Interview de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à RMC le 15 février 2023, sur les zones à faibles émissions.

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Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Monsieur le Ministre de la Transition écologique, Christophe BECHU, bonjour.

CHRISTOPHE BECHU
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci d’être dans ce studio de RMC, pour répondre à mes questions, mais pas seulement à mes questions, aussi aux questions du président de la Métropole de Lyon. La Métropole de Lyon, métropole écolo, qui annonce donc aujourd’hui que l’interdiction de circulation des véhicules les plus polluants, va être repoussée finalement de 2 ans. Le président de la métropole, Bruno BERNARD, a un message pour vous. Ecoutez.

BRUNO BERNARD, PRESIDENT DE LA METROPOLE DE LYON
Il y a la communication nationale, et les mises en place des radars, maintenant, au plus vite. Et puis c’est surtout des politiques d’accompagnement et l’alternative à la voiture individuelle. Nous avons besoin de nouvelles ressources, pour les transports en commun. Donc c'est un travail de fond, et je dis au ministre BECHU, qu’il est naturellement le bienvenu à Lyon, au plus vite, pour que nous puissions en discuter.

APOLLINE DE MALHERBE
Il estime que les aides et les accompagnements proposés par l’Etat ne sont pas suffisants, et que donc ils ne sont pas en mesure de demander aux habitants de la métropole de Lyon, de laisser au garage les véhicules les plus polluants. Que répondez-vous ?

CHRISTOPHE BECHU
D’abord, je vais être ravi d’aller à Lyon et de discuter avec le président de la métropole. Je veux juste qu’on se rappelle deux choses. Il n’y a pas un matin un technocrate qui s’est levé dans ce pays, en se disant : tiens, comment est-ce qu’on pourrait emmerder les Français ? On n’a qu’à imaginer un nouveau truc, avec les zones à faibles émissions. Les zones à faibles émissions, ça existe depuis plus de 20 ans. Et il y a 270 villes en Europe qui les appliquent. Pourquoi ? Parce que tout le monde sait que la pollution atmosphérique, elle tue, et le chiffre pour l’année 2021, c'est 47 000 morts. 47 000 morts en France. Vous, moi, sur ce plateau, en moyenne c'est entre 15 et 24 mois de perte d’espérance de vie, des Français, liée à cette pollution atmosphérique. Si on considère qu’il faut les protéger, il faut prendre des mesures contre cette pollution.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais enfin, là c’est un maire écolo, c’est un président de métropole écolo.

CHRISTOPHE BECHU
Ça c'est le premier…

APOLLINE DE MALHERBE
C’est ça le comble.

CHRISTOPHE BECHU
Mais, le comble c’est quoi ? C’est que vous en avez un certain nombre, qui à partir de ce dispositif de zones à faibles émissions, prévu par une loi, en 2019, rappelée d’aller plus loin, ont décidé d’aller plus loin que la loi. Lyon, ce que le président de la Métropole explique hier, c’est qu’il va modifier, pas le calendrier de l’Etat, son calendrier, dans lequel il avait dit : " Moi, parce que je suis plus écolo que les autres, je vais aller encore plus vite ". Pourquoi est-ce que le calendrier de l’Etat, c'est un calendrier qui est plus raisonnable et parfois moins brutal que ce qui est…

APOLLINE DE MALHERBE
C’est quoi le calendrier de l’Etat ?

CHRISTOPHE BECHU
Il est très simple. D'abord, il s'applique aux zones dans lesquelles on dépasse les seuils de pollution atmosphérique. Je le dis, parce qu'on entend dire que toutes les villes de France vont avoir l'obligation de prendre des mesures. Il y a une obligation de qualité de l'air, si votre air est sain, vous n'avez pas l’obligation de durcir les règles, et donc quand j'entends les fake news disant que toutes les villes de plus de 150 000 habitants, dans 3 ans interdiront toutes les voitures diesel, c'est faux, ça dépendra de la pollution atmosphérique. On a trois villes aujourd'hui, pour lesquelles on a été condamné à nouveau en octobre dernier : Paris, Lyon, Marseille, et on en a qui sont à la limite de ces seuils, et donc là…

APOLLINE DE MALHERBE
Et qui en ce moment même d'ailleurs, Lyon est en alerte pollution, Marseille également, qui a une circulation alternée aujourd’hui.

CHRISTOPHE BECHU
Bordeaux, un certain nombre de villes. Et donc très concrètement, pour celles-là, les voitures de plus de 20 ans, Crit’Air 5, au 1e janvier 2023, elles et elles seulement font l'objet d'une interdiction. 1e janvier 2024, les Crit’Air 4, 1e janvier 2025 les Crit’Air 3. A Lyon, ils avaient dit : on va même prendre des Crit’Air 2, c'est-à-dire des voitures y compris récentes et parfois non diesel, et on les interdira à partir du 1e janvier 2026.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc en gros, c'est leur faute, quoi, ils ont su faire du zèle…

CHRISTOPHE BECHU
Exactement, ils sont en train de se rendre compte que ce zèle il n'est pas possible techniquement, parce que les voitures il faut les produire, et si pour changer de voiture il faut massivement qu'on achète des voitures chinoises, ce que l’on va gagner en pollution évitée ici, on va le générer ailleurs dans le monde, donc…

APOLLINE DE MALHERBE
Qui aujourd’hui sont les seuls à proposer des voitures électriques bon marché.

CHRISTOPHE BECHU
Il faut un calendrier qui soit raisonnable, qui tienne compte de la mutation dont on a besoin au titre de l'industrie automobile, qui soit partagé et expliqué vis-à-vis des gens, et des mesures à côté, qu'on construit avec les maires, et c'est même la raison pour laquelle, depuis le début du mois de janvier j'ai confié au président de la Métropole de Toulouse et à une des vice-présidentes de la Métropole de Strasbourg, le fait de me faire des propositions en juin sur qu'est-ce qu'on peut faire pour améliorer le dispositif.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais Christophe BECHU, il y a déjà des villes qui avaient anticipé, c'est le cas de Toulouse par exemple, il y a 11 métropoles en France qui ont déjà engagé la ZFE.

CHRISTOPHE BECHU
Exactement.

APOLLINE DE MALHERBE
On a eu tout à l’heure Rémy qui nous a appelés, il était 06h40, il nous a appelés alors qu'il l'habite à 30 km du centre de Toulouse, il nous a raconté sa situation, qui paraissait quand même absurde. Rémy, il a un diabétologue, il est suivi par un diabétologue régulièrement. Ce diabétologue à dans le centre de Toulouse. Pour s'y rendre il a donc besoin de rentrer dans la zone à faibles émissions. Il y avait une voiture polluante, il a donc dû changer, ne serait-ce que pour pouvoir aller, avoir accès à son spécialiste, ça lui a coûté 24 000 €, et encore il a trouvé une voiture électrique d'occasion. Tout le monde n'a pas 24 000 € pour pouvoir se déplacer. Ce n’est pas possible.

CHRISTOPHE BECHU
On n’est bien accord, mais il faut remettre les choses à leur place.

APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais est-ce que vous n’avez pas mis la charrue avant les boeufs ?

CHRISTOPHE BECHU
En l'espèce, ça n'est pas le gouvernement qui a mis la charrue avant les boeufs. Ce que je vous dis, c'est que la France a été condamnée par le Conseil d'Etat, par la Cour européenne. On a des obligations de montrer qu'on bouge sur ces sujets de pollution atmosphérique. C'est ce que nous faisons. Et les maires ensuite ont la main pour mettre en place les dispositifs. A Toulouse, c'est un bon exemple, parce que Jean-Luc MOUDENC a décidé que pendant 3 ans, toutes les semaines, des véhicules y compris qui ne respectent pas les Crit’Air, pourraient une fois par semaine se rendre à l'intérieur de la zone à faibles émissions.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, enfin, il faut quand même, sur une diabétologue, alors là vous mélangez deux problèmes, qui est aussi celui des déserts médicaux. Il faut quand même que votre diabétologue, pour reprendre l'exemple de Rémy, soit dispo pile ce jour-là, au bon moment, que vous puissiez y aller…

CHRISTOPHE BECHU
Non.

APOLLINE DE MALHERBE
Eh bien si, si c’est une fois par semaine.

CHRISTOPHE BECHU
Mais non, la fois de la semaine que vous choisissez.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc, vous concentrez tout, le diabétologue, le pédiatre de votre fille.

CHRISTOPHE BECHU
Ce que je veux dire, c'est que dans cette discussion, il y a juste des gens qui n'ont pas la parole, c'est les victimes de bronchiolites et d'asthme, qui, ceux-là, à cause des voitures polluantes, parce que s'il a été obligé de changer de véhicule, c'est vraisemblablement parce qu'il avait un véhicule plus de 20 ans, compte tenu du fait qu'aujourd'hui il n'y a que les Crit’Air 5 qui sont interdits à Toulouse, qui eux se retrouvent dans des services de réanimation, avec des difficultés respiratoires, parce qu’on ne prend pas les mesures qui nous permettent d'aller modifier cette loi. Il y a un reste à charge…

APOLLINE DE MALHERBE
Sauf que le problème, c’est qu’on … à marche forcée, qui est au fond dénoncé par les écolos eux-mêmes, puisque c'est un maire écolo, je le rappelle, à Lyon, qui prend cette décision donc de repousser le moment de mise en application de sa ZFE. Ça ne marche pas. C'est-à-dire qu’aujourd'hui on se retrouve en effet avec un problème aussi de pouvoir d'achat. Quand vous avez pris également la décision, qui est une décision européenne, je le précise, d'interdire la vente de véhicules thermiques en 2035, 2035 c'est demain, aurons-nous les moyens, les Français auront-ils les moyens d'ici 2035 de changer de voiture ?

CHRISTOPHE BECHU
Madame de MALHERBE, la politique ce n’est pas seulement faire ce qui est possible, c'est aussi à un moment de savoir ce qui est nécessaire. Ça fait des années et des mois…

APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais il y a ce qui est nécessaire et il y a aussi ce qui est réaliste.

CHRISTOPHE BECHU
… qu’on explique qu'on a, de manière réaliste, un réchauffement climatique, qui fait que si on n'accélère pas la sortie des énergies fossiles, les conditions d'habitabilité sur notre planète, les larmes qu'on est en train de pleurer sur les sécheresses, sur les difficultés, sur les incidents qui se produisent, mais aussi sur les désastres, parce que tout est lié, y compris les inondations qu'on a au Pakistan, la réalité de tout ça. On ne peut pas à la fois dire « c'est dramatique, il faut qu'on bouge, il faut qu’on agisse », et de l’autre, à chaque fois qu'il y a une mesure qui est à prendre, dire " c'est trop rapide " ou " ce n’est pas possible ". Je vais vous dire quelque chose de très clair : la transformation à l’électrique, c'est une nécessité pour sortir du fossile. Garder le fossile, ça veut dire accepter d'exploser les températures que nous avons décidées pourtant collectivement dans le cadre des Accords de Paris de respecter, ce sera provoquer de la surmortalité, ce sera rendre une partie de notre territoire invivable, et là les histoires qu'on se racontera sur votre plateau, sera ceux qui se retrouvent dans des difficultés humaines de santé, d’écologie, qui sont considérables.

APOLLINE DE MALHERBE
La question n’est pas de remettre en cause cela, et j'imagine qu'en aucun cas les écolos de Lyon ne remettent en cause ce constat…

CHRISTOPHE BECHU
Non mais vous avez dit quelque chose de très juste…

APOLLINE DE MALHERBE
… maintenant, la question c’est les aides, et…

CHRISTOPHE BECHU
Vous avez dit quelque chose de très juste, c'est que si on veut, si on va trop vite et si sous couvert de radicalisme pour montrer qu'on fait les trucs à tout prix, on va trop loin, ça se retourne contre la transition écologique.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais enfin, la vraie question, c’est quand même les aides. Vous en êtes où de la voiture à 100 €, la voiture électrique à 100 € par mois ?

CHRISTOPHE BECHU
La mesure va se mettre en place avant la fin de cette année, pour une raison simple c'est qu’il y a un enjeu, ce sont les millions d'emplois qu'il y a dans l'industrie automobile, et toute la stratégie, c'est que ces aides elles permettent d'aller soutenir l'industrie européenne de l'automobile et donc que l’on ne mette pas en place la mesure de leasing, avant d'avoir des mesures européennes.

APOLLINE DE MALHERBE
Christophe BECHU, vous nous dites qu'avant la fin 2023, les Français, beaucoup de Français, peu de Français, auront accès à cette voiture à 100 € par mois, cette voiture électrique ?

CHRISTOPHE BECHU
Avant la fin de l'année, le paramétrage de la mesure, le fait d’en dessiner les contours, d'expliquer la manière dont elle va se mettre en place…

APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais ça, les Français ils s'en fichent de ce qui se passe dans les bureaux de Bercy, ils veulent savoir si eux, vont pouvoir avoir une voiture dans leur garage, une voiture à 100 €.

CHRISTOPHE BECHU
Madame de MALHERBE, le sujet c'est comment on fait la transition écologique, pas contre les emplois. Vous essayez, tous les matins, précisément, de faire appel à l'intelligence des auditeurs en montrant que les choses sont parfois plus complexes que ce qu'elles semblent être. La fin de la voiture thermique…

APOLLINE DE MALHERBE
Là c’est une question très importante. Aujourd'hui le gouvernement dit : je fais les retraites, parce que c'était une promesse électorale. Il y avait une autre promesse électorale, que je vous rappelle, qui était la mise en place de la voiture électrique à 100 € par mois.

CHRISTOPHE BECHU
Cette promesse sera tenue, nous sommes en train…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais quand ?

CHRISTOPHE BECHU
On est en ce moment en train de…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc vous nous dites, avant la fin de l’année elle sera calculée. Mais, quand est-ce qu'elle rentrera en application ?

CHRISTOPHE BECHU
Nous sommes en train de travailler à son application, avec deux obsessions. La première, qui est évidemment celle de tenir la promesse du président de la République, la deuxième c'est qu'elle profite à l’industrie automobile européenne, et qu'on ne se retrouve pas massivement à aller subventionner, au travers de cette mesure, des voitures qui seraient fabriquées au bout du monde. C'est juste ça. Mais il n’est pas question d’y dérober, la question…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc en bref, vous avez fait une belle promesse, mais vous n’avez pas les moyens de la tenir.

CHRISTOPHE BECHU
Mais si. On est juste en train de faire en sorte que cette promesse elle profite à l'industrie automobile européenne. Parce que, que seraient les commentaires…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc, tant qu’il n’y aura pas, le problème c'est que vous êtes pris en tenailles, entre en effet les fabricants européens et les habitants, à qui vous dites : « Eh bien, tant qu'il n’y a pas une Zoé, quand il n’y en a pas suffisamment, des voitures électriques françaises ou européennes, qu'on puisse vous mettre à disposition avec ces 100 €, vous n'aurez pas de voiture électrique à 100 € ».

CHRISTOPHE BECHU
Je ne dis pas ça. Je dis qu'il faut qu'on fasse les deux mouvements. On ne peut pas avoir une transition écologique qui se fait sans tenir compte des emplois, sans tenir compte de la valeur ajoutée concrète, et qu'on ne peut pas utiliser de l'argent public pour aller subventionner des voitures qui sont faites au bout du monde, en faisant preuve de naïveté sur les conditions sociales et sur le dumping environnemental d'autres pays. Et il faut qu'on arrive à concilier les deux. Alors, c'est plus compliqué à expliquer, mais c'est le seul moyen d'avoir une transition qui soit juste, qui soit solidaire parce qu'on va cibler les aides sur ceux qui en ont le plus besoin, et qui en même temps soit responsable, pour qu'elle ne se fasse pas contre l'industrie. Parce que la vérité, c'est que la réindustrialisation du pays c'est une partie de la réponse à la transition écologique que nous vivons. Et si on a des écolos qui commencent à sortir de postures et de discours radicaux, c'est qu'on progresse et qu'on va dans le bon sens.

APOLLINE DE MALHERBE
Christophe BECHU, ministre de la Transition écologique, merci d'avoir répondu à mes questions.

CHRISTOPHE BECHU
Merci à vous.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 20 février 2023