Interview de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le site "Le Point.fr" le 8 mars 2023, sur la diplomatie féministe.

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Média : Le Point

Texte intégral

Q - Qu'est-ce que la diplomatie féministe ?

R - C'est un concept essentiel qui signifie que nous élevons la promotion des droits des femmes au rang de priorité, que nous l'intégrons dans toutes les actions de politique étrangère de la France et que notre pays s'engage à agir pour défendre les droits des femmes partout dans le monde.

Ce concept concerne tous les domaines de notre action : la réduction des inégalités et le développement durable, puisque nous consacrons 50% de notre aide publique au développement, via l'Agence française de développement, à des actions ayant un impact sur l'égalité femmes-hommes, les enjeux de paix et de sécurité où nous promouvons le rôle des femmes dans la résolution des conflits armés, mais aussi la santé.

Comme le disait Simone Veil, il suffit souvent d'une crise pour que les droits des femmes reculent. Le paysage international n'est que trop marqué par les crises et, qu'il s'agisse de la pandémie de Covid, de la crise alimentaire ou de l'urgence climatique, les femmes sont les premières victimes et leurs droits ne sont jamais acquis. Nous nous battons donc pied à pied contre ces reculs, notamment contre les menaces qui pèsent sur le droit à l'avortement, aux Nations unies, auprès de nos partenaires, y compris les plus proches.

Nous défendons et promouvons les droits des femmes, qui, je le rappelle, font partie intégrante des droits de l'homme, dans un contexte international où, malheureusement, ces droits sont gravement remis en cause. Tous ces aspects sont couverts par la stratégie internationale de la France pour l'égalité entre les femmes et les hommes, que tous nos diplomates à travers le monde sont chargés de déployer activement. Je lance une nouvelle stratégie sur la santé et les droits sexuels et reproductifs et nous y consacrerons 400 millions d'euros pour la période 2021-2025.

Q - Pouvez-vous donner des exemples concrets ?

R - L'égalité femmes-hommes est une grande cause des deux mandats du président de la République. Sa traduction internationale a donc été au coeur de l'agenda international de la France : nous avons, par exemple, coprésidé avec le Mexique et les Nations unies une initiative majeure, le Forum Génération Egalité, qui a permis de débloquer plus de 40 milliards de dollars de financements inédits et de recueillir plus de 1.000 engagements pour soutenir un plan mondial d'accélération pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

Nous avons aussi élevé l'égalité femmes-hommes au rang de priorité du G7 lors du sommet de Biarritz, avec le lancement et le soutien au Fonds mondial pour les survivantes de violences sexuelles dans les conflits créé par le docteur Mukwege et Nadia Murad ou encore la promotion de l'entrepreneuriat féminin en Afrique avec l'initiative Afawa, qui facilite l'accès au crédit des femmes entrepreneuses et que la France soutient à hauteur de 125 millions de dollars. Sous la présidence française du Conseil de l'Union européenne, nous avons également fait aboutir des négociations bloquées depuis des années sur l'égalité en matière salariale dans l'Union européenne ou l'obligation de représentation des femmes dans les conseils d'administration : autant d'avancées extrêmement concrètes pour nos concitoyennes européennes.

Nous soutenons concrètement les femmes qui risquent leur vie pour la liberté et la défense des droits fondamentaux. Nous avons lancé le Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF), doté de 120 millions d'euros, pour appuyer leurs initiatives à travers le monde. Nous pérenniserons notre soutien financier et réformerons ce fonds. Le programme Marianne permet par ailleurs d'accueillir en France chaque année, pour plusieurs mois, une quinzaine de défenseurs des droits de l'homme, issus de tous les continents.

Q - Quels pays sont leaders dans ce domaine ?

R - Ce concept de diplomatie féministe n'existait pas il y a dix ans. La France a annoncé qu'elle mènerait une diplomatie féministe dès 2018, à l'instar de la Suède, du Canada et du Luxembourg. Depuis, onze pays nous ont rejoints, comme l'Allemagne récemment, et j'ai eu l'occasion de m'exprimer aux côtés de mon homologue Annalena Baerbock à de nombreuses reprises sur ces sujets. La France travaille à élargir les coalitions d'acteurs favorables à l'égalité femmes-hommes : je mentionnais le Mexique, avec qui nous avons étroitement travaillé, ou encore le G7, mais nous poursuivons aussi ce travail au niveau européen ou dans le cadre du G20. Que ce soit en Inde ou au Brésil, j'ai eu l'occasion ces dernières semaines de rencontrer des acteurs de terrain engagés sur ces questions. Je rassemblerai en 2023 les onze autres pays ayant annoncé qu'ils portaient une diplomatie féministe pour que nous puissions coordonner cette action internationale.

Q - Quelle place pour la diplomatie féministe dans les grandes questions géopolitiques actuelles, comme la guerre en Ukraine, la montée de la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis ou le nucléaire iranien ?

R - La France plaide en faveur des droits des femmes dans les grandes enceintes multilatérales et de la reconnaissance de leur rôle dans la résolution des conflits. C'est ce que l'on appelle l'agenda "Femmes, paix et sécurité", que la France porte au Conseil de sécurité des Nations unies. Nous avons ainsi fait adopter des résolutions qui appellent les Etats à renforcer la protection des femmes et des filles pendant les conflits et à renforcer la participation des femmes dans les opérations de maintien de la paix, aux négociations de paix et aux processus décisionnels, dont elles sont trop souvent absentes. Nous devons aller plus loin et je souhaite que l'ONU nomme une ou un émissaire pour accélérer les progrès.

Agir pour les droits des femmes, c'est évidemment condamner avec la plus grande fermeté les violences intolérables qui leur sont infligées dans le cadre de ces conflits et lutter contre l'impunité des auteurs de crimes, notamment sexuels. Les troupes russes en Ukraine utilisent le viol comme arme de guerre. Nous soutenons les femmes ukrainiennes victimes de violences sexuelles et les femmes ukrainiennes réfugiées : cela passe par un financement à hauteur de 4 millions d'euros du fonds dédié de l'ONU, le FNUAP, mais aussi par un appui de la France aux policiers ukrainiens qui enquêtent sur les viols. Ce soutien, nous l'apportons, quel que soit le conflit, via notre contribution au Fonds mondial pour les survivantes. J'ai d'ailleurs décidé que nous augmenterions notre aide à ce fonds afin de soutenir les femmes ukrainiennes victimes de viols.

Mais les femmes ne sont pas seulement victimes des conflits. Elles sont des actrices essentielles de leur résolution et ne peuvent pas être laissées en dehors des processus de négociation ou de réconciliation. J'étais en Ethiopie en début d'année et c'est l'un des points que j'ai évoqués avec la présidente Sahle-Work Zewde, qui joue un rôle crucial pour appuyer la présence des femmes dans la mise en oeuvre de l'accord de paix signé à Pretoria en décembre 2022.

Q - Comment comptez-vous promouvoir cette politique à travers le monde ? Faut-il rompre avec les pays dans lesquels les femmes n'ont pas les mêmes droits que les hommes ?

R - Les droits des femmes doivent être défendus partout, et c'est ce que la diplomatie française s'attache à faire, particulièrement dans les pays où les droits des femmes sont menacés. La mobilisation de nos ambassades partout dans le monde est essentielle pour mener sur le terrain des actions au bénéfice des populations locales, en lien avec les acteurs et actrices de la société civile. Vous le savez, la France accueillera en 2024 le Sommet de la francophonie, un moment majeur qui doit être aussi le début d'un dialogue continu entre les organisations féministes francophones. J'ai demandé à nos ambassades d'oeuvrer dès à présent en ce sens en identifiant les organisations concernées sur le terrain, en lien avec l'Organisation internationale de la francophonie.

Q - Les représentants officiels de la France doivent-ils accepter de se voiler lorsqu'ils se rendent dans un pays qui l'exige ?

C'est une question délicate. Vous savez que certains dirigeants refusent de serrer la main d'une femme en public mais le font en privé lors d'audiences ! Plus sérieusement, pour faire avancer les débats, il faut respecter les règles de nos interlocuteurs. Cependant, il me semble que peu de pays exigent le port du voile à l'heure actuelle. J'étais récemment en Arabie saoudite, par exemple, et je n'ai pas eu de requête sur ce point.

Q - En France, les Affaires étrangères sont longtemps restées un domaine très masculin. Aujourd'hui encore, la plupart des ambassadeurs sont des hommes. Le Quai d'Orsay a-t-il lui aussi des progrès à faire dans ce domaine ?

R - La France peut être fière d'avoir fait bouger les choses à cet égard. Regardez les Etats de l'Union européenne : la France y comptait 50% d'ambassadrices au 1er janvier 2022. Le nombre de nos ambassadrices dans le monde était de 11% en 2011 ; il est aujourd'hui de 36%, avec notamment des femmes à la tête de nos ambassades à l'OTAN, à Londres, au Brésil, etc. L'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes constitue une priorité pour le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Il s'agit d'assurer l'égal accès des femmes et des hommes à l'emploi, mais aussi à la formation, à la mobilité, à la promotion et, bien sûr, à l'égalité salariale. Je veux que ce mouvement se poursuive. Je lance aujourd'hui le programme Tremplin, qui s'adresse aux femmes du ministère pour les accompagner vers des fonctions supérieures afin d'étoffer le nombre de candidates à ces postes, qui reste insuffisant.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2023