Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des Outre-mer, à RTL le 17 mars 2023, sur les incidents violents dans plusieurs villes de France et les actions prévues par les syndicats et les oppositions à l'Assemblée nationale après la décision du gouvernement d'utiliser le 49.3 pour la réforme des retraites.

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Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BEGOT
Bonjour Monsieur le Ministre.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

AMANDINE BEGOT
Et merci d'être avec nous ce matin sur RTL. La nuit a été courte, j’imagine.

GERALD DARMANIN
Oui, mais comme souvent au ministère de l’Intérieur, donc ça ne m’a pas beaucoup changé.

AMANDINE BEGOT
Gérald DARMANIN, on a vu ces manifestations hier soir, ces incidents aussi à Paris, mais dans plusieurs villes, Lyon, Bordeaux, Marseille, Lille ou encore Montpellier. Est-ce que ce 49.3 n’est pas en train de mettre le feu au pays ?

GERALD DARMANIN
Eh bien d’abord, je voudrais remercier les policiers et les gendarmes, qui toute la soirée et toute la nuit, alors qu’il n’y a pas eu – à ma connaissance – d’incidents graves, pas eu de blessés graves, il n’y a pas eu, malgré ces manifestations spontanées, de personnes évidemment qui sont mortes durant ces manifestations très difficiles. Je rappelle qu’il y a eu hier 258 interpellations à Paris, c'est beaucoup, et 310 si on prend la province, avec des effigies brûlées, avec des préfectures, j’allais dire, très contestées, pour ne pas dire parfois attaquées, avec des permanences d’élus…

AMANDINE BEGOT
Il y a eu des préfectures attaquées hier soir ?

GERALD DARMANIN
Il y a eu dans plusieurs grandes villes de province, une pression extrêmement forte, exercée contre les symboles de l’Etat, et aussi contre des permanences de parlementaires. Malgré…

AMANDINE BEGOT
Où ça ?

GERALD DARMANIN
Ça a été le cas à Albi, ça a été le cas à Marseille, ça a été le cas à Nantes, à Rennes, où les images sont particulièrement violentes. Ça a été évidemment le cas à Paris, près des lieux de pouvoir. Une manifestation Place de la Concorde, à deux pas de l’Elysée, à deux pas de l’Assemblée nationale, avec des manifestants qui voulaient traverser la Seine, ça rappelle des mauvais souvenirs. Donc moi, je voudrais d’abord remercier les policiers et les gendarmes d’avoir fait ce travail. Ensuite, le travail du ministre de l’Intérieur, c'est de garantir la liberté de manifestations. Je pense que depuis le début de cette réforme des retraites, on a vu que le ministère de l’Intérieur, que les préfets de la République, que les policiers et les gendarmes, ont su organiser, avec les syndicats, que je voudrais ici saluer, 8 grandes manifestations, et tout le monde a constaté dans le milieu journalistique, dans les commentaires, les syndicats eux-mêmes, qu’elles ont été bien organisées…

AMANDINE BEGOT
Sans incident, et les syndicats plusieurs fois ont remercié, d’ailleurs le préfet de police de Paris.

GERALD DARMANIN
Et le préfet de police de Paris a fait un travail formidable, les préfets de province ont fait un travail formidable également, puisqu’il y a eu beaucoup de manifestations en province, il y a eu 300 actions, à chaque fois qu’il y avait une manifestation. C’est grâce au nouveau schéma du maintien de l’ordre, c’est grâce aux policiers et aux gendarmes. Moi je souhaite que s’il y a encore des manifestations, il y en a une qui est annoncée par exemple jeudi, elle soit organisée dans des conditions qui soient conformes à l’état de droit.

AMANDINE BEGOT
Sauf que là, Gérald DARMANIN, on a l’impression qu’on a franchi un cap. Vous parliez de ces effigies, de ces poupées brûlées, à l’effigie du gouvernement, de plusieurs membres du gouvernement et d’Emmanuel MACRON, brûlées hier à Dijon, vous parliez de ces préfectures aussi qui ont été prises pour cibles. Est-ce que l’on n’a pas franchi un cap dans la colère, est-ce que ce 49.3 ne fais pas basculer le pays dans autre chose ?

GERALD DARMANIN
Je vais vous résumer ce que je pense. L’opposition, oui, elle est légitime, et les manifestations sont légitimes, même après effectivement le 49.3 qui sera évoqué lundi avec la motion de censure. Et le ministère de l’Intérieur sera là pour organiser et pour aider les manifestants à manifester aussi nombreux qu’ils veulent. Le bordel ou la bordelisation et la violence, non. Et là, le ministre de l’Intérieur…

AMANDINE BEGOT
Hier soir on était dans la bordelisation ?

GERALD DARMANIN
Oui, c'est d’ailleurs pour ça que très rapidement j’ai donné ordre aux préfets, singulièrement aux préfets de police, d’intervenir, d’évacuer la place de la Concorde et d’interpeler. Quand il y a 310 interpellations, alors qu’il n’y avait que quelques milliers de personnes, place de la Concorde, au plus fort on était à 10 000 personnes sur la place de la Concorde, ce n’est pas les centaines de milliers de personnes, que l’on a vue dans les manifestations syndicales, eh bien oui, et dans ces cas-là il faut accepter l’idée que le ministre de l’Intérieur fasse son travail de ministre de l’Intérieur et fasse interpeler ces personnes.

AMANDINE BEGOT
Vous allez réunir les préfets ce matin, vous allez leurs donner quelles instructions ?

GERALD DARMANIN
Je vais réunir les préfets ce matin, comme je le fais très régulièrement, mais là particulièrement, pour leur rappeler que voilà, les places des villes et des villages, ce n’est pas des ZAD, pour leur dire qu’il faut protéger évidemment les lieux de la République, les préfectures, les sous-préfectures, les hôpitaux, mais aussi les permanences des élus, quelle que soit d’ailleurs la couleur politique ce ces élus, et qu’il faut savoir être ferme, tout en étant à l’écoute. Ferme contre les violences, à l’écoute des organisations syndicales, et d’ailleurs avec le préfet de police, je prendrai contact avec les organisations syndicales, pour la grande réunion de jeudi qu’ils veulent organiser, et dont le ministère de l’Intérieur sera à leur service pour pouvoir le faire.

AMANDINE BEGOT
Il y a des rassemblements annoncés un peu partout en France ce week-end, en tout cas c'est le souhait des syndicats. Ce week-end, il sera critique ?

GERALD DARMANIN
Mais, la liberté de manifestations, c'est un droit constitutionnel. Donc, lorsque des manifestations sont déclarées, et organisées, je n’ai pas à les commenter, et en tant que citoyen, en tant qu’homme politique, j’ai mon opinion, mais mon travail c'est d’encadrer ces manifestations. Ce que n’acceptera pas le ministère de l’Intérieur, et ce qui sera critique, c'est si ces manifestations sont spontanées, empêchent la circulation, empêchent les trains de rouler, empêchent l’électricité d’arriver dans des hôpitaux ou dans des villes. Bref, encore une fois, on empêche que la chienlit soit au rendez-vous. Donc je dis de nouveau aux Françaises et aux Français, que toutes les oppositions sont légitimes, elles doivent se faire dans un état de droit, les syndicats sont là pour ça et ils le font très bien, moi je voudrais les en remercier une nouvelle fois. Mais oui, on ne laissera pas faire, et ça sera peut-être critique, pour reprendre votre mot, des manifestations spontanées, et le n’importe quoi à tout moment.

AMANDINE BEGOT
Aurore BERGE, la présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée, vous a écrit pour vous demander de renforcer la sécurité des élus. Ce matin, sur RTL, Céline, VERZELETTI, qui est la secrétaire confédérale de la CGT, dénonce une tentative de dramatisation, voire même de victimisation. Les élus sont en danger ?

GERALD DARMANIN
Attendez, ce débat sur les retraites a été d’une énorme violence… Des têtes de ministres sur des ballons de football, ensanglantées… Des effigies du Président de la République, de la Première ministre, d’Olivier DUSSOPT qui a fait un travail formidable et de calme, pendant cette période, brûlées en place publique ; des insultes extrêmement nombreuses ! Le nombre de plaintes qui ont été déposées ces dernières semaines par les parlementaires, quel que soit d’ailleurs leur vote, est très important.

AMANDINE BEGOT
Tous les parlementaires qui le souhaitent, doivent être protégés ?

GERALD DARMANIN
Evidemment ! Toucher un parlementaire, c’est toucher à la République puisque le parlementaire doit librement dire son opposition ou son soutien à un texte du gouvernement sans entendre la pression ni du gouvernement, bien sûr, et encore moins de la rue. Et mettre des noms, dire " regardez ces gens ont fait ça, il faut être au rendez-vous, il faut casser leurs biens, il faut les menacer " ! Parfois menacer leur famille, couper l’électricité chez eux ! J’ai été scandalisé de ce qui est arrivé à Bruno RETAILLEAU dont on a coupé l’électricité chez lui, alors que son épouse était seule ! Personne ne l’accepterait. Être parlementaire, ce n’est pas une fonction sacrificielle ; donc oui, la police, la gendarmerie seront là pour protéger les élus du peuple.

AMANDINE BEGOT
Les éboueurs avaient reconduit leur mouvement de grève jusqu’à lundi ; vu ce qui se passe, il y a de grandes chances que ça dure encore. Est-ce que vous allez accélérer les réquisitions promises à Paris ? En clair, quand est-ce que les trottoirs vont être nettoyés à Paris ? Demain ? Après-demain ?

GERALD DARMANIN
D’abord moi je respecte les grèves ; je respecte les grèves des éboueurs de Paris…

AMANDINE BEGOT
Sauf que ces poubelles hier ont un peu servi d’armes pour certains manifestants…

GERALD DARMANIN
Oui, je respecte d’abord le droit de grève, voilà. En revanche, ce qui n’est pas acceptable, c’est l’insalubrité. Je l’ai dit à la maire de Paris. Elle n’a pas souhaité – je le regrette mais je respecte son choix – elle n’a pas souhaité prendre ses responsabilités. Donc le préfet de police, hier soir, sur ma demande, a requis – au sens réquisition – le service propreté de la Ville de Paris et dès aujourd’hui, dès ce matin, ces réquisitions fonctionnent et permettent de ramasser ces poubelles, non seulement c’est une insalubrité pour les rues de la capitale mais c’est désormais, vous l’avez vu, pour les manifestations, des armes qu’il nous faut évidemment retirer de l’espace public.

AMANDINE BEGOT
A l’instant, on apprend une action de la CGT sur le périphérique parisien, la circulation entravée. Ça non plus, ça ne doit pas se faire ?

GERALD DARMANIN
Non, ça ne doit pas se faire, chacun le comprend. Encore une fois je pense qu’il y a des armes démocratiques de contestation et on est là pour qu’elles puissent se faire dans de bonnes conditions. Il y a eu des moments dans l’histoire de la République, où le ministère de l’Intérieur n’a pas été capable d’organiser les choses. Ce n’est pas le cas. Tout le monde constate que nous permettons ces grandes manifestations sans problème ; on doit rester dans le cadre de l’Etat de droit puisque la République, ce n’est pas n’importe quoi.

AMANDINE BEGOT
La suite, Gérald DARMANIN, ça va se passer bien sûr à l’Assemblée ; vous évoquiez ces motions de censure – deux au moins, celle du RN et celle du groupe LIOT - c’est d’ailleurs celle-ci qui a peut-être le plus de chance d’aboutir si les députés ou une partie des députés LR la votent. Elle vous inquiète, cette motion de censure ? Qu’est-ce que vous dites aux Républicains ? Vous nous avez déjà un peu lâchés sur la réforme, ne nous lâchez pas cette fois-là ?

GERALD DARMANIN
Effectivement, on peut penser que ce sont les Républicains aujourd’hui ont la possibilité de faire " stop ou encore " avec le gouvernement de la République. On verra bien lundi. Moi je ne crois pas qu’il y ait une majorité d’alternance à celle que nous représentons; et je ne crois pas que les Républicains aient très envie de voir les électeurs. Maintenant, si jamais ils veulent renverser le gouvernement alors qu’ils ont toujours défendu une retraite à 65 ans, j’en viens des Républicains, ce sera très incohérent, me semble-t-il pour eux. Donc je crois malheureusement qu’il n’y ait pas de majorité alternative pour être en responsabilité de notre pays. Donc lundi, j’appelle effectivement les parlementaires et singulièrement les parlementaires Les Républicains, pour une partie d’entre eux, de reprendre leurs esprits et de ne pas renverser le gouvernement. S’ils le font, il faudra que nous nous en expliquions devant les Français.

AMANDINE BEGOT
Vous souhaitiez, vous, qu’il y ait un vote.

GERALD DARMANIN
Moi je suis dans une équipe collégiale ; une décision a été prise qui est celle du 49-3 ; je la comprends tout à fait et j’en suis parfaitement solidaire.

AMANDINE BEGOT
D’un tout petit mot, la solution, ce n’est pas de changer de Premier ministre ?

GERALD DARMANIN
Non je ne crois pas parce que madame la Première ministre est courageuse ; elle a vécu des moments extrêmement difficiles. Je crois qu’elle est vraiment à son poste et je voudrais lui apporter tout mon soutien personnel et politique.

AMANDINE BEGOT
Et la dissolution, c’est la solution extrême ?

GERALD DARMANIN
Elle appartient au Président de la République et je n’ai pas à la commenter ; d’une manière générale, je n’ai pas peur des électeurs mais je crois qu’il faut désormais être cohérent dans un moment où la guerre est aux portes de l’Europe, où l’inflation touche les Français – ils souffrent les Français – dans un moment où nous, qu’est-ce qu’on a souhaité faire ? On a souhaité sauver le régime des retraites ! Rien de moins que ça ! Et oui c’est très difficile. Je pense qu’il faut arrêter de penser aux petites tactiques politiciennes dans chaque camp pour savoir dans quel congrès qui en 2027 ou en 2032…

AMANDINE BEGOT
Vous n’y pensez jamais, vous ?

GERALD DARMANIN
… Et s’occupe de la France…

AMANDINE BEGOT
Vous n’y pensez jamais ?

GERALD DARMANIN
Aujourd’hui, on s’occupe de la France. Vous savez, quand on est ministre de l’Intérieur depuis trois ans et qu’on a la charge, à la demande du Président de la République de sujets extrêmement difficiles, ce qui nous intéresse, c’est l’intérêt général et ce qu’on a fait hier, je crois que c’était conforme à l’intérêt général et peut-être pas très conforme, comme l’a dit le président de la République, à notre intérêt particulier.

AMANDINE BEGOT
Merci beaucoup.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 17 mars 2023