Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à France Inter le 6 février 2023, sur la réforme des retraites.

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Texte intégral

 

NICOLAS DEMORAND
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Nicolas DEMORAND.

LEA SALAME
Bonjour.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Léa SALAME.

NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue sur Inter. On va évidemment parler ensemble de la réforme des retraites, mais commençons par le violent séisme qui a frappé cette nuit le sud de la Turquie et la Syrie, le bilan pour l’instant est de plus de 500 morts, les dégâts sont considérables, c’est le plus important tremblement de terre dans cette région depuis celui de 1999 qui avait causé la mort de 17.000 personnes, quels sont vos mots ce matin, Bruno LE MAIRE, pour la Turquie, la Syrie, quel message avez-vous envie de passer aux populations frappées par cette catastrophe ?

BRUNO LE MAIRE
Un message de soutien, un message d’amitié, pour toutes les populations qui sont touchées, pour tous les pays qui sont touchés, et puis un message pour dire qu’évidemment le président de la République suit la situation minute par minute, heure par heure, et qu’il prendra les décisions nécessaires si les pays le réclament, pour apporter du soutien de la France.

LEA SALAME
Ils le réclament, ils réclament l’aide internationale déjà ce matin, la Turquie.

BRUNO LE MAIRE
Je peux vous assurer que le président de la République suit le sujet minute par minute.

LEA SALAME
Venons-en aux retraites si vous le voulez bien. Après deux journées de mobilisation record contre la réforme des retraites et avant une troisième journée demain, une quatrième samedi, le texte arrive donc à l’Assemblée nationale aujourd’hui pour un débat qui va durer deux semaines, Bruno LE MAIRE vous nous dites ce matin que c’est une bonne réforme, que c’est une grande réforme, que c’est une réforme dont vous êtes fier même si 70 % des Français sont contre ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, oui je vous dis que c’est une bonne réforme, je vous dis que c’est une réforme nécessaire et je vous dis que c’est une réforme responsable, et que quand on exerce des fonctions en responsabilité il faut savoir regarder les réalités en face. Moi ce qui me frappe dans ce débat c’est que par moment la réalité ne compte plus, la dette ne compte plus, les déficits ne comptent plus, le fait qu’il y ait des milliards d’euros de déficit sur les régimes retraite ne compte plus, on peut aligner les propositions qui coûtent des dizaines de milliards d’euros, ça n’a pas d’importance. Nous nous avons la responsabilité de la réalité de la vie des Français, nous avons la responsabilité du régime de retraite par répartition, nous prenons nos responsabilités, avec le président de la République, avec la Première ministre, et nous pouvons dire à nos compatriotes votre régime de retraite par répartition sera sauvé, il sera préservé dans les années qui viennent, et en plus nous allons l’améliorer puisqu’il y a dans cette proposition, et ça je pense que c’est un motif de fierté, des vraies améliorations pour les carrières longues, des améliorations pour ceux qui ont des pensions de retraite qui sont très faibles, des améliorations pour les aidants, tout ça fait une bonne réforme.

NICOLAS DEMORAND
François RUFFIN reproche, dans « Libération », à Emmanuel MACRON de faire sécession avec la nation, « le gouvernement ne compte plus convaincre mais juste vaincre par la lassitude, si le texte passe ça va se régler soit par une révolte, soit par un dégoût durable », que lui répondez-vous sur ces mots ?

BRUNO LE MAIRE
Je lui réponds que les grands mots ne font pas la vérité, nous n’essayons pas de vaincre, nous essayons de convaincre nos compatriotes que cette réforme est responsable, que nous avons entendu, avec la Première ministre, un certain nombre de demandes…

LEA SALAME
Mais comment vous expliquez, pardon, vous essayez de convaincre, comment vous expliquez que plus vous parlez, et la Première ministre a parlé encore 45 minutes jeudi soir à la télé, moins vous convainquez ?

BRUNO LE MAIRE
Mais nous verrons ce que donnera le débat parlementaire, nous verrons ce que donneront les jours qui viennent. Moi je ne me lasserai pas d’aller expliquer que nous avons la responsabilité de la réalité financière de ce régime de retraite par répartition, que je préfère la solidarité au chacun pour soi, mais que la solidarité a un coût et que la responsabilité du ministre de l’Economie et des Finances, du gouvernement, de l’ensemble de ceux qui aujourd’hui dirigent le pays, c’est de garantir la pérennité de ce régime de retraite par répartition, et je conteste tous ceux qui nous accusent de brutalité, de violence, de vouloir passer en force, comme duit Monsieur RUFFIN, il y a un débat parlementaire, il va avoir lieu. Nous allons construire une majorité, nous ferons tout ce qui est nécessaire pour construire cette majorité à l’Assemblée nationale, mais nous le ferons par la conviction et par la responsabilité, certainement pas…

NICOLAS DEMORAND
Pour s’assurer du vote des députés LR, Elisabeth BORNE a accordé à Eric CIOTTI une concession importante pour son camp à lui, les personnes ayant commencé à travailler entre 20 et 21 ans pourront partir à la retraite à 63 ans et non 64. Première question, pensez-vous que ça va vous assurer les voix suffisantes de députés LR pour éviter de faire passer cette réforme par le 49.3 ?

BRUNO LE MAIRE
Quelle raison auraient, désormais, les députés les Républicains de ne pas voter cette réforme des retraites ?

LEA SALAME
Ils disent que ça ne concerne que les 20 ans, par exemple Aurélien PRADIE, et qu’il faut que ça concerne aussi ceux qui ont commencé à travailler à 19 par exemple, ou à 18.

BRUNO LE MAIRE
Mais Aurélien PRADIE est un cas isolé dans cette majorité.

LEA SALAME
Ah !

BRUNO LE MAIRE
Ce que je constate c’est que les LR ont fait un certain nombre de demandes, et nous avons dit depuis le début, en jouant cartes sur table avec la Première ministre, que nous souhaitions construire cette majorité avec les Républicains. Ils ont dit 65 ans c’est trop, passons à 64, c’est plus raisonnable, nous avons retenu cette proposition, ils nous avaient dit que la retraite minimum à 1200 euros c’était très bien pour les personnes qui rentraient en retraite, mais que ce serait encore mieux si on tenait compte de la situation de ceux qui étaient déjà à la retraite, nous l’avons fait, les 1200 euros de pension minimale toucheront aussi ceux qui sont à la retraite. Nous avons entendu maintenant, c’est l’ouverture qu’a faite la Première ministre hier, la remarque sur les carrières longues, ceux qui démarrent à 20 ans. Je ne vois donc plus aucune raison, si on est honnête, si on est cohérent par rapport à ses convictions, pour les députés les Républicains, de ne pas voter cette réforme, et j’en appelle à tous ceux qui aujourd’hui peuvent avoir encore des doutes, des hésitations, soyez fidèles à ce que vous avez toujours défendu devant vos électeurs depuis des années, soyez fidèles à vos convictions, soyez fidèles à ce qui est l’intérêt de la nation française, avoir une réforme des retraites qui garantit la pérennité de ce régime.

LEA SALAME
Vous ne cessez de dire et de répéter que chaque euro d’argent public compte, Monsieur le ministre de l’Economie, or cette concession, comme vous dites, coûtera entre 600 millions et 1 milliard d’euros par an, ça fait cher le prix du vote d’un député LR non ?

BRUNO LE MAIRE
Mais ce n’est pas le prix du vote, c’est le prix de l’amélioration de la loi, et s’il n’y a pas d’amélioration de la loi ce n’est pas la peine d’avoir de débat démocratique à l’Assemblée, c’est à ça que sert le débat démocratique, mais je vous confirme qu’il faudra financer toutes les ouvertures qui peuvent être faites, toutes les améliorations qui peuvent être faites.

LEA SALAME
Et cette réforme elle va rapporter combien à la fin, parce qu’avec toutes les concessions que vous faites, ça va rapporter combien, 8 milliards par an, tout ça pour ça ?

BRUNO LE MAIRE
Mais il ne s’agit pas que ça rapporte quelque chose…

LEA SALAME
Bah si, c’est pour les déficits si j’ai bien compris l’élément de langage numéro 2, d’il y a deux semaines ?

BRUNO LE MAIRE
Mais ce n’est pas des éléments de langage, c’est les convictions que je défends depuis des années, je crois m’avoir entendu, contrairement à certains, Léa SALAME…

LEA SALAME
C’était pour trouver de l’argent pour les déficits.

BRUNO LE MAIRE
Depuis des années, dire qu’il fallait reculer l’âge légal de départ à la retraite, je suis cohérent par rapport à mes convictions depuis des années, je les ai défendues quand j'étais candidat à la primaire, je les défends depuis le début du premier quinquennat d'Emmanuel MACRON, je les ai défendues pendant la campagne présidentielle d’Emmanuel MACRON et je reviens à votre micro, j'espère que ça ne provoquera pas de lassitude chez vos auditeurs, défendre les mêmes idées et les mêmes convictions, le report de l'âge légal de départ à la retraite, mais je vous confirme que toutes les ouvertures devront être financées, là il y a une première proposition de financement c'est l'alignement du régime des indemnités de licenciement sur le régime des indemnités de rupture conventionnelle, c'est-à-dire que toutes ces indemnités seront le forfait social à 30%, ça rapportera 200 millions d'euros, c’est une des propositions…

LEA SALAME
Ça ne fait pas 600 milliards.

BRUNO LE MAIRE
Non, vous avez tout à fait raison…

LEA SALAME
600 millions, excusez-moi.

BRUNO LE MAIRE
Millions, Dieu soit loué, 600 millions, mais il faudra trouver des mesures de financement, ce sera aux parlementaires de trouver des mesures de financement.

NICOLAS DEMORAND
Elisabeth BORNE se dit favorable à ce que " l'index seniors " soit étendu progressivement aux entreprises de plus de 50 salariés, contre 300 dans le texte actuel, avec éventuellement des sanctions financières. Le MEDEF, la CPME, sont archi contre, et vous Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien moi je suis pour. Quand on demande des efforts aux Français, et on demande des efforts aux Français, je ne vais pas vous dire le contraire, travailler jusqu'à 64 ans c'est un effort, il faut que les entreprises fassent des efforts aussi…

NICOLAS DEMORAND
Ça prendra quelle forme là, ces sanctions financières ?

BRUNO LE MAIRE
Les sanctions financières c'est très précisément…

NICOLAS DEMORAND
Des amendes de combien ?

BRUNO LE MAIRE
1% de la masse salariale, si jamais vous ne publiez pas à cet " index seniors ", donc c'est une sanction qui est très claire, il y a une obligation de faire la transparence sur le recrutement des seniors, je pense que c'est un combat essentiel pour la nation française, on ne peut pas nous dire qu’on vieillit plus longtemps, donc on peut travailler plus longtemps, et dans le même temps de ne pas faire de place à ceux qui sont plus âgés, dans leur vie professionnelle, donc les Français font un effort, il faut que les entreprises fassent un effort également.

LEA SALAME
Concernant les femmes Bruno LE MAIRE, est-ce normal à vos yeux qu'une femme née en 1975, par exemple, travaille, avec votre réforme, en moyenne 9 mois de plus, alors qu'un homme travaillera 5 mois de plus, est-ce que c'est juste ?

BRUNO LE MAIRE
Ce que je trouve injuste Léa SALAME, je vais vous dire, c’est qu’on est en train de déplacer le débat, c'est qu'il n’y ait pas encore l'égalité parfaite entre les femmes et les hommes dans le déroulement des carrières.

LEA SALAME
Oui, mais votre réforme elle ne va pas corriger ça, elle ne va corriger ça votre réforme.

BRUNO LE MAIRE
Mais notre réforme n’est pas là pour corriger cela, ce qui doit corriger cela…

LEA SALAME
Eh bien vous dites que ce n’est pas juste ?

BRUNO LE MAIRE
C’est les efforts qui vont être faits sur la parité entre les femmes et les hommes. Je me suis battu, comme ministre de l'Economie, pour qu'on garantisse la parité entre les femmes et les hommes dans les comités de direction de toutes les entreprises françaises, c'est comme ça qu'on progressera, je suis prêt à aller plus loin sur l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, c'est comme ça qu'on garantira les droits des femmes, je me suis battu pour qu'on nomme à la tête des plus grandes entreprises de France, du CAC 40, des femmes, croyez-moi, ça n’a pas été un combat facile…

LEA SALAME
Il n’y en n’a pas beaucoup !

BRUNO LE MAIRE
Mais ne confondons pas… il n’y en n’a pas suffisamment bien entendu.

LEA SALAME
Il y en a deux.

BRUNO LE MAIRE
Ce que je veux dire, c'est que notre débat sera utile s’il se fait dans la clarté et pas dans la confusion, l'égalité au travail entre les femmes et les hommes est un grand combat, il doit continuer à être livré, mais ce n'est pas le combat de la réforme des retraites, qui elle doit nous amener tous à travailler plus longtemps pour garantir l'équilibre financier de notre régime.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 13 février 2023