Interview de M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention, à Radio J le 5 avril 2023, sur "mercenaires cannibales", la réintégration du personnel soignant non vacciné, la revalorisation de la consultation continue pour les médecins libéraux et la Convention citoyenne sur la fin de vie.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Et oui, on va parler santé avec vous, bienvenu François BRAUN, ministre de la Santé et des Solidarités, c’est important aussi dans votre portefeuille. En ce moment, votre combat, c’est de lutter contre les intérimaires mercenaires, les cannibales qui font des gardes surpayés à l’hôpital. Alors, d’abord, comment définissez-vous, comment avez-vous défini ces mercenaires cannibales ?

FRANÇOIS BRAUN
En fait, on parle de l’intérim qui déstructure, qui casse notre système hospitalier. Quand vous avez uns système, ce n’est pas tellement les… Je n’ai rien contre personne en elle-même, c’est le système de cet intérim mercenaire qui est néfaste.

CHRISTOPHE BARBIER
C’est l’offre et la demande ?

FRANÇOIS BRAUN
C’est l’offre et la demande mais on arrive à des choses qui sont tout à fait en dehors de l’éthique. Quand quelqu’un réclame pour travailler 24h, plus que son collègue à côté de lui, a touché en un mois, on comprend que ça ne peut pas fonctionner. Et ça entraîne la fuite de ces médecins de l’hôpital public. Notre hôpital public qui est quand même la colonne vertébrale de notre système de santé voit ses médecins partir pour faire cette espèce de mercenariat. Donc, il y a une loi qui a été votée par les parlementaires, d'abord, en 2016, ensuite, en 2021. Moi, je suis d'appliquer cette loi et en appliquant cette loi, on plafonne un peu ce le financement de cet intérim, ce qu'on donne aux médecins qui viennent faire cet intérim, on plafonne quand même qui arrive effectivement à 6 390.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, cette loi commence à s'appliquer. Là, depuis quelques jours, les hôpitaux de Bastia, Metz et Bry-sur-Marne disent, d'après la presse, devoir fermer des services faute d'intérimaires qui ne viennent plus. Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que vous vous inquiétez ?

FRANÇOIS BRAUN
Alors, non, ce n'est pas vrai, il y a des lits qui peuvent être fermés dans certains endroits, mais en tout cas, nous travaillons sur le sujet avec les agences régionales de santé depuis le mois de décembre, deux fois par jour, nous vérifions tous les hôpitaux qui pouvaient être en difficulté. Alors, il y a des lits qui peuvent être fermés ponctuellement à certains endroits mais c'était déjà le cas avant la mise en application de cette loi, ce n'est pas nouveau. Et, par contre, je me suis engagé à ce qu'il y ait des solutions qui soient trouvées partout dans tous les territoires et c'est ce que nous tenons depuis lundi, c'est-à-dire même quand il y a des difficultés, grâce en particulier, à la solidarité territoriale, c'est-à-dire les gros hôpitaux qui viennent aider les petits, voir encore l'inverse parfois, des petits qui viennent aider les gros, cette solidarité territoriale qui, pour moi, est la base de la refondation de notre système de santé.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que ces intérimaires, qui vont voir donc leur revenu diminuer, ne vont pas décider d'arrêter la médecine ? C'est déjà des gens qui ont pris leurs distances puisqu'ils n'étaient qu'intérimaire.

FRANÇOIS BRAUN
Je dirais que si on souhaite à arrêter la médecine simplement parce qu’on refuse de vous payer cinq-mille euros pour 24 heures et qu'on vous paye quand même 1 400 euros.

CHRISTOPHE BARBIER
Il n'a pas vraiment la vocation ?

FRANÇOIS BRAUN
Il faut peut-être mieux arrêter tout de suite.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors certains vont peut-être se dire : « Je vais chercher dans le privé, pur et total.

FRANÇOIS BRAUN
Oui, si ce n'est que là, avec les fédérations du privé, j'ai réussi à faire signer une charte entre les privés, les cliniques, d'une façon très générale et l'hôpital public, et je remercie d'ailleurs les responsables de cliniques qui se sont engagés eux aussi à respecter ce plafond.

CHRISTOPHE BARBIER
Pas de débauchage et de surenchères ?

FRANÇOIS BRAUN
Pas de débauchage ni de surenchère. Je crois que là aussi, c’est les premières briques de cette reconstruction du système de santé, cette coopération entre public et privé qu'on a connu pendant la crise Covid et qu'on remet sur la table.

CHRISTOPHE BARBIER
Si on a eu une telle inflation, c'est parce qu'il n’y avait pas assez de médecins disponibles, c’est ça qu'a fait monter les prix, quand est-ce qu'on aura assez de médecins disponibles pour qu’il y ait plus aussi ?

FRANÇOIS BRAUN
Alors, votre question est très intéressante sur deux mots : disponibles et plus. Plus, pas demain, je crois qu'il faut dire la vérité aux gens. Il faut dix ans pour former un médecin.

CHRISTOPHE BARBIER
Donc le numerus clausus a été supprimé.

FRANÇOIS BRAUN
Ça a été supprimé, mais on aura ses premiers effets dans sept-huit ans avant, donc, vouloir raconter aux gens que demain, je vais mettre cinq-mille médecins de plus, dix-mille médecins de plus, c'est du mensonge. Par contre, il faut qu'ils soient plus disponibles et e crois que c'est ça la clé, c'est de donner du temps aux médecin. Comment ont donne du temps aux médecins ? Déjà, en supprimant toutes les tâches qu’il fait qui ne sont pas des tâches médicales, tout ce qui administrative, toutes les paperasses, on diminue le nombre de certificat, on fait du zéro papier, en lien avec l'assurance maladie. Je mets en place des assistants médicaux, ils étaient déjà en place, on en a quatre-mille, on va passer à dix-mille. Un médecin qui a un assistant médical qui prépare un peu la consultation, c'est 10% patients en plus. Vous voyez, si on fait 10% patients en plus, on va régler notre problème. Donc, il y a déjà ça, et puis, ensuite, il y a comment on règle ce problème des endroits où il n’y a pas de médecins. Là aussi, nous avons des solutions très pertinentes avec des consultations avancées et avec des installations portées par l'hôpital éventuellement pour de la consultation des maisons de santé etc.

CHRISTOPHE BARBIER
A propos d'effectifs, comment allez-vous gérer le retour des soignants non vaccinés ? Qui d'après l'autre la Haute autorité de santé, maintenant, peuvent reprendre leur poste tout le monde. Tout le monde est le bienvenu ? Qui décide ?

FRANÇOIS BRAUN
Je dirais le moins mal possible, la Haute Autorité de santé a émis un avis sur l'obligation vaccinale en fait, en disant que le Covid et d'autres, on a la diphtérie, tétanos, polio n'étaient plus obligatoire pour les soignants. Donc, de fait, la loi qui a été voté pendant la crise sanitaire m’impose de dire : « Ce n'est plus obligatoire », donc, ceux qui ne sont pas vaccinés peuvent revenir travailler. D’autant, il faut qu’ils viennent travailler dans de bonnes conditions, c'est pour ça que je réunis les fédérations hospitalière, publique et privée, les ordres professionnels de toutes les professions de santé, les syndicats, pour voir quelles sont les meilleures conditions. On ne va pas forcer la réintégration dans des services où déjà les soignants m'ont dit : « Mais nous, on ne veut pas aller les voir, nous, on s’est fait vacciner, on a tenu la ligne, on est épuisé de cette phase Covid, on n'a pas envie de voir nos collègues qui ont refusé de se battre à côté de nous », ce que je peux tout à fait entendre et ce qu'il faut que nous entendions. Donc, cette réintégration, il doit se faire le mieux possible ou le moins mal possible.

CHRISTOPHE BARBIER
Au cas par cas, en dialoguant sur le terrain ?

FRANÇOIS BRAUN
Exactement. Actuellement, c'est du cas par cas, pas question de faire quelque chose de global.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous vous déplacez beaucoup, quand on suit votre agenda, on voit que vous êtes toujours sur le terrain, vous étiez à Lons-le-Saunier, il y a deux jours. Dans quel état est l'hôpital français, moral, financier et technique ?

FRANÇOIS BRAUN
Je crois que notre système de santé, et c'est ce que vous disiez, sur le moral des Français, certes, il y a des difficultés, mais il faut aussi reconnaître que notre système de santé, il soigne, il sauve encore tous les jours. Les gens sont au boulot, les gens travaillent, c'est ce que je vois quand je fais mes déplacements, dans des conditions des fois difficiles, c'est sûr, tendues, manque de personnel. Je suis allé à Lons-le-Saunier, par exemple, ils ont un hôpital qui est assez ancien, ils voudraient avoir un hôpital neuf. On voit bien qu'il y a ces aspirations mais en tout cas, tout le monde retrousse ses manches, tout le monde veut travailler, tout le monde veut répondre à ce pourquoi les soignants sont là, c'est-à-dire prendre soin de nos concitoyens.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que la négociation avec les médecins libéraux pour la revalorisation de la consultation continue ou est-ce que vous allez fermer le ban ?

FRANÇOIS BRAUN
Alors, nous sommes dans, là aussi, dans quelque chose qui est très cadré, nous sommes dans la phase de règlement arbitral. Au début des négociations, tout le monde, de façon consensuel, a désigné une arbitre. Cette arbitre est en train de terminer sa copie avec les différents éléments. Elle a rencontré tout le monde. Je l'ai rencontré également. Elle me proposa maintenant sa copie, donc, quelques remarques sur sa copie et ça va s'appliquer automatiquement. Pour autant, nous allons rouvrir la porte tout de suite et je reste en contact bien sûr avec les syndicats médicaux. Nous allons reprendre les négociations avec, pour moi, un objectif qui est majeur, c'est un peu ce que je vous disais sur l'hôpital, cette responsabilité territoriale, le fait que tout le monde se met autour de la table, territoire par territoire, pour trouver les solutions, adapter les grandes règles aux territoires. C'est comme ça qu'on va s'en sortir.

CHRISTOPHE BARBIER
Donc, cette négociation financière va de pair avec la lutte contre les déserts médicaux ?

FRANÇOIS BRAUN
Bien entendu. Cette négociation financière, elle va elle va de pair avec mon objectif depuis que je suis arrivé, qui est de lutter contre toutes les inégalités d'accès à la santé. Vous savez, ces inégalités, elles sont territoriales, c’est ce qu'on appelle les déserts médicaux. Elles sont aussi financières et nous travaillons à la prolongation du 100% santé. Et puis, elles sont sociétales, il y a des parties de notre population qui sont moins bien traitées, moins bien soignées, je pense en particulier aux femmes, c'est pour ça qu'il y a un axe fort dans la politique que défend le Gouvernement sur la santé des femmes et l'égalité femmes-hommes.

CHRISTOPHE BARBIER
Le président de la République veut une loi avant la fin de l'été sur la fin de vie. La Convention citoyenne était très claire, elle veut qu'on dépasse la loi CLAEYS-LEONETTI, largement regardé, le suicide assisté, ça sera fait sous votre égide. Qu'en pense l'homme ? Qu'en pense le médecin ? Qu'en pense le ministre ?

FRANÇOIS BRAUN
Qu'en pense l'homme ? L’homme en pense que c'est un sujet de société d'abord, et je crois que c'était très important, cette Convention citoyenne, qui s'est déroulée de façon remarquable. Ça a été dit par tout le monde, avec des gens ayant des avis très différents.

CHRISTOPHE BARBIER
Et évoluant.

FRANÇOIS BRAUN
Et évoluant, c'est ça aussi qu'il est très intéressant. Ça veut dire que quand on lance la discussion, on peut évoluer, on n'a pas de position tranchée par rapport à cela, ce qui sera la réponse aussi du médecin. On n'a pas de position tranchée. Je pense que pour aujourd'hui, ma position personnelle intéresse peu, puisque nous sommes à la fin de cette grande discussion citoyenne. Maintenant, nous passons une deuxième phase, comme a dit le président de la République, qui va être une face politique, qui est une phase législative, c'est-à-dire que le Parlement va reprendre la main, les députés, les sénateurs, pour justement redynamiser un petit peu ce débat sur son versant strictement politique qui sera probablement là, le moment de dire : « Quelles sont les positions ? Quels sont les axes vers lesquels on va ? ». Mais, en tant que ministre, je suivrai bien entendu l'avis des parlementaires et l'évolution de la société.

CHRISTOPHE BARBIER
Et en fonction de ce travail politique, est-ce que vous pourriez proposer au président de la République de susciter un référendum sur cette question ?

FRANÇOIS BRAUN
Je ne sais pas s'il faut encore revenir sur cette question de référendum. On voit bien que la Convention citoyenne, certes, ce sont des citoyens tirés au sort, mais a pu entendre l'ensemble des avis. Ce rapport était d'ailleurs extrêmement riche. Nous avons aussi le rapport du Conseil consultatif national d'éthique. Nous avons aussi un rapport parlementaire sur l'application de la loi CLAEYS-LEONETTI. Nous avons énormément de matière pour travailler sur ce projet de loi, comme le souhaite le président de la République. En tout cas, ma volonté, c'est que les débats soient apaisés. Je ne veux pas qu'on reparte dans des débats pour-contre. Je veux qu'on réfléchisse d’une façon beaucoup plus globale, à ce qu'est la fin de vie, à ce que c'est la fin d'une vie, la fin d'une vie, ce n'est pas un instant T. La fin d'une vie, c'est toute une période. Je pense que c'est à ce niveau-là que doit porter la réflexion maintenant.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, j'ai lu dans la presse que vous aviez écrit le club des invisibles, réponse humoristique pour ces ministres à qui l’on reproche de ne pas assez se montrer dans les médias. Christophe BECHU, Pap NDIAYE, vous-même, donc, alors, c'est l'occasion de faire des bons dîners entre copains et puis de se marrer un peu de sa politique politicienne ?

FRANÇOIS BRAUN
Oui. Je crois que ça fait effectivement un trait d'humour, en tout cas, ça veut en être un. Vous avez raison, cette politique politicienne qui se fait par petites phrases, par petits mots, ce n’est pas mon style, enfin, vous l'avez vu, moi, je suis… C’est peut-être pour ça que je suis quelqu'un, dit-on, de la société civile, mais justement, la société civile, Pap NDIAYE, est pareil, ça permet d'avoir des réflexions sur du long terme, pas à la prochaine échéance politique, puis, je trouvais assez amusant le fait de se faire traiter d’invisible. Alors, j'aurais pu dire les fantastiques peut-être aussi.

CHRISTOPHE BARBIER
Ça deviendra peut-être… Il y a des matins où vous dites : « Je n'aurais pas dû accepter » ?

FRANÇOIS BRAUN
Non, parce que je suis quelqu’un qui s'engage totalement dans ce qu'il fait, j'ai mis plusieurs heures avant de donner ma réponse à la Première ministre, mais une fois que j'ai pris une décision, je la tiens.

CHRISTOPHE BARBIER
Et après, il y aura le retour la médecine ?

FRANÇOIS BRAUN
Et après, il y aura probablement le retour à la médecine, parce que c'est mon vrai métier.

CHRISTOPHE BARBIER
François BRAUN, merci et bonne journée.

FRANÇOIS BRAUN
Merci.

ILANA FERHADAN
Merci beaucoup, Christophe BARBIER, Christophe qu'on retrouvera avec grand plaisir après les fêtes de Pessah ce lundi, lundi prochain.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 12 avril 2023