Interview de M. Clément Beaune, ministre chargé des transports, à France Inter le 21 mars 2023, sur le rejet de la motion de censure à l'Assemblée nationale et la contestation contre la réforme des retraites.

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Média : France Inter

Texte intégral

YAËL GOOSZ
Bonjour Clément BEAUNE.

CLEMENT BEAUNE
Bonjour Yaël GOOSZ.

YAËL GOOSZ
On va interroger la santé du Gouvernement à neuf voix près. Vous êtes toujours ministre à neuf voix près. Il n’y avait plus de Gouvernement et plus de réforme. Je lisais une Dépêches Reuters qui titrait " le Gouvernement survit à la motion de survie " pas en vie, en survie. Est-ce que vous êtes en survie ?

CLEMENT BEAUNE
Non, écoutez. Et puis, le sort personnel n’est pas très important. Le sujet c’est la situation politique, les situations sociales. Il y a, avec des procédures démocratiques, j’y insiste parce qu’il y a beaucoup de confusions dans les propos des uns et des autres des responsables politiques ces derniers jours, une réforme des retraites qui a été hier adoptée au Parlement, à l’issue de ce vote, parce que la motion de censure étant rejetée, la réforme est adoptée. Je crois qu’il y aurait deux erreurs qu’il ne faut pas commettre : d’abord justifier, parce qu’on l’a vu encore cette nuit, des violences, des violences dans les actes, des violences parfois dans les mots politiques. Quand j’entends parler d’insurrection, quand j’entends Mathilde PANOT comparer le Président de la République à CALIGULA, un despote sanguinaire ; franchement, je crois qu'on perd la boussole et qu'on perd les repères. Et puis, il ne faudrait aussi pas commettre l'erreur de faire comme si de rien n'était. Il y a eu des mobilisations importantes, responsables, respectueuses, menées par Laurent BERGER et par d'autres responsables syndicaux notamment.

YAËL GOOSZ
Est-ce que c'est adroit de la part de la Première ministre de dire, comme elle l'a fait hier soir, qu'elle a le sentiment du devoir accompli ?

CLEMENT BEAUNE
Mais la Première ministre, elle a mené une réforme qui était proposée par le Président de la République à ciel ouvert, au moment de l'élection présidentielle, qui a été ensuite proposée par elle-même et tous ceux qui, comme moi, sont présentés aux élections législatives dans la majorité et qui est aujourd'hui la première force politique de l'Assemblée nationale. Et elle l'a conduite, comme chef de Gouvernement, avec beaucoup de courage. On aime ou on n'aime pas cette réforme, ça c'est la démocratie. Mais je pense, et moi je le dis, que la Première ministre a fait preuve à la fois d'ouverture et de courage dans ce moment. Donc oui, je pense que ce sont les bons mots ; elle a fait cette réforme avec un sentiment de devoir et la volonté d'avancer.

YAËL GOOSZ
Et elle veut continuer ; elle l’a dit à porter avec son Gouvernement, les transformations nécessaires au pays. Donc rien ne change, elle reste à Matignon ?

CLEMENT BEAUNE
Ecoutez, ça c'est le Président de la République et la Première ministre qui en discutent et qui décident dans nos institutions. Mais pour répondre très clairement, mon avis, c'est que je souhaite que la Première ministre puisse, comme elle l'a dit, continuer à porter d'autres réformes. Parce que notre agenda politique, c'est la réforme des retraites, certes ; ça n'est pas que la réforme des retraites, …

YAËL GOOSZ
On va y revenir.

CLEMENT BEAUNE
Il y a beaucoup de choses à faire dans les mois qui viennent.

YAËL GOOSZ
La fin du cheminement démocratique ; c'est les mots de de l'Elysée, mais pas de la contestation de la réforme. Encore des dizaines de manifestations spontanées, hier soir, cette nuit, un peu partout en France. 234 Interpellations à Paris et puis une grève dure dans les raffineries avec des affrontements, cette nuit, à Donges entre forces de l’ordre et grévistes. Des blocages en cours à Fos-sur-Mer. Est-ce qu'on est reparti, comme à l'automne, pour un nouveau cycle de réquisition ?

CLEMENT BEAUNE
Alors, je ne confonds pas la grève et le blocage. La grève, c'est autorisé. Le blocage durable, parfois violent, ça ne l'est pas. Et on a, à certains endroits dans le pays, je pense aux Bouches-du-Rhône en particulier, des situations sur les carburants qui deviennent extrêmement risquées avec les manifestations.

YAËL GOOSZ
La moitié des stations-services restent à sec.

CLEMENT BEAUNE
C’est la moitié des stations-services, à l’heure où on parle qui, dans les Bouches-du-Rhône, sont en difficulté ; pas forcément à sec, mais en difficulté. Et donc oui, ce matin, de manière ciblée, des réquisitions sont en cours à Fos-sur-Mer spécifiquement. Les réquisitions, c'est toujours un dernier recours. C'est encadré par la loi et tant mieux, parce que c'est évidemment un équilibre avec le droit de grève. Et donc, le Gouvernement a engagé, ce matin, par arrêté préfectoral, des réquisitions très ciblées à Fos-sur-Mer ; parce que là, on a une situation extrêmement difficile.

YAËL GOOSZ
Parce que vous tirez les leçons de l'automne, quand vous aviez tardé à le faire ?

CLEMENT BEAUNE
Les leçons de l'automne, il y avait eu un peu de surprise, face à ce mouvement qui avait été dur. Effectivement, je rappelle qu'à l'automne, on peut refaire le film ; peut-être que ça avait été trop tard, mais il y avait eu des interventions, là aussi, très ciblées. Certains disaient qu’il faut tout réquisitionner. Je pense que ce n’est jamais la bonne méthode. D'autres disaient « il ne faut rien faire. » On a réquisitionné à l'automne de manière précise, encadrée, confirmée par la Justice. A chaque fois, on applique la même méthode c'est-à-dire l'application stricte de la loi qui permet la réquisition dans ces cas très tendus. Et dans les Bouches-du-Rhône, c’est très tendu ; chacun l'a constaté hier.

YAËL GOOSZ
Alors, on attendait la parole du Président de la République. Ce sera le cas demain sur TF1 et France 2 à 13h. En attendant, c’est réunionite à tous les étages du pouvoir. Le Président consulte les chefs de la majorité ce matin à l'Elysée. Il déjeune avec Gérard LARCHER et Yaël BRAUN-PIVET. Il reçoit, ce soir, tous les Parlementaires (Renaissance, Horizons, Modem). Qu'est ce qui se joue ? Qu'est-ce qu’il cherche ?

CLEMENT BEAUNE
Mais c'est un moment politique important et difficile. Après ce qui s'est passé, il ne faut pas non plus être sourd et aveugle. Il y a eu des contestations, bien sûr, un processus parlementaire compliqué. Il a été mené dans le cadre de notre Constitution, mais il a été compliqué. Quand on voit qu’un tiers du groupe Les Républicains, d'une droite qui se veut réformatrice, n'a pas voulu soutenir la réforme et a voté-même la motion de censure ; c'est qu'il y a un moment politique compliqué. Donc, je pense que le Président de la République réunit des chefs de partis de la majorité, les ministres qui ont porté la réforme, le président du Sénat, la présidente de l'Assemblée, c'est normal. On lui reprocherait sinon de ne pas consulter, de ne pas écouter. Et je pense qu'il faut le faire dans un cadre institutionnel. C'est-à-dire ceux qui ont porté la réforme et celles et ceux qui, au Parlement, doivent aussi dire quelle solution il voit pour le Président ; il ne va pas décider tout seul. Et donc, il s'exprimera ensuite à l'issue de ce moment de consultation.

YAËL GOOSZ
La boîte à idées est grande ouverte. Votre collègue, Gilles LE GENDRE, ancien patron du groupe En Marche à l’Assemblée dans le premier quinquennat, compare la situation à 1958 et à 1968, les deux dates. Gravité du moment, il dit, il faut que le Président prenne une hauteur maximale. Il faudrait une nouvelle feuille de route avec référence derrière des Français.

CLEMENT BEAUNE
Moi, je me méfie toujours des grandes comparaisons historiques. Ce que je crois profondément, c'est qu'une nouvelle phase s'ouvre et c'est que le Président, en effet, doit prendre la parole pour indiquer, ce que je disais à l'instant. C’est-à-dire, oui, la réforme des retraites, c'était difficile. C'est une réforme de responsabilité pour l'avenir. Elle a suscité des incompréhensions des oppositions. Des oppositions, je le crois profondément, pas seulement à ce sujet de l’âge, comme on l'a entendu aussi, mais à la question du manque de services publics, à la question des salaires, à la question de l’inflation.

YAËL GOOSZ
Si on vous suit, il est exclu de la… est retiré, si on vous suit, si on vous écoute.

CLEMENT BEAUNE
Le Parlement l’a voté. Ce serait quand même étonnant.

YAËL GOOSZ
Vous avez plein de précédents, vous savez, de mouvements sociaux au 1984, de l’Ecole libre ; en 2006 CPE où le 49.3 est utilisé, la motion de censure rejetée ; le mouvement social à la fin fait que le Président…

CLEMENT BEAUNE
Oui, vous avez aussi un certain nombre, je pense à la réforme ROCARD de la CSG, de 49.3 qui ont été utilisés pour des réformes très importantes, avec des majorités plus étroites encore et qui ont avancé. Je crois que le sujet fondamental, c'est d'ouvrir un nouveau chapitre, notamment sur le champ social. On a beaucoup entendu dans les manifestations les suites de pouvoir d'achat, les suites d’inflation, les suites du service public. Je l'ai vu dans le secteur des transports. Moi, j'ai fait beaucoup de rencontres avec des usagers des agents publics. A chaque fois, le sujet premier c'était est-ce que le service public est à la hauteur ? Est-ce que les gens ont assez de trains, assez présents, assez à l'heure ? Est-ce qu'il y a de la présence humaine dans nos gares ? Est-ce que c'est pareil dans nos hôpitaux ? Je crois que c'est sur ces sujets, sociaux notamment, qui feront entendre la mobilisation et prendre des initiatives nouvelles. Je pense à la loi sur le travail qui sera une des lois importantes sociales de ce mandat.

YAËL GOOSZ
Mais Laurent BERGER qui vous demande une grande conférence sociale après retrait de la réforme. Vous lui dites non. Conférence sociale peut-être, mais pas retrait de la réforme.

CLEMENT BEAUNE
Le retrait de la réforme, je crois que ce n'est pas le sujet qui a été exprimé hier au Parlement quoi qu'on pense de la réforme.

YAËL GOOSZ
Conférence sociale ?

CLEMENT BEAUNE
Mais ça c'est le Président qui s'exprimera demain.

YAËL GOOSZ
Vous le souhaitez ?

CLEMENT BEAUNE
Moi, je souhaite qu'il y a un chapitre social, que tout ce qu'on a exprimé dans cette réforme sur le travail des seniors, sur les inégalités femmes-hommes, sur la pénibilité, sur les reconversions professionnelles, sur les carrières longues ; il y a encore du boulot. Je pense qu'il y a encore des mesures à prendre, avec concertation des syndicats. Moi, j'ai été obsédé par une chose, dans mon secteur en particulier, pendant cette période, mais comme d'autres ministres : c'est de garder le contact pour que le fil ne soit pas rompu dans le dialogue syndical pour l'après. Pour qu'on puisse reprendre une discussion, ça sera difficile, avec Laurent BERGER, avec d'autres. C'est indispensable, en effet, je crois, d'avoir une discussion sur tous ces sujets de conditions de travail et de rémunération notamment.

YAËL GOOSZ
Risque économique et financier trop grand ; voilà pourquoi le 49.3 a été enclenché. C'est comme ça qu'Emmanuel MACRON a justifié son recours, jeudi dernier. Pour pouvoir emprunter aussi sur les marchés ; or, dans son dernier rapport, l'agence de notation Moody's, agence américaine, estime que le 49.3 va rendre difficile l'adoption de futures réformes structurelles en France. Est-ce que c'est l'effet inverse de celui qui était recherché ?

CLEMENT BEAUNE
Le sujet, ce n'est pas honnêtement le commentaire de telle ou telle agence de notation ou de marchés financiers ; le sujet c'est être responsable. Qu'on parle de risques budgétaires ou financiers, ce n'est pas sale, ce n’est pas un vain mot. C'est parce que si vous ne financez pas votre modèle social, notamment les retraites qui sont la première dépense sociale dans la durée, vous avez un problème. Et je pense que même si c'est difficile aujourd'hui, dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans ; peut-être des gens comme moi seront encore en politique, je n'en sais rien ; on nous dira « que n'avez-vous fait ? » Et donc je pense qu'il fallait aussi assumer. Mais entendre qu'il y a une colère, un message aussi d'attentes sociales très fortes dans ce pays.

YAËL GOOSZ
Jeudi, journée de mobilisation ; avez-vous des prévisions de trafic précises ?

CLEMENT BEAUNE
Alors, on les aura pour jeudi un peu plus tard, pour être précis. Je peux vous dire qu’aujourd’hui et demain, il y a quelques perturbations dans certains nombres de secteur. Par exemple : dans l'aérien, à l'aéroport d'Orly ou Marseille, on doit annuler 20% de nos vols pour aujourd'hui et pour demain. Les prévisions pour jeudi seront sans doute un peu plus dégradées. Et on les fera d'ici demain pour être très précis avec ceux qui attendent trains, bus et avions.

YAËL GOOSZ
Merci Clément BEAUNE.

CLEMENT BEAUNE
Merci à vous.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 22 mars 2023