Déclaration de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe, sur la réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines, au Sénat le 8 février 2023.

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Circonstance : Débat d’actualité au Sénat

Texte intégral

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’actualité sur le thème : " Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? "

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Madame la secrétaire d’État, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le grand plan d’investissement américain voté l’été dernier retient toute notre attention. Il nous amène à débattre aujourd’hui des réponses que la France et l’Union européenne devraient apporter. L’IRA, ou Inflation Reduction Act, est un programme puissant de subventions, mais aussi d’allègements fiscaux de 370 milliards de dollars avec pour objectif de financer la transition écologique et des mesures sociales.

Les mesures les plus symboliques sont la création d’un crédit d’impôt de 7 500 dollars pour l’achat d’un véhicule électrique made in USA, une subvention pour les fabricants d’éoliennes ou de panneaux solaires utilisant l’acier américain, ou encore une baisse d’impôt pour aider les entreprises dans leur transition énergétique. Toutes les conditions sont réunies pour permettre un favoritisme au bénéfice de l’économie américaine.

En effet, l’objectif est de promouvoir le développement des entreprises américaines et de contourner nos accords de libre-échange. Nous ne sommes pas dans un monde de Bisounours, même si nous avons souvent l’impression que l’Union européenne n’en est pas consciente.

La première réaction des dirigeants européens a été une levée de boucliers contre ce plan jugé protectionniste : ils ont accusé les États-Unis de favoriser les investissements sur leur territoire, en visant en particulier et parmi de nombreuses autres mesures l’octroi de certaines subventions délivrées sous condition de relocalisation de la production sur le sol national.

La présidente de la Commission européenne a annoncé un " pacte vert industriel pour une ère sans carbone ", qui prévoit une réallocation des fonds existants et non de nouveaux financements européens, afin de soutenir la compétitivité et le verdissement de l’industrie européenne.

Si nous ne pouvons que soutenir les orientations prises pour répondre au plan d’investissement américain, nous devons également alerter, afin que la Commission européenne fasse preuve de lucidité dans la réorientation des aides allouées ainsi que dans les décisions réglementaires qu’elle pourrait prendre pour développer notre industrie.

Il faut saisir cette occasion pour mettre en place un véritable plan de développement d’une économie verte s’appuyant sur des incitations fiscales, mais aussi assurer une concurrence loyale en imposant aux produits qui sont importés les normes qui s’appliquent à ceux qui sont fabriqués sur le sol européen.

L’objectif est donc double : non seulement réglementer pour unifier les normes en vigueur, mais aussi inciter le développement industriel sur le sol européen en assurant des avantages fiscaux aux entreprises qui investiront dans le développement d’énergies propres, dans le but final de permettre à l’Union européenne d’assurer sa souveraineté énergétique, donc sa souveraineté économique.

Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a publié au mois de janvier dernier les chiffres de la balance commerciale, qui sont alarmants. Le déficit commercial de notre pays a doublé cette année.

L’onde de choc de la crise énergétique se fait sentir sur le coût de nos importations, avec une hausse de 29% des importations en valeur, alors que nos exportations, moins sujettes à l’impact de l’énergie, ne progressent que de 18%. C’est donc plus de 80% de l’aggravation du déficit qui s’explique par l’augmentation du prix de l’énergie.

Même si la France n’a jamais été exemplaire sur sa balance commerciale, ses voisins européens subissent de plein fouet les mêmes effets, avec une baisse de 56% des exportations par rapport à l’année dernière pour le bon élève allemand.

Ce déficit s’explique aussi par la pénurie d’approvisionnement dans certaines matières premières, qui ont pénalisé l’automobile ou l’aéronautique.

Cette crise énergétique doit inspirer la politique européenne pour encourager des investissements lourds dans notre industrie, afin que nous soyons en mesure de produire notre énergie décarbonée localement. Il s’agit d’assurer notre souveraineté économique, laquelle ne sera garantie que par notre souveraineté énergétique.

L’Union européenne a perdu trop de temps à discuter des mois durant afin de savoir si telle ou telle énergie était suffisamment verte pour être subventionnée. Je pense bien sûr aux débats qui ont eu lieu autour du nucléaire.

Le plan d’investissement des États-Unis favorise fortement la relocalisation de la production sur leur territoire. L’IRA offre des atouts de compétition, qui, couplés à un prix de l’énergie très faible dans ce pays, font courir des risques à notre industrie.

La Commission européenne a communiqué le 1er février dernier que des subventions équivalentes à celles que proposent les États-Unis seront autorisées. Les États membres pourront égaler le montant de l’aide qu’une entreprise européenne se verrait offrir par un pays tiers, comme les États-Unis. Voilà un signe encourageant, qui ne permettra sans doute pas à tous les pays européens de réagir de la même manière : tous n’en ont pas les moyens.

Annoncer l’octroi de subventions ou d’avantages fiscaux est un premier pas, mais cela devra impérativement être accompagné d’une débureaucratisation de Bruxelles en assurant des obtentions de subventions dans des délais restreints.

Les États-Unis sont très rapides, un peu comme nous l’avons été au moment de la crise du covid-19. Je crains qu’en France et en Europe les entreprises ne soient découragées par la bureaucratie européenne et par des versements de subventions qui prennent plusieurs mois, quelquefois plusieurs années.

Au-delà des délais administratifs, la réponse de l’Union européenne doit s’inscrire dans le temps long. Nous avons une fâcheuse tendance à modifier tous les six mois les plans européens pour répondre à telle ou telle urgence. Ce plan doit s’inscrire dans la continuité afin de ne pas décourager les entreprises.

Je pense également à notre agriculture, qui a subi de nombreuses réglementations ces dernières années, poussant nos agriculteurs à développer l’agriculture biologique avec le succès mitigé que nous connaissons. Il y a encore quelques jours, la Cour de justice de l’Union européenne a définitivement barré la voie à l’utilisation de néonicotinoïdes, pour seulement deux pays, la France et la Belgique. (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.) Il est impératif de s’assurer que ces règles s’appliquent sur l’ensemble des produits que nous importons, afin que nos agriculteurs ne se retrouvent pas face à une concurrence déloyale.

La confiance de nos concitoyens dans l’Union européenne est de plus en plus fragile, face à des règles fermes pour nos producteurs, mais faibles quant à leur application à des produits importés. Aujourd’hui, la France compte dix fois plus de contrôleurs-inspecteurs pour contrôler les agriculteurs que de douaniers chargés de contrôler les produits finis qui entrent en Europe. Dans ces conditions, comment les agriculteurs peuvent-ils avoir confiance ?

C’est à l’échelon européen que nos dirigeants doivent garantir une égalité dans la loi en assurant un bouclier vert.

Madame la secrétaire d’État, quelles réponses l’Union européenne peut-elle apporter à ce plan d’investissement américain ?

La technostructure européenne ou française sera-t-elle capable d’apporter une réponse rapide avec des déblocages immédiats des fonds, comme savent le faire les Américains ?

L’Union européenne est-elle prête à instaurer des normes barrières afin de réduire la pénétration de son marché par les produits américains ou chinois ?

L’Europe va-t-elle enfin se réveiller face à la concurrence internationale, sachant qu’elle est beaucoup plus handicapée notamment par les conséquences du conflit ukrainien ? (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Louault, d’abord, nous devons nous féliciter de l’intérêt des Américains pour le climat. C’est une bonne nouvelle qu’ils s’attaquent enfin à ce sujet.

Ensuite, notre réponse a été assez rapide. Lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement de cet après-midi, Bruno Le Maire a indiqué qu’il s’était rendu aux États-Unis avec son homologue allemand, M. Robert Habeck, pour négocier toutes les marges de manœuvre possibles dans le cadre de l’IRA.

Enfin, un Conseil européen se tiendra demain et après-demain en vue d’entériner des travaux pour répondre à l’Inflation Reduction Act.

En matière de financement, nous avons deux sujets à traiter.

Le premier concerne la simplification des aides d’État, vous l’avez mentionné, monsieur le sénateur. Nous allons par exemple modifier les seuils, mais aussi autoriser les crédits d’impôt comme aux États-Unis, afin de pouvoir répondre très rapidement. C’est vrai, une réallocation de fonds existant déjà est prévue, en partie parce que nombre de pays n’ont pas encore utilisé et n’ont pas su déployer leurs fonds au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), pas plus que leurs fonds de cohésion. Leur donner la flexibilité de le faire dans la réponse à l’IRA, c’est à la fois préserver le marché intérieur, éviter des distorsions de concurrence et pouvoir apporter une réponse rapide.

Le second sujet porte le fonds souverain qu’a annoncé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, comme vous le savez, monsieur le sénateur, et qui interviendra dans un second temps. Il nous permettra d’abonder des secteurs stratégiques que sont le numérique et l’énergie et, je le souhaite aussi, la santé.

Enfin, monsieur le sénateur, nous avons des instruments pour faire cesser cette naïveté que vous soulignez, qui sont le respect des règles de gouvernance globale. De nouveaux instruments de défense commerciale ont notamment été développés pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne ; je pense en particulier à l’instrument antisubventions qui nous permettra de taxer les produits sursubventionnés par des pays tiers, de façon à rétablir une concurrence loyale.

Nous ne répéterons pas avec les voitures électriques les erreurs que nous avons commises avec les panneaux solaires chinois.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le climat de contestation générale du multilatéralisme, les règles du commerce mondial n’échappent pas à la tendance. De l’America First de Donald Trump aux aides d’État de Joe Biden, les États-Unis semblent s’en affranchir de plus en plus.

Étendard historique du libre-échange à la fin du siècle dernier, les États-Unis seraient-ils tentés par l’isolationnisme économique ? Avec l’Inflation Reduction Act, ils renouent en tout cas avec leur ancienne doctrine protectionniste visant à protéger leurs industries naissantes. Au travers de ce fameux IRA, l’Oncle Sam s’apprête à déverser 369 milliards de dollars de subventions aux entreprises qui investiraient dans la transition verte sur le sol national.

La bonne nouvelle, vous l’indiquez, madame la secrétaire d’État, c’est que les États-Unis confirment avec ce plan qu’ils ont pris la mesure de l’urgence climatique.

La mauvaise, c’est qu’ils nous ont vendu pendant des décennies le concept d’une « mondialisation heureuse », pour aujourd’hui jouer leur propre partition de relocalisation.

Comme vous le savez, mes chers collèges, l’IRA inquiète nos entreprises, nos territoires et les pouvoirs publics. Après l’épreuve de la pandémie qui a affecté notre économie, puis celle de la guerre qui renchérit le prix de l’énergie, le projet américain pourrait en effet fragiliser un peu plus le tissu industriel européen.

Depuis l’annonce américaine au mois d’août dernier, on entend que Saint-Gobain voudrait s’agrandir en Californie, que Volkswagen augmenterait ses capacités de production de l’autre côté de l’Atlantique, tout comme le fabricant suédois de batteries Northvolt.

Madame la secrétaire d’État, avez-vous quelques éléments précis concernant les groupes français qui seraient tentés par le nouveau rêve américain ?

En attendant, comme nous y invite ce débat, il nous faut nous interroger sur les réponses que l’Union européenne peut apporter à ces mesures protectionnistes. Le Conseil européen du mois de décembre dernier a bien souligné « la nécessité d’une réponse coordonnée pour renforcer la résilience économique de l’Europe et sa compétitivité sur le plan mondial, tout en préservant l’intégrité du marché unique ».

Pour ce qui est de la réponse coordonnée, on peut avoir une inquiétude au regard des positions divergentes de certains États membres en fonction des propositions avancées par Bruxelles. Cependant, je me réjouis que Paris et Berlin s’entendent sur l’assouplissement des aides d’État liées à la transition écologique, ainsi que sur la simplification des règles d’installation des usines. Le groupe RDSE est en tout cas favorable à cette première réponse.

Je n’oublie pas une difficulté intrinsèque à l’Union européenne, à savoir l’existence de règles régissant le marché unique qui compliquent l’octroi de subventions aux entreprises. Sur ce point, l’Union européenne ne doit pas être dogmatique, sous peine de rester la variable d’ajustement dans un monde dérégulé.

Face à un acte déloyal, nous devons apporter une réponse à la hauteur, ce que laisse espérer sur le papier le Green Deal Industrial Plan. Si nos intérêts économiques, de surcroît face à des États-Unis décomplexés quant aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), commandent de faire évoluer le cadre européen, faisons-le sans tarder. Je souligne toutefois qu’il ne s’agit pas d’entrer dans une guerre commerciale avec les États-Unis, certainement pas dans le contexte de la guerre en Ukraine qui nécessite un lien fort entre alliés.

Une autre réponse pourrait consister en la création d’un fonds de souveraineté européen. Le groupe RDSE, attaché à la cohésion de l’Europe et à la solidarité entre États membres, telle qu’elle s’est exercée au travers du plan de relance, est ouvert à cette idée. Je rappelle que ce fonds suscite l’intérêt de la Banque publique d’investissement. On peut relever que Bpifrance a su jouer son rôle dans la mise en œuvre du plan Juncker.

Madame la secrétaire d’État, plus globalement, ce débat pose la question de l’autonomie stratégique de l’Union européenne.

Bien qu’il soit clair que l’Union européenne ne sera jamais autosuffisante, la réponse au plan américain doit être celle de la reconstitution d’une industrie compétitive irriguant tous les territoires. À cet égard, madame la secrétaire d’État, la baisse des impôts de production ne saurait constituer à elle seule une politique de reconquête industrielle. Nous attendons plus.

Le groupe RDSE sera donc attentif à l’initiative du chef de l’État dans le cadre du prochain Conseil européen.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur Corbisez, votre question me permet d’apporter quelques précisions.

Un tiers des fonds européens sont dédiés à la transition énergétique. Par conséquent, nous ne sommes pas dépourvus financièrement.

Si notre balance commerciale présente bien des chiffres décevants, nous devons noter une hausse de 37 % de nos exportations de produits agricoles, ce qui est remarquable, ainsi qu’un excédent de 23,5 milliards d’euros dans l’aéronautique. Vous le voyez, nous ne sommes pas totalement démunis.

Face à l’IRA, nous comptons déployer une réponse en quatre temps : premièrement, l’utilisation de flexibilités immédiates des financements existants, deuxièmement, le recours à des instruments de défense commerciale, troisièmement, un fonds souverain pour tous les pays de l’Union européenne – comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, cela viendra dans un second temps, peut-être au mois de juin prochain –, quatrièmement, un plan de développement des compétences, puisque, pour l’énergie, le numérique, comme pour toutes ces nouvelles technologies, nous aurons besoin de nouvelles forces, de nouveaux talents. Nous nous efforcerons d’œuvrer en ce sens.

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi américaine dite de réduction de l’inflation, l’Inflation Reduction Act, adoptée l’été dernier par le Congrès des États-Unis et entrée en vigueur le 1er janvier, soulève, par sa nature, son ampleur et ses modalités, des questions difficiles pour l’Union européenne d’un point de vue économique et géopolitique.

Dans la mesure où cette loi marque indiscutablement l’engagement des États-Unis en faveur de la transition énergétique et écologique, en encourageant l’investissement dans les secteurs industriels et de service nécessaires à cette transition, elle ne peut qu’être saluée.

L’inquiétude provient cependant du volume considérable des subventions qui vont être consenties par les autorités américaines – près de 370 milliards de dollars – et, surtout, du fait que l’accès à ces financements ou avantages fiscaux sera réservé aux productions localisées sur le territoire des États-Unis. Combiné au coût bien moindre de l’énergie et à d’autres facteurs avantageant déjà les États-Unis par rapport à l’Union européenne, ce plan de soutien massif risque de créer un effet d’attraction quasi irrésistible pour la localisation ou la relocalisation d’investissements européens dans ces secteurs d’avenir aux États-Unis plutôt qu’en Europe.

Face à ce danger de concurrence déloyale, l’Union européenne ne peut pas rester sans réaction. Elle a exprimé sa préoccupation à ce sujet au plus haut niveau et à plusieurs reprises, mais elle se trouve véritablement mise devant le fait accompli, puisque, comme je l’ai signalé, la loi IRA est déjà entrée en vigueur.

L’Union européenne et les représentants de la France doivent donc réagir rapidement, en mettant en place tous les éléments d’une réponse européenne appropriée.

Avec leurs clauses de localisation obligatoire des productions subventionnées sur le territoire des États-Unis, les aides américaines enfreignent clairement les disciplines de l’OMC. Les contester à Genève pourrait cependant se révéler contre-productif, dans la mesure où le mécanisme de règlement des différends de l’OMC est devenu largement inopérant du fait de la paralysie de l’organe d’appel et qu’il est clair que les États-Unis n’ont aucune intention de se plier à d’éventuelles recommandations formulées dans ce cadre.

Amener l’administration américaine à revoir son dispositif ou à aménager certaines exceptions en faveur de l’Union européenne, comme celles qui sont prévues pour le Canada et le Mexique, est mission impossible. Elle a clairement fait comprendre à ses interlocuteurs européens, y compris le Président de la République lors de sa récente visite d’État à Washington, qu’elle n’était nullement disposée à le faire.

Il reste donc aux Européens à trouver par eux-mêmes des remèdes adéquats au danger auquel ils se trouvent ainsi confrontés.

Une piste envisagée, en direction de laquelle des dispositions ont déjà été prises, consiste à assouplir ou suspendre une nouvelle fois les règles européennes concernant les aides d’État pour autoriser les États membres qui le souhaitent et qui le peuvent à soutenir les activités concernées sur leur territoire. L’inconvénient de cette approche est double : elle favorise les seuls États qui peuvent se le permettre financièrement – la France en fait-elle encore partie ? j’en doute – et elle remet en question le principe de concurrence loyale, le Level Playing Field, sur lequel est fondé le bon fonctionnement du marché unique européen.

Une autre piste, fortement privilégiée par la France, mais loin de faire l’unanimité chez ses partenaires, consisterait à déployer un plan européen similaire au plan américain et d’un montant suffisant pour inciter les opérateurs des secteurs concernés à privilégier les investissements en Europe. Comment mobiliser autant d’argent à l’échelon européen – on parle de 300 à 350 milliards d’euros –, alors que l’Union européenne vient à peine de mettre en œuvre un plan de relance post-covid de 750 milliards d’euros.

Une partie de ce plan existant pourrait sans doute être réorientée vers un tel « fonds européen de souveraineté », comme l’envisage la Commission européenne, mais cela ne suffira certainement pas à faire la différence.

Cette initiative américaine met donc l’Union européenne dans un embarras dont elle aura bien du mal à se tirer, ce qui m’inspire les réflexions suivantes.

Les États-Unis font, une fois de plus, preuve d’un égoïsme sacré en menant une politique décomplexée d’America First, qui ne tient absolument pas compte des retombées négatives de leurs initiatives pour leurs partenaires traditionnels. Ils restent les princes du protectionnisme.

Ceux qui croyaient naïvement que l’arrivée au pouvoir d’une administration démocrate à l’issue du mandat de Donald Trump conduirait nécessairement à une amélioration significative des relations transatlantiques en sont pour leurs frais. Le style a changé, la rhétorique utilisée aussi, mais aucune concession réelle n’est faite sur le terrain des intérêts économiques et commerciaux.

On aurait pu penser que le contexte géopolitique conduirait les États-Unis à mieux soigner leurs relations avec leurs alliés afin de ne pas ouvrir de brèches trop visibles dans la coalition occidentale. Malheureusement, il n’en est rien et ces considérations de politique étrangère semblent peser assez peu par rapport aux objectifs de politique intérieure américaine que l’administration Biden cherche à atteindre au travers de la loi IRA.

Ce constat ne peut en tout cas qu’inciter l’Europe et la France à faire de l’autonomie stratégique dans tous les domaines – énergie, agriculture, industrie, recherche, défense – l’un de leurs objectifs les plus fondamentaux et à tout mettre en œuvre pour l’atteindre dès que possible.

Le général de Gaulle avait eu l’intuition de cette impérieuse exigence dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Elle a malheureusement été perdue de vue pendant des décennies, dans un contexte de mondialisation débridée. Il est grand temps, selon moi, qu’elle revienne au premier plan dans les préoccupations de nos décideurs, dont vous êtes, madame la secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur sénateur Cadec, vous avez raison : nous sommes dans une époque où l’Union européenne doit assumer sa puissance géopolitique. Elle est tout de même forte de 450 millions de citoyens dotés d’un pouvoir d’achat parmi les plus élevés de la planète. C’est pourquoi le Président de la République a promu – cela fait maintenant l’objet d’un large consensus chez nos partenaires – la notion de souveraineté et d’autonomie stratégique.

À l’inverse des États-Unis, en revanche, nous nous appuyons sur des règles très claires. Comme je l’ai déjà indiqué, depuis la présidence française du Conseil de l’Union européenne, nous disposons de nouvelles mesures, dites mesures miroirs : la réciprocité sur les marchés publics et l’instrument antisubventions.

Enfin, lors de son voyage aux États-Unis, Bruno Le Maire a obtenu une alliance sur les matériaux critiques, pour que nous nous fournissions de façon diversifiée et en coopération avec les États-Unis.

Le différentiel de compétitivité est principalement dû au différentiel de prix de l’énergie dont nous souffrons plus à cause des conséquences de la guerre en Ukraine. Sur ce point, comme vous le savez, monsieur le sénateur, une réforme du marché de l’électricité est en cours, elle sera discutée au Conseil de l’énergie du mois de mars prochain.

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la guerre commerciale que l’Union européenne et les États-Unis se livrent est inversement proportionnelle à leur relation en tant qu’alliés. Ces deux grandes puissances, aux multiples combats communs, sont celles qui s’affrontent le plus dans le domaine commercial : pas moins de 35 procédures sont actuellement engagées à l’OMC par l’Union européenne contre les États-Unis et 20 le sont par les États-Unis contre l’Union européenne. Toutes deux détiennent le record du plus long conflit commercial qu’ait connu l’OMC, puisque leur contentieux sur les subventions illégales versées à Airbus et Boeing a duré dix-sept ans !

Régulièrement, la presse titre sur une nouvelle guerre commerciale entre l’Union européenne et les États-Unis. Cela ne date pas d’hier ; cela ne date pas non plus de la présidence Trump. En effet, après quatre années de trumpisme, les Européens promettaient de développer enfin leur souveraineté pour ne plus avoir à subir les choix politiques américains. Le continent semblait se réveiller, notamment avec le plan Next Generation EU, doté de plus 670 milliards d’euros.

Force est de constater que nos luttes commerciales d’avant Trump perdurent après lui. Bien naïf celui qui pensait le contraire ! Réarmer nos souverainetés est un projet de long terme, indispensable à bien des égards.

La crise du virus chinois, communément appelé covid-19, nous a violemment confrontés à nos lacunes et à notre dépendance au reste du monde, à la puissance chinoise, notamment. La guerre en Ukraine nous renvoie à nos erreurs et à nos naïvetés stratégiques. Certaines de nos grandes puissances se sont enfermées dans les griffes russes et nous en payons aujourd’hui amèrement le prix, très élevé.

La crise énergétique actuelle risque fortement de déboucher sur un choc de compétitivité et une crise plus durable en Europe, ce risque étant encore plus élevé du fait des dernières mesures protectionnistes prises par les États-Unis.

Adoptée l’été dernier, l’Inflation Reduction Act prévoit près de 400 milliards de dollars d’aides pour les entreprises qui produisent sur le sol américain, notamment sous forme de crédits d’impôt.

Les États-Unis se donnent dix ans pour réduire de 50% leurs émissions de gaz à effet de serre en développant l’hydrogène vert, les batteries, le solaire, l’éolien, la rénovation énergétique des bâtiments, les véhicules électriques… Cette énumération a un goût de déjà-vu de notre côté de l’Atlantique, bien plus avancé sur ces sujets.

Tant mieux si, comme vous le dites, madame la secrétaire d’État, la compétition mondiale se concentre sur les technologies propres. Créons pour cela de l’émulation sur ces sujets, il y va de l’avenir de la planète. En revanche, si nous, Européens, ne réagissons pas, nous en subirons les conséquences, la principale menace étant la délocalisation de nos entreprises aux États-Unis.

Les difficultés internationales et le protectionnisme américain ne doivent pas nous plonger dans une crise d’ampleur. Il est inacceptable que l’Union européenne soit perpétuellement la variable d’ajustement dans les conflits, quels qu’ils soient. Nous devons prendre en main notre destin.

Je me souviens, monsieur le président, que, lorsque les perspectives s’étaient ouvertes en Iran, nous avions signé des contrats de plusieurs milliards d’euros. En 2018, tout cela a été balayé par M. Trump…

M. le président. C’était une autre époque !

M. Joël Guerriau. Le système de l’Union européenne était prometteur. L’Union a transformé un espoir de paix qu’on osait à peine murmurer en une réalité solide et concrète. Aujourd’hui, être européen, c’est être conscient de la nécessité d’agir ensemble. Nous devons nous protéger en toute indépendance.

Les pays européens qui décident seuls déstabilisent les autres. In fine, ils se fragilisent eux-mêmes. Oui, l’Union européenne est composée d’États bien divers, ayant des atouts tout aussi différents. Continuons de faire de notre diversité une force !

Le sommet extraordinaire qui se tiendra demain et après-demain nous y invite. Après les derniers Conseils européens, nous sommes inquiets quant à notre capacité à trouver une solution commune. Tout en saluant la feuille de route pour le renforcement de la politique industrielle, je relève que nos difficultés à trouver des accords sont réelles. Arrêtons de prêter le flanc aux autres puissances étrangères, car elles en tireront profit.

La question est : " Quelle réponse européenne ? ". Je n’en vois qu’une, madame la secrétaire d’État : c’est l’unité, bien sûr. Cela peut paraître simple à dire, mais vous savez bien qu’il est difficile de convaincre tout le monde de la nécessité de retrouver notre souveraineté.

Ce n’est pas seulement la guerre économique ou la réponse européenne au protectionnisme américain qui se joue là, même si nous espérons cette réponse puissante. Les enjeux sont plus larges et ne doivent pas faire oublier d’autres tensions. La bataille que nous devons mener est celle des idées et celle d’un modèle. Affirmons haut et fort que nous sommes, avant tout, des Européens ! (M. Alain Richard applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur Guerriau, vous me donnez l’occasion d’évoquer la stratégie de souveraineté européenne mise en place à la suite des chocs qu’ont représentés la covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Cette stratégie de souveraineté repose sur trois éléments, le premier étant la défense. Alors que l’on parle depuis longtemps d’une Europe de la défense, nous la voyons naître par le développement de l’industrie de défense, de capacités d’achat, mais aussi de forces qui peuvent agir ensemble, le tout en articulation avec l’Otan et avec un système de préférence européenne en matière d’achats.

Le deuxième élément de cette stratégie de souveraineté est l’acquisition de notre autonomie énergétique et industrielle.

Dans le secteur industriel, il nous faut travailler sur les finances, les talents et les secteurs stratégiques. Nous disposons désormais d’aides très ciblées et nous avons fait des choix. Nous devons accélérer.

En matière énergétique, nous sommes en train de sortir de notre dépendance au gaz russe. Notre consommation a baissé deux fois plus qu’attendu cet hiver. Nous avons diversifié nos sources, nous mettons en œuvre une plateforme d’achat en commun et nous réformons le marché de l’électricité.

Le troisième et dernier élément de notre stratégie de souveraineté est l’influence que nous exerçons à travers le soutien d’une Europe unie à l’Ukraine en matière militaire, financière et humanitaire. Je pense aussi au développement de la Communauté politique européenne, lancée par le Président de la République l’année dernière. Sa première réunion a eu lieu à Prague en octobre dernier, la deuxième est prévue en Moldavie au mois de juin. Les projets concrets qu’elle envisage nous permettront d’ancrer les pays frontaliers de l’Union européenne du côté de notre modèle.

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la secrétaire d’État, face à Washington, qui subventionne massivement l’industrie américaine, Paris et Berlin ont conçu la contre-offensive et transmis leur contribution à la Commission européenne. Mme von der Leyen a ensuite dévoilé, à Davos, ses mesures face à l’IRA.

Cette évolution renvoie à ce que nous, écologistes, prônons : un protectionnisme vert européen. Cela consiste, d’abord, à mettre en cohérence les règles de notre marché intérieur et nos importations. Sur le plus long terme, il s’agit de réindustrialiser l’Europe pour lui permettre d’être plus autonome, plus souveraine, en cessant d’avoir pour boussole le productivisme mondialisé. Nous devons, en somme, passer du libre-échange au « juste échange » et sortir de la logique du tout-marché.

Le mot " protectionnisme " fait peur, mais il ne s’agit ni de mener une guerre commerciale ni de nous calfeutrer. L’idée est plutôt de regarder le monde tel qu’il est. Les multinationales et leurs actionnaires se réjouissent de la faiblesse des régulations. Elles exploitent dès qu’elles le peuvent les failles des normes environnementales et sociales, quand il y en a. Mettre en place un protectionnisme vert, c’est simplement assumer notre place de premier marché au monde et affirmer que l’accès à ce marché impose le respect de critères fondés sur nos valeurs. On ne peut plus polluer impunément avec des biens vendus à des prix qui ne reflètent pas du tout les externalités négatives causées par leur production.

En réponse à l’IRA, la Commission européenne a mis en avant des objectifs de réindustrialisation par le biais d’allégements de cotisations, notamment pour le déploiement de nouvelles technologies. Elle souhaite aussi autoriser davantage d’aides d’État et de crédits d’impôt pour les technologies vertes.

Toutefois, un levier majeur manque : un Buy European Act. Proposé par mes collègues eurodéputés dans une résolution, un tel texte favoriserait les produits fabriqués en Europe en leur facilitant l’accès aux marchés publics, lesquels représentent 14% du PIB européen. C’est de l’argent qui existe déjà et un levier de transformation déterminant.

Utiliser les marchés publics, c’est offrir une protection aux Européens effrayés par la mondialisation, le chômage et ce qu’implique de mutations la transition écologique. Mais c’est surtout un levier, qui peut être compatible avec les règles de l’OMC, pour créer des emplois durables et décarboner nos économies.

Or, pour le moment, un Buy European Act n’apparaît ni dans les conclusions du Conseil ni dans la réponse de la Commission. Il est temps de rouvrir la directive du Parlement européen et du Conseil sur la passation des marchés publics. Le candidat Emmanuel Macron l’avait proposé en 2017 dans son programme, mais cet engagement a été abandonné en faveur d’un libéralisme de la compétition de tous contre tous. Seule l’Europe ouvre ainsi à tous les vents ses marchés publics. Les autres savent les protéger.

Nous avons enfin convenu d’une taxe carbone à la frontière : continuons sur cette lancée ! Nous avons décidé de fermer notre marché à des produits issus de la déforestation. Notre impact est mondial, palpable, mais trop lent. Les États-Unis, eux, décident d’abord et discutaillent après. Sur le photovoltaïque, nous avons été timorés. Nous avons mis tellement de temps à négocier pour tenter de parer la menace chinoise que nous avons raté le train. C’est une bataille politique, et non pas technique. Cela signifie non pas qu’il faut renoncer à nos préférences commerciales pour les pays les moins avancés, mais qu’il faut faire les choses en cohérence avec les valeurs que nous portons en matière de droit du travail, de santé, de climat, car ce sont-là des dimensions indissociables.

Nous avons besoin d’une réindustrialisation décarbonée de l’Europe. Soyons pragmatiques : les délocalisations ont fragilisé des territoires et détruit des emplois. Un projet écologique et social crédible, c’est la possibilité de consommer des produits venant de chez nous et de pays qui respectent les normes en vigueur chez nous. C’est pourquoi la France devrait insister lors du Conseil pour obtenir enfin les fameuses clauses miroirs sur l’agriculture qu’elle entendait faire adopter sous sa présidence. On ne les trouve pas dans l’accord avec le Mercosur, qui n’est que mondialisation de la malbouffe et de la souffrance animale et qui signe la disparition de nombre de nos paysans.

La France a malheureusement l’habitude de faire des propositions intéressantes, de les afficher, puis de renoncer lors des négociations. Pour le Buy European Act, elle a appliqué le même mode opératoire : on propose, puis on baisse les bras au premier froncement de sourcils. Il faut prendre son bâton de pèlerin, créer des alliances, trouver une majorité au Conseil. Ce ne sera pas facile, certes, mais en quelques années, nous avons obtenu des avancées qu’on pensait impossibles : taxe sur les superprofits énergétiques, interdiction des importations issues du travail forcé, impôts sur les sociétés, devoir de vigilance, taxe carbone aux frontières… Les écologistes saluent ces avancées. L’Europe se fortifiera en les approfondissant.


(Mme Valérie Létard remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Je vous trouve plutôt négatif, monsieur le sénateur, alors même que vous reconnaissez les succès européens que représentent la taxe carbone aux frontières, l’impôt mondial sur les sociétés et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

Plutôt que le protectionnisme, nous défendons une stratégie du made in Europe et des mesures miroirs.

La commande publique représente en effet 14% du PIB européen. C’est un levier extrêmement important pour la stratégie du made in Europe, par laquelle nous travaillons à l’inclusion effective de critères qualitatifs dans la commande publique et les dispositifs de soutien à la demande, le tout dans le respect des principes de non-discrimination et de libre accès à la commande publique. L’objectif est d’ouvrir prioritairement les marchés publics à des entreprises qui respectent pleinement les normes sociales et environnementales européennes.

Dans le contexte récent de la crise sanitaire, de l’exacerbation de la concurrence et de la guerre en Europe, nous souhaitons également inclure des critères de sécurité dans la stratégie du made in Europe.

Le Gouvernement soutient la mise en œuvre de mesures miroirs sectorielles, par l’application de certaines normes environnementales et sanitaires de l’Union européenne aux produits importés, lorsque cela est nécessaire pour protéger la santé et l’environnement à l’échelon mondial. C’était l’une des priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. La Commission a confirmé l’intérêt et la faisabilité juridique de ces mesures miroirs. Le Gouvernement veillera donc à ce que la Commission, le Conseil et le Parlement européen insèrent de telles mesures dans les législations sectorielles de l’Union européenne, chaque fois que ce sera nécessaire et pertinent.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a deux semaines, en première lecture, nous adoptions ici même le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. Le même jour, nous parvenions à un compromis avec nos collègues députés sur le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables. Les conclusions de la commission mixte paritaire sur ce texte ont été adoptées hier.

Il y a une semaine, lors du salon HyVolution 2023, que j’ai eu plaisir à visiter, la ministre de la transition énergétique dévoilait les nouveaux lauréats de l’appel à projets " Écosystèmes territoriaux hydrogène ".

Depuis vendredi, les élus locaux peuvent demander le financement de leurs projets durables dans le cadre du fonds vert, plus de 3 milliards d’euros de crédits et de prêts étant mobilisés à cet effet.

Chers collègues, ces trois actions françaises témoignent de notre volonté d’aller plus loin, et encore plus vite, pour atteindre les objectifs fixés pour 2030 en matière de réduction d’émissions carbone.

En Europe, le cap est également fixé : zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050. C’est demain ! Pour atteindre cet objectif, plusieurs leviers ont été proposés par nos instances européennes : la feuille de route " Ajustement à l’objectif 55 " ; un plan pour aider à réparer les dommages économiques et sociaux immédiats causés par la pandémie, Next Generation EU, doté de 725 milliards d’euros, dont 40% pour la transition écologique ; enfin, RePowerEU, un plan de bataille de l’Union européenne pour gagner en indépendance énergétique, qui permettra notamment de développer les filières de recyclage des énergies renouvelables. Ce sont autant de leviers pour guérir, prévenir, anticiper, refonder, innover.

À l’heure où nous parlons, le Conseil européen discute d’un nouveau plan industriel, un Pacte vert pour l’Europe, visant à renforcer la compétitivité de l’industrie européenne à zéro émission nette et à soutenir une transition rapide vers la neutralité climatique. Il a été présenté la semaine dernière par la présidente von der Leyen. À l’issue de ces échanges, une proposition juridique devrait aboutir d’ici à la mi-mars et pour le temps long.

Nous abusons parfois de l’hyperbole, mais le fait est que nous sommes véritablement à un tournant historique.

Notre ambition, rappelée par Bruno Le Maire, est grande : nous voulons que l’Europe soit l’une des trois grandes puissances de l’industrie verte au XXIe siècle. Mais cette volonté s’exprime dans un contexte de compétition internationale rude et accrue. Le Congrès américain a en effet adopté l’été dernier la loi sur la réduction de l’inflation, qui prévoit 370 milliards de dollars sur dix ans, et ce dans un contexte où les prix de l’énergie sont plus bas que chez nous.

La politique environnementale des États-Unis risque notamment d’avoir des conséquences sur le développement de notre tissu industriel vert. Les entreprises utilisant des produits américains ou produisant aux États-Unis se verront en effet accorder des subventions et des crédits d’impôt.

Si nous nous réjouissons que les grandes économies intensifient leurs investissements dans l’industrie à zéro émission nette, cela ne peut se faire au détriment d’une concurrence équitable et transparente. Alors que nous cherchons un cadre réglementaire européen approprié pour nos industries, plus simple, plus efficace et prévisible, nous ne pouvons pas tolérer d’éventuelles distorsions de concurrence.

C’est pourquoi les ministres de l’économie français et allemand se sont déplacés hier auprès de leurs homologues américains. Nous devons défendre notre industrie verte européenne et lever les freins.

Cela passe par le volet réglementaire, par la simplification et l’accélération de la procédure des projets importants d’intérêt européen commun (Piiec) ; l’adaptation des règles en matière d’aides d’État pour autoriser le soutien ciblé à certains secteurs clés de la transition verte, tels que le photovoltaïque, l’éolien, l’hydrogène ou les pompes à chaleur. Cela passe également par une réflexion sur les marchés publics et les concessions pour stimuler davantage et à grande échelle la demande de produits à zéro émission nette – il s’agit d’un des leviers fondamentaux, sur lequel j’ai rendu un rapport au Premier ministre l’an dernier.

La question du financement se pose également. C’est à nous qu’il reviendra d’utiliser et de réorienter les possibilités offertes par RePowerEU, InvestEU ou le Fonds pour l’innovation, orienté en faveur des technologies propres. À titre d’exemple, avec RePowerEU, 250 milliards d’euros pourraient être utilisés à cet effet.

Enfin, en tant qu’Européens, nous devons mettre un point d’honneur à former et à recruter davantage dans les métiers de demain. Je pense aux ingénieurs, techniciens, soudeurs dans le secteur des énergies renouvelables, du nucléaire ou de la fabrication des composants électroniques, dont nos industries manquent cruellement.

En plus de ces réponses européennes, il nous faut poursuivre les négociations avec nos partenaires, notamment les États-Unis. Nous devons obtenir des exemptions pour les entreprises européennes dans le cadre des enceintes consacrées à ces questions et rétablir des conditions de concurrence équitables.

Madame la secrétaire d’État, chers collègues, il n’y a pas de doutes possibles : dans ce contexte, l’Europe est évidemment l’échelon pertinent d’intervention. Nous avons su rester soudés pendant la crise de la covid et face à l’agression russe en Ukraine. Nous avons réussi à coordonner nos réponses pour ne plus être dépendants du gaz russe. Nous saurons élaborer des réponses coordonnées pour faire face à ces nouveaux défis !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la sénatrice Havet, votre intervention était très complète. Permettez-moi néanmoins d’y ajouter quelques compléments. Vous avez mentionné RePowerEU, dont le volet financier est ambitieux, puisqu’il prévoit d’allouer 200 milliards de prêts et 20 milliards de dons aux pays européens.

En complément, nous demandons aussi à la Banque européenne d’investissement, qui se dit banque du climat, de se mobiliser et de réfléchir de nouveau à des plans de financement comparables au plan Juncker, devenu InvestEU. L’idée est d’aller chercher les financements privés dont nous aurons besoin pour la transition énergétique. L’union des marchés de capitaux, en cours, facilitera aussi la mobilisation de ce type de fonds.

Nous menons aussi une réflexion sur un fonds de souveraineté européen, évoqué aussi bien par la présidente de la Commission européenne que par le Président de la République. Nous cherchons à déterminer l’ampleur que doit prendre cet instrument, en nous appuyant sur une estimation précise des besoins dans les secteurs sensibles que sont l’énergie, le numérique et la santé.

Les discussions autour du fonds souverain seront l’occasion de relancer nos débats sur les ressources propres, dont je rappelle l’importance en vue du remboursement du plan Next Generation EU.

Nous travaillons à l’accélération des projets importants d’intérêt européen commun. Les autorisations, qu’il fallait plusieurs années pour obtenir, doivent être délivrées en moins de quatre mois. De même, les aides d’État comprendront des crédits d’impôt, qui sont immédiats.

Vous avez mentionné les exemptions dans les actes législatifs pris outre-Atlantique. Les Américains sont en train de rédiger les décrets, qui comportent en effet des exemptions pour les véhicules électriques en leasing. Vous pouvez compter sur nous pour peser de tout notre poids afin d’obtenir ces exemptions.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Après l’urgence de la crise sanitaire, après les épreuves imposées par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses conséquences sur l’ensemble de l’Europe, la vague protectionniste des grandes puissances est un nouveau défi de taille pour l’Union européenne et son marché unique.

L’adoption de l’IRA par le Congrès américain et le déblocage de quelque 370 milliards de dollars pour prendre le virage écologique va doper l’industrie et la consommation aux États-Unis. Si cette décision de l’administration Biden est à saluer pour ce qu’elle représente en termes de réponses au défi du dérèglement climatique et d’amélioration des conditions de vie des ouvriers, elle porte en germe le risque de délocalisations massives d’entreprises européennes, confrontées à une énergie chère et à un encadrement strict des subventions.

Il convient, dans ce contexte, de ne pas négliger l’autre grande puissance, la Chine, qui a elle aussi pris le virage des technologies vertes à grand renfort de subventions d’État et de travail à bas coût.

Face à ce virage historique et à ce retour du protectionnisme, l’Union européenne et l’ensemble des États membres se doivent de réagir. Ce changement de paradigme doit pousser l’Union européenne à être plus ambitieuse pour engager une réelle transition écologique. Le débat d’actualité de ce jour est donc le bienvenu pour évoquer ensemble les positions à tenir.

L’Union européenne ne part pas de zéro, tant s’en faut, même si les mesures déjà prises pour la compétitivité et la préservation de nos intérêts stratégiques l’ont trop souvent été en réaction aux crises et non par anticipation, ce que l’on peut regretter.

Dans le cadre des mesures de défense commerciale, la réglementation antidumping modernisée en 2018, le filtrage des investissements de pays étrangers ou encore les mesures de sauvegarde, sont déjà actés.

Le règlement relatif aux subventions étrangères, entré en vigueur au début du mois de janvier, le Chips Act et l’instrument du marché unique pour les situations d’urgence, à venir, sont également des outils pertinents pour l’autonomie stratégique, qu’il conviendra d’utiliser sans remords.

La présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, a présenté le 1er février les contours d’un plan industriel, dit Pacte vert. C’est une bonne nouvelle, et les instances européennes ne doivent pas hésiter à avoir recours à des dispositifs innovants : nous ne devons avoir aucun tabou.

Ce plan comprend quatre piliers principaux.

Premièrement, il prévoit une modification du cadre réglementaire européen pour rendre celui-ci « prévisible et simplifié ». Trois outils législatifs ont été annoncés ou confirmés : un texte pour une industrie zéro émission, une loi sur les matières premières critiques et la tant attendue réforme du marché européen de l’électricité.

Si ces propositions semblent aller dans le bon sens, nous suivrons avec attention la réforme du marché de l’électricité, afin que celui-ci soit enfin porté par une logique d’intérêt général et adapté à notre mix énergétique et qu’il protège efficacement les entreprises et les citoyens européens.

Deuxièmement, la présidente von der Leyen a annoncé un accès plus rapide à des financements, essentiellement grâce à un assouplissement de l’encadrement du régime des aides d’État, à la réutilisation d’enveloppes financières existantes, comme la Facilité pour la reprise et la résilience, et au plan RePowerEU.

Troisièmement, un fonds de souveraineté européen a été annoncé pour financer la transition écologique de nos entreprises.

Quatrièmement, l’amélioration des compétences des travailleurs et de leurs conditions de travail figure parmi les enjeux majeurs des transitions écologiques et numériques.

Toutefois, après les premières annonces, bienvenues, de la présidente de la Commission lors du forum de Davos, la Commission semble tergiverser, sous la pression des intérêts contradictoires de certains États membres.

Madame la secrétaire d’État, la France doit s’engager avec force et volonté dans les négociations européennes.

Permettez-moi de formuler quelques interrogations. Quelle est à ce stade la définition des " technologies propres " ? Quels secteurs seront précisément concernés par ce plan ? Les filières de l’hydrogène, de l’hydraulique ou du nucléaire, par exemple, le seront-elles ? Quelle est l’articulation avec la directive sur les énergies renouvelables, en cours de négociation ? Partagez-vous l’inquiétude que nous ressentons en constatant que les concepts de sobriété, d’efficacité énergétique et de décarbonation de l’industrie lourde – en particulier dans la production d’acier et pour les industries chimiques – sont pratiquement ignorés dans ce plan ? Face au dérèglement climatique, les nécessités de produire et de consommer autrement ne peuvent pas être laissées de côté. Quid du Buy European Act qui a été évoqué ?

Enfin, la simplification administrative annoncée par la Commission ne doit pas se transformer en une dérégulation à outrance, où la recherche de compétitivité se traduirait par un contournement permanent des normes sociales et environnementales.

L’absence d’un pilier social dans ce plan est également préjudiciable, car le sujet de la construction de l’Europe sociale ne peut pas être relégué au second plan.

Nous avons, madame la secrétaire d’État, suivi et entendu les nombreuses déclarations du Président de la République et du ministre de l’économie qui, une nouvelle fois sur un sujet européen, paraissent plutôt volontaristes, notamment en développant l’idée d’une stratégie made in Europe.

L’important, madame la secrétaire d’État, au-delà des mots et de l’affichage, c’est le résultat. Il serait intéressant à cet égard que vous nous donniez de plus amples informations sur les résultats obtenus par Bruno Le Maire et son homologue allemand, Robert Habeck, lors de leur déplacement hier à Washington, notamment sur les potentiels accords de réciprocité et les actes de coopération, comme nous avons pu en obtenir sur les semi-conducteurs.

Toutefois, je pense qu’il ne faut pas excessivement miser sur l’assouplissement des positions américaines, compte tenu du contexte interne aux États-Unis. Le président Biden n’a obtenu que difficilement l’accord du Congrès et, même s’il le souhaitait, ce qui n’a rien d’évident, il lui serait difficile d’en modifier les termes. Cependant, la Commission européenne pourrait utilement s’inspirer de ses ambitions en faveur de la transition écologique et des intérêts des travailleurs américains.

L’Europe doit réagir, non pas par des mesures de rétorsion – nous n’avons aucun intérêt à une guerre commerciale –, mais en mettant en œuvre un plan ambitieux pour ne pas être marginalisée dans la compétition économique mondiale. Ce plan, esquissé à Davos, doit être précisé et non édulcoré.

Les enjeux de ce plan sont nombreux, tout d’abord en termes de financement.

Alors que les États-Unis ont fait le choix de mettre 370 milliards de dollars sur la table, jusqu’où la Commission et le Conseil sont-ils prêts à aller ? Des divergences sont déjà apparues lors de la réunion du Comité des représentants permanents (Coreper) du 25 janvier dernier sur l’assouplissement des aides d’État. Si l’encadrement de ces aides nous semble utile, il devra être pensé pour ne pas creuser d’écart entre les pays qui disposent de capacités de financement suffisantes et les autres.

Pour cette raison, nous plaidons pour un fonds de souveraineté ambitieux. À cet égard, nous regrettons que le document de la Commission européenne ne consacre à ce fonds qu’un seul paragraphe, tout comme nous déplorons les réserves émises par l’Allemagne.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain considère que la revue à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, qui doit aussi avoir lieu d’ici à l’été 2023, doit être une opportunité.

Il faut d’abord réaffirmer la nécessité pour l’Union de se doter de nouvelles ressources propres. En complément de la taxation sur les bénéfices des multinationales à hauteur de 15 %, qui entrera en vigueur le 31 décembre 2023, d’autres solutions existent : l’extension du marché carbone européen, la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou encore la création d’une nouvelle taxe sur les transactions financières. Il est impératif de se doter de nouveaux moyens.

Ensuite, le recours à un emprunt européen mutualisé pour abonder un fonds de souveraineté européen sur le modèle du plan de relance post-covid ne doit pas être un tabou. Dans ce cadre, la Banque européenne d’investissement devra jouer pleinement son rôle et devenir le prêteur le plus vert au monde.

Le deuxième enjeu est d’éviter l’entrée en guerre commerciale et l’enlisement dans une spirale protectionniste. L’Union européenne doit se dégager de l’étau de l’affrontement sino-américain et poursuive sa stratégie d’ouverture au reste du monde, en développant les accords commerciaux tout en faisant preuve d’une vigilance et d’une exigence extrêmes s’agissant des clauses environnementales.

Le troisième enjeu porte sur le développement des compétences – objectif européen de l’année 2023 –, indispensable pour qualifier les salariés des secteurs d’avenir et réussir les transitions numérique et écologique.

La reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles évoquée par la Commission est importante pour faciliter les mobilités internes des travailleurs, mais elle devra s’accompagner d’échanges sur la création d’emplois de qualité et sur la dignité au travail.

Pour conclure, la réponse aux mesures protectionnistes des États-Unis, qui ont délibérément contourné les règles de l’Organisation mondiale du commerce, devra être d’ampleur, globale et ambitieuse.

Il nous faut éviter une guerre commerciale avec les États-Unis et négocier tout ce qui peut l’être, mais aussi, simultanément, adopter un plan industriel vert européen, concerté et innovant, en particulier dans ses modalités de financement, afin de réduire nos dépendances stratégiques.

Tels seront les enjeux des conseils européens extraordinaires des 9 et 10 février et des 23 et 24 mars prochains.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Didier Marie. Nous devons faire de ce moment une opportunité et nous comptons sur le Gouvernement pour cela. (Mme Gisèle Jourda applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur Marie, j’aborderai trois points en réponse à votre intervention.

Sur la réforme en cours du marché de l’électricité, vous n’êtes pas sans savoir que des consultations publiques se tiennent en ce moment même. Nous sommes en pleine réflexion interministérielle pour définir la meilleure stratégie – soutenable – de production, mais aussi pour nous assurer que les ménages verront leur pouvoir d’achat préservé (M. Fabien Gay s’exclame.) et que les entreprises bénéficieront d’une énergie à des tarifs compétitifs.

Dans les secteurs stratégiques des technologies propres, nous tâcherons d’identifier les besoins avant de déterminer le financement nécessaire dans le cadre du fonds de souveraineté. Sont concernés les secteurs de l’hydrogène, des batteries, du solaire, mais aussi des composants clés des technologies numériques, comme les semi-conducteurs. Vous l’avez dit, un effort de formation sera également nécessaire, car 800 000 postes devront être créés dans ces secteurs d’ici à 2025.

Dans cette perspective, et en cette année européenne des compétences, il faudra faciliter la reconnaissance des formations, mais aussi attirer les talents présents non seulement dans l’Union européenne, mais aussi dans les États tiers. À cet égard, une cartographie précise et évolutive des métiers concernés est en cours d’élaboration.

Enfin, lors de leur déplacement aux États-Unis, les ministres Bruno Le Maire et Robert Habeck ont d’abord convenu avec Washington de la nécessité, pour l’application de l’IRA, d’élargir les exemptions au plus grand nombre de composants européens possible, que ce soit pour les véhicules électriques ou les matériaux critiques.

Un groupe de travail sur les matériaux critique sera mis en place pour trouver des sources d’approvisionnement variées et éviter de dépendre d’un nombre trop faible de fournisseurs. Par ailleurs, un nouveau canal de communication ministériel sera mis en place, comme l’ont demandé les Européens.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous discutons ici d’un enjeu capital pour l’avenir de nos industries, pour notre agriculture, pour l’emploi et pour le développement des territoires.

Les États-Unis, qui n’ont jamais été avares de mesures protectionnistes, engagent à présent 370 milliards de dollars dans leur loi de réduction de l’inflation, auxquels il faut ajouter les 52 milliards de dollars de subventions directes issues de leur Chips and Science Act. Leur objectif est de développer leur industrie et leurs technologies vertes, sans concertation avec leurs partenaires, notamment l’Union européenne.

L’affaire est extrêmement grave pour les secteurs stratégiques européens. Le président des États-Unis a confirmé cette nuit cette stratégie offensive dans son discours sur l’état de l’Union.

En effet, en contrepartie d’allégements fiscaux ou de subventions directes, les États-Unis incitent leurs citoyennes et citoyens à acheter des produits – véhicules électriques, batteries ou panneaux solaires – issus de leur territoire. Les dirigeants nord-américains ont donc décidé d’amplifier la guerre économique pour regagner des parts de marché mondiales et stimuler leur croissance.

Cet engagement pour le climat ne doit pas servir de prétexte pour affaiblir l’industrie et l’agriculture européennes. Les Nord-Américains seraient d’ailleurs plus crédibles si, dans le même temps, ils ne renforçaient pas l’exploitation du gaz de schiste.

La vérité est que cette décision se combine avec l’offensive guerrière de Poutine et que l’environnement est un prétexte pour dominer de nombreux secteurs industriels, le tout sur fond du recul prévisible des pays occidentaux dans la production des richesses mondiales.

Nous avions déjà constaté la prédominance des États-Unis dans les industries pharmaceutique et numérique durant la période de la pandémie. À présent, les États-Unis se renforcent, contre l’Union européenne, dans l’industrie de l’armement, dans les secteurs de l’énergie, des transports maritimes et du transport agroalimentaire.

Ils cherchent à rendre leur pays attractif pour les entreprises d’avenir, celles qui mettront en place les technologies performantes de demain, en captant pour leurs sociétés multinationales des savoir-faire, des brevets, des compétences et des entreprises.

Ils le font, évidemment, en contradiction avec les théories du libre-échange, qu’ils prônent notamment au sein de l’Organisation mondiale du commerce.

Ils le font dans le cadre de la guerre, qui les sert si bien pour affaiblir les industries automobiles allemande et française, mais aussi une multitude d’autres activités, qu’ils réimplantent dans une Europe qu’ils avaient quelque peu délaissée.

Ils le font en utilisant l’arme supplémentaire dont ils disposent : leur monnaie, la référence dans les échanges internationaux. Oui, le dollar est une machine de guerre, qu’ils utilisent comme telle !

Là où des enjeux stratégiques pour leur souveraineté ont émergé, les États-Unis ont toujours orienté leur économie et, surtout, ils l’ont toujours maîtrisée. À cela s’ajoute leur tentative de maîtriser la fourniture d’énergie.

Face à un tel risque de perte de souveraineté économique pour l’Union européenne, nous ne pouvons rester les bras ballants. Nous n’avons aucun intérêt à nous asseoir, encore, dans le fourgon américain.

Déjà, on parle de plus en plus, dans les milieux d’affaires, de délocaliser une part de nos productions aux États-Unis et au Canada pour profiter d’une énergie moins chère. Ce serait une nouvelle catastrophe pour l’emploi.

Nous pouvons pourtant nous défendre en consolidant nos marchés publics, qui représentent de 14 % à 19 % du produit intérieur brut européen.

Il convient donc, dans le cadre d’une planification sociale et écologique, de préparer notre industrie, nos services et notre agriculture aux défis d’avenir que sont les transitions écologique, technologique et numérique en investissant fortement dans les secteurs de la recherche et du développement.

Il existe, dans les textes européens, des dispositifs qui pourraient nous permettre de nous défendre. Ainsi, le traité de Rome nous permet d’utiliser la préférence communautaire comme une arme défensive et de taxer les importations nord-américaines. De même, lorsque des secteurs entiers sont à ce point menacés, il est possible de déclencher la clause de sauvegarde.

Autrement dit, nous n’avons aucun intérêt à adopter une attitude suiviste à l’égard des États-Unis. Il nous faut au contraire faire entendre une voix autonome, pour obtenir un cessez-le-feu et parvenir à la paix en Ukraine.

Chacun comprend bien que l’alignement sur la stratégie militaire américaine empêche l’Union européenne, et surtout la France, de défendre ses intérêts stratégiques.

Or nous devrions avoir l’audace de bâtir des consortiums européens publics dans des secteurs comme le numérique, l’hydrogène vert ou encore l’énergie solaire, en favorisant des coopérations dans l’industrie automobile de demain, le transport maritime ou aérien.

Nous devrions avoir l’audace de réviser le marché unique de l’énergie, qui est un frein au développement.

Enfin, nous devrions avoir l’audace de modifier les règles budgétaires européennes afin de favoriser les investissements du futur. De ce point de vue, un fonds de développement européen offrant des crédits à taux nul serait utile et efficace.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Fabien Gay. Les aides d’État, comme les crédits européens, doivent être conditionnées aux investissements verts et à la création d’emplois. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Gisèle Jourda et M. Christian Bilhac applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. J’aimerais que, en France ou en Europe, nous fassions aussi bien notre promotion que les Américains font la leur !

En effet, monsieur le sénateur Gay, tout ce que vous demandez, nous le faisons. (Marques d’ironie sur des travées du groupe CRCE.)

Ainsi, la réforme des règles budgétaires est en cours. Les aides américaines, ensuite, ne doivent pas nous perturber par leur montant : nous avons mis sur la table des moyens financiers équivalents, voire supérieurs.

La flexibilité et la rapidité de mise en œuvre des décisions font en outre l’objet de propositions de la Commission, qui seront discutées au Conseil européen de demain et après-demain. Ces dernières font consensus.

Vous évoquez par ailleurs la préférence européenne ; or nous avons une stratégie de made in Europe et nous avons des normes, monsieur le sénateur, qui s’appliquent à 450 millions de personnes. (M. Fabien Gay s’exclame.) Ce n’est pas rien, c’est même plus qu’aux États-Unis. Ce vaste marché incite nombre d’acteurs à venir s’installer chez nous pour y vendre leurs produits.

Nous avons encore des instruments commerciaux assertifs et nous les utiliserons. Nous avons ainsi la 5G. Les Américains, eux, ne l’ont pas, mais cela ne les empêche pas de faire leur promotion. Or je n’ai jamais entendu personne faire la promotion de la 5G de votre côté de l’hémicycle, monsieur Gay.

Je vous rappelle enfin que l’Union européenne est la région la plus avancée au monde en matière écologique.

Nous sommes leaders, pas suiveurs, et nous comptons sur vous pour le faire savoir ! (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.

M. Fabien Gay. Madame la secrétaire d’État, alors que l’on vous soumet des propositions, vous nous répondez que tout va bien ! Or, dans le domaine spatial, par exemple, les Nord-Américains sont en train d’achever la constellation, par laquelle ils contrôleront, demain, toutes les données. (Mme la secrétaire d’État le conteste.) Aujourd’hui, alors qu’ils subventionnent massivement l’entreprise SpaceX, nous restons les bras ballants !

Dans trois ans, c’en sera fini : nous aurons perdu notre souveraineté sur nos données. C’est déjà le cas d’ailleurs : même nos données de santé sont détenues par des entreprises nord-américaines !

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Pas du tout !

M. Fabien Gay. Enfin, madame la secrétaire d’État, vous ne pouvez prétendre, ici même, que le Gouvernement est proactif s’agissant de la révision du marché européen. Libre à vous de faire de telles déclarations dans les médias – encore faudrait-il qu’il y ait des gens pour vous croire –, mais ne dites pas cela ici !

Nous restons les bras ballants depuis un an. Bruno Le Maire nous promet de faire bouger les lignes, mais rien n’avance. Nous sommes pieds et poings liés par la dérégulation !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà trente ans, le sommet de la Terre à Rio donnait le coup d’envoi de l’action mondiale pour le climat.

Au cours de ces trente ans, nous avons toutefois pu constater à quel point la coopération internationale était laborieuse et combien nos objectifs demeuraient difficiles à atteindre.

Alors, quand, après toutes les hésitations et résistances que nous connaissons, le deuxième émetteur mondial de CO2 s’engage enfin dans la décarbonation de son économie, comment ne pas y voir un signe important qu’il va dans la bonne direction ?

Oui, parce qu’elle met les États-Unis sur les rails de leur engagement climatique, la loi sur la réduction de l’inflation est une bonne nouvelle pour la planète. En revanche, pour notre continent, elle est un réel défi, à la fois économique et conceptuel : économique tout d’abord, car l’ambition portée par l’IRA n’est pas seulement climatique ; elle est aussi, et peut-être avant tout, industrielle.

Certes, les 370 milliards de dollars de ce plan de soutien doivent permettre aux États-Unis de réduire leurs émissions de 42 % d’ici à 2030, mais ils doivent surtout assurer l’émergence d’une industrie verte puissante, assise sur des chaînes d’approvisionnement relocalisées et capable de prendre la tête de la course mondiale aux technologies propres.

Avec ses exigences de localisation du contenu et de l’assemblage des produits subventionnés, l’IRA envoie un message extrêmement clair : les fonds publics américains ne profiteront qu’au made in America.

Ce faisant, les États-Unis s’offrent un avantage comparatif considérable dans l’un des rares domaines industriels, celui des technologies bas-carbone, dans lequel l’Europe peut se prévaloir d’une avance certaine. Ce domaine sera, rappelons-le, la clé de voûte de l’industrie mondiale de demain. Il transformera des secteurs entiers aussi rapidement qu’il créera de nouveaux marchés.

Au moment où nos industries subissent une explosion des prix de l’énergie, qui épargne leurs concurrentes américaines, l’IRA pourrait bien leur porter un coup fatal. Alors que les écarts de compétitivité ne cessent de se creuser, le risque de délocalisation vers les États-Unis devient en effet systémique. Les décisions d’investissement annoncées ces derniers mois par plusieurs grands groupes américains comme européens attestent d’ailleurs de la réalité de cette menace.

Selon la Première ministre, le plan américain pourrait, à court terme, faire perdre 10 milliards d’euros d’investissement à la France et compromettre quelque 10 000 créations d’emploi.

Le défi est immense d’un point de vue économique, mais aussi conceptuel, car il souligne les profondes différences d’approche entre les deux rives de l’Atlantique.

Tout d’abord, parce que là où l’Europe, avec le Green Deal, conçoit sa politique environnementale en imposant des standards et des normes, les États-Unis, avec l’IRA, mettent en œuvre une politique industrielle offensive.

Ensuite, parce que les Américains abordent le défi de la transition écologique comme ils l’ont toujours fait : avec pour seule boussole la défense de leurs intérêts économiques. Ne nous leurrons pas : dans cette perspective, l’Europe n’entre à aucun moment en ligne de compte.

Enfin, parce que, avec l’IRA, les États-Unis prennent de nouveau leurs distances avec les principes du libre-échange et les règles de l’OMC, alors qu’ils constituent le cœur de la doctrine économique de l’Union européenne.

Nous ne devrions toutefois pas être surpris que les Américains usent d’un protectionnisme assumé. Ils le pratiquent, au gré de leurs intérêts, depuis au moins un siècle. N’oublions pas que le Buy American Act est en vigueur depuis 1933 !

L’Europe doit aujourd’hui regarder toutes ces réalités en face et réagir. Bien sûr, les discussions entamées avec les autorités américaines sur l’IRA peuvent être utilement poursuivies. Il semblerait même qu’elles aient produit de premiers résultats encourageants. Tant mieux, mais il semble clair que si des ajustements sont obtenus, ils ne le seront qu’à la marge.

De même, la saisine de l’OMC reste une option à envisager. Gardons toutefois à l’esprit qu’elle n’offrira aucune solution rapide, a fortiori compte tenu de la situation de blocage dans laquelle se trouve l’organe de règlement des différends, précisément du fait des États-Unis.

C’est donc avant tout par ses propres moyens que l’Europe doit répliquer aux distorsions de concurrence. Une chose est sûre : pour répondre aux Américains, pour réussir sa transition verte et numérique et pour rester une terre de production, il faudra qu’elle soit en capacité d’attirer des investissements et donc d’envoyer les bons signaux.

L’annonce d’aides d’État plus simples, plus rapides et ciblées sur l’ensemble de la chaîne de valeur est ainsi une inflexion de doctrine qui va dans le bon sens et qui pourrait d’ailleurs être étendue à d’autres pans de la politique de concurrence.

Attention toutefois à ne pas déstabiliser le marché unique par des volumes de subventions qui seraient trop disparates selon les États membres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Commission proposera de créer en complément un fonds de souveraineté européen.

Selon Thierry Breton, 350 milliards d’euros devraient être mobilisés pour soutenir les projets industriels structurants. L’idée est évidemment séduisante, mais la question de son financement reste entière, en particulier s’il devait être proposé d’émettre une nouvelle dette commune.

Les oppositions de principe seraient alors nombreuses et nourries par le fait que, à ce jour, l’Europe ne sait toujours pas précisément comment elle remboursera son plan de relance.

D’autres pistes de réflexion, plus techniques, sont également sur la table. On le voit néanmoins, l’Union cherche encore le bon calibrage pour faire face à l’IRA et, plus largement, pour bâtir enfin une politique industrielle commune efficace.

Elle devra pourtant faire vite. À cet égard, le sommet européen des deux prochains jours ne devra pas déboucher sur des mesures a minima. Il doit surtout être l’occasion pour les Européens de pousser plus loin leur réflexion, car, pour donner un nouvel élan à notre industrie, d’autres leviers structurels doivent être actionnés.

Je pense notamment à l’environnement réglementaire des entreprises, qui reste trop complexe et contraignant, au développement des compétences, qui font trop souvent défaut aux industries et, bien sûr, aux prix de l’énergie, pour lesquels nous attendons encore et toujours une réforme efficace du marché européen de l’électricité.

Avant tout, l’Union européenne doit adapter son logiciel de pensée. Face aux grandes mutations de l’économie mondiale, face à la déliquescence du multilatéralisme commercial, face aux stratégies développées par les États-Unis et par tant d’autres, à commencer par la Chine, pour protéger et favoriser leurs entreprises, notre continent ne peut rester sans réaction. Il devra, tôt ou tard, se résoudre à jouer à armes égales avec ses concurrents.

Quelques avancées ont eu lieu pour établir un cadre stratégique de soutien au développement industriel, par exemple la mise en œuvre des projets importants d’intérêt européen commun. Mais, pour que les leaders industriels apparaissent ou se maintiennent dans les secteurs stratégiques de demain, l’Europe devra faire de la réciprocité le maître mot de sa stratégie économique et commerciale.

Dès lors, elle ne doit plus s’interdire de renouer avec le concept de préférence communautaire. À l’instar de ce que prévoit l’IRA, l’Union et ses États doivent pouvoir imposer dans leurs programmes de subventions des exigences en termes de localisation des approvisionnements et de production. De même, comme les États-Unis le font dans le Buy American Act, les États de l’Union doivent pouvoir réserver une part de leur commande publique aux entreprises produisant en Europe.

À rebours des politiques menées ces dernières décennies, c’est donc une véritable stratégie du made in Europe qu’il faut développer pour conforter la base industrielle de l’Union.

En renforçant l’arsenal de ses outils de défense commerciale, en adoptant un instrument antisubventions « distorsives », en améliorant le contrôle des investissements étrangers dans les actifs stratégiques ou en modifiant enfin son regard sur la concurrence internationale, notamment chinoise, l’Europe a montré ces dernières années qu’elle savait évoluer.

Elle doit désormais dépasser un cap, pour ne pas passer à côté des nouveaux marchés des nouvelles technologies qui ne cessent d’éclore, pour ne pas être évincée par des concurrents déterminés et conquérants, pour ne pas être la variable d’ajustement de la mondialisation.

En d’autres termes, elle ne peut, selon la formule de Sigmar Gabriel, rester un herbivore dans un monde de carnivores. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur Rapin, permettez-moi de clarifier quelques points sur le volet des subventions.

Puisque les chiffres qui ont été publiés par la Commission font l’objet de nombreux débats, je rappelle que les 670 milliards d’euros d’aides d’État en question se rapportent à des paiements qui ont été autorisés, mais qui n’ont pas été déboursés.

Comme nous l’avons vu lors d’épisodes précédents, certains pays annoncent de grands moyens pour, finalement, n’en consommer qu’une partie, comme ce fut le cas, par exemple, pendant la crise du covid, au cours de laquelle France et Allemagne ont soutenu leurs entreprises et leurs ménages pour des montants équivalents. Rapportés au nombre d’habitants, ces montants ont toutefois été inférieurs aux sommes qu’ont mobilisées la Finlande ou le Danemark. Gardons cela en tête.

Comme l’ont souligné plusieurs orateurs, il est important de s’assurer que tous les pays puissent soutenir leurs entreprises dans le cadre de la stratégie industrielle européenne parce que les chaînes de production industrielle traversent toute l’Europe. Que serait une voiture sans, par exemple, le système de changement de vitesse fabriqué dans un pays n’offrant pas d’aides d’État ?

Il faut donc trouver l’équilibre entre aides d’État et flexibilité de l’utilisation des fonds de cohésion et des plans de résilience. Ces derniers doivent permettre à l’ensemble des pays de l’Union européenne de soutenir leurs entreprises de façon stratégique.

J’ajoute, monsieur le sénateur, que le projet de la Commission qui sera discuté demain et après-demain par les chefs d’État et de gouvernement prévoit d’ouvrir plus largement les Piiec que vous avez mentionnés aux petites et moyennes entreprises. Comme vous le savez, ce n’est pas exactement le cas aujourd’hui.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la richesse de ce débat sur la réponse européenne aux mesures protectionnistes américaines. Il intervient à point nommé, puisque cette question sera au cœur des discussions des chefs d’État et de gouvernement, qui se réunissent demain et après-demain à Bruxelles.

Cette question est majeure dans la mesure où ce qui est en jeu, c’est précisément la capacité de l’Union européenne à s’assumer comme une puissance industrielle et commerciale à part entière. Cette ambition est au cœur de l’action du Président de la République en vue d’une Europe plus forte, plus résiliente et plus souveraine.

Non seulement nous sommes à un tournant majeur, mais encore nous faisons face à un triple défi, d’une ampleur exceptionnelle : il nous faut nous adapter rapidement aux transitions écologique et numérique, réduire nos dépendances stratégiques et, enfin, bénéficier de conditions de concurrence équitables.

Comme nombre d’entre vous l’ont rappelé, ces conditions sont loin d’être réunies, tant les pratiques « distorsives » de nos partenaires font peser sur l’Europe des risques réels sur les plans économique et industriel. Tel était, bien évidemment, l’objet de la visite du président Macron, puis de celle de Bruno Le Maire et de son homologue allemand, hier, aux États-Unis.

Si nous entendons poursuivre les discussions avec les Américains au sujet d’éventuelles exemptions, le ressort est à chercher davantage chez nous, au sein de l’Union européenne.

La question est donc : qu’allons-nous faire en Europe ?

Nous voulons d’abord mettre sur pied un plan d’urgence pour envoyer un signal très clair aux entreprises européennes et leur donner de la visibilité. Tel est bien l’objet du projet de plan industriel vert, qui sera présenté par la Commission aux chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen de demain et après-demain.

Nous soutenons ce plan, parce que nous y trouvons beaucoup d’éléments nécessaires à nos yeux pour préserver et même accroître la compétitivité de l’industrie européenne.

À cet effet, nous devons d’abord sélectionner des secteurs stratégiques. Après le règlement sur les composants électroniques – le Chips Act –, nous devons à présent adopter deux autres textes majeurs : une nouvelle législation destinée à assurer à l’Europe un approvisionnement en matières premières critiques – le Critical Raw Materials Act – et un nouveau cadre réglementaire pour l’industrie à zéro émission – le Net-Zero Industry Act –, qui doit fixer des objectifs capacitaires – vous demandiez un plan, mesdames messieurs les sénateurs ! – d’ici à 2030.

Nous devons également – c’est le deuxième volet de notre stratégie – simplifier drastiquement notre environnement réglementaire. Cela signifie non pas abandonner les régulations, mais les rendre claires, simples et faciles à mettre en œuvre.

Nous appelons donc à un choc de modernisation et de simplification des aides d’État, à une réduction à quatre mois des délais d’instruction des projets importants d’intérêt économique commun et à une réforme du marché de l’électricité.

Enfin, nous devons envisager l’adaptation de la commande publique européenne aux enjeux de notre politique industrielle.

Le troisième volet de notre stratégie consiste à mobiliser les investissements nécessaires. Nous aurons bien sûr besoin de capitaux privés, mais aussi de capitaux publics européens.

À cet égard, il est important de distinguer deux horizons. À court terme, nous avons besoin d’un redéploiement des fonds et, à moyen terme, d’une réponse structurelle au travers de la mise en place d’un fonds de souveraineté.

La politique commerciale, enfin, constitue le dernier volet de cette stratégie. Elle implique la mobilisation d’instruments autonomes et de défense commerciale qui soient à la fois protecteurs, dissuasifs et, j’ajouterai, assertifs : finie la naïveté, nous allons être offensifs ! Je pense en particulier à la protection du marché intérieur contre les subventions massives et les pratiques commerciales déloyales des États-Unis ou de la Chine.

Autant le dire sans ambiguïté et avec beaucoup de clarté : la préparation du Conseil européen a fait apparaître des clivages parmi les États membres, mais, comme vous le savez, le Conseil a précisément pour objet de favoriser le dialogue, les discussions et les négociations, en vue d’arriver à une position commune. C’est ce que nous ferons demain.

J’ajoute que personne ne veut d’une guerre commerciale, surtout dans le contexte actuel du conflit en Ukraine. En revanche, il ne faut pas que l’Union européenne soit une variable d’ajustement ; nous continuerons donc de nous battre contre cela et contre ce plan américain.

Ce paquet ambitieux combinera des flexibilités raisonnables en matière d’aides d’État, une accélération ainsi qu’une simplification de la politique industrielle et des négociations avec les États-Unis. Vous pouvez compter sur nous pour faire avancer une politique industrielle européenne digne de ce nom. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat d’actualité sur le thème : " Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? "


source http://www.senat.fr, le 20 février 2023