Déclaration de Mme Olivia Grégoire, ministre chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme, sur le thème : " Automobile : tout électrique en 2035, est-ce réalisable ? ", au Sénat le 7 février 2023.

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  • Olivia Grégoire - ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme

Circonstance : Débat organisé au Sénat à la demande du groupe Les Républicains

Texte intégral

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : " Automobile : tout électrique en 2035, est-ce réalisable ? "

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la voiture de demain sera électrique.

Les voitures électriques tiennent une place de plus en plus significative dans les ventes de voitures neuves de l’Union européenne : 1,1 million de véhicules électriques ont ainsi été vendus en 2022, soit 28% de plus que l’année précédente.

Selon les chiffres publiés par l’Association des constructeurs européens d’automobiles, elles représentent au total 12,1 % des voitures neuves vendues en 2022, contre 9,1% en 2021 et 1,9% en 2019. En France, cette proportion est même plus élevée, puisque 13,3% des véhicules vendus étaient entièrement électriques en 2022 – soit 200 000 sur 1,5 million.

Au-delà des chiffres, je profite de ce débat pour porter trois messages clés sur le développement du véhicule électrique en France.

Le premier est que la voiture électrique est indispensable, essentielle pour décarboner notre secteur des transports.

Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) alerte sur l’urgence climatique. Il reste quelques années, comme vous le savez, pour agir et éviter les conséquences les plus dramatiques d’un changement climatique non maîtrisé pour les générations futures. Les années qui sont devant nous seront décisives : il nous faudra déployer des solutions nous permettant de contenir ce réchauffement en deçà des 2 degrés Celsius.

Le véhicule électrique, en tant que solution d’ores et déjà disponible et mature, fait partie des leviers absolument indispensables. D’après le Giec, les véhicules électriques alimentés par de l’électricité à faibles émissions offrent le plus grand potentiel de décarbonation pour le transport terrestre.

Les émissions dans le secteur des transports, qui pèsent pour 25% du total des émissions en Europe et pour 30% des émissions en France, ne baissent pas, voire continuent de s’accroître : on constate en effet qu’elles ont augmenté de 12 % entre 1990 et 2015. Sont en cause la dépendance aux carburants fossiles, le maintien d’un niveau élevé d’émissions de CO2 par véhicule ainsi que la croissance des trafics.

La fin des voitures thermiques et la conversion à l’électrique sont donc des leviers absolument essentiels, une étape sur le chemin d’une mobilité décarbonée. La décision d’interdire la commercialisation des véhicules thermiques à compter de 2035 en Europe a le mérite de la clarté.

Une voiture électrique achetée en 2022 et roulant en France émet cinq fois moins de CO2 que son homologue à essence, grâce à une électricité produite essentiellement à partir d’énergie nucléaire, mais aussi d’énergies renouvelables, sources d’énergie bas-carbone. Ailleurs en Europe, c’est en moyenne trois fois moins.

D’ici à 2030, l’empreinte carbone des véhicules électriques est amenée à se réduire encore davantage grâce à une électricité de plus en plus souvent produite à partir d’énergies bas-carbone et en raison de l’amélioration de la performance environnementale des batteries.

Le deuxième message que je souhaite vous adresser est que le Gouvernement travaille à bâtir une filière industrielle complète pour les véhicules électriques. Cette décarbonation, vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur Babary, ne doit pas se faire au détriment de l’industrie française – c’est une évidence.

Il faut que la France prenne sa part dans le renouvellement du parc automobile français. On ne peut importer massivement des véhicules électriques fabriqués dans d’autres pays.

Le Président de la République l’a encore rappelé lors du Mondial de l’Auto, en octobre dernier. Nous avons une stratégie claire pour faire de la France une grande nation de véhicules électriques et pour maintenir une industrie automobile forte et souveraine dans notre pays.

Nous voulons qu’en 2030 2 millions de véhicules électriques, ainsi que les composantes stratégiques de leur chaîne de valeur, que sont les batteries électroniques, les logiciels et les bornes de recharge, soient produits chaque année en France.

Nous devons réussir à maîtriser les technologies de pointe, qui vont des moteurs électriques jusqu’aux batteries, en passant par les composants de l’électronique de puissance et les systèmes qui serviront aux véhicules automatisés.

Par ailleurs, le maintien de la localisation sur le territoire national des usines d’assemblage de véhicules est absolument primordial pour notre filière automobile d’excellence et pour tous ceux qui y contribuent. Lors du Mondial de l’Auto, les constructeurs Renault et Stellantis ont ainsi annoncé la production de quinze nouveaux modèles de véhicules électriques dans leurs usines françaises.

L’État met des moyens sans précédent pour atteindre cet objectif d’une production annuelle de 2 millions de véhicules électriques à l’horizon de 2030.

Nous mobilisons ainsi, via le plan France 2030, pas moins de 5 milliards d’euros pour l’ensemble de la filière automobile, à la fois pour soutenir la recherche et le développement et pour favoriser l’industrialisation des véhicules et de leurs composants en France.

Mon troisième et dernier message concerne les conséquences industrielles et sociales de l’arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2035. Le Gouvernement reste très vigilant sur ce point, car il s’agit d’un tournant majeur pour la filière automobile.

La décarbonation du parc automobile va dans le sens de l’histoire et nous sommes évidemment prêts à soutenir tous les acteurs dans cette mutation industrielle. Il est indispensable d’accompagner nos entreprises, de former les salariés, pour faire face à cette révolution et faire en sorte que la France garde une industrie automobile performante et souveraine.

Plusieurs activités en lien avec la production de véhicules thermiques vont naturellement décroître. Je pense notamment aux conséquences majeures de cette évolution sur certaines filières de sous-traitance. Le décolletage, la fonderie de fonte, la forge figurent parmi les activités qui seront confrontées à des baisses de commandes dans les prochaines années.

L’État accompagne d’ores et déjà les entreprises de ces secteurs dans leurs projets de diversification, qu’elles s’orientent vers la fabrication de véhicules électriques ou qu’elles sortent de la filière automobile ; des reconversions sont en effet possibles dans d’autres domaines.

Outre les entreprises, ce sont aussi nos territoires qu’il faut accompagner dans l’évolution du tissu industriel. C’est la raison pour laquelle l’État a lancé, en lien avec la Banque des territoires, l’appel à manifestation d’intérêt « Rebond industriel » dans le cadre du programme Territoires d’industrie.

Nous consacrons une enveloppe de 100 millions d’euros aux territoires touchés par les mutations du secteur automobile : il s’agit d’identifier des projets industriels dans les bassins d’emplois affectés et de garantir à chaque salarié de l’industrie automobile des perspectives d’emploi dans son bassin de vie ainsi que dans les secteurs d’avenir.

Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’État est conscient de la révolution que nous avons à engager ensemble et met tout en œuvre pour accompagner la filière automobile dans cet effort de décarbonation absolument stratégique.

Bien sûr, l’objectif est ambitieux, mais il n’est plus temps de tergiverser, car les décisions des entreprises en matière d’investissement se prennent aujourd’hui. Ces dernières doivent désormais clairement s’orienter vers l’électrification de notre parc automobile.

Nous aurons bien évidemment le loisir d’en discuter lors de ce débat, au cours duquel je répondrai avec la plus grande clarté possible.


- Débat interactif -

Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.

Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’Union européenne a fait de la motorisation électrique un axe central de son paquet mobilité. La fin de la vente des véhicules thermiques neufs est prévue pour 2035. Quinze ans après, en 2050, les émissions de CO2 du parc effectif de véhicules devront respecter l’objectif de neutralité carbone.

Les batteries sont une priorité en vue de la relance et de la mutation de l’industrie automobile. Le marché des véhicules électriques décolle. Il reste qu’au rythme actuel de leur renouvellement, si l’équipement en voitures restait similaire à celui d’aujourd’hui, nous n’atteindrions pas la neutralité carbone en 2050.

De plus, la seule conversion à la voiture électrique ne répond pas à tous les enjeux. Je pense en particulier à celui de la réduction de la pollution par les particules fines liée à l’abrasion des chaussées et à l’usure des pneumatiques.

Il faut également réfléchir à la réduction de l’empreinte des matériaux employés pour la construction des véhicules – qui représente 75 % de leur bilan carbone –, à leur durée de vie et à leur recyclage. Il est également nécessaire de s’interroger sur leur empreinte sociale, car cette industrie contraint des personnes à travailler dans des conditions indignes, dans des mines lointaines.

Enfin, nous devrions encourager la mutualisation des automobiles, pour en accroître la durée réelle d’usage et en diminuer le nombre, le report modal vers les transports collectifs, pour agir sur la congestion, et le soutien aux mobilités actives, afin que celles-ci déploient tout leur potentiel.

Au-delà de la mutation électrique des moteurs, le Gouvernement a-t-il l’intention de favoriser, en même temps, une mutation des usages et une véritable politique de réduction de la place de l’automobile et de l’autosolisme dans nos mobilités ?

Dans la mesure où nos constructeurs s’enferrent dans une stratégie qui consiste à miser essentiellement sur les SUV, ce qui nous expose de fait à la concurrence étrangère pour ce qui est des véhicules électriques légers qui s’imposeront demain, je me demande également si le Gouvernement a pour but de contrecarrer cette dérive qui minera notre compétitivité industrielle et nuira à l’emploi ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Salmon, vous abordez plusieurs sujets.

Je rappelle tout d’abord que, contrairement à d’autres filières, les émissions du secteur des transports continuent d’augmenter en raison de notre dépendance aux carburants fossiles, du maintien d’un niveau élevé d’émissions par véhicule et de la croissance des trafics. La conversion vers les véhicules électriques est donc un levier essentiel.

Malgré la fin de la commercialisation des véhicules thermiques en Europe en 2035, il en restera énormément en circulation. On estime d’ailleurs que la moitié du parc automobile français, soit 20 millions de véhicules, sera encore carbonée à cet horizon.

Il nous faut donc accélérer la décarbonation du secteur des transports – je pense que l’on aura l’occasion d’en reparler – en misant sur le " rétrofit ", par exemple, c’est-à-dire notre capacité à remplacer un moteur thermique par une propulsion à moindre émission, comme un moteur électrique ou un moteur à pile combustible à hydrogène.

Cette opération reste encore coûteuse et insuffisamment mise en œuvre. C’est pourquoi nous sommes en train de travailler avec le ministre des transports, Clément Beaune, à la démocratisation du rétrofit. Nous souhaitons en effet faciliter la conversion du parc automobile dans les prochaines années, notamment les 20 millions de véhicules, dont je viens de parler, qui resteraient carbonés en 2035.

Je précise à cet égard que l’État a lancé, entre novembre 2022 et janvier 2023, une consultation au sujet du rétrofit pour recueillir les propositions des industriels spécialistes de cette opération concernant les véhicules particuliers.

Le ministre de l’industrie et le ministre des transports étudient actuellement ces propositions. Ils définiront un plan d’action dans le courant du mois de mars, ce qui devrait permettre aux particuliers, comme nous le souhaitons, de convertir leurs véhicules thermiques en véhicules électriques à un coût moins élevé et plus facilement, notamment dans les garages présents sur nos territoires.

En ce qui concerne la seconde partie de votre question, monsieur le sénateur, faute de temps, je me propose plutôt de vous adresser une réponse écrite.

Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.

M. Daniel Salmon. Madame la ministre, vous avez insisté à juste titre sur le rétrofit, technique fort intéressante, car elle permet de ne pas gaspiller l’énergie grise contenue dans une voiture. Il s’agit effectivement d’un élément essentiel pour l’avenir.

En revanche, on ne pourra faire l’économie d’une véritable politique en faveur de la sobriété d’usage et de dimensionnement ainsi que d’une stratégie d’aménagement du territoire contribuant à revoir nos mobilités.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. En ce qui concerne la lutte contre l’autosolisme et la promotion du covoiturage, sachez qu’une réflexion est en cours et que le ministre des transports, Clément Beaune, vient justement d’annoncer un plan pour les encourager. Je reste à votre disposition pour en discuter.

Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Je me réjouis de cette nouvelle et suis tout à fait disposé à échanger avec vous au sujet du covoiturage.

Pour ne prendre que cet exemple, sachez que des relevés effectués à l’entrée de Rennes Métropole ont montré que, aux heures de pointe le matin, 100 véhicules ne transportaient que 102 personnes, c’est-à-dire qu’il n’y a en réalité qu’une seule personne dans 98 véhicules sur 100. Il suffirait que les automobilistes fassent du covoiturage, pas tous les jours, mais simplement une fois par semaine, pour faire disparaître tout embouteillage aux portes de la ville.

Les solutions existent. Il faudra faire en sorte que ce qui fonctionne bien sur les longs trajets, grâce à la plateforme BlaBlaCar, pour ne pas la nommer, fonctionne également au quotidien avec des lignes de covoiturage.

Plusieurs expérimentations sont en cours au sein de Rennes Métropole ; j’espère qu’elles s’étendront à l’échelle nationale, parce que le covoiturage est une vraie solution pour limiter les embouteillages. En effet, la voiture électrique, comme les autres véhicules, crée des embouteillages et des problèmes de stationnement.

Mme le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’avenir du tout électrique pour la filière automobile passe par la région des Hauts-de-France, première région automobile française, notamment du fait de son passé industriel et du savoir-faire reconnu de ses ouvriers.

Cette ambition est, par exemple, celle de Renault, pionnier du véhicule électrique, qui a investi massivement dans cette solution, comme en témoigne son modèle vedette Zoé, dont les ventes ont atteint 32 000 exemplaires l’an dernier. La marque française est également numéro un sur le créneau des utilitaires électriques avec la Kangoo, produite à Maubeuge dans le département du Nord.

La batterie est le corollaire indispensable du véhicule électrique. La région des Hauts-de-France n’est pas en reste dans ce domaine, en particulier dans le département du Nord, devenu the place to be de la batterie électrique en quelques années.

En effet, après l’implantation du pôle ElectriCity de Renault et du groupe chinois Envision près de Douai, celle de Stellantis et de TotalEnergies à Douvrin, Dunkerque accueillera la troisième " giga-usine " française de production de batteries électriques avec l’implantation de Verkor, société qui permettra de faire des Hauts-de-France la vallée de la batterie, un segment plus qu’indispensable pour produire les voitures électriques de demain sur notre sol.

Nous ne pouvons que nous réjouir de ce renouveau et de la réindustrialisation de la région. Les trois gigafactories que je viens de citer contribueront à la création, à terme, de 7 500 emplois directs et de 15 000 emplois indirects. C’est un pari ambitieux qui passe par la mise en place d’un véritable écosystème, notamment dans le domaine de la formation en amont des futurs salariés de ces usines.

Cette évolution doit être anticipée. Afin d’alimenter ces entreprises en personnel qualifié, il faudra en particulier veiller à favoriser la formation des locaux, dont le savoir-faire ancien n’est plus à démontrer.

À cet égard, les difficultés rencontrées par la filière nucléaire pour trouver du personnel à même de concrétiser ses ambitions et ses projets doivent nous servir de référence et de garde-fou.

La perspective de ces emplois est une véritable bouffée d’air pour un territoire longtemps meurtri, mais elle constitue aussi un énorme défi. La réussite du tout-électrique dans notre pays passe par la mobilisation de tous les acteurs de la formation, et notamment ceux de l’éducation nationale.

Madame la ministre, quelles sont les orientations retenues par le Gouvernement pour relever le défi de la formation, garant essentiel de la réussite du tout électrique ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Marchand, comme vous l’avez souligné avec raison, le Nord est au cœur du déploiement de l’écosystème de l’automobile électrique.

Le constructeur Renault s’engage avec détermination dans l’électrification de sa gamme, avec la constitution du pôle ElectriCity dans le nord de la France, autour des villes de Douai, Maubeuge et Ruitz, qui vise un objectif de 1 million de véhicules produits par an en 2031.

En parallèle, trois entreprises ont des projets de construction de « méga-usines » de batteries de véhicules électriques dans les Hauts-de-France : ACC à Douvrin, Verkor à Dunkerque et Envision à Douai. Ces usines devraient contribuer à la création d’au moins 6 500 emplois directs à l’horizon de 2030 – nous nous fondons sur un étiage équivalent, monsieur le sénateur, puisque vous avez parlé de 7 500 postes.

Comme vous, nous nous réjouissons de la possible constitution d’une filière complète des véhicules de demain en France, mais aussi et surtout, de la création d’emplois induite.

Vous évoquiez – et je vous en remercie – la question fort légitime de la formation. Il nous faut apporter une réponse rapide et parvenir à former à ces métiers, qui diffèrent des métiers « classiques » de l’automobile, et qui seront les véritables métiers de demain.

Comme vous le savez, une enveloppe de 2,5 milliards d’euros est aujourd’hui dédiée à la formation et aux compétences, ne serait-ce qu’au travers du plan France 2030. Il est inutile d’insister ici sur les efforts réalisés durant le précédent quinquennat.

À titre d’exemple, l’État a soutenu le projet Remed, (Réussir l’efficience des mobilités d’excellence décarbonées), à hauteur de 14,5 millions d’euros. Ce projet, lauréat d’un appel à manifestation d’intérêt lancé dans le cadre de France 2030, vise à accélérer la structuration de nouvelles formations autour des technologies automobiles d’avenir.

" L’école de la batterie ", projet de Verkor à Grenoble, a obtenu 14 millions d’euros d’aides grâce à ce même appel à manifestation d’intérêt. Deux autres projets lauréats dans les Hauts-de-France permettront de répondre aux besoins à court terme d’Envision en matière de formation.

Enfin, nous travaillons au niveau des comités stratégiques de filière du Conseil national de l’industrie pour mieux identifier les compétences dont nous aurons besoin.

Mme le président. La parole est à Mme Martine Filleul.

Mme Martine Filleul. Madame la ministre, ma question, assez proche de celle de M. Marchand, va vous donner l’occasion d’approfondir votre réponse.

Décarboner au plus vite le parc automobile afin de respecter nos engagements environnementaux est un impératif. Reste à savoir comment atteindre cet objectif.

En aucun cas, nous ne pouvons mettre sous le tapis les implications sociales et économiques pour les personnes les plus vulnérables concernées par cette mue incontournable. Je pense évidemment à nos compatriotes aux fins de mois difficiles, pour lesquels l’achat d’un nouveau véhicule électrique est hors de portée, en dépit des aides déjà mises en place.

Je pense aussi, en tant que sénatrice du Nord, à mon territoire, qui a particulièrement souffert d’une désindustrialisation massive depuis la fin des Trente Glorieuses. Que ce soit pour des constructeurs ou des équipementiers, pas moins de 50 000 employés y travaillent à ce jour dans le secteur automobile.

Le Président de la République a fixé comme objectif de produire 2 millions de véhicules électriques et hybrides en France à l’horizon de 2030. En outre, trois projets de gigafactories à Douai, à Dunkerque et à Maubeuge ont été annoncés.

Toutefois, un chiffre attire mon attention : en raison d’un nombre de pièces inférieur, alors que cinq ouvriers étaient nécessaires pour la production d’un véhicule thermique, seuls trois suffisent désormais pour celle d’un véhicule électrique. Vous évoquez seulement 7 500 emplois.

Pouvez-vous nous assurer que, au 1er janvier 2035, la filière automobile française sera prête et que nos territoires industrialisés ne seront pas une nouvelle fois sinistrés ? Que prévoit l’État pour prévenir la disparition de certains postes dans l’industrie automobile et assurer la reconversion des salariés ? Au moyen de quelles dispositions ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Comme Mme la sénatrice Filleul m’y invite, et si vous m’y autorisez, madame la présidente, je vais compléter ma réponse à la question précédente.

Au-delà des projets que la région Hauts-de-France a remportés, rendons hommage au territoire lauréat de ces appels à manifestation d’intérêt. Nous travaillons actuellement, dans le cadre des comités stratégiques de filières du Conseil national de l’industrie, à l’identification des compétences nécessaires pour ces nouvelles productions et ces nouveaux métiers.

Je rappelle également que Bruno Le Maire présentera, d’ici à quelques mois, un important projet de loi relatif à la réindustrialisation verte. Un pan entier de ce texte sera consacré, madame la sénatrice, à la question majeure de la formation des compétences et des talents.

Aussi deux pilotes ont-ils été désignés pour ce chantier spécifique, conduit dans le cadre du projet de loi portant sur la réindustrialisation verte : Mme la députée Astrid Panosyan-Bouvet, que vous connaissez certainement, et M. Moussa Camara, président fondateur de l’association Les Déterminés.

Ils travaillent ensemble depuis quelques semaines et sont disponibles pour échanger avec vous, si vous le souhaitez, sur des propositions concrètes en matière de formation, notamment à destination des personnes les plus éloignées de l’emploi ou les plus fragiles en termes d’employabilité.

Les propositions défendues par ces deux personnalités ont vocation à " nourrir " le futur projet de loi en matière de formation professionnelle et d’enseignement aussi bien professionnel que supérieur.

Au-delà de Bruno Le Maire, le ministre de l’éducation, le ministre du travail ainsi que l’ensemble du Gouvernement s’attelleront à renforcer le plus possible l’employabilité et la qualité des formations dans le secteur de l’industrie automobile électrique.

Je vous invite également à enrichir ce travail, nous en avons besoin.

Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Madame la ministre, l’objectif d’interdiction de vente de véhicules thermiques et hybrides en 2035 a été entériné sans véritable étude d’impact et sans planification globale, selon le principe " Décidons, l’intendance suivra ".

Dès lors, nous avançons sans stratégie claire, en laissant la main aux industriels pour définir nos objectifs de production et en courant le risque de ne pas réussir ou de le faire dans les pires conditions, au prix de nouvelles inégalités et d’une perte de souveraineté.

Parmi tous ces problèmes mal maîtrisés, je souhaite vous interroger sur les perspectives d’approvisionnement en matières premières critiques composant les batteries, au titre desquelles figurent la volonté déclarée de « retour des mines en Europe » et la constitution de stocks stratégiques.

Le principal projet de mine de lithium européen, à Jadar, en Serbie, qui devait être exploitée par le tristement célèbre groupe Rio Tinto, a été abandonné pour des raisons écologiques. L’Union européenne s’apprête, quant à elle, à assouplir dans l’urgence les règles environnementales afin de faciliter l’implantation des mines.

Disposerons-nous, et à quelle échéance, d’une véritable étude d’impact sur les besoins en matériaux critiques pour satisfaire la demande européenne de véhicules électriques ?

Comptez-vous renforcer le soutien public, dans le cadre du plan France 2030, dont 132,3 millions d’euros ont été décaissés en un an pour le volet " matières premières ", tout en garantissant que cet argent serve, en France, à des projets d’exploration et de raffinage conformes à nos ambitions industrielles et écologiques ?

Enfin, quelles nouvelles règles de commerce international la France entend-elle promouvoir contre les logiques de rentabilité prédatrices de quelques grands groupes mondiaux, qui dominent le secteur aujourd’hui, pour garantir et sécuriser l’approvisionnement des matières premières critiques nécessaires aux transitions écologiques ?

Dans ce cadre, êtes-vous prête, avec le Gouvernement, à agir pour sortir d’une logique de souveraineté égoïste, fondée sur la guerre concurrentielle entre États et entre filières au profit d’un marché mondial fondé sur une logique de biens communs…

Mme le président. Je vous remercie, cher collègue. Vous avez deux minutes pour vous exprimer, pas davantage.

M. Pierre Laurent. … écologiquement responsable et soumis à des quotas équitablement répartis ?

Mme le président. Je rappelle que les interventions sont limitées à deux minutes.

Pour bénéficier du temps prévu pour la réplique, vous devez vous arrêter avant la fin des deux minutes imparties. Ainsi, le débat peut être interactif.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Laurent, en ce qui concerne la filière automobile en France et l’objectif européen que nous nous sommes fixé, votre jugement est dur : je ne crois pas possible de dire que nous n’avons aucune stratégie claire en la matière. Certes, la bascule à réaliser est majeure, peut-être même anxiogène, mais nous avons une stratégie. Comme vous le savez, des points d’étape sont prévus avant 2035.

La stratégie est assez claire : afin de donner de la visibilité aux industriels et aux consommateurs, nous prévoyons de produire 2 millions de véhicules électriques par an en 2030, de mobiliser massivement les moyens de l’État, avec pas moins de 5 milliards d’euros investis dans le cadre du plan France 2030, et ce hors du champ compétences et formation, évoqué à l’instant, qui sera abondé par ailleurs.

Sur le sujet majeur des matériaux critiques, je rappelle qu’il est possible de recycler jusqu’à 99 % des métaux composant les batteries – lithium, nickel ou cobalt. Recycler davantage ces métaux permettrait d’en extraire moins, ce qui serait moins délétère pour notre planète. De nombreux projets émergent en France afin de bâtir ces sites de recyclage de batteries de véhicules électriques.

Par ailleurs, nous disposons dans notre pays de gisements de matériaux constitutifs des batteries. Le groupe Imerys a ainsi annoncé, en octobre 2022, le lancement d’un important projet d’exploitation de lithium dans l’Allier, qui devrait permettre d’équiper 700 000 véhicules par an en batteries lithium-ion.

J’ajoute qu’un délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques, Benjamin Gallezot, a été nommé voilà un mois. Il est à la disposition de l’ensemble des parlementaires pour aborder ce sujet des matériaux critiques.

Mme le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.

M. Patrick Chauvet. Madame la ministre, le 20 octobre dernier, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, j’alertai le ministre délégué chargé des transports sur les dangers d’une interdiction pure et dure des véhicules thermiques à partir de 2035.

Je ne suis pas certain qu’elle soit souhaitable au regard des investissements colossaux consentis par nos constructeurs pour améliorer les performances écologiques des moteurs thermiques.

En outre, la montée en charge du véhicule électrique suscite également des interrogations sur la pérennité de notre souveraineté industrielle. En effet, nous sommes actuellement dépendants de certaines filières d’approvisionnement, notamment pour l’importation de terres rares, ces précieux métaux décisifs pour le fonctionnement des batteries. Ainsi, en cas de conflit géopolitique d’ampleur, notre filière automobile serait vulnérable et nous ne pourrions continuer à la faire fonctionner.

Il est toutefois impératif que nous soyons compétitifs sur le marché du véhicule électrique à l’horizon de 2035.

Mes chers collègues, nous sommes tous conscients que la concurrence internationale ne nous fera aucun cadeau. La Chine a ainsi fait très tôt le pari de l’électrique. En contrôlant 56% de la production mondiale de batteries, Pékin s’est doté d’une industrie automobile électrique ultra-compétitive. Les véhicules chinois coûtent jusqu’à 30% moins chers que ceux de leurs concurrents européens.

De leur côté, les États-Unis soutiennent massivement leurs constructeurs et leur industrie verte avec des investissements de 370 milliards de dollars.

Avec l’aide de nos partenaires européens et de nos constructeurs automobiles, nous devons donc dessiner les contours d’un nouveau pacte industriel pour relever le défi du véhicule électrique.

À ce titre, je salue les annonces de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, des 17 et 31 janvier dernier, sur la mise en place d’un plan industriel européen pour la compétitivité de nos industries vertes.

Pourtant, les récentes prises de position de certains dirigeants des États membres semblent mettre en péril cette initiative. Je terminerai par ma question…

Mme le président. Je vous remercie, cher collègue. La règle est la même pour tous. Elle a été fixée avec les présidents des groupes parlementaires ; nous n’allons pas la modifier aujourd’hui.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Tenter de répondre à une question que je ne peux qu’imaginer est un exercice périlleux ! (Sourires.)

Certes, il s’agit d’un mouvement majeur, mais le Gouvernement considère que nous sommes capables d’atteindre nos objectifs. L’Europe se met d’ailleurs en position de le faire.

Je voudrais concentrer mon propos sur ce que nous faisons en France et sur les efforts considérables que nous déployons pour accompagner les acteurs, mais aussi tous les sous-traitants, qui sont au cœur de la filière. Le président Babary l’a indiqué dans son intervention : l’enjeu ne porte pas uniquement sur les batteries électriques, mais plus largement sur la chaîne de valeur.

Comme à chaque mutation industrielle majeure, des savoir-faire et des emplois disparaîtront, mais de nombreuses innovations et opportunités industrielles sont déjà en train d’émerger dans notre pays. Ce sont autant de secteurs de croissance et de création d’emplois.

Les sous-traitants de la filière automobile traditionnelle se diversifient, soit vers des segments de la filière non exposés aux motorisations thermiques, soit vers de nouveaux secteurs, hors automobile.

Pour accompagner les sous-traitants dans ces changements, l’État leur dédie un cinquième des 5 milliards d’euros consacrés au soutien de la filière automobile, soit 1 milliard d’euros. Cela permettra de soutenir leur croissance, de faciliter leur transition, d’accompagner la reconversion des salariés des sites et des territoires concernés.

Enfin, Bercy a mandaté le Conseil général de l’économie, mais aussi l’inspection générale des finances, pour évaluer les conséquences de l’arrêt du moteur thermique sur le tissu industriel français et proposer des actions très spécifiques. Les résultats de ces travaux sont attendus à la fin du premier semestre 2023.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la ministre, si les ventes de voitures électriques ont connu un bond sans précédent pour atteindre 12% des ventes en 2022, notre pays accuse un retard sérieux sur nos homologues européens, notamment nordiques – ce taux atteint ainsi 90 % en Norvège, par exemple.

Avec un parc de près de 300 millions de voitures circulant en Europe, il nous faudra beaucoup de temps, voire énormément, pour réaliser une conversion au tout électrique.

De surcroît, le développement intensif de la voiture électrique pose de nombreuses questions, tout d’abord d’ordre économique.

En effet, le véhicule électrique coûte cher : environ 20 000 euros pour les premiers prix, soit souvent le double d’un véhicule thermique. Tous les automobilistes ne peuvent donc se le permettre, sans compter les inquiétudes légitimes des consommateurs sur le coût de l’électricité dans les années à venir.

Des questions d’ordre industriel ensuite : la crise de la covid-19 a mis en péril les circuits d’acheminement des matériaux nécessaires à la fabrication des batteries. Des gisements ont été découverts en Europe, mais il faudra des années avant de pouvoir en tirer les fruits.

Par ailleurs, le déploiement des bornes de chargement sera-t-il en mesure de suivre le rythme de la progression attendue des voitures électriques ?

Il est donc peu probable que l’objectif du tout électrique en 2035 soit atteignable, d’autant que les fabricants ont d’ores et déjà atteint leurs premiers objectifs de réduction de gaz à effet de serre et qu’ils seraient peut-être tentés de " mettre la pédale douce " – sans mauvais jeu de mots – sur la production électrique pour écouler leur stock de véhicules thermiques.

Ne serait-il pas opportun, madame la ministre, de miser aussi sur l’hybride en relançant, par exemple, le dispositif fiscal qui a été supprimé ? Et qu’en est-il de l’hydrogène ? Ne faut-il pas accompagner la transition énergétique et la conversion de notre parc actuel de véhicules thermiques, afin qu’il soit moins émetteur de gaz à effets de serre ?

Enfin, pouvez-vous rassurer nos industriels de l’automobile, légitimement inquiets, au regard du plan d’aide américain massif, qui risque de les fragiliser ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Corbisez, en moins de deux minutes, vous me posez pas moins de six questions ! Quel challenge ! Je vais être obligée de concentrer quelque peu mon propos, ce dont je vous prie de bien vouloir m’excuser.

Votre premier point concerne l’aide à l’acquisition de voitures électriques. Comme vous l’avez souligné, ces voitures demeurent bien plus chères que les véhicules thermiques. Cependant, plus de 1 milliard d’euros de crédits budgétaires ont été consommés au titre du bonus écologique en 2022 et plus de 325 000 dossiers ont été traités.

Depuis le 1er janvier 2023, le montant maximal du bonus écologique est passé de 6 000 euros à 5 000 euros pour les particuliers, mais il pourra être majoré de 2 000 euros pour près de la moitié des ménages.

Le leasing social à 100 euros par mois sera aussi proposé aux ménages les plus modestes au cours de l’année 2024, comme nous nous y étions engagés.

Enfin, les ménages les plus aisés sont exclus du bénéfice de la prime à la conversion, dont le montant peut atteindre 6 000 euros en fonction des revenus de l’acquéreur.

Par ailleurs, le rétrofit, on ne le sait pas assez, est éligible à une aide allant jusqu’à 6 000 euros.

En 2022, les constructeurs français sont concernés par près de 50% des bonus octroyés. Nous devons néanmoins réfléchir à des critères. Je ne doute pas que le Sénat sera force de proposition dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la réindustrialisation verte, qui sera le vecteur de cette évolution.

En ce qui concerne les bornes de chargement, monsieur le sénateur, au 31 décembre 2022, la France dispose de plus de 82 000 points de recharge, soit une progression de 53% sur les douze derniers mois. L’objectif des 100 000 bornes devrait être atteint au deuxième trimestre 2023.

Nous avons pris un peu de retard – je ne le nie pas. Le contexte a été difficile. Néanmoins, la France est au troisième rang des pays les mieux équipés au sein de l’Union européenne. Certes, nous sommes derrière nos voisins du nord de l’Europe, les Pays-Bas et l’Allemagne, mais nous ne sommes pas en reste et nous allons continuer à en installer.

Mme le président. Je vais réexpliquer la règle, car je crois qu’elle n’est pas bien comprise : si vous reprenez la parole, monsieur Corbisez, ne serait-ce que pour cinq secondes, vous donnez ainsi une minute à Mme la ministre pour vous répondre. À la suite de cette réponse, vous disposez à votre tour d’une minute.

La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Corbisez. Je remercie Mme la ministre et je lui rends une minute supplémentaire. (Sourires.)

M. Jean-François Husson. Quelle générosité !

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je voudrais ajouter que plus de 90 % des recharges s’effectuent à domicile et que 20 % des Français vivent dans un logement résidentiel collectif disposant d’un parking.

Dans ce contexte, l’État soutient les dispositifs facilitant l’acquisition et l’installation de matériaux de recharge dans les logements collectifs. Ainsi, en sus du crédit d’impôt, de la prime Advenir et d’un taux de TVA réduit pour les bornes achetées par les particuliers, plusieurs outils de financement sont mis à la disposition des bailleurs et des particuliers par la Banque des territoires. Ces outils doivent nous permettre d’atteindre un objectif de 16 000 copropriétés privées accompagnées d’ici à 2024, pour plus de 125 000 points de recharge.

Mme le président. La parole est à Mme Françoise Dumont.

Mme Françoise Dumont. Madame la ministre, l’Union européenne a acté la fin de la vente de véhicules neufs à moteur thermique à compter de 2035.

Les ZFE fleurissent dans les métropoles européennes. Sur le papier, ce changement complet de façon de penser la mobilité pourrait sembler intéressant, du point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais le diable se cache dans les détails.

D’abord, comment ajouter le raccordement d’un parc automobile à notre production vacillante ? Pour quel prix de recharge, compte tenu de l’augmentation des coûts de l’énergie ? Sans même parler du retard pris dans le déploiement des bornes de rechargement que vous venez d’évoquer…

Ensuite, les entreprises automobiles françaises et européennes ne sont pas en capacité, à ce jour, de répondre à l’immense vague de demandes qui aura lieu dans les prochaines années. Ce sont donc les entreprises chinoises qui bénéficieront de cette nouvelle manne financière.

En cette période de forte inflation, comment des familles pourront-elles remplacer un véhicule, parfois deux ? Même avec des aides ciblées de l’État, le reste à charge pour les particuliers, mais aussi pour les artisans, sera très conséquent.

De plus, s’agissant d’une technologique assez récente, le recours au marché de l’occasion ne sera pas forcément une option pour l’ensemble des acheteurs.

Enfin, la gestion des incendies de véhicules électriques est très contraignante pour nos services de secours. En effet, lorsqu’un feu de véhicule électrique se produit, les sapeurs-pompiers doivent « refroidir » le véhicule brûlé, c’est-à-dire l’immerger pendant des dizaines d’heures, pour éliminer le risque d’un nouveau départ de feu depuis une batterie en surchauffe. Or nos services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) ne sont pas tous équipés pour répondre à un risque qui ne fait que s’accroître avec l’électrification du parc roulant.

Aussi, madame la ministre, au regard de tous ces points, comment le Gouvernement envisage-t-il d’accompagner cette révolution de la mobilité, sans abandonner les particuliers, les artisans, voire nos grandes entreprises françaises et européennes ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Dumont, nous ne disons pas que ce sera facile, mais là où il y a une volonté, il y a un chemin.

Les complications sont nombreuses. Sur les bornes de rechargement, par exemple, je ne nie pas que nous ayons pris un peu de retard. Il s’est passé beaucoup de choses, vous ne l’ignorez pas, mais les chiffres sont assez encourageants : une augmentation de 53% en douze mois et la France au troisième rang de l’Union européenne en matière de bornes de recharges pour les véhicules électriques.

Je vous ferai grâce du pessimisme d’humeur et de l’optimisme de volonté, madame la sénatrice, mais nous devons y croire, quelles que soient les difficultés.

En ce qui concerne les ZFE, je rappellerai tout d’abord que le Gouvernement a mis en place des aides substantielles pour inciter les professionnels à remplacer leurs véhicules thermiques par des véhicules électriques. Ces aides peuvent aller jusqu’à 13 000 euros pour l’achat de véhicules utilitaires, selon leur masse, en incluant la prime à la conversion. C’est important, notamment pour les artisans et les indépendants, à la situation desquels je suis particulièrement vigilante.

Par ailleurs, même si l’objectif est clair, je comprends parfaitement qu’il puisse soulever certaines interrogations. Il est important que ces ZFE soient mises en place de manière concertée, avec l’ensemble des parties prenantes. C’est le cas dans un certain nombre de métropoles. Je ne saurais qu’appeler à la concertation dans la totalité d’entre elles, notamment dans celle où j’ai l’honneur d’être élue.

Le Gouvernement a ainsi mis en place un point d’entrée unique avec la nomination d’un coordinateur national interministériel aux ZFE, M. Manini, qui est à la disposition des parlementaires qui souhaiteraient le rencontrer.

Vous mentionnez, en tant que sénatrice du Var, le point important des incendies. Je comprends l’importance de cette question. Je ne suis pas en mesure de vous répondre en cet instant, mais soyez sûre que nous le ferons.

Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, je vais vous offrir l’occasion d’évoquer de nouveau la question des bornes de rechargement.

Vous avez donné les chiffres : à ce jour, 80 000 bornes sont installées – nous accusons donc un retard. À la fin de la décennie, en théorie, nous devrions compter quasiment 500 000 bornes dans notre pays, sachant que ces estimations reposent sur l’hypothèse qu’une borne électrique serait nécessaire pour recharger environ dix véhicules.

Si de nouvelles bornes sont à mettre en place, il faudra également en changer, puisque la technologie évolue, afin de recharger les véhicules plus rapidement.

Au sujet du nombre de bornes s’ajoute celui du lieu d’installation de ces bornes. Un certain nombre de villes et de centres-bourgs connaîtront ainsi une révolution en termes d’organisation urbaine.

Vous indiquiez que, à ce jour, 80% des recharges s’effectuaient à domicile. Or tout le monde ne possède pas un garage ou un terrain. Pour ceux de nos concitoyens qui résident en habitat collectif, je ne doute pas qu’il sera possible de s’organiser. Cependant, dans les villes, et plutôt dans les centres-bourgs, où l’habitat est contigu, où les habitants n’ont ni garage, ni parking, ni place définie devant chez eux, la situation sera bien plus compliquée.

Par conséquent, je voudrais savoir où en sont les discussions avec les maires et les associations représentatives quant aux lieux où installer ces bornes de rechargement ? Le sujet du coût a-t-il été abordé ? En effet, cette nouvelle organisation dans les communes et dans les villes risque de se révéler très onéreuse.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. La diversité du territoire, des centres-bourgs, de nos villes, de nos villages, rend important le sujet des infrastructures de recharge des véhicules électriques.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, une part significative du territoire est couverte, puisque dans les départements ruraux, l’habitat individuel est assez répandu – j’exclus les centres-bourgs que vous mentionniez – et avec lui, la possibilité de recharger son véhicule sur une place privée.

Loin de moi cependant l’idée que tout le monde posséderait un garage, un jardin et une maison ! Dans ce contexte, l’État soutient de nombreux dispositifs afin de faciliter l’acquisition et l’installation de matériel de recharge dans les logements. Je pense au crédit d’impôt, mais aussi au taux de TVA réduit à 5,5% pour les bornes achetées par des particuliers.

Pour ce qui est de nos collectivités territoriales, plusieurs mesures sont mises en place pour soutenir ce déploiement en dehors des nœuds urbains. L’appel à projets pour soutenir le déploiement de stations de recharge haute puissance, doté à cette heure d’une enveloppe de 300 millions d’euros dans le cadre du plan France 2030, prévoit des aides plus importantes pour le déploiement de stations situées en dehors des dix principales métropoles urbaines.

La Banque des territoires propose des dispositifs d’accompagnement et de financement aux collectivités locales, aux délégataires de collectivités, aux bailleurs, mais aussi aux propriétaires en copropriété.

L’État est aux côtés des acteurs locaux. Plus de 60% des bornes ouvertes au public ont été installées sous la maîtrise d’ouvrage de collectivités ou d’établissements publics. En outre, la réalisation de schémas directeurs dédiés doit permettre aux acteurs locaux d’être légitimement moteurs dans le déploiement de ces infrastructures, grâce à un financement facilité auprès de la Banque des territoires.

Mme le président. La parole est à M. Hervé Gillé.

M. Hervé Gillé. La décarbonation des transports routiers et la dépollution des milieux urbains nécessitent une adaptation volontariste des flottes de véhicules professionnels et particuliers.

La fin de la production et de la vente des moteurs thermiques en 2035 suscite des interrogations sur la capacité des constructeurs à réorienter leur gamme, notamment à l’échelle européenne. À la recherche de plus-values plus conséquentes, ces derniers produisent des véhicules électriques de plus en plus lourds, de plus en plus chers et de plus en plus consommateurs d’énergie.

Les véhicules d’entrée de gamme, donc plus facilement accessibles pour les ménages modestes, sont de moins en moins nombreux, au bénéfice d’une concurrence internationale, notamment chinoise, plus adaptée et plus attractive. Quel soutien à la filière française pourriez-vous envisager pour faciliter la production de véhicules d’entrée de gamme ? Avez-vous des exemples concrets ?

Ainsi, vouloir réserver les primes d’aide à l’achat aux constructeurs européens, à l’instar de ce que font les États-Unis, reviendrait à empêcher les ménages modestes de s’équiper, afin de ne pas être pénalisés par l’alourdissement des fiscalités sur les énergies carbonées et la mise en œuvre des ZFE. En d’autres termes, un tel dispositif reviendrait à toujours plus de discrimination.

Envisagez-vous ce ciblage des primes vers les constructeurs européens et donc une forme de protectionnisme ?

Où en êtes-vous du lancement d’un dispositif de leasing social pour permettre aux ménages les plus modestes de se tourner vers les véhicules propres et faciliter l’accès aux ZFE ?

Par ailleurs, de nombreuses études confirment l’intérêt de développer une filière de production de véhicules intermédiaires, plus légers, pour les mobilités du quotidien, nécessitant moins de puissance et donc plus accessibles pour l’ensemble des utilisateurs.

Quel intérêt portez-vous à ces nouveaux concepts ? Le Gouvernement serait-il favorable à l’idée de soutenir et développer ces filières à l’échelle nationale ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Gillé, je vous réponds sur le leasing social : oui, en 2024 !

M. Hervé Gillé. C’est loin !

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Peut-être, mais cela suppose une discussion avec le ministre délégué chargé des transports, M. Beaune, et une concertation en amont – c’est, me semble-t-il, de bon aloi – pour nourrir le projet. Mais le fait que ce soit mis en œuvre en 2024 ne nous empêche pas d’y travailler au cours du second semestre de cette année.

La concurrence internationale est un sujet absolument majeur. L’Inflation Reduction Act (IRA), que vous avez évoqué, prévoit un crédit d’impôt pouvant atteindre 7 500 dollars en faveur des particuliers achetant un véhicule électrique assemblé en Amérique du Nord et dont les batteries satisfont à une exigence additionnelle de contenu local.

Cette mesure est une aide publique manifestement incompatible avec le droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui interdit de manière générale – vous le savez aussi bien que moi – à ses membres de favoriser leurs produits nationaux par rapport aux produits importés.

Nous n’avons pas l’intention de rester inactifs face à l’IRA. Bruno Le Maire prépare en ce moment avec Roland Lescure un projet de loi pour une " réindustrialisation verte ". Je ne doute pas – j’ai le plaisir de travailler avec Bruno Le Maire depuis trois ans – que les députés et les sénateurs y seront associés en amont.

Nous sommes en train de définir des critères, notamment environnementaux, qui permettraient de réserver nos aides à l’acquisition des véhicules produits en France ou en Europe.

Je vous invite donc, si vous le souhaitez, à être force de propositions sur le sujet dans le cadre du futur projet de loi " réindustrialisation verte ".

Mme le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.

M. Hervé Gillé. Madame la ministre, pour que les personnes ayant de faibles moyens puissent acquérir des véhicules, encore faut-il que ces derniers ne soient pas trop onéreux. Or, à l’heure actuelle, il y a une dérive !

Comment faire pour que les industriels français produisent des véhicules qui ne coûtent pas cher ?

Mme le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au mois d’octobre dernier, le Conseil et le Parlement européens ont entériné la fin de la vente des véhicules à moteur thermique au sein de l’Union européenne à partir de 2035 au bénéfice de véhicules 100 % électriques.

Un tel choix politique suscite des interrogations légitimes. À titre d’exemple, la massification de la voiture électrique entraînera une hausse significative de la consommation d’électricité en France. Or notre consommation électrique a stagné pendant vingt ans, en dépit des aléas conjoncturels.

Par conséquent, je me demande si notre système de production électrique peut véritablement monter en puissance. Nous avons tous encore en tête les exhortations du Gouvernement à la sobriété pour éviter les coupures et délestages cet hiver, ce qui ne nous rassure guère !

Certes, le Gouvernement semble avoir pris la mesure de l’urgence au travers de deux textes : le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires. Mais les premières ne seront pas opérationnelles avant plusieurs années, tandis que les secondes ne seront jamais prêtes avant 2035.

Comment le Gouvernement compte-t-il résoudre l’équation d’une consommation électrique qui augmente plus rapidement que sa production ? Ne serait-il pas pertinent d’envisager d’autres solutions, comme le biogaz, qui présente un intérêt certain pour décarboner la mobilité des poids lourds ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Mme la sénatrice Saint-Pé, vous interrogez le Gouvernement sur le risque que ferait peser sur notre système énergétique un accroissement de la consommation d’électricité en France.

Une étude, que vous connaissez sans doute, publiée en 2019 par RTE (Réseau de transport d’électricité) a montré les effets de la mobilité électrique sur la consommation électrique française. Elle confirme que le système électrique français peut absorber le développement du véhicule électrique, même avec un pilotage limité de la recharge.

La consommation totale d’électricité des transports individuels et collectifs pèserait au plus un dixième de la consommation totale d’électricité en France d’ici à 2035. C’est moins que la consommation de chauffage résidentiel ou que l’augmentation de la consommation électrique de la France entre 2000 et 2010.

Par ailleurs, la consommation énergétique additionnelle, qui est nécessaire à l’électrification du parc, pourrait être en grande partie compensée par les gains d’efficacité énergétique réalisés dans les autres secteurs, comme le logement, puisque nous menons en parallèle, comme vous le savez, une vaste politique de rénovation énergétique.

De plus, le pilotage dit intelligent de la recharge peut permettre de lisser les besoins de consommation pour éviter les pointes, qui sont gourmandes en énergie et qui entretiennent le besoin d’importations ou la nécessaire production d’énergies fossiles.

Le développement d’outils intelligents de recharge sera l’une des clés de la soutenabilité des véhicules électriques et pourrait apporter un élément de réponse aux besoins grandissants de flexibilité du réseau électrique.

Madame la sénatrice, vous nous interrogez enfin sur la possibilité d’utiliser le biogaz pour la mobilité. Le bilan carbone du biogaz peut, certes, concurrencer celui des véhicules électriques, mais l’analyse du cycle de vie a ses limites : elle ignore la disponibilité concrète et les coûts liés aux technologies. Or le biogaz a une disponibilité actuelle et future limitée. Sa large distribution nécessiterait des investissements forts. Ces deux contraintes ne permettent pas actuellement d’en faire une solution de remplacement à l’électrique pour décarboner les voitures ou les utilitaires légers.

Aussi, nous recommandons de réserver les ressources limitées du biogaz dans les secteurs qui sont déjà dépendants du gaz plutôt que de créer une demande supplémentaire dans le secteur du transport, où il existe des technologies plus adaptées et plus matures.

Mme le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour la réplique.

Mme Denise Saint-Pé. Madame la ministre, il me paraît utopique de penser que la consommation électrique n’augmentera pas et de miser uniquement sur les économies qui seraient réalisées.

Et je ne comprends pas la réticence du Gouvernement à l’utilisation du biogaz. Cette ressource est pourtant présente dans nos territoires.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je ne crois pas que RTE soit connu pour sa propension à l’utopie. Je comprends vos doutes – le doute est salutaire, s’agissant d’un bouleversement majeur –, mais je me permets de vous renvoyer à l’étude de RTE.

J’entends votre objection sur le biogaz. Je vous suggère d’en discuter avec la ministre de l’énergie, à laquelle je peux adresser un message ; je ne suis sans doute pas aussi spécialiste du sujet que vous. (Mme la ministre déléguée est prise d’une quinte de toux.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, afin de permettre à Mme la ministre déléguée de reprendre son souffle.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures neuf, est reprise à dix-sept heures douze.)

Mme le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Philippe Tabarot.

M. Philippe Tabarot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France affiche, comme d’autres pays, des objectifs de développement de véhicules électriques.

Plus qu’une promesse, c’est un incontestable défi pour la filière automobile, mais qui cache mal un certain de nombre de difficultés.

Première difficulté, dans le contexte délicat de l’abandon manifeste du nucléaire, la puissance électrique en France est de plus en plus remise en cause. Actuellement, près de 40 millions de voitures sont concernées en France par l’électrification après 2035. Le remplacement massif de véhicules thermiques par des véhicules électriques multipliera la consommation électrique, qui va croître d’environ 25% par rapport à aujourd’hui.

Deuxième difficulté, nous devons faire face à de très fortes tensions sur certains matériaux ; je pense notamment aux semi-conducteurs.

Troisième difficulté, face à la radicalité et à la généralisation des ZFE, nous rencontrons un problème de souveraineté industrielle, alors qu’il faut accompagner massivement les Français vers la transition électrique.

Les aides actuelles, pour ceux qui peuvent se permettre d’acquérir une voiture électrique, profitent majoritairement à l’achat de voitures étrangères, alors que notre pays clame l’urgence de s’en doter…

La France et l’Europe sont à la remorque de la Chine, forte de sa puissance de frappe actuelle en matière de construction de voitures électriques et de batteries.

Force est de constater que le sujet vire au casse-tête : retard sur les bornes et sur le matériel, coûts prohibitifs, empreinte carbone de la production, coût de l’énergie et rejet des ZFE…

Madame la ministre, je vous prie de me répondre sereinement, objectivement et honnêtement.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Cela fait beaucoup ! (Sourires.)

M. Philippe Tabarot. Compte tenu des éléments que je viens de rappeler, les objectifs de fin de vente de véhicules thermiques après 2035 vous semblent-ils toujours pouvoir être atteints ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la présidente, je vous remercie très sincèrement de m’avoir permis de reprendre mon souffle ! Je salue également la gentillesse des sénatrices qui m’ont proposé des pastilles contre la toux. En six ans de vie publique, d’abord à l’Assemblée nationale, puis au Gouvernement, j’ai rarement été entourée d’autant de bienveillance.

M. Jean-François Husson. C’est la marque du Sénat ! (Sourires.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, ce n’est pas parce que nous avons pris du retard en matière d’installation de bornes, dans un contexte rendu difficile par la pénurie de semi-conducteurs et d’intrants, dans le milieu artisanal comme dans le milieu industriel, que nous ne pourrons pas atteindre l’objectif.

D’ailleurs, les ministres chargés de l’industrie et de l’économie se sont attelés pour faire face à la pénurie de semi-conducteurs. La situation s’améliore déjà, et elle s’améliorera encore en 2023. Je rappelle que la France est actuellement le troisième pays d’Europe s’agissant des bornes.

Monsieur le sénateur, je vous réponds de manière objective, honnête et sereine : je pense que nous pouvons atteindre l’objectif. En 2022, quelque 1,5 million de véhicules particuliers ont été vendus et près de 1,3 million de véhicules particuliers ont été fabriqués, dont 100 000 véhicules électriques. Il s’agit de fabriquer 1 million de véhicules en France en 2027 et 2 millions en 2030.

Il me semble possible d’avoir un parc électrique à 20 % en 2030, soit 8 millions de véhicules, et à 45% en 2035, soit 18 millions de véhicules.

Sans faire référence à d’autres débats en cours à l’Assemblée nationale, je crois que nous pouvons chercher à atteindre notre objectif en matière de flux, si l’on n’oublie pas le rétrofit, c’est-à-dire la capacité de transformer des véhicules thermiques en véhicules électriques. Aussi, il ne faudrait pas uniquement construire des véhicules électriques, mais également investir dans le rétrofit.

Je vous le dis sereinement, objectivement et honnêtement : j’y crois !

Mme le président. La parole est à M. Philippe Tabarot, pour la réplique.

M. Philippe Tabarot. Madame la ministre, vous n’avez pas répondu sur les ZFE, mais nous aurons l’occasion d’aborder le sujet dans les mois et années à venir, car la mise en place du dispositif est particulièrement difficile dans nos territoires.

Mme le président. La parole est à M. Joël Bigot.

M. Joël Bigot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la décision de l’Union européenne d’interdire la vente de véhicules thermiques neufs à l’horizon de 2035 est en train de bouleverser le marché automobile. Selon un rapport récent de la fédération des acteurs de la mobilité électrique, les prévisions de croissance sont exponentielles : l’électrique, qui représente actuellement 1,5% du parc français roulant, atteindrait 24% en 2035.

Néanmoins, cet engouement est tempéré par le déploiement difficile des bornes de recharge, qui sont toujours en deçà de l’objectif des 100 000 fixé par le Gouvernement pour l’année 2022. Mais vous avez répondu que cet objectif serait atteint en 2023, madame la ministre. Dont acte.

À l’heure de la planification écologique, quel est le rôle de l’État dans le déploiement des bornes de recharge de manière équilibrée dans l’ensemble du territoire ?

C’est une condition sine qua non du développement de l’électrique, vu que l’autonomie des véhicules électriques ne dépasse pas les 300 kilomètres.

C’est un véritable enjeu dans les régions Centre-Val de Loire ou encore Pays de la Loire, où il n’y a que 86 points de recharge pour 100 000 habitants ; c’est très en deçà de la moyenne nationale.

Comment l’État compte-t-il assurer une répartition équilibrée du réseau dans l’ensemble du territoire ?

Une attention particulière est-elle portée aux territoires peu denses, afin de garantir l’égalité territoriale et un maillage intelligent ? Près de 83 % de nos concitoyens vivent en zone rurale ; ils sont donc contraints par le manque d’offre de mobilités alternatives pour utiliser quotidiennement leur voiture individuelle.

Le Gouvernement prévoit-il un plan spécifique de soutien à l’électrification des mobilités du quotidien pour ces zones rurales ? Une enveloppe de 10 millions d’euros a été débloquée en fin d’année dernière, mais ce n’est pas à la hauteur des besoins locaux identifiés par l’Insee dans les zones rurales et périurbaines, contrairement aux idées reçues.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur, dont acte. Nous aurons nos 100 000 bornes à la fin de l’année 2023, dans un contexte que vous connaissez aussi bien que moi. Nous sommes en retard – je reste honnête –, mais je pense que cela peut se comprendre. L’important est d’atteindre l’objectif, voire de le dépasser le plus vite possible. Au regard des chiffres, nous y arriverons !

Le sujet que vous abordez est absolument majeur ; j’ai déjà essayé d’y répondre lors d’une précédente question. Il est indispensable que les collectivités locales jouent leur rôle dans cette planification territoriale.

Sur le volet des stations de recharge, nous ne parlons pas de 10 millions d’euros. L’appel à projets lancé dans le cadre du plan France 2030, c’est 300 000 millions d’euros pour assurer une intensité d’aides plus importante, afin d’installer des stations dans les territoires situés en dehors des dix principales métropoles urbaines.

Par ailleurs, la Banque des territoires, qui est aux côtés des collectivités territoriales, propose différents dispositifs d’accompagnement financier à destination des collectivités locales et de leurs délégataires, notamment les bailleurs, dans cette planification territoriale.

L’État est aux côtés des acteurs locaux, dont l’engagement est essentiel. Plus de 60% des bornes ont été installées sous la maîtrise d’ouvrage de collectivités territoriales ou d’établissements publics. La réalisation de schémas directeurs dédiés permettra aux acteurs locaux d’être les moteurs du déploiement de ces infrastructures.

Enfin, le fonds vert, que vous connaissez, est doté de 2 milliards d’euros. Nous pourrions envisager, si telle était la volonté de la représentation nationale, de consacrer une petite partie des financements à la problématique du développement des recharges et des infrastructures au sein des collectivités territoriales. Il faudrait aborder cette question avec le ministre Béchu. C’est une option que nous pourrions considérer.

Mme le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.

M. Joël Bigot. Comme je n’habite pas très loin de chez le ministre Béchu, je pourrais lui poser directement la question !

Plus sérieusement, lorsque vous vivez dans une zone peu dense, si vous avez une course de plus de 300 kilomètres à faire, vous hésitez à prendre votre véhicule électrique.

Il est urgent d’agir !

Mme le président. La parole est à Mme Véronique Del Fabro.

Mme Véronique Del Fabro. Madame la ministre, comme l’ont rappelé précédemment mes collègues, en 2035, les concessionnaires automobiles ne pourront plus mettre de véhicules thermiques neufs en vente.

Je m’en réjouis, pour deux raisons. La première est d’ordre écologique. La seconde réside dans le fait que cette mesure répond aux attentes des territoires ruraux – je me permets de les représenter aujourd’hui – à condition qu’il y ait des infrastructures.

Les habitants des zones rurales sont fortement dépendants de leur voiture. La crise des « gilets jaunes » a bien montré le lourd tribut payé par les usagers dépendants des énergies fossiles. Rouler à la campagne coûte plus cher qu’en ville, sauf peut-être si l’on dispose d’un véhicule électrique. À la campagne, le développement des infrastructures de recharge jouera un rôle majeur en matière de mobilités.

Or force est de constater que le déploiement des bornes de recharge est laborieux dans nos régions rurales. C’est pourtant une condition sine qua non du développement de la mobilité. Nous voyons, certes, fleurir des initiatives, territoire par territoire, par l’action de l’ensemble des collectivités territoriales, parfois de concert.

La France des 35 000 communes ne doit pas devenir celle des 35 000 abonnements nécessaires pour accéder aux 35 000 bornes de recharge de véhicules accessibles au public.

Madame la ministre, pensez-vous que le déploiement de bornes de recharge constitue le véritable enjeu de développement et d’aménagement du territoire ? Si tel est le cas, quel rôle l’État entend-il jouer pour répondre à la question majeure de l’interopérabilité, notamment en matière de transparence des tarifs ? (M. Philippe Tabarot applaudit.)

M. Jean-François Husson. Excellent !

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice, j’ai déjà répondu à une question sur les bornes, et tout ce que je pourrais ajouter serait superfétatoire.

Mme le président. La parole est à Mme Véronique Del Fabro, pour la réplique.

Mme Véronique Del Fabro. Vous pourriez peut-être me répondre sur la transparence…

Je vous parlerai de mon expérience. Voilà quelques semaines, au mois de décembre, j’étais encore maire d’une commune rurale de 360 habitants et vice-présidente d’une communauté de communes. Dans un souci écologique, j’ai acheté un véhicule électrique. Or il me faut je ne sais combien de cartes d’abonnement pour pouvoir recharger mon véhicule dans mon territoire. De plus, pour une même borne, avec chacune de mes trois cartes, il m’est proposé un tarif totalement différent, allant de 35 centimes d’euros à 15 euros ! Qu’en dites-vous, madame la ministre ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Joël Bigot et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Madame la sénatrice, je comprends votre agacement, et je vous remercie d’être restée agréable.

Vous soulevez un véritable sujet. Je n’ai pas votre expérience – je ne suis qu’élue de Paris – ni votre connaissance des communes rurales. Mais une telle situation ne me semble pas normale. Elle n’entre pas dans mon périmètre, qui est déjà très large, mais elle doit être traitée, et urgemment !

Aussi, je suis à votre disposition pour la relayer à notre ministre de la transition énergétique, Mme Agnès Pannier-Runacher. Ce n’est pas normal qu’il y ait autant d’opacité et de complexité dans ces pratiques.

Mme le président. La parole est à Mme Véronique Del Fabro.

Mme Véronique Del Fabro. Madame la ministre, je serais ravie d’échanger avec vous sur le sujet lors de votre venue en Meurthe-et-Moselle.

M. Jean-François Husson. C’est vendredi prochain !

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel.

M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, tente depuis de nombreux mois de casser les idées reçues sur les voitures électriques. Il n’est pas le seul, mais nul ne semble l’entendre.

D’abord, il faut noter la très mauvaise empreinte carbone liée à la fabrication des batteries électriques. Un véhicule électrique doit rouler 70 000 kilomètres pour être plus avantageux qu’un véhicule thermique du point de vue environnemental.

Ensuite, la production d’un véhicule électrique est plus onéreuse – elle coûte environ 50% de plus, soit un minimum de quasiment 30 000 euros ; la différence n’est pas l’épaisseur du trait – que celle d’un véhicule thermique.

Les classes moyennes françaises ont-elles véritablement les moyens de supporter une telle différence ? On ne pourra pas continuer à faire des chèques qui profitent essentiellement à l’industrie automobile chinoise. Nous l’avons dénoncé lors de l’examen du dernier projet de loi de finances.

La question du réseau de bornes électriques, qui a été largement abordée aujourd’hui, demeure un grand sujet d’inquiétude partout en France, mais plus encore sur les aires d’autoroute, qui accueillent simultanément beaucoup de véhicules.

Enfin, et sans parler de notre production électrique, il y a le sujet de l’emploi et de la mutation profonde et rapide de notre industrie automobile. On prépare un gigantesque plan social pour l’industrie française !

Il y aurait beaucoup de questions, mais je m’en tiendrai à deux. Que comptez-vous faire pour défendre nos entreprises et nos emplois face à l’avancée du véhicule électrique, qui – j’en conviens – est aussi opportune ? Et surtout, même si je suis un élu de la ruralité, comment envisagez-vous l’accueil d’un parc tout électrique sur les aires d’autoroute demain ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Sautarel, la réponse à votre première question réside dans le soutien massif de l’État. Je le rappelle, car ce n’est pas anodin, même si cela a pu sembler banal après la période du « quoi qu’il en coûte ».

Ce soutien s’élève à quelque 5 milliards d’euros dans le cadre de France 2030, dont 1 milliard d’euros fléchés pour soutenir l’évolution de nos sous-traitants, qui vont être affectés par le développement des véhicules électriques.

En outre, et vous aurez l’occasion d’en débattre, il nous faut trouver les voies et moyens pour que nos entreprises européennes soient bel et bien celles qui bénéficient du développement des véhicules électriques.

Bruno Le Maire prépare avec Roland Lescure un projet de loi « réindustrialisation verte ». Ce n’est pas une utopie. Ce sera bien réel au cours du premier semestre 2023 ; vous serez associés, si ce n’est pas déjà le cas, pour y travailler. Nous réfléchissons à l’élaboration de critères pour faire en sorte que, comme cela se fait aux États-Unis et en Asie, l’on puisse encourager l’achat de nos véhicules européens sur le territoire européen. C’est, à mon sens, la meilleure manière de soutenir nos entreprises, au-delà du soutien direct de l’État via le plan France 2030.

Enfin, vous m’interrogez sur les autoroutes et bornes de recharge. Comme vous le savez, sur le réseau routier national, nous avons consacré une enveloppe de 100 millions d’euros au développement des stations de recharge. Cela a permis d’équiper 3 800 points de recharge en visant une station tous les 60 kilomètres sur le réseau routier national concédé. Environ 85% des aires de service sont d’ores et déjà équipées. Elles devraient toutes l’être dans le courant de 2023.

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.

M. Stéphane Sautarel. Madame la ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse. Je ne reviendrai pas sur la dimension industrielle du sujet, que nous aurons l’occasion d’évoquer par ailleurs.

Au-delà de la question de l’équipement des aires d’autoroute, je m’interroge sur l’étendue des surfaces qui seront nécessaires. Un calcul a-t-il été fait quant au nombre de véhicules en période de pointe et au temps de recharge par rapport au temps de remplissage d’un réservoir, au vu de l’objectif " zéro artificialisation nette " ? Ne faudra-t-il pas étendre considérablement nos aires d’autoroute ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Ce point me semble important, mais je ne détiens pas toutes les réponses ; je ne suis pas forcément la plus compétente à cet égard…

Je ne sais pas si vous habitez, vous aussi, près de chez Christophe Béchu, ce qui vous permettrait de l’interroger. Mais je puis vous dire que le ministre des transports et le ministre de la transition écologique travaillent main dans la main sur ces problèmes.

Je me tiens donc à votre disposition pour transmettre votre interrogation à mes collègues.

Mme le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.

M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au mois d’octobre 2022, le directeur général de Stellantis, Carlos Tavares, n’était pas très tendre avec l’Union européenne concernant la montée en puissance de la voiture électrique chinoise en Europe…

Il affirmait que l’offensive chinoise était attendue et que l’Europe avait provoqué les conditions d’une très rude bataille. Il indiquait ceci : « Si l’Europe ne veut pas que son industrie automobile disparaisse d’ici 2035, il faut la protéger. […] Nous ne refusons pas la compétition. Nous voulons uniquement des conditions équitables pour se battre face aux constructeurs chinois. […] Il aurait donc d’abord fallu travailler sur la production verte d’électricité, ensuite sur le réseau et puis seulement sur les véhicules totalement électriques. » Il ajoutait : " La décision dogmatique qui a été prise de ne vendre que des électriques en 2035 […] a des conséquences sociales pas gérables. Cette couche de dogme doit maintenant être complétée par une couche de pragmatisme. " Même Thierry Breton, commissaire européen, a mis en doute le réalisme de l’échéance de 2035.

Sénateur du Doubs, territoire particulièrement impacté, je m’interroge sur cette échéance. Les conséquences économiques et sociales, pour ce territoire comme pour diverses régions, ne sont pas réellement mesurées. La fragilité de tous les prévisionnels et l’absence d’étude publique d’impact sérieuse renforcent nos interrogations. Une telle marche forcée ne peut avoir pour conséquence qu’une destruction massive d’emplois ; je parle en particulier pour le Doubs et le bassin automobile historique Sochaux-Montbéliard.

C’est dès aujourd’hui qu’il faut s’interroger. Dans dix ans, il sera trop tard. Le défi est immense : coûts, fabrication, chaîne de valeur, métaux rares.

Je veux témoigner ici de la grande inquiétude de tout un territoire et de ses habitants, ainsi que du monde économique, des sous-traitants, mais aussi des élus. Le Gouvernement ne saurait se contenter d’accorder quelques aides ponctuelles, inaccessibles à beaucoup, ou de maintenir un système subventionné trop complexe.

Madame la ministre, comment pouvez-vous rassurer les acteurs concernés ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Vous êtes nombreux à avoir cité M. Carlos Tavares. Et vous venez d’exprimer un certain nombre de doutes, monsieur le sénateur… J’évoquais ce sujet voilà peu avec le commissaire Thierry Breton.

Le taux de pénétration des véhicules chinois est estimé à 5% aujourd’hui, et à 18 % en 2025. Ces chiffres corroborent votre analyse. Pour autant, nous sommes actuellement en train de bâtir une filière – certes, ni pour demain ni pour 2025 –, via des investissements massifs d’État : 5 milliards d’euros dans le cadre du plan France 2030, dont 1 milliard d’euros spécifiquement consacrés aux entreprises sous-traitantes, qui sont nombreuses dans votre circonscription.

Par ailleurs, compte tenu de l’ampleur du mouvement à opérer, de l’ensemble de ses effets de bord, des effets d’aubaine et des risques, que le Gouvernement ne nie pas, une clause de revoyure – je le rappelle – est prévue en 2026 pour d’autres technologies à faibles émissions, comme les carburants alternatifs, qui permettraient, comme certains d’entre vous l’ont suggéré, de renforcer le mix énergétique et de ne pas s’en tenir uniquement à l’électrique.

En attendant 2026, nous continuons à avancer non seulement sur les batteries, mais aussi sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Nous parlions voilà quelques minutes des métaux critiques, en particulier du lithium ; à cet égard, nous nous dotons, au sein de l’État, d’une organisation.

Quoi qu’il en soit, j’entends vos doutes, monsieur le sénateur.

Mme le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.

M. Jacques Grosperrin. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Tout cela montre que l’Europe a tout fait à l’envers en imposant à l’industrie automobile de produire des véhicules électriques si rapidement !

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la ministre, l’Union européenne a interdit à partir de 2035 la vente de véhicules neufs à moteur essence ou diesel : 450 millions d’Européens sont concernés. Nous sommes les seuls à avoir fait ce choix. Ni les États-Unis, ni le Japon, ni la Chine ne se fixent de tels objectifs en misant tout sur l’électrique.

Carlos Tavares, directeur général de Stellantis – encore lui ! –, a même déclaré : " La voiture électrique, c’est un choix politique qui aura des conséquences économiques, sociales et même environnementales négatives. Nous refusons d’être tenus pour responsables dans dix ans d’un choix que l’Europe nous a imposé. " La solution réaliste réside, selon lui, dans le véhicule hybride. Cet avis est partagé par le patron de Toyota, qui nous alerte également sur les chimères du tout-électrique.

Sur le plan social, le véhicule coûte trop cher, et sa production entraîne la disparition des activités sous-traitantes artisanales et industrielles.

Sur le plan économique, cette industrie implique un investissement public lourd pour équiper le pays à la mobilité tout électrique. À cela il faut ajouter les subventions à l’achat. Par ailleurs, du fait de la flambée du prix de l’électricité, les concessionnaires nous confirment que la chute des ventes a été brutale au troisième trimestre 2022.

Sur le plan environnemental, il s’agit d’une fausse promesse. Pour obtenir une tonne de lithium, il faut 1 million de litres d’eau. Plus grave, nous savons que les conditions d’extraction loin de l’Europe sont inhumaines, dangereuses et polluantes.

Madame la ministre, des alternatives sérieuses existent ; je pense à l’hydrogène, aux biocarburants ou au carburant synthétique décarboné, qui permettent de conserver les moteurs thermiques. En 2035, elles seront viables. Pourquoi ne pas avoir laissé le temps aux industriels européens de les développer ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. De multiples questions viennent d’être abordées.

Comme je l’indiquais dans mon propos liminaire, on peut fixer l’objectif de neutralité carbone à 2050, comme on peut le remettre en cause. Mais, dans ce dernier cas, il y a un moment où la planète et les générations futures, elles, ne se poseront plus de questions !

Je suis plutôt modérée en la matière, mais je tiens à rappeler l’ampleur du basculement que nous devons opérer. Comment pourrions-nous parvenir à la neutralité carbone européenne en faisant fi du secteur des transports, qui représente 30 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre ?

Je n’ai pas à commenter ce que disent les présidents des entreprises de construction automobile. Chacun a le droit d’avoir son point de vue. Pour autant, il me faut rappeler que si la voiture hybride pollue moins, elle pollue tout de même.

Vous le savez, tout transport motorisé pollue, quel que soit son mode de propulsion. Mais ceux qui diffusent des messages négatifs sur le véhicule électrique ne prennent souvent en considération qu’une partie de son cycle de vie, et non pas sa globalité. Ils se concentrent uniquement sur le CO2.

La fabrication d’un véhicule électrique nécessite plus d’énergie – vous l’avez mentionné – du fait de la production de la batterie. Pour l’instant, comme vous avez été nombreux à le dire, les batteries sont majoritairement produites en Chine, mais aussi en Pologne, pays dont le mix énergétique demeure fortement carboné.

C’est pourquoi nous nous battons et construisons des méga-usines de batteries électriques. Aussi devrions-nous d’ici à 2027 être autosuffisants pour l’équipement des véhicules électriques fabriqués en France, que nous pourrons ensuite exporter. Je ne vois pas comment nous pourrions parvenir à la neutralité carbone à l’horizon de 2050 sans nous attaquer au sujet du véhicule thermique et donc sans avoir les ambitions que vous jugez – chacun est libre de commenter et d’avoir son avis – irréalistes.


Source http://www.senat.fr, le 16 février 2023