Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les droits des femmes dans le monde, à Paris le 8 mars 2023.

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Circonstance : Journée internationale des droits des femmes

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames les ambassadrices, Messieurs les ambassadeurs,
Madame la Secrétaire générale,


Merci à toutes et à tous d'être présents. Je vous remercie d'être venus en nombre aujourd'hui pour célébrer une journée importante, parce que le 8 mars est toujours, pour nous tous, une journée importante, c'est la journée internationale des droits des femmes. Une journée, selon moi, je ne manque jamais de le dire, pardon de ce rituel, une journée qui mériterait d'être célébrée 365 jours par an, peut-être même 366, les années bissextiles. C'est l'ambition de notre diplomatie féministe, que je voudrais aujourd'hui définir en quelques mots devant vous. Encore une fois merci d'être là, les unes et les autres.

La diplomatie féministe, c'est intégrer la promotion des droits des femmes dans nos toutes premières priorités. C'est prendre l'engagement d'agir pour défendre ces droits partout dans le monde. Agir chaque jour et durablement. Agir sans jamais se résigner.

Agir pour les droits des femmes exige en premier lieu que nous soyons à l'écoute de celles et ceux qui les défendent courageusement. Mais peut-être d'abord de celles. Je reviens du G20 en Inde, que j'ai prolongé par une visite bilatérale, qui m'a permis entres autres choses d'échanger avec des femmes indiennes remarquables, venant de toutes les composantes de la société. Je l'avais récemment fait au Brésil ou en Côte d'Ivoire. Je m'efforce de le faire à chacun de mes déplacements, si je le peux. J'y apprends toujours beaucoup de choses. Et s'enrichir de ces expériences doit devenir le quotidien de toutes nos ambassades.

Nous devons aussi partager nos expériences et nos bonnes pratiques avec les pays qui sont, comme nous, engagés dans des diplomaties féministes. Ils ne sont pas si nombreux que cela à avoir une diplomatie féministe, à la revendiquer, l'exposer, c'est une chose récente. La France était le quatrième pays à s'en doter, en 2018, sous l'impulsion de mon prédécesseur, Jean-Yves Le Drian, auquel je veux rendre hommage pour cela, et pour tant d'autres choses ; nous l'avons fait après la Suède, le Canada et le Luxembourg. Nous sommes donc assez peu nombreux. Il y a aujourd'hui un peu plus de monde : nous sommes douze pays au total à le faire. C'est pour cela que je propose que les douze pays ayant annoncé qu'ils portaient une diplomatie féministe se retrouvent pour une réunion d'échanges et de débats, dédiée, d'ici la fin de cette année 2023. Nous verrons où, ce peut être à Paris, ou ce peut être ailleurs si nous nous retrouvons ailleurs.

Agir pour les droits des femmes, c'est aussi condamner avec la plus grande fermeté les violences intolérables qui sont infligées trop souvent aux femmes et lutter contre l'impunité. Le viol est un crime. Pardon de devoir rappeler une chose aussi simple. Le viol est un crime. Et tous ceux qui le commettent devront rendre des comptes. C'est le cas pour les troupes russes en Ukraine, qui violent, vous le savez, mais non seulement qui violent, mais qui utilisent le viol comme arme de guerre, et c'est le cas aussi pour leurs commanditaires, qui commettent des crimes de guerre et de façon systématique, cela s'appelle des crimes contre l'humanité. Il faut donc que la justice soit faite et nous soutenons le travail de la Cour pénale internationale et des juridictions ukrainiennes compétentes en ce sens. Nous échangeons régulièrement avec l'Ukraine, je le fais à mon niveau, d'autres aussi, avec l'Ukraine mais bien sûr avec nos partenaires également sur les moyens les plus efficaces de parvenir à lutter contre l'impunité. Notre soutien se traduit aussi par des formations spécifiques de policiers et de magistrats ukrainiens. Nous soutenons enfin directement les femmes ukrainiennes, en finançant à hauteur de 4 millions d'euros le soutien du FNUAP aux femmes ukrainiennes victimes de violences sexuelles et les femmes ukrainiennes réfugiées. J'ai décidé que la France ajouterait une aide aux policiers ukrainiens qui enquêtent sur les viols et augmenterait également sa contribution au fonds global pour les survivantes, créé avec notre appui par Nadia Murad et le Docteur Mukwege, avec une dotation supplémentaire et immédiate pour ce fonds de 2 millions d'euros pour venir en aide aux survivantes ukrainiennes.

J'entends par ailleurs renforcer notre pression collective et pousser à l'adoption de sanctions ciblées contre les responsables et contre les auteurs de ces violences sexuelles. Nous l'avons fait à 27, dans le cadre européen, le 24 février dernier, lors de notre dernier Conseil, et nous venons de le faire, encore hier, contre douze individus et entités russes, iraniens, syriens, sud-soudanais, birmans et talibans qui sont responsables de violations multiples des droits de l'Homme et des droits des femmes, qui en font intégralement partie, faut-il le rappeler.

Agir pour leurs droits, c'est dire notre admiration pour ce que le Docteur Mukwege appelle "la force des femmes", la force de celles qui survivent, la force de celles qui résistent, la force de celles qui risquent leur vie pour leurs droits et pour la liberté. C'est aussi récompenser leur immense courage. Et je veux penser, et vous avec moi, si vous le voulez bien, à Mahsa Amini, à laquelle j'ai pu décerner, avec la ministre allemande Annalena Baerbock, le prix franco-allemand des droits de l'Homme à titre posthume. Je pense aussi à toutes celles et tous ceux qui défendent les droits de l'Homme et la liberté en Iran et ailleurs. Je pense aussi aux femmes et aux filles en Afghanistan, qui subissent l'ignoble politique de ségrégation imposée par les Talibans et sont ainsi peu à peu effacées de la vie publique et des espaces publics, de l'école, de l'université, et même désormais de l'action humanitaire au bénéfice pourtant de la population afghane. Nous soutenons ces femmes et ces filles par plusieurs canaux, notamment pour des programmes de santé.

Agir pour les droits des femmes, c'est leur apporter un soutien concret. La France le fait notamment à travers le Fonds de soutien aux organisations féministes de 120 millions d'euros, que nous allons pérenniser et dont nous allons renforcer l'efficacité. La France accueille aussi des femmes engagées pour les droits et la liberté grâce à l'initiative Marianne, que vous connaissez désormais, qui permet à une quinzaine de défenseurs des droits de l'Homme de séjourner en France, pour une longue durée, une durée d'un an, et d'y développer leur propre projet. J'ai eu beaucoup de plaisir à recevoir la première promotion, juste avant son départ, des femmes qui avaient non seulement de la ténacité, de la volonté, qui avaient souvent subi des épreuves, mais qui avaient le sourire. Et leur force vitale m'a impressionnée. La deuxième promotion est arrivée en France depuis janvier dernier, et j'aurai la chance et l'honneur d'échanger avec plusieurs d'entre elles, tout à l'heure, lors de notre table ronde. Vous pourrez aussi, si vous ne l'avez fait, regarder les très belles photos qui sont exposées à la fois sur les grilles du Quai d'Orsay, pour un petit moment, et dans le salon de l'Horloge, plus temporairement, juste à côté, vous l'avez traversé en venant, ces photos sont là pour leur rendre hommage. Et je veux leur rendre hommage, et remercier notre ambassadrice pour les droits de l'Homme Delphine Borione, le préfet Alain Régnier, et Laura Loheac, la présidente de l'association Marianne de tout leur travail sur ce projet, pour les identifier, les faire venir, aider au développement de leur projet personnel. Une très belle expérience, une expérience réussie. Donc merci, Madame l'Ambassadrice.

Agir pour les droits des femmes, c'est aussi permettre aux femmes de faire le droit. Depuis la conférence de Pékin de 1995, la participation des femmes à la vie politique s'est accrue, trop peu, nous le savons, mais elle s'est accrue. Donc il faut poursuivre dans cette direction. Les progrès restent très insuffisants, nous le voyons toutes et j'espère aussi, Messieurs, que vous le voyez, ces progrès sont insuffisants et dans certains pays plusieurs secteurs et processus de décision restent entièrement fermés aux femmes. Le Secrétaire général des Nations unies voit la perspective de l'égalité réelle plutôt s'éloigner que se rapprocher, à un point tel qu'avant-hier, il disait qu'elle pourrait être à, si nous continuons à ce rythme, dans 300 petites années. Cela me semble beaucoup, et dépasser en tout cas mon espérance de vie. Donc agissons plus vite. Nous devons accélérer nos efforts. C'est l'intérêt de tous et je voudrais par cette réunion ou par d'autres, par les efforts que vous porterez vous-mêmes, que l'on s'emploie davantage à faire comprendre que l'égalité entre les femmes et les hommes, c'est bien pour tout le monde. C'est bien pour les femmes, mais c'est bien pour les hommes aussi, c'est bien pour la société. Et je fais partie des personnes idéalistes qui pensent qu'un monde où les femmes et les hommes seraient plus égales serait un monde plus harmonieux. Voilà pourquoi je vous dis que chacun en bénéficierait.

Une diplomatie féministe est aussi une diplomatie qui fait place aux femmes et qui assure l'égalité d'accès aux postes à responsabilité, comme cela se pratique désormais. Nous sommes quatre ministres, - ministre délégué et secrétaires d'Etat- dans ce ministère. Sur quatre, nous sommes trois femmes. Donc je dirais que c'est un bon début. Il ne faudrait pas que nous exagérions, mais les choses n'ont pas mal démarré. Pour ce qui concerne le ministère, au-delà de ses ministres, la Haute fonctionnaire pour l'égalité, Michèle Ramis, veille au respect, attentivement devrais-je dire, au respect de ce principe au sein du ministère. Elle a raison et je l'en remercie. Une diplomatie féministe, c'est aussi l'efficacité de la lutte contre le sexisme, contre les stéréotypes et contre le harcèlement sexuel au travail.

Agir pour les droits des femmes, c'est avant tout les faire respecter chez nous. Je lancerai tout à l'heure le programme Tremplin, aux côtés de Roxanne Varza, directrice de la station F. Ce programme doit permettre aux femmes diplomates, talentueuses, méritantes, de ce ministère, il y en a beaucoup, de se projeter dans la prise de responsabilité. Parfois elles hésitent à le faire. Il faut oser le faire. Et voilà pourquoi nous avons cette petite incitation qui va j'espère éclairer quelques esprits. Nous devons, nous le savons, briser les plafonds de verre, briser quelques clichés, mais aussi oser. Trop souvent, nous, femmes, nous ne le faisons pas.


Mesdames et Messieurs,

Même si nous devons, bien sûr, poursuivre sans relâche nos efforts pour faire encore mieux et encore plus, je crois que nous n'avons pas à rougir de notre bilan.

Le Président de la République, il le rappelait, ce matin, en Conseil des ministres, a fait de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de ses deux quinquennats et, au-delà de nos frontières, il a fait de la France un champion de la promotion des droits des femmes. En 2019, c'est ainsi qu'il a placé ce sujet tout en haut de l'agenda du G7 sous présidence française du sommet de Biarritz. J'ai parlé du fonds de Nadia Murad, que j'avais reçue ici avec beaucoup d'émotion le 11 novembre dernier, et du Docteur Mukwege, deux lauréats du Prix Nobel de la Paix, j'aurais pu citer aussi nos efforts pour les femmes entrepreneures en Afrique, ou tant d'autres choses. Jamais avant la tenue en 2021 du Forum Génération Egalité, organisé avec le Mexique et ONU Femmes, dont notre ambassadrice spécialement nommée pour cette initiative assure le suivi, jamais la France n'avait accueilli un événement de portée mondiale sur le sujet. C'est une belle chose que nous l'ayons fait. Ce forum a permis de former des coalitions internationales, mais aussi de mobiliser d'autres pays, de mobiliser des engagements, nous en sommes à environ 40 milliards d'euros d'engagements, ce n'est pas rien. Nous avons aussi fait de notre aide au développement un instrument pour l'égalité femmes / hommes, beaucoup d'entre vous le savent, d'autres pas encore : presque 50% des financements de l'Agence Française de Développement doivent servir cet objectif de promotion de l'égalité femmes/hommes, qui est inscrit dans la loi d'orientation d'août 2021. Cet objectif de 50% est destiné à augmenter.

Le Quai d'Orsay entend jouer pleinement son rôle de chef de file interministériel pour mettre en oeuvre cette politique et pour rendre compte régulièrement de son action, au Parlement, auprès de la société civile et auprès de vous, si vous êtes intéressés.

Quelques mots sur ce qui nous attend, les grandes échéances diplomatiques à venir : la France accueillera en 2024 le sommet de la francophonie, un moment majeur, évidemment, mais qui doit être aussi le début d'un dialogue continu entre les organisations féministes francophones. Nous devrions le faire, c'est parfois fait, mais il faut vraiment le systématiser. Je vais demander à nos ambassades d'oeuvrer dès à présent en ce sens et d'identifier les organisations concernées sur le terrain, pour que nous puissions mener ce travail en coordination étroite, évidemment, avec l'Organisation internationale de la francophonie, de façon à aboutir en 2024 à une coalition de bonnes volontés qui là aussi servira, je pense, l'intérêt général.

Je le disais : les droits des femmes doivent être défendus partout. Partout, chez nous, au-delà de nos frontières, mais aussi dans tous les domaines. C'est le cas de l'environnement numérique. Les efforts que nous avons déployés pour mieux protéger les enfants en ligne, et je crois que vous avez vu les gros efforts que la France a faits, tout récemment, doivent nous inspirer pour agir aussi en faveur des libertés et des droits des femmes dans cet espace qui, quoique virtuel, est alimenté par un certain nombre de biais, nous le savons tous, et qui véhicule en particulier des violences bien réelles contre les femmes. C'est pour cela qu'un travail a été lancé au sein de mon ministère pour mettre fin au harcèlement en ligne et mieux favoriser la liberté d'expression des femmes sur internet. Nous porterons le sujet aux Nations unies et au sein de l'Union européenne. L'environnement numérique et les quelques dangers qui accompagnent les progrès qu'il représente ne sont pas les seules menaces à prendre en compte.

Le changement climatique et l'insécurité alimentaire, deux fléaux préexistants à la guerre russe en Ukraine, mais largement aggravée par l'agression russe en Ukraine, pèsent de manière disproportionnée sur les femmes. Ce que je dis n'est pas une pétition de principe ; c'est hélas la réalité. Dans le monde, par exemple, 70% des travailleurs agricoles sont encore aujourd'hui des travailleuses. La désertification, le dessèchement des terres, la raréfaction des ressources en eau les affectent donc directement et plus que les hommes. Je veillerai à ce que cet aspect soit pris en compte chaque fois que cela est pertinent, y compris lors de la prochaine COP28 à Dubaï. Et vous y veillerez avec nous, Madame la Directrice.


Mesdames et Messieurs,

Je pourrais continuer longtemps, mais je voudrais vous parler d'un dernier sujet, sensible, sujet sur lequel on ne peut pas faire de concessions. Il y a des sujets sur lesquels nous ne devons pas faire de concession. C'est le cas du droit à l'avortement et plus largement du droit qui s'attache à la santé et aux droits sexuels et reproductifs. Partout dans le monde, partout dans le monde, nous pensons que les femmes doivent avoir le droit de disposer de leur corps. Et, selon l'Organisation Mondiale de la Santé, une femme meurt toutes les deux minutes dans le monde des complications de sa grossesse. Des femmes sont aussi violentées, battues et parfois tuées. La France s'est âprement battue contre ces phénomènes, et je dois ajouter, parfois contre ces reculs, parce qu'on voit des reculs dans ce domaine. Elle le fait aux Nations unies, elle le fait auprès de ses partenaires, y compris auprès de ses partenaires les plus proches, ici, en Europe, et je ne citerais le nom d'aucun pays, mais vous pouvez penser à un ou deux d'entre eux. Pour que nous soyons parfaitement en ordre de bataille et efficaces, je suis heureuse de présenter aujourd'hui notre nouvelle stratégie internationale de la France pour la santé et les droits sexuels et reproductifs, mise en ligne aujourd'hui, peut-être l'est-elle déjà, au moment où je m'exprime. C'est une stratégie qui n'est pas seulement celle de ce ministère, elle a été conçue en consultant largement, notamment les organisations de la société civile, que je veux ici remercier pour cela, leur aide a été précieuse, tout comme leur engagement quotidien qui est indispensable à notre action collective. Nous n'avons pas attendu de publier cette stratégie pour agir concrètement. Nous avons déjà sensiblement augmenté nos contributions financières, notamment via le FNUAP, dont la directrice exécutive est aujourd'hui parmi nous, Madame, je vous salue à nouveau.

Ces contributions, pardon de parler de chiffres, mais il le faut aussi, parce que l'action le demande, atteignent 400 millions d'euros pour l'éducation complète à la sexualité, l'accès aux produits contraceptifs et l'avortement légal, sûr et médicalisé.

Voilà quelques-unes de nos actions, quelques-unes aussi de nos actions nouvelles. Parce que j'ai voulu non seulement vous faire le bilan de ce qu'est la diplomatie féministe de la France, depuis quelques années, mais aussi de ce que nous avons lancé, cette année. Il y a un petit dépliant qui vous résume les nouvelles actions. J'en suis assez fière, ne m'attribuant aucun mérite, autre que celui d'avoir pu relayer ce que mon ministère avait bien voulu me présenter, me proposer, et mettre en forme. Voilà l'essentiel, néanmoins, et avant que nous procédions à la remise du prix Simone Veil à Mme Morena Herrera, fondatrice et présidente Groupement citoyen pour la dépénalisation de l'avortement au Salvador, un combat qui l'honore et que nous partageons, je voulais vous dire en quelques mots ce que nous voulons et ce que nous faisons, fidèles à la tradition de notre pays, et je devrais dire à la vocation de notre pays, de promouvoir partout les droits et libertés.


Je vous remercie.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2023