Texte intégral
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur l’impact de l’écologie punitive sur l’inflation et le pouvoir d’achat.
La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Je ne céderai pas à " ce parti pris de ne pas voir ce qui, pourtant, crève les yeux ", pour reprendre les mots de Bernanos. Ce qui crève les yeux, ce sont les effets du dérèglement climatique – une réalité scientifique, qui ne touche pas que des contrées lointaines et désertiques : la France est d’ailleurs davantage affectée que la moyenne des autres pays. Avec 1,7 degré de plus par rapport à l’ère pré-industrielle et la perspective de 4 degrés supplémentaires en 2100, les conséquences sont partout présentes sur notre territoire. Les sécheresses sont toujours plus fréquentes et étendues. De ce point de vue, l’année 2022 a été marquée par un épisode prolongé et 2023, avec 80% des nappes phréatiques au-dessous de leur niveau normal à l’heure où nous parlons, s’annonce particulièrement complexe. Le trait de côte recule année après année : c’est particulièrement flagrant en Gironde, mais près de 975 communes le long de tout le littoral sont concernées. La biodiversité diminue de façon inquiétante : 600 espèces font d’ores et déjà les frais du dérèglement. Je pourrais évoquer la fonte des glaciers et poursuivre encore longtemps.
Ces enjeux ne sont pas dogmatiques. Ils sont scientifiques et profondément politiques. La vraie punition – la vraie violence –, c’est celle que subissent les agriculteurs, qui voient leur mode de culture remis en question. C’est celle que subissent certaines communes de front de mer, dont l’existence est en jeu. C’est celle d’un partage de l’eau de plus en plus difficile. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que des changements profonds, systémiques sont indispensables. Les responsables politiques qui n’en assumeraient pas la responsabilité en tireront peut-être profit, mais sur le court terme. Ils seront sévèrement jugés par les Françaises et les Français, par ces générations qui viennent et à l’égard desquelles nous sommes déjà comptables. Face à ces défis, notre gouvernement s’est engagé de façon ferme et inédite pour créer les conditions d’un avenir durable. Cela impose des choix forts : ce sont non seulement des changements d’habitudes, de mentalités, mais aussi des choix structurels qui nous concernent tous, sans aucune exception.
Face à cela, nous obéissons à un double principe : un principe d’action, car nous devons faire plus et mieux ; un principe de partage de l’effort, parce que tous, nous devons contribuer, en particulier ceux qui ont le plus et qui sont en situation de responsabilité. Le rôle de l’État, c’est planifier à l’échelle nationale, c’est accompagner les collectivités, les citoyens, particulièrement les plus vulnérables, et les entreprises, pour accélérer la transition écologique et en faire une opportunité. D’un côté, il y a ceux qui critiquent notre action, car il faudrait ne rien faire – au nom, ce soir, de la sauvegarde du pouvoir d’achat. C’est un leurre, très simple, un raisonnement à très court terme, peut-être électoraliste. De l’autre côté, il y a ceux qui expliquent que la seule voie pour la transition écologique, c’est de rejouer la lutte des classes. Il s’agit de monter les Français les uns contre les autres, de faire croire, par exemple, qu’il suffirait que le 0,1% des Français les plus riches fassent des efforts pour que la transition écologique se produise. (Mme Danielle Brulebois applaudit.)
Mme Marie Pochon
Soixante-trois milliardaires sont responsables d’autant d’émissions de gaz à effet de serre que la moitié des Français !
M. Christophe Béchu, ministre
Nous sommes pris entre deux extrêmes, ceux qui disent qu’on en fait trop, ceux qui disent qu’on n’en fait pas assez. Face à ces deux écueils, nous assumons le courage de la nuance, une nuance qui revient non pas à refuser l’action mais à choisir l’action la plus efficace, la plus juste pour tous les Français, à nous appuyer sur les collectivités territoriales et les élus locaux, pour être au plus près des besoins de nos concitoyens, à nous adosser au potentiel de notre économie et aux technologies de rupture. Car opposer dogmatiquement économie et écologie, ce serait mettre notre avenir entre les mains d’autres pays, ce serait payer le double prix de la dépendance et de l’hypocrisie environnementale, puisqu’il s’agira bien souvent d’économies lointaines, aux exigences environnementales moindres.
Oui, le dérèglement climatique et sa réponse, la planification écologique, exigent des efforts : de la part de l’État, qui doit être exemplaire ; de la part des plus aisés, dont les modes de vie sont les plus consommateurs ; de la part de chacun d’entre nous, car les usages de notre société doivent être plus sobres. Les changements à mettre en œuvre nécessitent l’adhésion des citoyens et leur sens du partage. Face à ces efforts, l’État répond présent en accompagnant les particuliers – pour la rénovation énergétique de leur logement, par exemple –, les collectivités – avec le Fonds vert –, les entreprises – pour des investissements coûteux, grâce à France relance et au futur plan Industrie verte. Ces efforts sont d’autant plus grands que le défi de la transition écologique, celui de notre siècle, n’éteint pas les autres crises, notamment géopolitiques, que nous traversons et qu’il nous faut mener de front. Parfois, il faut renoncer à aller aussi vite qu’on le souhaiterait parce que l’impact est trop important pour une partie des Français ou parce qu’un autre chemin n’existe pas encore. Mais c’est toujours lié à une feuille de route, à des engagements forts, à une vision, à un cap. Assumer le courage de la nuance, c’est assumer une écologie des solutions, qui ne s’impose que lorsque les autres solutions sont satisfaisantes.
œuvrer à la transition écologique, c’est assurer l’avenir de nos enfants, recueillir les bienfaits en matière de qualité de vie, de santé, de pouvoir d’achat et d’équilibre financier. C’est particulièrement tangible pour la transition énergétique, le nerf de la guerre. Les collectivités accompagnées dans leurs travaux de rénovation voient leur facture s’alléger. Les Français qui bénéficient de MaPrimeRénov’ économisent sur leurs factures. Ceux qui bénéficient d’aides pour l’achat de véhicules moins émetteurs, électriques, économisent des milliers d’euros en essence. Œuvrer à la transition écologique, c’est aussi porter une vision, celle qui veut que la France soit une nation motrice à l’international, comme elle l’a été déjà si souvent lors des grandes révolutions systémiques mondiales. C’est un chemin fidèle à notre histoire, prometteur en matière d’emploi, de rayonnement en Europe et dans le monde, de développement économique. Ce chemin de croissance et de prospérité durables devrait rassembler les Français au lieu de les diviser.
Pour que chacun s’approprie ces enjeux, ces contraintes, ces perspectives, pour que chacun participe à l’élaboration de ce projet de société, nous avons besoin de cohésion, de débats, de mobilisation. Notre pays a toujours su trouver le sens de l’intérêt général face aux grands défis auxquels il était confronté. C’est précisément cela que les marchands de peur de tous bords instrumentalisent, dans leur propre intérêt. Face aux dogmatismes et aux polémiques, je me revendique de ces mots qu’Albert Camus a prononcés lors d’une conférence sur l’avenir de la civilisation européenne : " L’équilibre est un effort et un courage de tous les instants. La société qui aura ce courage est la vraie société de l’avenir. " Tout cela afin d’éviter que, " devenus aux trois quarts aveugles par la grâce de la polémique, nous ne [vivions] plus parmi des hommes, mais dans un monde de silhouettes ".
Donnons aux Françaises et aux Français le débat sur la transition écologique qu’ils méritent, ancré dans la réalité des changements opérés, plutôt qu’un nouveau théâtre d’ombres ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et HOR.)
Mme la présidente
Nous en venons aux questions.
La parole est à Mme Mathilde Paris.
Mme Mathilde Paris (RN)
En 2025, dans moins de deux ans, toutes les métropoles françaises deviendront des zones à faibles émissions mobilité, ou ZFE-m. Les véhicules non classés ou portant une vignette Crit’Air 4 ou Crit’Air 5 – ceux dont la motorisation date d’avant 2006 pour les diesel – seront bannis des métropoles. Si la qualité de l’air et la préservation de la santé des citadins sont essentielles, les zones à faibles émissions ne doivent pas devenir des zones à forte exclusion. Il aurait été plus juste de cibler les automobilistes qui, par pur confort, se rendent dans les métropoles avec leur véhicule alors que d’autres modes de transport existent.
Députée d’une circonscription rurale, dans le Loiret, je tiens à dire combien la mise en œuvre des ZFE-m est vécue comme une injustice. En effet, la métropole d’Orléans n’est desservie par aucun transport en commun. Pire, alors que la réouverture d’une ancienne ligne ferroviaire reliant Orléans à la commune de Châteauneuf-sur-Loire devait voir le jour, le projet a été enterré en 2017 par le maire de la métropole. Celui-ci voyait d’un mauvais œil la création d’une voie supplémentaire en gare d’Orléans, car elle était susceptible de supprimer des places de stationnement ! Oui, vous m’avez bien entendue ! Pourtant, toutes les conditions étaient réunies : études, financements, dépôt de permis de construire. Cette ligne aurait pu être prolongée jusqu’à Gien, une ville particulièrement enclavée.
Pour les habitants de notre ruralité, il ne reste donc que la voiture pour se rendre dans la métropole d’Orléans. Or beaucoup sont équipés de véhicules diesel datant d’avant 2006. Malgré les aides, l’achat d’un véhicule moins polluant est inabordable, notamment pour les familles comptant plusieurs enfants. Nous ne pouvons accepter qu’ils soient exclus des métropoles qui concentrent un grand nombre d’emplois, de services et d’établissements de santé. L’écologie punitive, c’est non !
Monsieur le ministre, allez-vous enfin mettre tous les moyens en œuvre pour que les habitants de la ruralité puissent se rendre en train dans les métropoles, particulièrement ceux de ma circonscription, qui est un cas d’école ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Madame la députée, il n’y a pas de zones à faibles émissions à Orléans.
Mme Mathilde Paris
Pas encore !
M. Christophe Béchu, ministre
Vous êtes donc en train de dénoncer une situation qui n’existe pas. (« Mais ce sera le cas en 2025 ! » et exclamations sur les bancs du groupe RN.) Je vais donc vous inviter à vous concentrer quelques instants sur ce que dit la loi, ce qui nous permettra dans cette enceinte de nous référer à quelque chose de réel.
Que dit-elle ? Qu’à compter du 1er janvier 2025, les métropoles de plus de 150 000 habitants devront mettre en place des zones à faibles émissions. Précise-t-elle toutefois les catégories de véhicules ne pouvant plus rentrer à cette date dans une ZFE, hypothétique dans le cas d’Orléans ? Si je dis « hypothétique », c’est que la loi telle qu’elle a été votée par le Parlement prévoit une obligation de résultat et non pas de moyens. Si la qualité de l’air dans tout ou partie des 43 agglomérations concernées est jugée satisfaisante et qu’il n’y a pas de surmortalité, il sera possible de ne pas mettre en place de ZFE. J’ai même signé en décembre dernier le décret précisant les modalités des dérogations prévues dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, la loi " climat et résilience ". Je ne connais pas les données concernant la qualité de l’air à Orléans mais sachez que les mesures doivent être effectuées dans les trois années qui précèdent la mise en place d’une ZFE, c’est-à-dire à compter de l’année dans laquelle nous sommes.
Si les seuils sont dépassés, les élus sont certes soumis à l’obligation de mettre en place le dispositif mais ils peuvent décider du calendrier d’application des mesures. Dans un premier temps, elles sont susceptibles, par exemple, de ne s’appliquer qu’aux voitures de plus de vingt-cinq ans. Agiter des peurs, madame la députée, n’est donc pas utile à la minute où nous nous parlons.
S’agissant des solutions alternatives, évoquons le leasing à 100 euros pour les véhicules électriques.
Mme Mathilde Paris
Qu’en est-il pour les voitures familiales ?
M. Christophe Béchu, ministre
Le plan d’investissement dans le ferroviaire, notamment les RER métropolitains, permettra d’avancer dans la voie que vous souhaitez.
Je vous ai entendu suggérer d’interdire l’entrée dans les villes aux automobilistes qui n’utiliseraient leur véhicule que par confort. C’est une manière assez originale de concevoir la liberté : comment déterminer ce qui relève ou pas du confort ? Cela promet une société qui n’est pas exactement celle dans laquelle j’ai envie de vivre.
Mme la présidente
La parole est à Mme Laurence Robert-Dehault.
Mme Laurence Robert-Dehault (RN)
La gestion de l’eau concerne tout le monde et doit avoir toute sa place dans le débat démocratique. Réagissant à la menace réelle de futurs épisodes de sécheresse, le président Macron a présenté le plan Eau du Gouvernement. Nous considérons qu’il contient de trop nombreux angles morts. La tarification progressive de l’eau est une belle idée en façade, mais qu’en sera-t-il pour les familles nombreuses qui passeront rapidement du palier 1 au palier 2, même si elles s’en tiennent à une consommation vertueuse ? Comment comptez-vous prendre en compte leur situation sans créer une énième usine à gaz ?
Depuis plusieurs jours, les entreprises de mon département de la Haute-Marne viennent m’exprimer leurs craintes. Crise du covid, inflation record sur les matières premières, envolée absurde du prix de l’énergie : notre tissu économique est en souffrance. Lui imposer de nouvelles contraintes économiques ou normatives n’aura pour effet que de le fragiliser encore plus.
Les entreprises du secteur agroalimentaire sont particulièrement inquiètes. Je pense aux agriculteurs, notamment aux éleveurs de bovins. Les animaux ont des besoins en eau qui ne s’accommodent pas des plans de rationnement. Les vaches laitières, par exemple, boivent entre 60 et 100 litres d’eau par jour. Nos agriculteurs ne pourront pas supporter une hausse du tarif de l’eau.
Je pense également aux Fromagers de Chevillon, entreprise qui utilise 50 mètres cubes d’eau par jour pour assurer le nettoyage des installations. Verra-t-elle sa facture augmenter du seul fait qu’elle se conforme aux normes d’hygiène ? Je pense aux aciéries de ma circonscription qui ont besoin de bacs de refroidissement très gourmands en eau. Je pense aux restaurateurs qui doivent assurer la plonge et respecter les normes d’hygiène alors qu’ils ont déjà beaucoup souffert des crises successives.
Monsieur le ministre, pouvez-vous rassurer nos acteurs économiques en leur garantissant que ce plan Eau ne consistera pas une nouvelle fois en une succession de mesures punitives qui fragiliserait ceux qui font la richesse de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Madame la députée Robert-Dehault, je pense aux habitants de votre circonscription, à la fromagerie, à ces aciéries, à ces familles nombreuses que vous évoquiez. La diminution de la ressource disponible ne résulte pas d’une mesure gouvernementale. Quelles que soient les alternances politiques, la réalité climatique est la même. Sur les 500 milliards de mètres cubes de pluie qui tombent chaque année, la part disponible, qui s’élevait à 200 milliards, diminuera au cours du siècle dans des proportions estimées entre 10% et 40% car, du fait de la multiplication des vagues de chaleur, les besoins des plantes et l’évapotranspiration vont croître. Cette réduction de nos réserves implique de diminuer nos prélèvements, c’est-à-dire les quantités d’eau prises dans les étiages ou dans les nappes phréatiques.
Face à ce phénomène, nous avons deux options : soit se mettre la tête dans le sable en se disant que rien de tout cela ne va se produire, que l’eau c’est la vie et que, comme elle est nécessaire à tous les usages que vous avez évoqués, il faut que les tarifs permettent de les poursuivre ; soit regarder la réalité en face et conduire un plan destiné à économiser, à trouver des ressources alternatives et à optimiser des sources d’eau auxquelles nous ne prêtions pas attention – eaux grises, eaux de pluie, eaux usées.
Dans notre plan, nous ne stigmatisons personne, nous ne visons aucune activité économique en particulier. Nous disons simplement qu’il faut mieux organiser le partage de l’eau. C’est le sens des plans d’adaptation au changement climatique mis en place dans chacun des comités de bassin, qui sont les parlements locaux de l’eau associant tous les acteurs économiques.
La solution réside dans cette planification mais aussi dans certains investissements. Il s’agit par exemple de se donner les moyens de développer l’irrigation goutte-à-goutte qui ne concerne actuellement que 7% de notre surface agricole. Cela nous permettra de prolonger ces activités économiques et de nous nourrir. Je vous assure que c’est vraiment l’état d’esprit dans lequel nous sommes.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NUPES)
Devant l’urgence climatique, l’État doit prendre toute sa place et toutes ses responsabilités. Ceux qui s’enrichissent grâce à la pollution et engrangent des milliards de bénéfices ne doivent-ils pas être les premiers et seuls payeurs ? Il est important que la transition écologique n’oublie pas le volet social, car les ménages les plus pauvres sont souvent les plus touchés par les mesures environnementales. En effet, l’augmentation des taxes entraîne une hausse des prix des produits et services qui se répercute sur le consommateur.
Oui, nous devons concilier l’écologie avec nos modes de consommation en réduisant notre impact sur l’environnement afin de protéger notre planète et l’avenir des générations futures. Cependant, le consommateur ne doit pas toujours être le maillon final à qui l’on fait tout payer. Le produit de ces taxes est-il utilisé en totalité pour financer des politiques environnementales efficaces ? Les industriels sont-ils suffisamment mis à contribution pour la protection de la planète ? Cette politique n’a-t-elle pas d’autre finalité que de punir le consommateur ? N’avez-vous pas le sentiment que celui-ci paye pour le pollueur ? Il est vrai qu’il est plus facile de taxer le citoyen que de s’attaquer à des lobbys. Ne faut-il pas, en premier lieu, taxer les superprofits pour financer la protection de notre environnement ?
Dans le secteur des déplacements, comment faire de l’écologie punitive s’il n’y a pas ou peu d’alternatives ? Je pense en particulier à la situation dans les outre-mer. La solution doit aussi passer par l’augmentation des revenus pour redonner du pouvoir d’achat aux citoyens qui pourront ainsi consommer plus sainement et mieux.
Monsieur le ministre, quelle est votre ambition pour la France hexagonale et pour les outre-mer ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Votre double question sur le juste partage de l’effort et sur la situation dans les outre-mer va bien au-delà du cadre de ce débat.
M. Jean-Hugues Ratenon
Je vous en prie, prenez votre temps !
M. Christophe Béchu, ministre
L’objectif que nous devons atteindre à l’échelle de notre planète pour aller vers la neutralité carbone est une empreinte individuelle de 2 tonnes. Or pour des milliards d’habitants, elle dépasse déjà ce seuil, parce qu’ils y sont contraints. Ils ne doivent pas être les victimes des politiques que nous conduisons. Ce qui est vrai à l’échelle mondiale l’est aussi à l’échelle nationale. L’empreinte carbone de millions de Français vivant dans des situations subies ne justifie pas que l’on vienne alourdir les contraintes qui pèsent sur eux, qu’elles soient fiscales ou qu’elles soient tout simplement financières.
Que ceux qui ont le plus soient mis à contribution pour financer, c’est juste et c’est normal. De manière concrète, nous préférons le principe du pollueur-payeur à celui de l’interdiction, surtout s’il ne s’applique que dans un seul pays, parce qu’il n’est ni juste ni efficace. Si je crois à la régulation et à l’impôt, pour reprendre des termes employés ce soir, je ne crois pas à l’interdiction. La proposition de loi visant à interdire les vols en jets privés sur laquelle vous vous pencherez jeudi est pour moi le bon exemple de ce qu’est une écologie du buzz, qui est à l’opposé d’une écologie efficace. C’est à l’échelle européenne qu’il faut porter ce débat. La volonté politique ne doit pas se réduire à un seul parti dans un seul pays. La justice fiscale, en revanche, a consisté à aligner le tarif du kérosène sur celui de l’essence : avant que notre majorité ne prenne cette mesure l’année dernière, l’automobiliste payait le litre de carburant qu’il mettait dans sa voiture diesel 70% plus cher que le propriétaire d’un jet privé.
Il n’y a pas de transition si elle n’est pas solidaire et si elle n’est pas juste. C’est le sens de MaPrimeRénov’ comme des mesures de soutien au changement de véhicule. C’est le sens de la réflexion conduite autour du chèque alimentaire. Vous savez l’attention particulière que nous portons aux outre-mer, compte tenu de l’intensité du changement climatique et de la question sociale dans ces territoires.
Mme la présidente
La parole est à M. Idir Boumertit.
M. Idir Boumertit (LFI-NUPES)
À l’heure où nous devons opérer un changement de nos comportements écologiques, il est impératif de penser sur le temps long une stratégie équitable pour le secteur le plus polluant, le transport. C’est un fait incontestable, si nous voulons respecter les engagements internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et maintenir des villes vivables, le transport du futur doit être commun. Il est ainsi primordial de donner aux collectivités territoriales, chargées des transports en commun, les capacités financières nécessaires pour leur permettre d’assurer l’offre de transports la plus large et la moins onéreuse possible. À cet égard, nous observons l’émergence de certaines mesures visant à élargir l’accessibilité des transports en commun. Certaines communes commencent déjà à instaurer des systèmes de gratuité à certaines conditions. La mise en place de tarifs sociaux pour accéder aux services d’autopartage apparaît également comme une solution de nature à réduire le nombre de voitures en circulation et à faciliter l’accès aux véhicules moins polluants.
Toutefois, de nombreuses personnes sont dans l’impossibilité d’utiliser les transports en commun pour se déplacer, notamment dans les périphéries urbaines populaires. Le recours à une voiture individuelle demeure ainsi nécessaire pour beaucoup de familles, mais les aides existantes sont trop faibles pour leur permettre d’acquérir un véhicule respectant les règles relatives aux ZFE, à rebours d’une écologie réellement populaire. Pour encourager efficacement la modification des comportements, l’État doit accompagner les collectivités territoriales afin de favoriser un accès effectif aux solutions de transport plus écologiques, y compris pour les familles ne disposant pas de ressources suffisantes pour l’acquisition de véhicules moins polluants.
Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous pour permettre aux collectivités territoriales de déployer une offre efficace et fournie de transports en libre accès à destination des ménages les plus précaires et d’accompagner efficacement leurs administrés afin de garantir le droit à la mobilité ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Vous venez d’un territoire, je pense ici à la métropole de Lyon, caractérisé par l’intensité de l’usage des transports en commun, qui a fait le choix, plutôt que de mettre en place la gratuité, de continuer à investir dans son réseau à l’instar de villes comme Strasbourg. Soutenir les transports en commun, c’est à la fois bon pour le climat et bon pour la santé car ils contribuent à faire baisser la pollution.
Le rôle du Gouvernement est d’aider, d’accompagner et de soutenir financièrement ce type de projet. Cette politique sera au cœur des contrats de plan État-région (CPER) présentés dans quelques jours. Ils vont contribuer à poser les bases des RER métropolitains, qui renvoient au projet de développer les transports ferroviaires du quotidien à l’échelle de nos grandes métropoles. Dans le même temps, nous soutenons des projets de transports en commun dans le cadre de la nouvelle vague d’appels à projets lancés par l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) qui a déjà permis d’accompagner des investissements de ce type à hauteur de 20% à 25% des financements.
Au-delà, je crois en la vertu de financer, dans les territoires moins denses, des politiques de soutien au covoiturage. Les transports produisent en effet 30% de nos émissions, dont les moteurs thermiques des voitures individuelles représentent plus de 80%. À ce titre, l’autosolisme est notre véritable ennemi, la voiture étant, dans de nombreux endroits, la seule solution pour se déplacer.
Toutefois, les gens se déplaçant seuls dans leur voiture dans 80% des cas, il sera possible de diminuer très rapidement les émissions et de faire baisser les factures en les incitant à covoiturer. C’est le sens du plan covoiturage que nous avons lancé, avec un doublement des aides octroyées aux municipalités, afin de financer des aires de covoiturage et d’accompagner, très concrètement, la réalisation de parkings ou d’applications permettant aux gens de se retrouver pour effectuer leurs trajets ensemble.
Faute de disposer de suffisamment de temps pour entrer dans le détail, voilà quelques-unes des mesures autour desquelles s’articule la planification écologique dans le domaine des transports.
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Rolland.
M. Vincent Rolland (LR)
Le changement climatique ne fait pas débat. Encore faut-il qu’un consensus émerge sur les solutions à y apporter ; c’est là où le bât blesse. Nous défendons une écologie du progrès, fondée sur la recherche scientifique et la croissance économique contre les apôtres d’une écologie fondée sur les interdictions et la décroissance.
Alors que l’acceptation sociale de la transition écologique est vitale, vous réussissez par vos choix discutables, dans un contexte inflationniste, à décourager les Français, pourtant conscients de la nécessité d’agir. Pire, ces mêmes choix aggravent la hausse des prix à laquelle ils font déjà face.
Parlons de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) : une mesure qui aggrave le manque de foncier disponible et qui conduit à des hausses de prix vertigineuses dans le secteur immobilier. Appliquée telle quelle aux territoires de montagne, la loi rend encore plus difficile toute installation des familles à proximité de leur lieu de travail.
Il en va de même de la rénovation thermique des bâtiments, pour laquelle des normes toujours plus contraignantes sont décidées, alors même que les professionnels nous alertent sur les pénuries de fenêtres, de volets et d’isolants. Cette politique traduit une déconnexion totale avec le pouvoir d’achat des Français, qui attendent de l’État qu’il joue pleinement son rôle en tendant vers le zéro reste à charge.
Enfin, s’agissant des transports, la politique du tout-électrique est incompréhensible ; sans compter les répercussions liées à l’établissement des ZFE qui conduiraient les Français qui ne sont pas en mesure de changer de véhicule à ne plus pouvoir circuler dans les centres-villes.
Monsieur le ministre, nous ne perdons pas espoir de vous faire entendre raison. Parlons enfin d’une écologie positive pour permettre une réelle transition, acceptée par tous les Français, et non pas seulement par ceux qui peuvent se le permettre.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Nous sommes presque d’accord sur l’essentiel : la transition écologique est indispensable et il faut embarquer tout le monde. Ensuite, vous énumérez un certain nombre de mesures qui ne méritent peut-être pas toutes d’être mises dans le même sac.
L’objectif zéro artificialisation nette résulte d’un constat simple : en cinq décennies, l’étalement urbain s’est développé davantage qu’en cinq siècles, sans qu’il soit justifié par l’augmentation de la population. Ce faisant, nous menaçons une part de notre souveraineté agricole future, tout comme notre capacité de capter les gaz à effet de serre dans les sols. Le ZAN s’appliquera en 2050. Nous avons aujourd’hui l’équivalent de plus de dix ans d’urbanisation sous forme de friches et des droits à urbaniser qui n’ont pas commencé à diminuer, alors que les prix ont commencé à augmenter, avant même l’application du ZAN. Ne lui faisons donc pas porter toute la responsabilité, même si un assouplissement du dispositif est nécessaire.
J’ai déjà répondu sur les ZFE : nous devrions nous rejoindre sur une mesure qui vise à éviter 47 000 décès par an – chiffres de Santé publique France – et 100 milliards d’euros de coût de santé publique, selon un rapport du groupe Les Républicains au Sénat, plutôt que de débattre uniquement sur la question des modalités.
M. Vincent Rolland
Et des moyens !
M. Christophe Béchu, ministre
En ce qui concerne les moyens, nous devons conjuguer ceux qui proviennent de la puissance publique et ceux que nous devrons être capables de dégager, par l’intermédiaire de dispositifs tels que le prêt à taux zéro ou les avances remboursables, afin d’accélérer la transition écologique sans qu’elle se fasse au détriment du pouvoir d’achat des Français. Nous continuons à chercher, comme tous les pays du monde, le bon chemin qui permettra de conjuguer la vitesse et la solidarité.
Mme la présidente
La parole est à M. Johnny Hajjar.
M. Johnny Hajjar (SOC)
Si la France est la deuxième puissance maritime mondiale, c’est grâce aux outre-mer ; si elle est une puissance sur le plan de la biodiversité, c’est grâce aux outre-mer ; si elle est une puissance en matière d’énergies renouvelables, c’est grâce aux outre-mer ; si elle est une puissance géostratégique où le soleil ne se couche jamais, c’est encore grâce aux outre-mer. C’est dire l’apport et la contribution de nos peuples, de nos cultures, de nos richesses et de nos milieux naturels à la République française.
Pourtant, en Martinique et en Guadeloupe, à cause d’une forme d’inaction punitive qui a donné la priorité aux profits et à la logique productiviste au détriment de l’écologie, l’utilisation du chlordécone dont j’ai parlé dans mon discours préliminaire a contaminé nos terres pour plusieurs centaines d’années. Ce produit a empoisonné 95% des Guadeloupéens et 92% des Martiniquais ; il a contaminé nos eaux et nos rivières, provoqué et développé des maladies graves et multiples, avec un impact destructeur sur nos économies respectives, notamment l’agriculture et la pêche.
Cette punition se traduit aussi très concrètement au quotidien sur le plan de la santé, de l’environnement, des questions sociales et économiques dans nos territoires. Ce scandale d’État, reconnu par le Président de la République lui-même, ne peut rester sans réponse sérieuse ni justice.
Alors, monsieur le ministre, il est temps d’aller plus loin et d’être concret. Il est temps de sortir des plans chlordécone I, II, III ou IV. Il est temps d’engager une véritable loi programme complète, pour une durée de vingt ans minimum, comme l’a voté symboliquement la collectivité territoriale de Martinique il y a quelques jours. Il est temps de sortir de ce scandale et de décontaminer les sols, d’octroyer plus de moyens à la recherche scientifique, d’indemniser les ouvriers agricoles et les multiples victimes avec une prise en charge et un suivi médical adaptés, d’indemniser également les artisans, les marins pêcheurs et les petits agriculteurs pénalisés, ainsi que toutes les petites et moyennes entreprises touchées. Il est temps d’agir !
Cette loi programme devra intégrer les quarante-neuf préconisations formulées dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur l’utilisation du chlordécone et du paraquat, présidée par Serge Letchimy et dont Justine Benin était la rapporteure. Ce rapport répond en effet clairement, de manière globale, concrète, coordonnée, complète et efficace, au problème de sortie de l’empoisonnement au chlordécone. Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à prendre l’initiative de proposer une telle loi programme, à titre de juste réparation, afin de mettre un terme définitif à ce fléau ? (Mme Marie Pochon applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Dans votre énumération visant à rappeler ce que la France doit à ses territoires d’outre-mer, en matière de biodiversité, d’étendue ou tout simplement de capacité à se projeter, vous auriez pu vous contenter de souligner que la France est la France grâce à ses outre-mer. Ces territoires font partie de son histoire, de ses particularités et, à tout point de vue, les liens qui nous unissent dépassent une quelconque énumération.
Dans le cadre de cette histoire commune, le recours massif au chlordécone de 1973 à 1993, afin de lutter contre le charançon du bananier, est un scandale sanitaire. Cette réalité a conduit, ensuite, à l’élaboration de plans successifs depuis 2008 : 30 millions d’euros, 33 millions, puis 40 millions ; dans le cadre du quatrième plan prévu pour la période 2021-2027, c’est-à-dire jusqu’à la fin du quinquennat, 100 millions seront engagés, soit quasiment l’équivalent de ce qui a été octroyé au cours des quatorze ou quinze dernières années.
Mais l’argent ne fait pas tout. Les souffrances que vous évoquez sont celles de gens que vous connaissez : une terre que vous habitez, des électeurs que vous avez l’occasion de rencontrer. La pollution des sols qui provoque des maladies, ainsi que l’incompréhension par rapport à une décision de justice qui a été vécue comme une injustice – l’indépendance des pouvoirs m’interdit de la commenter davantage – sont autant de réalités dont vous témoignez ce soir à l’occasion de ce débat.
Le ministère de l’environnement, dont je suis le locataire actuel, le serviteur temporaire, a la responsabilité d’une partie de ce plan – non de l’ensemble : parmi les près de cinquante mesures, quarante-deux ont d’ores et déjà été déployées à la suite du rapport parlementaire que vous avez évoqué. Il en reste quelques-unes à conduire. Mais, je le dis très sincèrement, sachez que la porte de mon ministère vous est grande ouverte si vous souhaitez échanger plus longuement à ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
M. Thierry Benoit
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne-Cécile Violland.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR)
Face aux conséquences du changement climatique, nous devons plus que jamais être mobilisés pour tenir nos engagements et doubler le rythme de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. C’est le seul chemin raisonnable au vu du consensus scientifique, chemin sur lequel la France est pleinement engagée.
Au-delà des mesures réglementaires, une méthode simple, juste et efficace, sans effets de bord ou de seuil, a la faveur du groupe Horizons : faire payer le juste prix, c’est-à-dire le prix réel, des émissions de gaz à effet de serre. C’est le principe du pollueur-payeur, qui comporte plusieurs avantages : du point de vue de la liberté, puisque ceux qui n’ont pas de choix alternatif bas-carbone ne se retrouvent pas confrontés à une interdiction rigide, mais sont incités à trouver des solutions ; du point de vue de la justice, puisque chacun est amené progressivement, avec l’augmentation du prix du carbone, à payer pour les émissions qu’il engendre et donc, in fine , à financer les politiques publiques environnementales ; du point de vue de la lutte contre le changement climatique, enfin, puisque, du côté de la demande, les options bas-carbone seront plus attractives pour les consommateurs et, du côté de l’offre, l’incitation sera forte pour réduire les émissions afin de pouvoir proposer des biens ou des services compétitifs.
Mes questions seront donc très simples : comment assurer la transition vers une fiscalité verte à la faveur d’une économie décarbonée, dans un esprit de justice sociale ? Et pouvez-vous nous indiquer les évolutions prévues au niveau européen à ce sujet, avec la montée en puissance du marché du carbone et la mise en place progressive, enfin, d’une taxe carbone aux frontières de l’Union et sa contribution à l’objectif du paquet Fit for 55 – c’est-à-dire la réduction de 50% des émissions d’ici à 2030, par rapport à 1990, qui vise la neutralité carbone d’ici à 2050 ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Tout est juste dans votre question, sauf le fait qu’elle soit simple : dire qu’il serait simple de répondre au sujet de la transition fiscale serait évidemment un raccourci. Je note toutefois la cohérence entre le discours que vous avez tenu il y a quelques minutes à la tribune sur la nécessité d’agir et votre souhait de se doter d’un mécanisme efficace qui permette à la fois de réindustrialiser notre pays et de décourager des trajets trop longs dont l’empreinte carbone serait importante.
La réponse, c’est le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : pour faire simple, cela signifie la suppression des quotas carbone gratuits, avec l’idée que le consommateur doit financer une part des émissions de gaz à effet de serre envoyées dans l’atmosphère, compte tenu des hydrocarbures qui ont été brûlés entre le lieu de production au bout du monde et notre pays. Ce mécanisme entraîne la baisse des coûts relatifs de ce que nous produisons sur notre sol et favorise le projet de réindustrialisation, tout en limitant nos émissions nationales. À ce titre, nous pourrons nous appuyer sur notre mix énergétique, avec les énergies renouvelables que nous développons, et sur la puissance du nucléaire pour produire avec un faible coût en carbone, le principe étant de refléter le juste prix.
Ce mécanisme doit s’accompagner d’un fonds social européen ; le risque, c’est que des produits à bas coût, fabriqués très loin, fassent monter l’inflation pour les plus modestes. Nous devons y faire face en conduisant une politique équilibrée. L’Union européenne suivra ce chemin jusqu’en 2027, date effective et officielle entérinant la fin des crédits carbone gratuits qui faussent actuellement une partie de l’analyse. Nous sommes sur un chemin de crête : monter un mécanisme aux frontières, construire une réponse industrielle et économique souveraine à l’intérieur de notre pays, et faire en sorte de créer un ajusteur social pour que l’ensemble se fasse dans de bonnes conditions. Je suis heureux, et non surpris, de constater que le groupe Horizons contribuera à cette réflexion.
M. Thierry Benoit
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à Mme Laurence Heydel Grillere.
Mme Laurence Heydel Grillere (RE)
Après avoir ignoré, puis nié, pendant des décennies, l’évidence des effets néfastes des activités humaines sur notre environnement, chacun semble aujourd’hui reconnaître qu’il faut agir. Certains – ils se disent écologistes – se présentent comme les seuls sachants, les érudits. Ils ont fait le choix de la radicalité, souhaitant tout interdire, tout réglementer, préférant exporter l’impact environnemental de nos consommations alimentaires, énergétiques, de nos produits du quotidien aux dépens des entreprises françaises qui ne feraient jamais suffisamment d’efforts. Et comme si cela ne suffisait pas, ils font aussi le choix de taxer ceux qui ne modifieraient pas suffisamment leurs habitudes. Une véritable écologie punitive !
D’autres – je pense au Rassemblement national – se disent prêts pour des évolutions à condition que rien ne change pour eux. Ils parlent d’inflation mais proposent de démanteler les éoliennes. Je vous laisse imaginer l’impact d’une telle mesure sur les finances publiques et sur le prix de l’énergie.
Entre ces extrêmes, nous pouvons faire le choix difficile de l’équilibre, celui qui permet d’associer et de responsabiliser chacun de nos concitoyens, chacune de nos entreprises, de nos associations et de nos administrations. C’est aussi le choix de la responsabilité, comme nous l’avons expérimenté en matière d’énergie cet hiver, la sobriété de chacun ayant profité à tous.
Dès lors, comme il est de notoriété publique que le transport et le logement sont les secteurs les plus émetteurs de CO2 et les plus sensibles à la hausse des prix de l’énergie en lien avec le conflit en Ukraine, pouvez-vous nous indiquer, d’une part, le nombre de Français – ainsi que leur profil – qui ont bénéficié des aides à l’acquisition de véhicules propres et des aides pour une mobilité plus durable et, d’autre part, nous apporter quelques éléments chiffrés concernant l’utilisation des aides à la rénovation énergétique comme MaPrimeRénov’, la prime coup de pouce économie d’énergie, la réduction d’impôt Denormandie pour la rénovation d’un logement et enfin les aides visant à faire face à la crise énergétique ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Les propos que j’ai tenus vont dans le sens que vous évoquez, c’est-à-dire la défense d’une écologie du quotidien qui permet de prendre en considération les situations réelles. Certains expliquent que l’écologie serait responsable de l’augmentation des prix, ce qui est évidemment un raccourci un peu facile, notamment parce que la France est, parmi les pays européens – dont les législations ne sont pas les mêmes mais qui sont tous confrontés à l’inflation –, celui qui subit l’impact le plus faible grâce aux mesures qui y ont été décidées.
Au cours des vingt-quatre derniers mois, 60 à 70 milliards ont été dépensés afin de soutenir les factures énergétiques. Les prix de l’énergie auraient dû augmenter de 95% au début de l’année si des mesures de protection, destinées à jouer un rôle de bouclier ou d’amortisseur, n’avaient pas été prises.
L’an dernier, les écarts de prix entre, d’un côté, la France, et, de l’autre, les Pays-Bas ou l’Allemagne, se situaient dans un rapport de un à deux, voire à trois, et ce grâce aux sommes dépensées, dont la quasi-totalité des Français ont bénéficié.
Je pourrais aussi citer le chèque carburant qui compte 10 millions de bénéficiaires, les dispositifs mis en place s’agissant du chauffage aux pellets ou au bois, ceux qui visent à soutenir le chauffage au fioul ou encore les remises accordées aux personnes qui utilisent des véhicules.
Si l’on additionne toutes les mesures, on constate que 100 milliards d’euros ont été dépensés pour soutenir le pouvoir d’achat des Français, aux revenus modestes ou moyens, ainsi que les acteurs économiques afin de les accompagner pendant cette crise en conjuguant la solidarité dont j’ai parlé et le soutien à la compétitivité face aux affres du temps et de la géopolitique.
Mme la présidente
La parole est à Mme Graziella Melchior.
Mme Graziella Melchior (RE)
Comme partout dans le monde, l’inflation a un impact considérable sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens mais, plus que dans n’importe quel autre pays, le Gouvernement a mis en place des dispositifs extrêmement protecteurs. Je citerai par exemple le bouclier tarifaire sur l’électricité qui a limité la hausse des prix à 20 euros par mois pour nos concitoyens alors que l’augmentation réelle est de 180 euros. En effet, dans un moment tel que celui que nous traversons, nous devons répondre dans l’urgence par des dispositifs conjoncturels.
Toutefois, lorsque l’on est en responsabilité et que l’on est conscient des réalités du changement climatique, on se doit de proposer des mesures qui tiennent compte de cet enjeu majeur, contrairement à ce que fait le Rassemblement national ce soir. Il est évident qu’il faut aborder la question du pouvoir d’achat des Français à l’aune du changement climatique, en proposant des réponses structurelles.
Le 10 février dernier, nous avons célébré les trois ans de la promulgation de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite Agec, dont j’avais été rapporteure avec Mme Riotton. Elle démontre la vision que nous avons de l’écologie : pragmatique et ambitieuse, qui apporte des solutions concrètes aux Français, dans leur vie quotidienne, et prépare les mutations de notre société. Je pense particulièrement aux mesures en faveur de l’économie circulaire pour sortir d’une société du tout-jetable.
Le développement de l’économie circulaire et du réemploi est en plein essor en France, comme dans le reste de l’Europe, et nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à acheter et à revendre des produits de seconde main, intégrant une double préoccupation, l’impact environnemental et le pouvoir d’achat.
Toutefois, selon une enquête réalisée dans dix-sept pays européens, le montant moyen de gain déclaré grâce à la revente de produits de seconde main en France s’élève à 67 euros contre 115 au Royaume-Uni et 105 en Allemagne.
Dès lors, pourriez-vous nous faire part du bilan de la loi Agec en matière d’économie circulaire et nous dire comment nous pourrions soutenir encore davantage les démarches de réemploi, afin d’apporter des réponses pratiques et vertueuses tant en matière de pouvoir d’achat que d’écologie ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Vous avez raison, nous n’avons sans doute pas célébré autant que nous aurions dû l’anniversaire de la loi Agec, adoptée il y a trois ans. C’est pourtant bien une petite révolution.
Le modèle économique qui est le nôtre depuis plusieurs générations consiste à extraire, à produire, à consommer – souvent pendant peu de temps – puis à jeter. La durée moyenne d’usage d’une perceuse, dans la vie de chacun, est ainsi de treize minutes – je ne parle pas de la période pendant laquelle elle reste dans un placard mais du temps pendant lequel on s’en sert effectivement pour percer des trous.
Cet exemple illustre bien l’idée aberrante selon laquelle il faudrait tout posséder, de manière durable, sans se demander comment on pourrait faire pour utiliser les objets uniquement lorsqu’on en a besoin et permettre aux autres de s’en servir ensuite.
De ce point de vue, la loi Agec a opéré une vraie transformation, tout d’abord en prévoyant des interdictions. Ainsi, depuis le 1er janvier, nous sommes le premier pays au monde à avoir interdit l’usage de couverts jetables dans la restauration rapide. Cela évite d’utiliser 200 000 tonnes de plastique, soit 20 milliards d’objets. En outre, ces changements permettent de créer des emplois. C’est ce qui s’est produit par exemple dans l’est de la France, où une chaîne célèbre dans le monde entier a dû agir pour se doter de produits lavables.
Des aides à la réparation ont également été créées, notamment un dispositif dit bonus réparation lancé en décembre. En quatre mois, 20 000 Français – un chiffre sur lequel nous n’avons pas encore communiqué – ont ainsi bénéficié d’un chèque pour faire réparer un objet électronique. Au fil du temps, le nombre de réparateurs agréés augmentant, les effets produits par cette mesure seront de plus en plus notables.
Plus généralement, nous avons parlé ce soir de réchauffement climatique ou de pollution atmosphérique mais nous n’avons sans doute pas suffisamment parlé d’une date : le 28 juillet, jour dit du dépassement à l’échelle de la planète. À partir de cette date, et pendant tout le reste de l’année, nous consommons davantage que ce que la Terre est en mesure de nous offrir. L’objectif de l’économie circulaire, c’est que cette date se rapproche du 31 décembre. Je précise que le jour du dépassement intervient, à l’échelle de notre pays, dès la première quinzaine du mois de mai. Vous pouvez donc mesurer le chemin qui nous reste à parcourir. La loi Agec est un bon moyen d’agir dans ce sens, je vous remercie d’y avoir contribué en tant que rapporteure – et je penserai particulièrement à vous le 6 avril, jour de votre anniversaire.
Mme Graziella Melchior
Merci !
Mme la présidente
La parole est à Mme Véronique Riotton.
Mme Véronique Riotton (RE)
Je me demande parfois si les tenants d’une écologie radicale ne sont pas les idiots utiles de ceux qui considèrent que l’écologie est punitive – ou inversement. En posant la question comme cela a été fait aujourd’hui avec ce débat, on enfume les Français et on leur fait croire que l’écologie ne peut être utile ni pour la planète ni pour le pouvoir d’achat.
Or il existe une écologie pragmatique, quotidienne et ambitieuse. C’est le chemin que nous avons emprunté depuis 2017. Nous continuons à mener une politique qui va dans ce sens, notamment en travaillant sur le volet de l’économie circulaire, grâce par exemple à la loi Agec – au passage, je suis ravie que ma collègue Graziella Melchior, avec qui j’ai été rapporteure de ce texte, s’en soit déjà fait l’écho – et à la loi « climat et résilience ». Les mesures prévues par ces lois nous ont permis de basculer progressivement vers une économie circulaire dont les trois piliers – recyclage, réutilisation, réemploi – sont clairement orientés vers le pouvoir d’achat et la protection de la planète.
Notre choix est à l’évidence celui de l’incitation et du changement des comportements. Je citerai par exemple le développement du bonus réparation financé par l’État pour encourager la réparation d’un million d’appareils par an.
Par ailleurs, une concertation est en cours à propos de la mise en consigne, brique essentielle pour notre changement de modèle. Grâce à la massification des flux et à la diversification de la collecte, nous pourrions offrir aux citoyens une diminution de la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes. Voilà un bel exemple d’écologie utile pour la planète et pour le pouvoir d’achat. Pouvez-vous nous présenter un point d’étape sur cette concertation ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Je répondrai autant à la parlementaire qui s’est mobilisée sur ces questions qu’à l’ancienne présidente du Conseil national de l’économie circulaire.
Vous l’avez dit, l’objectif chiffré, fixé par la loi, est une augmentation de la part des bouteilles en plastique que nous récupérons. Ce taux doit atteindre 77% en 2025. À la minute où nous parlons, il s’élève à 61 %. Comment pourrions-nous atteindre les 77% d’ici deux ans si rien ne change ?
Nous avons identifié, de façon assez claire, les gisements disponibles. Si de plus en plus de Français opèrent un tri à domicile, il n’en va pas de même lorsqu’ils se restaurent à l’extérieur. Dans l’espace public, ils ne disposent pas de lieu dédié au tri. Pour certains, une incitation financière pourrait constituer un levier, ce qui permettrait d’augmenter le taux de collecte. En outre, des rendez-vous prévus dans notre pays tels que la Coupe du monde de rugby ou les Jeux olympiques pourraient être l’occasion de mesurer, à très grande échelle, l’ensemble des impacts liés à cette question.
La loi prévoyait qu’une concertation serait lancée au premier semestre 2023 et qu’une étude de l’Ademe, l’Agence de la transition écologique, viendrait éclairer, au milieu de l’année au plus tard, les options qui se présentent au Gouvernement. Cette concertation, qui compte quelque soixante-dix participants, a été lancée le 30 janvier par la secrétaire d’État chargée de l’écologie, Bérangère Couillard. Elle vise à examiner l’impact financier, les conséquences pour les collectivités locales, aujourd’hui en première ligne et qui s’inquiètent parfois des pertes de gisement, ainsi que les effets que produirait l’organisation d’une collecte parallèle par certaines filières – puisque certains industriels ont déjà lancé, seuls et sans attendre, des actions de ce type. Nous disposerons ainsi de tous les éléments de nature à éclairer la décision qui sera prise au milieu de l’année.
L’heure est donc à la concertation. Il va de soi que le Parlement sera largement associé aux différentes étapes de ce travail et à la réflexion que nous devons mener. L’enjeu, je le répète, n’est pas le chemin que nous devons emprunter mais l’objectif que nous devons atteindre, et ce d’autant plus que, au-delà de la question du recyclage du plastique, la France accueillera à la fin du mois de mai la prochaine session de négociations visant à aboutir à l’élimination du plastique jetable, conformément à l’ambition et à l’objectif fixés pour 2040.
Mme la présidente
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard (NI)
Le 11 février, nous étions entre 13 000 et 15 000 personnes, rassemblées à Montpellier pour défendre la bouvine et les traditions de notre Sud, au nom de la ruralité et contre l’écologie punitive.
Après la chasse, la pêche, la tauromachie ou encore les 110 kilomètres par heure sur l’autoroute, c’était au tour des courses camarguaises d’être dans le viseur des écologistes et des associations animalistes. Tout se passe comme si, pour certains, l’écologie n’avait plus de sens que dans l’interdiction.
Si je suis d’accord pour considérer qu’il est nécessaire d’agir pour le climat et l’environnement, cette urgence doit selon moi être au service de l’homme. L’écologie gagnerait beaucoup à retrouver son sens étymologique : la bonne gestion d’une maison, dont l’homme doit être le centre. À trop vouloir faire de l’idéologie, qui rime bien souvent avec démagogie, les décisions sont prises à la va-vite et s’avèrent, à terme, contre-productives. Faut-il rappeler que c’est au nom de l’écologie que nous avons bradé l’énergie nucléaire, laquelle nous fait aujourd’hui cruellement défaut, au moment où l’on nous annonce l’interdiction des moteurs thermiques d’ici à 2035 ?
De même, la mise en place des zones à faibles émissions dans onze métropoles dès 2022 et, finalement, dans quarante-trois agglomérations et métropoles à l’horizon 2025, relève – j’ai déjà eu l’occasion de le dire – d’une écologie punitive d’universitaires. Ce dispositif qui part d’un bon sentiment est mal calibré, en plus d’être la source d’une injustice sociale. Je pense notamment aux citoyens qui travaillent et n’auront plus accès à certaines villes, ou portions de villes, faute de solutions alternatives. Nous en ferions, ni plus ni moins, des citoyens de seconde zone.
Ma question est simple : imposerez-vous un moratoire sur les ZFE pour que les Français puissent continuer de circuler librement en attendant d’avoir les moyens de renouveler leur véhicule ?
Mme Béatrice Roullaud
Si l’on s’oppose à la corrida, c’est pour une question de respect de l’animal ! Cela n’a rien à voir avec l’écologie !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Tout d’abord, je partage les propos que vous avez tenus au début de votre intervention. Toutes ces mesures n’ont de sens que si l’on sait pourquoi on les prend.
La vérité, c’est qu’il n’est pas certain que la planète se porterait plus mal si l’espèce humaine n’existait plus. Par conséquent, il est faux d’affirmer, comme certains, que l’on défend la planète. On prétend défendre notre espèce, ce qui est déjà un objectif très louable auquel je souscris pleinement. Toutefois cela suppose d’avoir à l’esprit que si l’on n’est pas animé avant tout par une visée humaniste, on s’égare en chemin si bien que, au bout du compte, ces ambitions se fracassent face à ce qui apparaît comme une perte de sens.
S’agissant des zones à faibles émissions, j’aimerais vraiment qu’on profite de ce moment sans chahut dans cet hémicycle – ce qui n’est pas le cas à toutes les heures de la journée – pour se rappeler que la première zone de ce type date de 1996…
Mme Danielle Brulebois
Eh oui !
M. Christophe Béchu, ministre
…et qu’il en existe dans 14 pays et dans 240 villes d’Europe. Et elles ont ailleurs plutôt provoqué l’adhésion puisqu’elles contribuent à lutter contre les bronchiolites, les asthmes et les décès prématurés, et non des débats laissant penser que ce qui se passera peut-être dans trois ans, en fonction des dépassements de seuils, relève d’une forme d’exclusion. Je vous ai entendu sur d’autres sujets faire preuve de finesse et de nuance ; je n’ai donc aucun doute sur le fait que vous serez capable de me rejoindre si je vous dis que l’objectif est de lutter contre la pollution atmosphérique en tenant compte, le long du chemin, de l’avis des élus locaux. En l’occurrence, une concertation nous permettra, à la fin du mois de juin, d’entendre de la part des Toulousains et des Strasbourgeois ce qu’ils préconisent pour atteindre cet objectif en évitant, en matière d’accessibilité sociale ou d’harmonisation, de créer une usine à gaz ou quelque chose d’approchant. Voilà très exactement mon ambition. Soyons clairs : il s’agit de conjuguer la santé de nos concitoyens et la préservation de la liberté d’aller et de venir, une liberté constitutionnelle. Il faut tenir d’une main ferme la santé publique, la protection de l’environnement, la liberté et le refus de stigmatiser en suivant le chemin que je vous ai tracé. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Mme la présidente
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 13 avril 2023