Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Léa SALAME, votre invité ce matin est le ministre délégué chargé de l’Industrie.
LEA SALAME
Oui, on va voir s’il est dépressif ou pas comme a dit Yaël GOOSZ, on vous posera la question. Bonjour Roland LESCURE.
ROLAND LESCURE
Bonjour.
LEA SALAME
Merci d’être avec nous ce matin.
ROLAND LESCURE
Merci à vous.
LEA SALAME
Les syndicats seront donc reçus la semaine prochaine par Elisabeth BORNE à Matignon. Y voyez-vous le début du début du début du début d’une lueur de sortie de crise ?
ROLAND LESCURE
En tout cas, j’y vois une conversation qui recommence et ça c’est bienvenu. Quand on a des désaccords, pour certains qui sont assez fondamentaux, le mieux c’est quand même de se parler . Même si c’est pour reconnaître qu’on est d’accord pour ne pas être d’accord, c’est toujours mieux de se le dire en direct que de se le dire par médias interposés même si évidemment les médias sont importants.
LEA SALAME
Et ils vont parler de tout ? Ils vont parler des 64 ans ? Parce que c'est ce que nous disait Laurent BERGER hier sur la proposition initiale d'Emmanuel MACRON : on peut parler de tout, du travail, des carrières longues, de la pénibilité, des salaires mais pas de la réforme, il a dit : moi ça ne m'intéresse pas, Laurent BERGER, si je ne parle pas de la réforme des retraites et des 64 ans.
ROLAND LESCURE
Oui. Connaissant Laurent BERGER, j'ai du mal à l'imaginer entrant dans la salle rouge de Matignon en disant : on parle des retraites et Madame BORNE, que je connais bien aussi, dire : dans ce cas-là, je quitte la salle, donc il y aura forcément une conversation autour des retraites. La question aujourd'hui, c'est que quand on est d'accord pour ne pas être d'accord sur un sujet, est-ce qu'on est capable de parler d'autre chose ou pas ? Moi je pense qu'on doit parler d'autre chose.
LEA SALAME
Donc vous espérez en fait aborder la question de la réforme des retraites et puis passer vite à autre chose si je vous comprends bien, c’est ça ?
ROLAND LESCURE
Non, ce n’est pas passer vite à autre chose, mais je pense que vous l'avez dit, on est dans une gestion du temps aujourd'hui qui j'espère va se calmer un peu. On a un arbitre qui est le Conseil constitutionnel qui est en train de faire son travail pour nous dire si oui ou non cette loi a été bien examinée, et ça c'est son travail constitutionnel, et en attendant on peut commencer à ouvrir des pistes sur l'après, j'allais dire quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel d'ailleurs.
LEA SALAME
Oui, ouvrir des pistes pour l'après mais en attendant, Laurent BERGER dit – il a une proposition, il l’a lancée à ce micro hier : mettre la réforme sur pause et nommer un ou deux médiateurs. Deux heures après, Olivier VERAN répondait non. Pourquoi refuser ? Pourquoi dire non au leader de la CFDT ? Pourquoi dire non encore au leader de la CFDT ?
ROLAND LESCURE
Oui, j'entends bien. Moi je comprends ce que Laurent BERGER cherche à faire, je l'ai entendu hier sur votre antenne, il cherche à avancer et ça c'est très bien. Maintenant l’idée du médiateur quand on se heurte à la réalité, qu'est-ce que ça veut dire ? Alors un médiateur c’est un sage, on pourrait imaginer un ancien président de la République par exemple.
LEA SALAME
Ou pas, ou quelqu’un d’autre.
ROLAND LESCURE
Par exemple, juste pour donner quelques exemples. Vous imaginez François HOLLANDE arbitrant entre Emmanuel MACRON et Laurent BERGER…
LEA SALAME
Là tout de suite non, mais il y a d'autres personnes que François HOLLANDE.
ROLAND LESCURE
J’ai entendu sur votre antenne parler de Jean-Dominique SENARD, grand capitaine d'entreprise, mais c'est le patron de Philippe MARTINEZ qui rejoint RENAULT lundi.
LEA SALAME
D’accord. Pas François HOLLANDE, pas Jean-Dominique SENARD, il peut y avoir peut-être d'autres personnalités. Non mais ce que je veux dire, c’est que Yaël GOOSZ, vous avez entendu son édito, il y a eu des médiateurs dans d'autres affaires, sur Notre-Dame-des-Landes, sur d'autres choses. Il y a eu des médiateurs qui ont été nommés et qui ont fait avancer les choses.
ROLAND LESCURE
Oui mais là, on parle d'un sujet assez fondamental en fait qui est la manière dont va évoluer notre régime des retraites, sur lequel au fond les seuls légitimes pour échanger c'est la Première ministre, le gouvernement et in fine et le président de la République d'une part, le Parlement d’autre part qui a fait son travail et les représentants syndicaux d’autre part. Ils sont là les légitimes. Comment vous pouvez imaginer qu'on mente sur un sujet aussi important et qu'on aille chercher un espèce de Deus ex machina qui va nous aider à résoudre le problème. En fait, c'est difficile même à imaginer de manière concrète.
LEA SALAME
Vos alliés, les députés MoDem, ils sont favorables à une telle médiation. Eux ils disent, Jean-Paul MATTEI proche de François BAYROU, dit : c'est bien d'avoir une ou deux personnes pour essayer de retrouver le dialogue et avoir un certain recul. Ils ont tort ?
ROLAND LESCURE
En fait, moi j'ai rencontré Jean-Paul MATTEI à l'Assemblée et je lui ai dit exactement ce que je vous ai dit. Qu'on choisit qui ? Nicolas SARKOZY ? Enfin il y a un moment… François BAYROU ?
LEA SALAME
D’accord. Donc en France, il n’y a que Nicolas SARKOZY, François HOLLANDE ou François BAYROU ?
ROLAND LESCURE
Ou Jean-Dominique SENARD ou plein d'autres mais ce que je veux dire par là, c'est que déplacer le problème en se disant : on va demander à quelqu'un d'autre de nous faire discuter… Non mais c'est surtout qu’on va rentrer dans la discussion puisque la semaine prochaine la Première ministre reçoit un certain nombre d'organisations syndicales. On verra si elles viennent ou pas, donc au fond ce qu'on montre avec cette invitation…
LEA SALAME
La CGT n'a pas répondu encore.
ROLAND LESCURE
Ce qui est normal, ils sont en congrès, je pense qu'ils ont leurs histoires internes à régler avant de reprendre je dirais les activités normales. Donc aujourd'hui ce qu’on montre avec cette invitation acceptée par certains syndicats, c'est qu'en fait on peut se remettre à parler et qu'on n'a pas besoin pour ça d’un Deus ex machina.
LEA SALAME
Vous espérez la semaine prochaine, celle d'après, que les choses reviennent à la normale ?
ROLAND LESCURE
Bien sûr.
LEA SALAME
Vous espérez que les gens acceptent les 64 ans ? Les 70% qui sont contre, les 90% des actifs qui sont contre, vous pensez qu’ils vont avaler la pilule ? C’est bon, on revient à la normale ?
ROLAND LESCURE
Pas avaler la pilule. Je ne pense pas qu'on oubliera cette réforme et aussi, il faut le reconnaître, la manière dont elle s'est déroulée. Elle a ouvert plein d'autres sujets quand même, il faut le reconnaître. Aujourd'hui quand vous discutez avec les gens qui sont opposés à cette réforme, très souvent ils vous répondent sur d'autres sujets que la réforme elle-même. Les institutions, la manière dont elle a été menée…
LEA SALAME
Le 49.3.
ROLAND LESCURE
Le coup de force démocratique du 49.3. Je voudrais juste rappeler quand même que le 49.3, et en l'occurrence sur cette loi, c'est une Première ministre et un gouvernement qui sont prêts à mettre leur démission dans la balance pour faire passer une réforme qui leur semble importante, et ça passe ric-rac puisqu'on est à 9 voix près. Donc ce n’est pas un coup de force démocratique, c'est en fait l'utilisation de la démocratie pour mettre son existence même dans la balance de la part d'un gouvernement.
LEA SALAME
Oui mais à la fin, le texte n'a pas été voté. Il n'y a pas eu de vote sur ce texte qui, vous avez commencé l'interview en le disant, est tellement important pour les Français. Il n’y a pas eu de vote, il y a eu une motion de censure qui été rejetée. On n’a pas voté sur un texte.
ROLAND LESCURE
Ce n’est pas rien. Non mais là, je veux vraiment qu'on évite de relativiser ça. Un gouvernement qui met sa démission dans la balance pour dire : soit vous me mettez dehors, soit cette réforme est adoptée, ce n'est pas anodin et ce n'est en aucun cas un coup de force démocratique. Mais ce que je comprends, c'est que ça soulève des questions, que les gens nous disent aujourd'hui : le fonctionnement des institutions franchement il est dépassé. C'est une bonne question à se poser près de 70 ans après l'adoption de la Constitution de 58 quand même.
LEA SALAME
Ça veut dire quoi ? Qu'il faut penser à changer la Constitution de la Vème République ? Il faut enlever le 49.3 des possibilités ?
ROLAND LESCURE
Non mais ça, ça serait j'allais dire – je vais peut-être en heurter quelques-uns -un détail. Ma femme est originaire d'Irlande, elle vit en France depuis 30 ans avec une petite parenthèse au Canada. Elle me dit : ça fait 30 ans que je vous vois tous les 5 ou tous les 7 ans élire et aduler un président et un an plus tard le détester. Refaites l'histoire : CHIRAC, MITTERRAND même, évidemment SARKOZY, HOLLANDE, Emmanuel MACRON, ça arrive à chaque fois. Ce n’est pas leur faute à eux, ça serait trop facile de dire : ils sont tous des autocrates en puissance, c'est qu'on a un sujet avec les institutions qu'il faut sans doute faire évoluer. Je ne sais pas si ça prendra une réforme de la Constitution, en tout cas il faut les faire évoluer, ça c'est sûr.
LEA SALAME
Vous me parlez de votre femme irlandaise, vous êtes un élu de l'étranger, vous avez été député des Français de l'étranger avant d'être ministre, vous avez habité au Canada. La presse anglo-saxonne même libérale, Roland LESCURE, n'est pas tendre avec le président. Je ne sais pas si vous avez lu le Financial Times il y a 3, 4 jours, je cite : " Macron concentre la colère populaire, il rappelle à chaque Français son patron, une personne très diplômée, sûre d'elle qui méprise son personnel ; il se présente comme jupitérien mais la plupart des électeurs ont juste vu un ex-banquier déguisé en roi. " Les mots sont durs. Le FT, on n’est pas sur Fabien ROUSSEL.
ROLAND LESCURE
Oui, Simon COOPER qui est un éditorialiste extrêmement brillant qui vit à Paris depuis longtemps d'ailleurs, donc qui nous connaît bien en plus. Ça prend souvent un peu de recul.
LEA SALAME
Il est injuste ou il est juste ?
ROLAND LESCURE
Non, il poursuit son article que j'ai le jusqu'au bout en disant : " et du coup d'ailleurs, comme il a montré qu'il était capable de réformer la France là où d'autres avaient échoué, il est sans doute la personne la mieux placée pour changer les institutions. "
LEA SALAME
Il dit même : " Il faut aller à la VIème République " si vous avez lu l’article jusqu’au bout.
ROLAND LESCURE
Oui, et je pense que là il va à la conclusion un peu trop vite, parce que la manière dont on va faire évoluer nos institutions va être très importante. Le président, le candidat, avait proposé une commission transpartisane ; moi je pense que ça ne suffira pas. Je pense que la réforme des institutions elle va passer aussi par un dialogue direct avec les citoyens. Pourquoi pas une convention citoyenne, en tout cas…
LEA SALAME
Une convention citoyenne ? Vous avez gardé un bon souvenir de ce qui s’est passé sur l'écologie ?
ROLAND LESCURE
Oui.
LEA SALAME
Eux, non.
ROLAND LESCURE
Non mais je sais, et on peut en tirer le bilan. Je pense qu'à l'époque, je pense que le président le reconnaîtrait aujourd'hui, le fait de dire : je prendrai tout sans filtre a paradoxalement été une erreur parce qu'on a levé la barre. Les Irlandais là encore qui ont fait des conventions citoyennes sur des sujets très compliqués : l'IVG, le mariage pour tous, j'ai discuté avec ceux qui organisaient les conventions citoyennes et ils me disaient : ma chose à ne pas dire, c'est " on prendra tout ". Une fois que la convention citoyenne fait des propositions sur la fin de vie, on en fera lundi, il faut que le Parlement, que le processus démocratique ou que les référendums s'en saisissent et les adoptent ou pas.
LEA SALAME
Roland LESCURE, il nous reste une minute. Comme vous êtes à Bercy, je ne peux pas ne pas vous interroger sur ce qu'on a appris hier, cette perquisition géante de plusieurs banques dont la BNP Paribas et la Société générale dans le cadre d'une enquête sur des soupçons de fraude fiscale et de blanchiment. Qu'est-ce qui se passe Monsieur le ministre ? Après les banques suisses et américaines qui font faillite, là une enquête, des soupçons de fraude fiscale. Qu’est-ce qui se passe avec le système bancaire ? Je ne veux pas tout mélanger mais c’est quoi cette perquisition ?
ROLAND LESCURE
Les deux sujets n’ont rien à voir donc… D’abord la justice fera son travail et j'allais dire tant mieux, il faut qu'elle passe. C'est des pratiques qui existaient à laquelle on a mis fin d'ailleurs grâce au gouvernement précédent et à la majorité à laquelle j'appartiens, pour arrêter… Bon, c'est un peu technique mais c’est…
LEA SALAME
Très technique.
ROLAND LESCURE
Oui. Donc juste, la justice fera son travail. Je pense qu'elle " détechniciera " le sujet et qu’elle fera son travail jusqu'au bout, coupable ou pas.
LEA SALAME
Vous êtes ministre de l'Industrie depuis 10 mois, est-ce que vous vous êtes dépressif comme dit Yaël GOOSZ ?
ROLAND LESCURE
Absolument pas.
LEA SALAME
Est-ce que vous souffrez comme tous vos collègues ministres de voir vos sujets écrasés par la réforme des retraites depuis 3 mois ?
ROLAND LESCURE
Non. D'abord parce que pendant les travaux, la vente continue. L'industrie elle tourne tous les jours. Celle qui va bien, qu'on est en train de décarboner avec une révolution industrielle qui va produire des milliers de jobs. Celle qui va moins bien elle aussi, et je suis à ses côtés.
LEA SALAME
Donc vous n’êtes pas dépressif.
ROLAND LESCURE
Ah non, non, non, je suis sur le terrain.
LEA SALAME
Yaël GOOSZ est rassuré. Vous êtes rassuré, Yaël ?
YAËL GOOSZ
Oui, je suis rassuré.
ROLAND LESCURE
Très bien, tant mieux. Si Yaël GOOSZ est rassuré, moi aussi.
LEA SALAME
Merci et bonne journée à vous.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 31 mars 2023