Interview de Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture, à France Inter le 9 février 2023, sur l'état de la culture en France depuis la crise sanitaire.

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Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin dans « Le grand entretien » la ministre de la Culture, questions-réactions 01 45 24 7000 et application France inter. Rima ABDUL MALAK bonjour.

RIMA ABDUL MALAK
Bonjour.

LEA SALAME
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue dans ce studio, à la veille des Victoires de de la musique merci de passer par France inter pour faire un tour d’horizon de l’état de la culture en France. Ça fait trois ans qu’on mesure et déplore les conséquences du Covid sur le monde de la culture, sur la fréquentation des cinémas, des théâtres, des musées, on avait d’ailleurs organisé une journée spéciale sur Inter en octobre dernier pour engager nos auditeurs à retourner au cinéma alors que la fréquentation des salles était au plus bas. Depuis novembre des films comme « Astérix » et surtout « Avatar » sont sortis, alors comment qualifiez-vous la situation aujourd’hui, au cinéma, mais aussi plus largement au théâtre, dans les musées, la crise du Covid est-elle derrière nous, le monde de la culture est-il encore convalescent ?

RIMA ABDUL MALAK
La crise n’est pas encore complètement derrière nous, c’est comme un séisme à plusieurs répliques et l’Etat est aux côtés du secteur culturel dans toutes ses composantes pour l’accompagner dans cette reprise qui est forcément plus longue, mais la France a beaucoup mieux résisté culturellement que bien d’autres pays, notre fréquentation finalement est plutôt bonne comparé à l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou d’autres, les Etats-Unis, la Corée du Sud, pour le cinéma, ont beaucoup perdu aussi, donc finalement nous on a perdu un quart du public dans le domaine du cinéma, mais…

LEA SALAME
Encore aujourd’hui…

RIMA ABDUL MALAK
Encore aujourd’hui…

LEA SALAME
Même avec le mois de janvier ?

RIMA ABDUL MALAK
Non, le mois de janvier est bien meilleur, 15 millions d’entrées en janvier, ce qui en fait est un très bon niveau, il faut voir les mois qui viennent, on a des bons films aussi qui arrivent, on a eu un très bon automne. On est porté par un écosystème créatif, des films de grande qualité, on a besoin aussi des films américains, vous avez cité « Avatar », évidemment qu’on a aussi besoin des deux, des bons films français et des bons films américains. Dans le domaine du théâtre on a quand même une bonne reprise également, dans le théâtre public globalement on n’a que 10, 15 % de baisse, le privé c’est plus inégal, et les musées ont retrouvé un très bon taux de fréquentation, quasiment équivalent à celui de 2019, malgré la perte des touristes chinois par exemple, donc ça veut bien dire qu’on a un écosystème particulièrement vivant pour la culture en France aujourd’hui.

LEA SALAME
Avant de vous poser des questions sectorielles, secteur par secteur, de la culture, d’abord une question d’ensemble, quelle est la politique culturelle d’Emmanuel MACRON, Rima ABDUL MALAK ? Vous êtes ministre depuis huit mois, il est au pouvoir depuis six ans, beaucoup d’acteurs culturels ont du mal à voir la vision et l’ambition. Je vous en cite deux, on en a choisis deux, « j’ai du mal à distinguer une politique culturelle ambitieuse » déclarait l’écrivain Philippe BESSON, « je pense qu’on n’a jamais eu un Gouvernement aussi peu intéressé par la culture » disait il y a quelques mois le réalisateur Cédric KLAPISCH. Vous leur répondez quoi, qu’ils sont injustes, c’est quoi la vision d’Emmanuel MACRON ?

RIMA ABDUL MALAK
C’est une vision très ambitieuse que je partage, que je défends tous les jours, c'est une vision pour le patrimoine, le préserver, le réinventer, l'ouvrir le plus possible aux Français, c'est une vision pour la création, pour l'ancrer le plus possible dans les territoires, c'est une vision pour la souveraineté culturelle de la France face à l'hégémonie des plateformes et du numérique, ça ne veut pas dire les considérer comme des ennemis, ça veut dire les obliger à créer et à produire en France, c'est ce qui a été fait avec l'obligation de 20 % du chiffre d'affaires de NETFLIX, AMAZON, etc., ni pour la production française.

LEA SALAME
Mais ça marque quoi, dans 20 ans, dans 30 ans, dans 40 ans, quand on regardera les deux mandats d'Emmanuel MACRON sur la culture il restera quoi ?

RIMA ABDUL MALAK
Il restera une création française qui existe dans le monde numérique et qui a été préservée, amplifiée dans le monde physique, réel, en chair et en os, il restera un lieu, j'espère, qui sera son grand chantier emblématique…

LEA SALAME
Villers-Cotterêts.

RIMA ABDUL MALAK
La Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, là encore c'est un grand chantier qui n'est pas à Paris, qui est dans un territoire, des Hauts-de-France, particulièrement défavorisé, qui est dans une ville aujourd'hui Rassemblement national, c'est aussi un enjeu de reconquête républicaine, et c'est un enjeu pour dire la langue française est une langue qui nous relie à tellement de pays dans le monde, c'est une langue d'ouverture, c'est une langue de diversité, et cette langue on va la faire vivre avec les artistes dans un lieu qui est un lieu du patrimoine, un château, ça c'est une incarnation de ce qu'est la politique culturelle d'Emmanuel MACRON.

NICOLAS DEMORAND
Et puis il y a le Pass culture qui va être accessible à la rentrée prochaine dès la classe de 6e, 70 % des jeunes de 18 ans ont téléchargé ce Pass, mais seulement 40 % des 15-17 ans qui y ont désormais droit, est-ce qu’ils l’utilisent assez les jeunes, qu'est-ce que vous avez envie de leur dire ce matin, il faut se saisir de l'outil, allez-y, et pour en faire quoi ?

RIMA ABDUL MALAK
Aujourd’hui on a 2,5 millions de jeunes sur le Pass culture, ce qui est colossal, et le Pass culture a changé en devenant à la fois individuel et collectif. Là les chiffres que vous citez sont la part individuelle des 15-17 ans, mais il y a aussi le volet collectif à l'école, et là on voit le nombre d'établissements scolaires qui s'en saisissent, les enseignants qui organisent des sorties au théâtre, au cinéma. Ce qu'on voit c'est que le Pass culture aussi c'est un sésame pour des expériences culturelles, ce n’est pas un acte culturel, ce n’est pas un acte de consommation, c'est vraiment une expérience pour vivre des découvertes, rencontrer des artistes, s'exprimer soi-même, le Pass culture est de plus en plus participatif pour que les jeunes puissent eux-mêmes aussi vivre leurs pratiques, ils peuvent acheter un instrument de musique, ils peuvent prendre des cours de dessin, et c’est ce Pass-là, le plus participatif et vivant possible, qui va créer aussi les chemins d'émancipation et de découverte pour cette jeunesse.

LEA SALAME
Les jeunes de 15 ans qui nous écoutent là, vous leur dites quoi, la ministre, elle leur dit quoi, utilisez votre Pass culture pour quoi par exemple ?

RIMA ABDUL MALAK
Pour découvrir des spectacles, découvrir des films, pour aller au musée, pour voter aux Victoires de la musique, vous avez parlé des Victoires de la musique, pour la première fois nous avons 100 jeunes du Pass culture qui ont fait partie des votants, donc participez aussi à la vitalité de notre scène musicale, expérimentez vous-même des cours de musique, c'est très vaste.

NICOLAS DEMORAND
Venons-en, Rima ABDUL MALAK, à l'audiovisuel public, pour commencer à son financement, le gouvernement a mis fin à la redevance qui permettait de financer Radio France, France Télévision, France Medias Monde, désormais le financement de l'audiovisuel public, 3,8 milliards d'euros, se fait via un prélèvement sur la TVA. Pour le moment ce mode de financement est transitoire, allez-vous le pérenniser, souhaitez-vous qu'il le soit ?

RIMA ABDUL MALAK
Je souhaite qu'il le soit, mais il y a des discussions juridiques pour vérifier que c'est compatible avec la LOLF, je vous passe les détails techniques, en tout cas c'est hypothèse qui est sur la table et qu'on discute également avec les parlementaires.

LEA SALAME
Comment vous pouvez nous assurer ce matin que demain le successeur, ou la successeure d'Emmanuel MACRON, parce qu'elle ne va pas goûter, ou il ne va pas goûter un reportage sur France 2, ou sur France Inter, ou une enquête, ou parce que tout simplement c'est le fait du prince, décide de diviser par deux le budget de l'audiovisuel public, comment il y a des garanties pour que ça ne soit pas fait demain, plus tard, quand Emmanuel MACRON ne sera plus au pouvoir ?

RIMA ABDUL MALAK
La garantie c'est de se battre tous les jours pour éviter que ça arrive déjà, parce qu’en fait, ça, ça dépendra de l'Assemblée qui sera élue aux prochaines élections législatives, puisque ça a déjà pu être le cas, je veux dire, supprimer la redevance, ou baisser la redevance, ça dépend d'une décision du Parlement. Ensuite, aujourd'hui, nous, moi mon enjeu il est de préserver au maximum l'indépendance de l'audiovisuel, public comme privé, de préserver la liberté des journalistes, la liberté de la presse, et de donner de la visibilité pour le financement de l'audiovisuel public, donc j'ai proposé que les contrats d'objectifs et de moyens au lieu d’être de trois ans, ils soient de cinq ans, et qu'ils enjambent les prochaines élections…

LEA SALAME
C’est fait ça ?

RIMA ABDUL MALAK
C’est en train d’être… oui, en tout cas la proposition est faite et le travail sur ces contrats d'objectifs et de moyens est en train d'être fait avec toutes les entreprises, visibilité aussi sur la trajectoire financière qui est en train d'être négociée.

LEA SALAME
Mais il n’y a pas de garantie en fait, si demain à l'Assemblée nationale est d'un autre bord politique il n’y a pas de garantie pour l'audiovisuel public.

RIMA ABDUL MALAK
Ça dépend de quel bord politique on parle. Aujourd'hui il y a un parti, Rassemblement national, qui réclame la privatisation de l'audiovisuel public, ce n'est que celui-là qui réclame la privatisation de l’audiovisuel public, donc battons-nous tous les jours pour empêcher qu'il arrive au pouvoir.

NICOLAS DEMORAND
L’animateur Cyril HANOUNA s'en est pris violemment au financement de l'audiovisuel public dans une de ses émissions, c'était le 16 janvier, « 4 milliards, privatisez-moi ça, on pourrait payer des hôpitaux avec ça », comment avez-vous jugé cette sortie ?

RIMA ABDUL MALAK
Inadmissible, mais justement il est en train de relayer cette proposition que Marine LE PEN avait mis dans son programme, de privatisation de l’audiovisuel public, si nous n'avions pas cet audiovisuel public aujourd'hui, aurions-nous autant de programmes éducatifs, aurions-nous autant de documentaires, aurions-nous autant de création française sur les chaînes du service public, parce que le Rassemblement national a cette contradiction de vouloir défendre la culture française, mais en même temps de privatiser l'audiovisuel public, or aujourd'hui France Télévisions produit 90 % de fictions françaises et européennes, quand M6 produit 80%, en tout cas diffuse, pardon, 80 % de fictions américaines, donc on a aussi un enjeu de diversité culturelle à porter avec l'audiovisuel public. 

LEA SALAME
Vous avez laissé entendre que les dérapages de Cyril HANOUNA pourrait conduire l'ARCOM à ne pas renouveler en 2025 l'autorisation d'émettre de C8 ou de CNews, Maxime SAADA, le président du directoire de CANAL+ vous avait répondu « un ministre ne devrait pas dire ça, quoi qu'on pense de CNews ou de Cyril HANOUNA, il est insupportable d'agiter la menace d'une fermeture de certaines chaînes au prétexte qu'elles ne reflètent pas vos idées .» Vous l'avez pris comment ce qu’il a dit… vous lui répondez quoi ?

RIMA ABDUL MALAK
Moi je suis dans mon rôle quand je vous rappelle le cadre existant. Il y a des chaînes qui ont accès à des fréquences gratuites, en échange de certaines obligations qu'elles doivent respecter, ces obligations il suffit de les lire, elles sont dans la loi, elles sont très claires, parmi elles il y a le respect du pluralisme, il y a le fait de traiter les affaires judiciaires avec mesure, c'est écrit comme tel, le fait de créer un débat contradictoire avec l'ensemble des points de vue sur des sujets pouvant porter à controverse, c’est écrit comme ça, donc c'est le rôle de l'ARCOM ensuite, au moment de faire le bilan de ces obligations, de vérifier qu'elles ont bien été respectées, pour pouvoir ensuite évaluer si la reconduction de cette fréquence est justifiée ou pas, il y a bien des obligations à respecter, et c'est mon rôle de le rappeler. 

LEA SALAME
C8 et CNews pourraient perdre leur fréquence ?

RIMA ABDUL MALAK
Il y a des obligations à respecter, il y a déjà eu une vingtaine d'interventions de l'ARCOM depuis 2019 pour C8 et CNews, au bout de combien d'interventions pour, l'ARCOM dire, à tel degré les obligations ne sont pas respectées, c'est le rôle de l'ARCOM, je rappelle juste le cadre qui existe, c'est important.

NICOLAS DEMORAND
Derrière C8 et CNews il y a Vincent BOLLORE, l'académicien Erik ORSENNA s'attaque au milliardaire dans un livre, « Histoire d'un ogre », il l'accuse de vouloir régner sur les médias et sur l'édition, « Vincent BOLLORE est dangereux pour la démocratie », je cite, « c'est un prédateur qui veut tout engloutir, médias, édition. Le grand danger avec Vincent BOLLORE », dit-il, « c'est l'autocensure de tous ceux qui ont peur de lui déplaire, de le fâcher, on le voit chez EDITIS, qu'il détient encore, où des projets de livres ont été annulés », ça c'est ce qu'il a affirmé au quotidien « Le Monde », il a tort Erik ORSENNA ?

RIMA ABDUL MALAK
Il met le doigt sur un constat très alarmant. Ce qui préserverait aujourd'hui le plus la démocratie, on vient de le dire, c'est du débat contradictoire, la liberté de création, la liberté d'expression, on a eu un certain nombre d'exemples dans les derniers mois, les dernières années, qu'il s'agisse de CANAL+, film de François OZON… qu'il s'agisse de « Paris-Match », éviction de Bruno JEUDY, qu'il s'agisse d'Europe 1, qu'il s'agisse de l'édition, il y a un certain nombre d’alertes…

LEA SALAME
Vous êtes inquiète en fait ?

RIMA ABDUL MALAK
Sur la liberté de création et la liberté d'expression.

LEA SALAME
Vous êtes inquiète, parce que quand…

RIMA ABDUL MALAK
Oui je suis inquiète, je suis inquiète des menaces que représentent ces atteintes à la liberté d'expression et de création.

LEA SALAME
Il y a d’autres milliardaires qui sont intéressés par les médias, puisque vous savez qu'aujourd'hui l'économie des médias est, le plus souvent privés, dirigée par des milliardaires, Xavier NIEL veut une chaîne de télé, il a postulé pour la reprise de la fréquence TNT de M6, il promet plus d'informations et des investissements accrus dans la production, c'est une bonne candidature à vos yeux, il faut de nouveaux entrants dans le paysage ?

RIMA ABDUL MALAK
Alors là moi je n’ai pas du tout à me prononcer sur la fréquence de M6, ce n’est vraiment pas mon rôle pour le coup, c'est vraiment à l'ARCOM de faire son travail en la matière.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 10 février 2023