Interview de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à RTL, le 2 mars 2023, sur l'examen du projet de loi de réforme des retraites, la suppression des régimes spéciaux, la proposition de surcôte de 5 % pour les mères de familles et la mobilisation contre ce projet.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BÉGOT
Olivier DUSSOPT, la réforme des retraites arrive donc en débats aujourd'hui au Sénat, ça sera cet après-midi, en commission les sénateurs se sont mis d'accord sur une surcote pour les mères de famille, une surcote de 5 %, dès 63 ans, pour toutes celles qui ont une carrière complète et au moins deux enfants, vous y êtes favorable ?

OLIVIER DUSSOPT
C'est une mesure qui va dans le bon sens et sur laquelle nous travaillons avec les sénateurs pour voir comment dans sa rédaction elle peut être le plus opérationnelle possible. Mais quel est l'objectif derrière cette mesure ? c'est d'apporter une réponse aux mères de famille, souvent on dit aux femmes, mais en réalité il s'agit des mères de famille, qui bénéficient, parce que c'est la loi, que c'est ainsi prévu, de trimestres de cotisation validés du fait de la maternité, et qui grâce à ces trimestres validés, quand elles ont travaillé toute leur vie, ou quasiment toute leur vie, arrivent à la durée de cotisation minimum, c'est-à-dire aujourd'hui 42 ans, demain 43 ans, avant l'âge légal.

AMANDINE BÉGOT
L'idée c'est de compenser l'inégalité de la perte de l'avantage de certains trimestres ?

OLIVIER DUSSOPT
Depuis plus de 20 ans l'âge légal a tendance à augmenter, nous sommes passés de 60 à 62 ans, puis maintenant nous allons vers 64 ans, et cette augmentation de l'âge légal, tout comme l'augmentation de la durée de cotisation qui a été votée en 2013, a pour effet de neutraliser le bénéfice de ces trimestres validés et octroyés à l'occasion d'une maternité. Disons qu'avec le système proposé par le Sénat il y a deux aspects qui nous semblent favorables, pour des femmes qui ont des carrières hachées, c'est-à-dire une carrière pas tout à fait complète, avec un risque de décote, ces trimestres de maternité permettent d'éviter la décote, comme ils étaient pensés initialement, et pour celles qui sont de plus en plus nombreuses, et c'est tant mieux, qui ont une carrière complète malgré, ou en parallèle si je puis dire, de la maternité, ça permet d'avoir une majoration pour les trimestres cotisés entre 63 et 64 ans.

AMANDINE BÉGOT
Vous reconnaissez donc, Olivier DUSSOPT, que cette réforme, votre réforme, elle pénalisait plus les femmes que les hommes ?

OLIVIER DUSSOPT
Non, parce que j'ai eu l'occasion de le dire sur votre antenne, lorsqu'on regarde les prévisions, en 2030, quelles que soient les mesures prises par le Sénat ou par l'Assemblée, en 2030 l'âge effectif, l'âge constaté, de départ des femmes, est inférieur à celui des hommes, et c'est un changement qui est profond, parce que pendant des décennies les femmes avaient des carrières moins complètes, plus exposées à la précarité, plus exposées aux interruptions, et partaient plus âgées que les hommes, nous sommes actuellement dans une période où l'âge effectif de départ est sensiblement le même et progressivement l'âge effectif de départ des femmes va être moins important que celui des hommes.

AMANDINE BÉGOT
Sauf que si on met en place une surcote justement, et vous le disiez, c'est pour réparer cette injustice, c'est bien qu'il y avait quand même un petit souci au départ.

OLIVIER DUSSOPT
Il y a deux volontés. La volonté du gouvernement est d'accompagner cette disposition parce que ça permet justement de garder un intérêt à des trimestres octroyés au titre de la maternité, et la volonté de la majorité sénatoriale, et notamment du groupe LR qui porte cette mesure-là, est d'encourager, d'une certaine manière, la natalité, les politiques familiales.

AMANDINE BÉGOT
Autre amendement adopté en commission, la création d'un CDI spécial seniors, exonéré de cotisations sociales pour favoriser l'emploi des seniors au chômage, ça aussi vous approuvez ?

OLIVIER DUSSOPT
Nous sommes un peu plus réservés sur ce sujet-là car avec la Première ministre nous n'avons pas considéré initialement que les exonérations de cotisations, puisque c'est l'objectif de ce contrat, était le meilleur moyen pour l'emploi des seniors, ceci étant le Sénat a travaillé sur cette mesure et prévoit dans sa mise en œuvre, cela fait partie des discussions, que nous puissions mettre en œuvre cette mesure spécifique pour les Françaises et les Français âgés de plus de 60 ans, qui seraient recrutés en contrat à durée indéterminée, après 60 ans, et jusqu'à leur départ à la retraite, et le Sénat envisage, la majorité sénatoriale en tout cas, de dire que cette création de nouveaux contrats, de nouveaux types de contrats, viendrait après une concertation avec les organisations syndicales et patronales, et c'est un point qui est important parce que la nature des contrats de travail relève du code du travail, de la première partie du code du travail, et doit être accompagnée, doit même être précédée d'une concertation avec les partenaire sociaux.

AMANDINE BÉGOT
En revanche, et là c'est moins clair, sur les régimes spéciaux. Pour l'instant pas d'amendement, en tout cas adopté en commission, sur la suppression des régimes spéciaux comme le demandaient les Républicains, ils souhaitaient en fait la suppression de ce qu'on appelle "la clause du grand-père", on va rappeler ce que c'est aux auditeurs, c'est-à-dire que la réforme s'applique à tous et pas seulement aux nouveaux embauchés. Dimanche, chez nos confrères de BFM TV, vous aviez dit Olivier DUSSOPT "pourquoi pas", et puis hier Olivier VÉRAN lui a fermé la porte, "on ne change pas les règles du jeu en cours de route", a dit le porte-parole du gouvernement, pourquoi, vous avez peur de mettre le feu aux poudres avant la manifestation de mardi ?

OLIVIER DUSSOPT
Entre temps, entre dimanche et hier, les intentions du groupe des Républicains au Sénat ont été clarifiées et effectivement les amendements, les projets d'amendements qui sont envisagés, visent à revenir sur "la clause de grand-père", "la clause de grand-père" c'est dire qu'à partir du 1er septembre 2023, c'est ainsi qu'est écrite la loi, les nouveaux embauchés auront un régime d'assurance vieillesse, un régime de retraite, comme tout le monde, au régime général, mais c'est de dire aussi que ceux qui travaillent aujourd'hui dans les entreprises qui ont un régime spécial, le gardent, parce qu'ils ont signé un contrat de travail au moment où ce régime était proposé et donc on ne revient pas sur le contrat social.

AMANDINE BÉGOT
Mais quand vous dites pourquoi pas dimanche, vous dites pourquoi pas…

OLIVIER DUSSOPT
Parce qu'on ne savait pas qu'elle était exactement l'intention du groupe Républicains, revenir sur "la clause de grand-père" n'est pas ce que souhaite le gouvernement, nous avons dit depuis le début de cette réforme que nous souhaitons respecter le contrat social et donc faire en sorte que ceux qui bénéficient aujourd'hui d'un régime spécial puissent en bénéficier jusqu'à la fin de leur carrière…

AMANDINE BÉGOT
Vous ne vous êtes pas fait taper sur les doigts entre temps, en disant attention…

OLIVIER DUSSOPT
Non, ça ne marche pas tout à fait comme ça au gouvernement.

AMANDINE BÉGOT
Non, mais il y a cette manifestation de mardi prochain, elle vous inquiète d'ailleurs cette manifestation ?

OLIVIER DUSSOPT
J'ai coutume de dire que je ne fais pas la météo du climat social, du dialogue social, manifester, mobiliser, faire grève, cela fait partie des droits, des organisations syndicales, des partenaires sociaux, nous devons y être attentifs, nous avons aussi dit, répété, que si nous sommes dans un pays qui permet cette expression de démocratie sociale, de messages, nous ne souhaitons pas de blocages parce que les blocages évidemment sont pénalisants pour tout le monde.

AMANDINE BÉGOT
"Mettre le pays à l'arrêt c'est prendre le risque d'une catastrophe écologique, agricole, sanitaire, voire humaine dans quelques mois, mettre le pays à l'arrêt ce serait négliger la santé de nos enfants, rater le train du futur" ça c'est ce qu'a dit hier Olivier VÉRAN le porte-parole du gouvernement. Pardonnez-moi l'expression, mais il ne pousse pas un peu là Olivier VÉRAN ?

OLIVIER DUSSOPT
Je crois que ce qu'Olivier a voulu dire dans son expression hier, c'est que nous sommes dans un moment de notre histoire, de notre histoire économique, de notre histoire sociale, après le Covid, face à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique, dans un moment d'inflation, où bloquer le pays n'aurait pas de bonnes conséquences pour l'économie, et ça rejoint ce que je disais il y a un instant, les désaccords, les manifestations, l'expression d'une opposition, tout ça est légitime, tout ça est normal, mais nous considérons que ça peut être fait sans bloquer le pays.

AMANDINE BÉGOT
Les débats, on l'a tous vu, ont été très agités, tendus à l'Assemblée, on se souvient de ces insultes, ces invectives à répétition, on vous a vu aussi marqué physiquement, avec un peu de recul quel regard vous portez sur toute cette séquence à l'Assemblée, est-ce que vous avez des regrets par exemple ?

OLIVIER DUSSOPT
Des regrets et un peu de consternation. Il y a un regret, mais j'espère que le Sénat nous permettra de le corriger, c'est que pendant ces 10 jours de débats à l'Assemblée nationale nous n'avons quasiment pas parlé de retraite en réalité.

AMANDINE BÉGOT
Mais vous ne regrettez pas certains mots, vous, de votre part ?

OLIVIER DUSSOPT
Si vous me demandez si on peut faire mieux, la réponse est oui, parce qu'on peut toujours faire mieux, mais nous sommes, quand on regarde ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, nous avons un texte qui fait une vingtaine d'articles, et nous avons passé 10 jours à l'Assemblée sur les deux premiers, uniquement les deux premiers, et avec, de manière un peu étonnante, une partie gauche de l'hémicycle qui a voté contre les outils qui permettent d'améliorer l'emploi des seniors, mais nous avons vu que deux articles parce que la coalition autour de la France insoumise avait déposé plus de 20.000 amendements. Imaginez, parce qu'il faut quand même avoir cela en tête, que le dernier vendredi, le dernier jour de débats, entre 15h et 19h, la France insoumise a défendu le même amendement à 68 reprises, ce n'est pas un débat, c'est un monologue, c'est une répétition, et ça empêche d'entrer dans le fond du sujet, et je pense même que cette obstruction de la France insoumise n'avait qu'un but, c'était de cacher la division de la coalition autour de la France insoumise, parce que vous avez Monsieur MELENCHON qui dit la retraite à 60 ans pour tout le monde, ça coûte 90 milliards d'euros par an, bon courage pour les trouver, vous avez Monsieur FAIRE qui dit ok pour la retraite à 60 ans, mais avec 43 annuités, ça s'appelle une machine à décote, une machine à pauvreté et à petites pensions, et en fait leur obstruction cachait leurs divisions.

AMANDINE BÉGOT
Olivier DUSSOPT, cette réforme en tout cas elle intéresse les Français, on a eu beaucoup de questions d'auditeurs, je vous propose d'abord d'écouter Eric autour de la question des 1200 euros qui a fait beaucoup débat.

ERIC
Ma question est simple, la réforme 1200 euros, qui devait concerner tout le monde, concernera définitivement combien de personnes, est-ce que vous pourriez nous donner le chiffre exact et très précis ? Merci.

AMANDINE BÉGOT
Alors, on nous a d'abord dit 1,8 million, puis 40.000, cette semaine vous avez dit 20.000, 20.000 au mieux, entre 10 et 20.000 c'est combien ?

OLIVIER DUSSOPT
Alors revenons…

AMANDINE BÉGOT
On a très peu de temps…

OLIVIER DUSSOPT
Revenons à l'engagement, l'engagement du président de la République c'est 85 % du SMIC, soit 1200 euros, pour une carrière complète, 42 années de cotisations au SMIC. Qu'est-ce que cette réforme va faire ? elle va permettre de relever les petites pensions, nous l'appliquons aux retraités actuels et aux nouveaux retraités.

AMANDINE BÉGOT
Mais combien de personnes vont arriver aux 1200 euros ?

OLIVIER DUSSOPT
Pour les retraités actuels, sur 17 millions de retraités, 1,8 million vont avoir une augmentation de leur pension, et sur ces 1,8 million la moitié, soit 900.000, auront une augmentation de 70 à 100 euros, et sur les nouveaux retraités, il y a 800.000 nouveaux retraités par an, 200.000 auront une pension meilleure grâce à cette réforme… Vous avez parmi ces nouveaux retraités des personnes qui vont avoir 100 euros d'augmentation, parce que leur carrière, d'autres qui auront moins parce que c'est proportionnel…

AMANDINE BÉGOT
Combien sur les 1200 euros ?

OLIVIER DUSSOPT
A 1200 euros, chaque année ?

AMANDINE BÉGOT
Entre 10 et 20.000, c'est ça ?

OLIVIER DUSSOPT
Non, 40.000 de plus, mais ce que j'ai précisé, dans une réponse à un député socialiste, c'est que nous avons un double mouvement, c'est très compliqué, très technique.

AMANDINE BÉGOT
C'est très compliqué et très technique, franchement on n'y comprend plus rien et on se demande sincèrement…

OLIVIER DUSSOPT
Mais nous avons…

AMANDINE BÉGOT
Olivier DUSSOPT, pardon, mais on se demande si vous aviez anticipé ça, franchement.

OLIVIER DUSSOPT
Oui, évidemment oui, nous savons la complexité. Nous avons fait un choix, pardon c'est…

AMANDINE BÉGOT
Donc c'est 40.000 personnes qui vont avoir ces 1200 euros, c'est ce que vous nous dites, pourquoi avoir dit c'est 20.000 hier ?

OLIVIER DUSSOPT
C'est 40.000 personnes qui vont passer le cap des 1200 euros, dont 20.000 le passent par le seul effet de la réforme, mais le plus important, parce que nous sommes sur des carrières complètes, des choses extrêmement techniques, le plus important c'est que sur les 17 millions de retraités français, 1,8 million vont avoir une augmentation, et sur les 800.000 nouveaux retraités par an, 1 sur 4 aura une meilleure retraite grâce à cela, et on parle de petites pensions. Quand j'entends la gauche, au Sénat hier, m'expliquer que ce n'est pas important, que ce n'est pas suffisant, ça veut dire…

AMANDINE BÉGOT
Ce chiffrage, pardonnez-moi, il n'a pas été fait avant, vous n'avez pas manqué d'anticipation, de préparation, ou alors vous avez menti ? je ne sais pas, je vous pose la question.

OLIVIER DUSSOPT
Ni l'un, ni l'autre, nous savons où nous allons, et, je le répète, on parle de Françaises et de Français…

AMANDINE BÉGOT
Bien sûr.

OLIVIER DUSSOPT
Qui ont des retraites à 800, 900, 950 euros, quand j'entends une partie de la gauche m'expliquer que 70, 80, 90 euros d'augmentation ce n'est pas important, alors qu'on parle de gens qui ont des retraites à 800 ou 900 euros, je pense qu'ils sont déconnectés, et donc nous avons 1,8 million retraités, aujourd'hui, qui vont voir leur pension augmenter et nous avons 1 retraité sur 4, chaque année, qui aura une pension meilleure, grâce à cette réforme, que sans la réforme.

AMANDINE BÉGOT
Toute dernière question. Je vous demandais tout à l'heure si vous n'aviez pas de regrets, en marge de ces débats à l'Assemblée vous avez salué l'attitude de Marine LE PEN qui vous a apporté son soutien publiquement lorsque vous avez été traité d'assassin par un député LFI, dans une interview au journal "Le Monde", vous dites ce week-end "elle a été bien plus républicaine que beaucoup d'autres dans ces moments-là", "républicaine", le mot en a surpris, choqué certains.

OLIVIER DUSSOPT
D'abord ce n'était pas une interview, c'était un commentaire sur une séquence particulière…

AMANDINE BÉGOT
C'est une citation…

OLIVIER DUSSOPT
Et je parle d'un moment particulier. Au moment où un député de la France insoumise a osé de me traiter d'assassin, que ce soit moi ou un autre ministre ça n'a pas d'importance, il y a eu un incident de séance, et dans les différents rappels au règlement, le rappel au règlement fait par Marine LE PEN comme présidente de son groupe, a été parfaitement correct et elle a condamné les insultes dans l'hémicycle, ce qui n'a pas été le cas de tous les présidents de gauche.

AMANDINE BÉGOT
Merci beaucoup Olivier DUSSOPT.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 mars 2023