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Q - A la fin 2023, la communauté internationale va célébrer le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Or cette universalité est fortement battue en brèche par la Chine et la Russie, notamment au Conseil des droits de l'homme. La France voit-elle un compromis possible ou estime-t-elle qu'on ne peut transiger sur l'universalité ?
R - Les droits de l'Homme sont universels. Ce n'est pas une question de points de vue, mais une question de droit. Les Etats ont souscrit librement à un certain nombre de textes internationaux qui les garantissent pour tous, et posent ce faisant le principe de leur universalité.
Il n'y a lieu ni de se résigner ou ni de transiger. Ces droits ne correspondent pas à des valeurs occidentales. Ils sont au fondement de la dignité humaine. Ils fondent notre humanité commune.
Les droits de l'Homme sont un socle indivisible. Il ne peut y avoir d'un côté les droits civils et politiques et de l'autre les droits économiques et sociaux. Ils ne sont pas en concurrence. Au contraire, leur réalisation va de pair. Les uns ne peuvent primer sur les autres.
Q - Quelle est la voie à suivre pour traduire Vladimir Poutine et son régime en justice pour les crimes de guerre et contre l'humanité commis en Ukraine ?
R - Cela fait plus d'un an que la Russie mène une guerre illégale, injustifiée et injustifiable. Plus d'un an qu'elle commet des exactions telles que la Cour pénale internationale a lancé des enquêtes pour crimes de guerre et crimes contre l'Humanité. Ses forces armées bombardent, pillent, violent, torturent, massacrent des civils de manière systématique et généralisée. Hôpitaux, écoles, maternités, infrastructures civiles sont régulièrement visés au plus grand mépris des conventions de Genève. La Russie déplace de force des enfants ukrainiens, dans la négation la plus complète de leur identité et de leurs liens familiaux. C'est une atrocité qui s'ajoute aux horreurs déjà citées.
Ces crimes ne peuvent pas rester impunis. Auteurs et commanditaires devront rendre des comptes devant la justice. Pour cela, il est essentiel de récolter toutes les preuves possibles sur le terrain et documenter ces exactions, c'est pourquoi la France a envoyé, dans les jours qui ont suivi le terrible massacre de Boutcha, une équipe d'enquêteurs mobiles et d'expertise médico-légale. Plusieurs équipes d'enquêteurs français se sont depuis succédé en Ukraine et nous avons donné à Kiev un laboratoire ADN mobile. Un second arrive le mois prochain. Une cellule spéciale de dix enquêteurs été constituée au sein de l'office chargé des crimes contre l'humanité (OCLCH). A l'ONU, le conseil des Droits de l'Homme a voté la création d'une commission d'enquête internationale sur les violations des droits de l'Homme et du droit international en Ukraine. Tous ces efforts visent à soutenir le travail indispensable de la Cour Pénale internationale et des tribunaux compétents qui seront chargés de juger ces crimes.
La lutte contre l'impunité est indispensable. La justice doit être rendue pour le peuple ukrainien, pour toutes les victimes, pour que ces crimes ne se reproduisent plus et parce que sans justice, il ne peut y avoir de paix durable.
Q - Au vu de ce qui se passe sur sol européen en Ukraine, ne serait-il pas temps pour la France et l'UE de vraiment s'atteler à la création d'une défense commune européenne ?
R - C'est un effort que nous avons engagé de longue date, je vous renvoie au discours prononcé par le Président de la République à la Sorbonne en septembre 2017. Les progrès que l'Europe a fait sur les questions de sécurité et de défense au cours des dernières années, surtout depuis le 24 février dernier, sont majeurs. On peut parler d'un véritable réveil stratégique et il s'agit de ce point de vue de l'un des marqueurs forts de l'échec, pour Vladimir Poutine, de l'agression qu'il a lancée contre l'Ukraine.
Mais il faut aller plus loin, les défis communs auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés nous y obligent. Lors de la conférence sur la sécurité de Munich qui s'est tenue du 17 au 19 février, le président Emmanuel Macron l'a évoqué très clairement en lançant un appel aux Européens à réinvestir massivement dans notre système de défense.
La France a d'ailleurs annoncé son intention d'augmenter son budget dans sa loi de programmation militaire portant notre budget à 400 milliards d'euros pour la période 2024-2030, soit 100 milliards de plus que pour la période précédente.
Mais se réarmer ne suffit pas. Il faut aussi renforcer notre base industrielle pour accélérer notre capacité à produire des armes sur le sol européen.
C'est pourquoi le président a appelé ses partenaires européens à adopter avant l'été un programme européen d'investissement de défense. Cela va dans le sens de votre question. Si nous voulons la paix sur notre continent, nous devons nous en donner les moyens.
Q - Le Forum de la paix de Paris s'affirme depuis sa création. Est-il en concurrence avec la Genève internationale ?
R - Il n'y a aucune concurrence. Au contraire : il y a une complémentarité appréciée et assumée. C'est la même méthode, collective, pour le règlement des crises et des défis globaux, que nous appliquons.
Le Forum de Paris pour la Paix existe depuis 2018. Il a été créé pour apporter des réponses concrètes et opérationnelles sur le terrain. C'est essentiellement une plateforme de projets. Genève étant un centre éminent pour le multilatéralisme, il est naturel et légitime que les organisations genevoises soient associées au Forum. C'est le cas chaque année : elles viennent rapporter la réalité, souvent très dure, des terrains de crises, faire émerger des idées et des solutions, pour un multilatéralisme plus fort et donc une Genève Internationale toujours plus visible.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2023