts pour payer les retraites, ils disent " oui, il y a un problème de financement pour payer les retraites ", eh bien nous ce qu’on propose c’est d’augmenter les impôts, de 110 milliards d’euros.

LEA SALAME
D’augmenter les cotisations sociales, c’est ça qu’ils proposent, notamment la gauche, la gauche propose d’augmenter les cotisations sociales de 5 à 10 euros…

GABRIEL ATTAL
Non, non, non…

LEA SALAME
C’est ce qu’ils ont dit !

GABRIEL ATTAL
Je peux vous citer l’amendement de la NUPES, en l’occurrence je crois que c’est Jérôme GUEDJ qui est le premier signataire, qui revient sur ce qu’on appelle " les allégements généraux de cotisations ", ça veut dire très concrètement que pour un boulanger, un artisan, un commerçant, qui nous écoute, ça coûterait 700 euros de plus par mois par salarié en charges, est-ce qu’avec les difficultés qu’ils connaissent vous imaginez que c’est possible et soutenable, ça aurait un impact sur l’emploi, ça détruirait massivement de l’emploi.

LEA SALAME
J’entends. Gabriel ATTAL, Laurent BERGER de la CFDT a dit hier, il a été très clair, " tant que les 64 ans seront sur la table vous le trouverez dans la rue ", vous lui dites quoi ce matin ?

GABRIEL ATTAL
Moi ce que je dis c’est qu’il n’est jamais trop tard pour se parler, que probablement, que sur le point central de cette réforme on ne tombera pas d’accord, mais enfin qu’on peut continuer à l’enrichir ensemble. Moi je veux rappeler qu’il y a eu des mois de concertation avec la Première ministre Elisabeth BORNE, avec mon collègue Olivier DUSSOPT. On était au départ à 65 ans, on est passé à 64 ans, au départ la revalorisation des petites retraites c’était que pour les nouveaux retraités, maintenant ça sera aussi pour les retraités actuels. On a élargi la prise en compte de la pénibilité, on tiendra compte du congé parental, des congés pour les parents aidants, notamment d’enfants en situation de handicap, qui compteront désormais pour des trimestres, tout ça c’est le fruit de la discussion avec les organisations syndicales ?

LEA SALAME
Donc vous lui dites parlons encore, arrêtez de manifester ?

GABRIEL ATTAL
Bien sûr, il y a des enjeux sur lesquels on peut continuer à avancer, sur l’emploi des seniors, sur la prise en compte de situations de personnes qui ont commencé à travailler tôt, qui ont eu des métiers pénibles, sur tous ces sujets-là on peut continuer à avancer.

LEA SALAME
Marisol TOURAINE qui a porté la dernière réforme des retraites sous le quinquennat Hollande, qui a, je le rappelle, appelé à voter pour Emmanuel MACRON dès le premier tour, vous la connaissez bien Gabriel ATTAL, elle a appelé à voter pour Emmanuel MACRON dès le premier tour, donc elle n’est pas franchement une opposante, elle a dit à ce micro lundi " oui, il faut une réforme des retraites, oui il faut travailler plus et plus longtemps, mais leur réforme est profondément injuste, les 64 ans, ce totem, est profondément injuste, elle fait peser les efforts sur les plus modestes ", elle dit aussi " la réforme manque de la contribution des entreprises ou de ceux qui sont les plus aisés, c’est la première fois qu’une réforme des retraites ne met pas à contribution les entreprises. " Pourquoi les efforts ne sont que sur les salariés ?

GABRIEL ATTAL
Les précédentes réformes qui avaient, pour reprendre vos mots, mis à contribution les entreprises, c’est-à-dire qui avaient augmenté…

LEA SALAME
C’est ceux de Marisol TOURAINE, ce n’est pas les miens.

GABRIEL ATTAL
Les cotisations, se sont traduites, économiquement, je ne parle pas du déficit du système de retraite, mais économiquement pas une augmentation du chômage et une diminution de la croissance. Moi je le dis, je le pense, c’est un beau débat et c’est un vrai débat, moi je pense qu’on est au taquet en termes d’impôts en France, on est le deuxième pays en termes de prélèvements obligatoires dans l’OCDE, sur les 38 pays, je crois, de l’OCDE, et on a vu ce que ça donnait ces dernières décennies, d’augmenter sans cesse les impôts ça détruit des emplois et ça ralentit la croissance ? je vous donne un exemple…

LEA SALAME
Ça ne vous interroge pas quand Marisol TOURAINE, avec qui vous avez travaillé, pas vous personnellement, dit « c’est une réforme profondément injuste » ?

GABRIEL ATTAL
Mais, Léa SALAME, moi j’écoute évidemment ce que tout le monde dit, y compris les personnes pour qui…

LEA SALAME
Ce n’est pas une Insoumise !

GABRIEL ATTAL
Non, mais y compris les personnes pour qui j’ai un immense respect, après c’est aussi un débat la société, vous savez la démocratie ce n’est pas l’illusion du consensus, c’est la recherche du compromis, du dialogue et de la discussion, en l’occurrence moi je crois profondément, et on l’a démontré… vous savez, ce matin je vais présenter en conseil des ministres l’exécution budgétaire 2022, 2022 ça a été une année record en termes de collecte d’impôt sur les sociétés, 62 milliards, c’est aussi l’année où le taux d’impôt sur les sociétés était le plus faible, parce qu’on l’a baissé à 25 %, on collecte plus d’impôt des entreprises depuis qu’on a baissé les taux d’imposition sur les entreprises, parce que quand vous baissez la fiscalité l’économie se développe et donc vous avez davantage de recettes fiscales, c’est ça ma conviction, et on a le taux de chômage le plus bas depuis 15 ans, taux de chômage des jeunes le plus bas depuis 40 ans.

LEA SALAME
Sur les femmes, le rapport d’impact de votre réforme, donc c’est le rapport d’impact qui le dit, dit que les femmes vont travailler en moyenne sept mois de plus, alors que les hommes ce sera cinq mois, les femmes seront pénalisées, c’est ce qu’a reconnu et assumé Franck RIESTER le ministre, est-ce que vous allez corriger cela ?

GABRIEL ATTAL
Ce que doit aussi l’étude d’impact, pour être parfaitement complet, il y a même un graphique très intéressant qui le montre, c’est qu’aujourd’hui en moyenne les femmes partent à la retraite après les hommes, et que demain, à l’issue de notre réforme, elles partiront en moyenne légèrement avant les hommes, donc c’est aussi ça l’impact de cette réforme, quand vous prenez en compte le congé parental, quand vous prenez en compte les congés pour les aidants. Ensuite il y a une réflexion sur ce qu’on appelle les droits familiaux, on a confié au COR, au Conseil d’Orientation des Retraites, un rapport, qu’il va nous remettre, pour qu’on puisse intégrer des mesures sur ce qui s’appelle les droits familiaux, c’est-à-dire la prise en compte de la maternité pour les femmes, la question des trimestres, vous savez qu’aujourd’hui il y a une inégalité, que vous avez, je crois, huit trimestres dans le privé, deux trimestres dans le public, sur la question des pensions de réversion, sur tous ces sujets-là on est évidemment très ouvert à avancer et à enrichir.

LEA SALAME
Sur l’emploi des seniors vous pourriez décider de mesures contraignantes pour les entreprises ou c’est non ?

GABRIEL ATTAL
Moi je crois que c’est un vrai débat et que c’est un débat qui aura lieu au Parlement. Vous savez hier, je crois qu’il y a un amendement communiste qui a été adopté dans la réforme, qui prévoit notamment que dans les discussions au sein de l’entreprise, qui précise les leviers d’amélioration de l’emploi des seniors, moi je suis très ouvert, et on est très ouvert, avec mon collègue Olivier DUSSOPT, à toutes les propositions qui viendraient, notamment sur la question de l’emploi des seniors, et pourquoi pas de manière plus contraignante..

LEA SALAME
Cette réforme pose la question de notre rapport au travail, vous l’avez dit, pensez-vous vous aussi, comme Gérald DARMANIN, que ceux qui s’opposent à cette réforme sont des gauchistes bobos qui veulent une société sans travail, sans efforts, bref, des paresseux ?

GABRIEL ATTAL
Alors je crois qu’il s’adressait, dans son interview, aux partis de la NUPES, moi je ne dirai jamais…

LEA SALAME
Oui, alors est-ce qu’ils sont des paresseux… ?

GABRIEL ATTAL
Non, mais Léa SALAME, je ne dirais jamais à quelqu’un qui doute de cette réforme, ou qui s’oppose à cette réforme, parce qu’il a un travail pénible, qu’il est un paresseux, c’est quelqu’un qui se levé le matin, qui va travailler dans des conditions difficiles…

LEA SALAME
Est-ce que vous dites au PS, aux Verts, aux Insoumis, ce matin que c’est des paresseux, des bobos, des gauchistes qui veulent une société sans travail et sans efforts ?

GABRIEL ATTAL
Moi, vous savez, ça ne vous aura pas échappé, j’essaye de pacifier un peu les choses et d’être dans un dialogue de fond sur les différents sujets. Maintenant, sur la question des conditions de travail, que vous avez évoquée…

LEA SALAME
Vous avez une proposition.

GABRIEL ATTAL
Oui, je pense qu’on peut progresser sur ce sujet-là, donner plus de liberté aux Français. Qu’est-ce qu’ils vous disent les Français aujourd’hui ? c’est que quand on parle des retraites c’est la question de leur rapport au travail qui est posée, et que pour beaucoup de Français ils souhaiteraient avoir plus de liberté, plus de flexibilité dans leur organisation du travail…

LEA SALAME
Vous annoncez ce matin une expérimentation, dans " l’Opinion ", une expérimentation de la semaine de quatre jours dans la fonction publique, vous allez l’essayer sur l’URSSAF de Picardie, c’est ça, où, s’ils le souhaitent, les salariés pourront travailler quatre jours, 36 heures en quatre jours, c’est ça ?

GABRIEL ATTAL
Oui, c’est-à-dire la durée hebdomadaire de travail qu’ils font, concentrée sur quatre jours, c’est-à-dire commencer un peu plus tôt le matin, terminer un peu plus tard le soir…

LEA SALAME
C’est intéressant Gabriel ATTAL, mais pourquoi ça vient maintenant, ça ne vient pas un peu tard ?

GABRIEL ATTAL
C’est une expérimentation. Vous savez, les travaux pour cette expérimentation on les a lancés il y a à peu près six mois, on a discuté avec les organisations syndicales, avec les agents, on a lancé l’expérimentation il y a plusieurs semaines. Moi je crois profondément que soutenir le travail comme on le fait, c’est aussi accepter que certains aspirent à travailler différemment, et que notre responsabilité c’est de donner des possibilités, aux Français qui le souhaitent, de travailler différemment s’ils le souhaitent, c’est un beau débat et un beau travail qu’on aura aussi dans les semaines qui viennent.

LEA SALAME
Deux questions en 10 secondes. Ceux dans votre groupe qui ne vont pas voter la réforme des retraites vous leur dites quoi ce matin ?

GABRIEL ATTAL
Enfin, encore une fois, on démarre le débat, en commission, on va avoir le débat en séance, moi j’aspire à convaincre…

LEA SALAME
La dissolution est sur la table ?

GABRIEL ATTAL
Moi j’aspire à convaincre tous mes collègues et tous les députés.

LEA SALAME
La dissolution est sur la table ?

GABRIEL ATTAL
Je ne crois pas du tout, enfin je lis la presse…

LEA SALAME
Un conseiller de l’Elysée a dit que c’était sur la table…

GABRIEL ATTAL
Oui, oui, enfin c’est des trucs anonymes qui ressortent comme ça tous les trois, quatre mois…

LEA SALAME
Oui, donc vous vous dites pas du tout, la dissolution n’est pas sur la table ?

GABRIEL ATTAL
Mais l’enjeu, aujourd’hui ce qui est sur la table c’est de pouvoir agir et de faire les réformes nécessaires pour le pays.

LEA SALAME
Merci Gabriel ATTAL. Belle journée.

GABRIEL ATTAL
Merci.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 7 février 2023