Texte intégral
Q - On va parler de la France commerciale, celle qui devrait vendre plus à l'étranger. Malheureusement, le commerce extérieur est en grand déficit. On est avec Olivier Becht - merci d'être avec nous -, ministre du commerce extérieur. Bienvenue sur CNews
R - Bonjour.
Q - Alors, on a dépassé 160 milliards de déficit l'an dernier. Il y a plein de raisons. Mais est-ce que vous vous souvenez quand était le dernier solde positif ?
R - C'était en 2002. C'est le moment où on a commencé à payer le prix de la désindustrialisation du pays : rappelez-vous, dans les années 1990, les usines s'en vont, elles vont produire ailleurs, notamment en Chine et dans le Sud-Est asiatique. Forcément, quand on ne produit plus sur le sol national, eh bien, c'est la double peine : un, on n'exporte plus ; et deux, on est obligé d'importer les produits dont on a besoin. C'est ainsi que le déficit commercial s'est creusé année après année. Après, cette année, on a eu une conjoncture un peu particulière, parce que...
Q - L'énergie...
R - Eh oui, on a été obligés... Ça, tout le monde le voit dans son quotidien. Les prix de l'énergie ont été multipliés par deux. La France a été obligée d'importer de l'énergie. On l'a payé deux fois plus cher, et donc on a doublé notre déficit commercial.
Q - Bien sûr... Mais j'aimerais vous montrer un tableau, parce qu'on a ressorti les chiffres et, quand même, il faut remonter à très loin, on le disait, pour avoir un solde positif. C'est quand même une dégradation continue. On se demande à quel moment on va pouvoir inverser la tendance. Qu'est-ce qu'il faut plus, de plus, pour remonter la pente ?
R - Il faut deux choses - et je mets à part le côté énergie parce que les prix de l'énergie sont en train de redescendre, on a remis en marche le parc nucléaire, et donc l'année prochaine, on ira bien mieux sur le plan de l'énergie. En revanche, il y a une part structurelle de notre déficit commercial qui nécessite un traitement de fond en deux parties. La première, c'est bien sûr la ré-industrialisation, c'est ce que nous sommes en train de faire avec...
Q - Ça prendra 10 ans...
R - ... le Gouvernement. Ça prendra du temps, parce qu'il faut réinstaller des usines. Il y en a déjà qui se font : je pense notamment aux microprocesseurs, à Crolles. Je pense également au paracétamol, le principe actif, Seqens, qui est en train de se monter en Isère, je pense au lithium qu'on est en train de reproduire dans l'Allier ou encore dans le Bas-Rhin...
Q - Oui mais ça, il faudra les vendre, ces produits, à l'étranger.
R - D'abord, les produire en France, ça nous évitera de les importer. Donc c'est déjà une première chose. Et puis ensuite, effectivement, il faut aller au-delà des besoins nationaux pour pouvoir ensuite les vendre également à l'étranger. Ça, c'est la première chose. La deuxième chose, c'est aller porter nos PME à l'exportation. Et ça, on peut le faire à court terme. Autant, vous avez raison, reconstruire des usines, ça prend du temps. En revanche, les PME françaises sont très peu exportatrices et c'est pour ça que moi je prends mon bâton de pèlerin, notamment pour aller en région avec la Team France Export, prendre ces PME par la main...
Q - Ça on en reparlera. Mais est-ce qu'elles sont compétitives, ces entreprises ? On dit toujours qu'elles ne sont pas compétitives.
R - Oui, bien sûr, les entreprises françaises sont compétitives. Nous sommes... Alors il y a la compétitivité coût, mais il y a surtout la compétitivité qualité. On fait des produits de très grande qualité, y compris en régions, au sein de nos PME. Mais il manque encore cette culture de l'international, cette capacité de se dire "il faut avoir le monde comme horizon" et pas simplement sa petite région ou le niveau national.
Q - Je comprends. Mais comment vendre plus quand on s'appelle France ? Parce que là, c'est une belle marque, vous le reconnaissez, mais comment aujourd'hui gagner de l'argent en vendant nos produits ? On parle toujours d'Airbus, mais ce n'est pas la plus grosse partie. On parle de l'automobile, pratiquement, a décliné. Il ne reste plus que le luxe !
R - Non, on a des champions, si vous voulez. On a des champions de l'export. Vous avez cité Airbus, vous avez cité le luxe, les cosmétiques...
Q - Mais plus l'automobile.
R - Alors l'automobile, un peu moins, même si on a retrouvé nos niveaux d'avant pandémie. Mais c'est vrai qu'on fabrique peu d'automobiles en France par rapport...
Q - Oui, elles sont délocalisées.
R - Voilà, par rapport à nos voisins, notamment allemands. Donc il faut relocaliser un certain nombre de productions. Et puis surtout, il faut oser l'export. C'est ça le vrai sujet !
Q - Je comprends, d'accord, mais ça c'est... On est d'accord là-dessus. Mais 160 milliards de déficit, vous, vous prenez quels engagements pour les deux ans qui viennent, trois ans qui viennent ?
R - Eh bien écoutez, l'engagement que nous prenons, c'est d'abord, avec le Gouvernement, c'est de réindustrialiser le pays, de réimplanter les usines petit à petit en France pour produire ce dont a besoin, notamment en souveraineté. Et puis, moi, je prends l'engagement de continuer mon tour de France des régions avec...
Q - Et du monde aussi.
R - ...et du monde, mais ça, on en parlera si vous voulez, c'est vendre la France. Mais c'est surtout faire en sorte que les entreprises soient accompagnées, que chaque entreprise soit démarchée, en disant "pourquoi vous n'allez pas à l'international, pourquoi vous n'osez pas ?"
Q - Et pourquoi elles ne veulent pas ?
R - Je pense que, sincèrement, il y a une question de culture de l'export. Notre pays finalement est plutôt...
Q - On parle mal anglais, on parle mal allemand ?
R - Ce n'est pas simplement une question de langue. Je pense que, souvent, les entreprises se contentent d'un marché local dans lequel elles sont confortablement installées...
Q - Ça fait des années qu'on en parle...
R - ... et ça fait du bien de se dire "est-ce que ce n'est pas risqué d'aller à l'international ?" Moi, je veux convaincre les entreprises qu'on a tous les outils pour les accompagner à l'international avec des risques extrêmement limités, et c'est vraiment l'engagement que je prends, c'est d'aller accompagner et de faire en sorte qu'il y ait de plus en plus de PME. Ça marche déjà : nous avions 120.000 entreprises à l'export, on est à 144.400 ; donc ça monte.
Q - Ça monte. Alors, on vous croit. Mais alors, le SMR, les fameuses petites centrales nucléaires que le Gouvernement veut lancer dans les dix ans qui viennent, est-ce que ça rapportera de l'argent? Est-ce que ça va se vendre à l'étranger ?
R - Eh bien écoutez, on vend déjà du nucléaire à l'étranger. On le fait...
Q - Ça rapporte ?
R - ... y compris - bien sûr - sur la technologie EPR2. C'est le cas notamment au Royaume-Uni, où on a un réacteur et on est train de monter...
Q - Oui, c'est EDF qui gère.
R - ... - c'est EDF - une deuxième centrale. Et on a aujourd'hui de nombreux pays qui sont intéressés par notre technologie. Et donc oui, j'ai bon espoir que...
Q - Il faut les vendre dès maintenant !
R - Il faut les vendre dès maintenant ! Et c'est ce que je fais cette fois-ci à l'international quand je me déplace. J'ai fait une vingtaine de pays dans les derniers mois et je recommence, voilà, une tournée à la fois en Afrique, en Asie et en Océanie pour vendre la France, pour vendre la marque France, en emmenant avec moi les grandes entreprises mais aussi - mais aussi - les petites et les moyennes entreprises, parce que c'est celles-ci...
Q - Je comprends, là c'est le "Olivier Becht commercial", c'est ça ? Vous êtes avec le bâton de pèlerin...
R - Mais c'est un peu ma mission. C'est d'aller vendre la France à l'étranger, a à la fois emmener nos petites et moyennes entreprises, nos grands groupes, acquérir des contrats. Et puis dans l'autre sens, c'est vendre aussi la marque France pour les investissements à l'étranger. Et force est de constater que depuis trois ans maintenant, la France est devenue le premier pays en termes d'attractivité. Nous sommes la première terre d'accueil des investissements étrangers en Europe. Ce sont des milliers de projets. Ce sont des usines qui se montent. Ce sont des extensions également. Ce sont des emplois qui sont créés. Et tout ça, c'est bon pour l'économie.
Q - Je voulais juste terminer par une question sur la réforme des retraites, si vous pouvez m'en dire un mot. C'est vrai quand on voit le déficit commercial aujourd'hui, 160 milliards, la réforme des retraites, c'est une goutte d'eau. Ça vous inspire quoi comme réflexion ?
R - Ce n'est pas du tout la même chose. Si vous voulez, la réforme des retraites, c'est faire en sorte que les comptes publics soient équilibrés. C'est faire en sorte qu'on puisse continuer à payer les retraites dans le futur, avec la sauvegarde de notre régime de répartition, qui est un régime qui permet justement une égalité entre les générations. Nous avons sur le déficit commercial d'autres choses. C'est-à-dire que globalement, c'est vrai que la nation ne s'enrichit pas lorsqu'elle a un déficit commercial. Mais ce sont essentiellement des flux privés. Ce sont des entreprises qui importent ou qui exportent...
Q - Mais vous comprenez ceux qui disent "10 milliards de déficit, c'est rien par rapport au commerce ?"
R - C'est comme comparer des oranges avec des poireaux, ce n'est pas du tout la même chose. Les 164 milliards de déficit commercial, ce sont des acteurs privés, essentiellement, qui le réalisent. De l'autre côté, ce sont les fonds publics qui financent les retraites de la population.
Q - On a compris. Là, vous vous engagez à redresser la barre du paquebot France, si on peut l'appeler comme ça ?
R - Eh bien, c'est ce qu'on essaye de faire sur tous les domaines avec le Gouvernement. C'est à la fois essayer de redresser les comptes publics, mais aussi essayer de redresser les comptes privés, parce que globalement, c'est la nation qui doit être gagnante à la fin.
Q - Olivier Becht, merci d'être venu sur CNews, ministre du commerce extérieur.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 2023