Interview de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à RTL, le 18 avril 2023, sur les manifestations contre la réforme des retraites, les critiques faites par l'opposition à l'issue de l'allocution télévisée du chef de l'État, le pouvoir d'achat et la revalorisation du SMIC.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BÉGOT
07h42, sur RTL, dans un tout petit instant, je reçois le ministre du Travail. Bonjour Olivier DUSSOPT.

OLIVIER DUSSOPT
Bonjour.

AMANDINE BÉGOT
Et bienvenue sur RTL. Si je vous demande un mot pour qualifier l'allocution d'hier, Laurent BERGER a dit : rien de concret. Vous dites quoi ?

OLIVIER DUSSOPT
Réaliste et sérieuse.

AMANDINE BÉGOT
A tout de suite.

YVES CALVI
À tout de suite avec Olivier DUSSOPT, ministre du travail sur RTL.

/// Pause publicitaire ///

AMANDINE BÉGOT
Emmanuel MACRON a dit entendre hier soir la colère des Français, Olivier DUSSOPT, j'imagine que vous avez vu, comme nous, ces manifestations spontanées hier soir. Force est de constater que le Président n'a pas réussi en tout cas à apaiser la colère.

OLIVIER DUSSOPT
Si une intervention de quelques minutes permettait d'apaiser toutes les colères et de faire... comment dire… éteindre toutes ces manifestations, ça se saurait. Nous avons eu quelques milliers de personnes effectivement qui ont manifesté, qui ont dit leur opposition, et nous sommes dans un État de droit et une démocratie qui permet cela. Et c'est très bien comme cela. Le président de la République, il a voulu, hier, à la fois dire combien il avait entendu et combien il savait l'opposition ou le manque de consensus autour de la réforme des retraites, tout en rappelant combien elle est nécessaire, ce que nous faisons depuis le début, il a aussi voulu dire quel était le cap qui est celui du Gouvernement, celui de l'exécutif pour les semaines qui viennent, avec quelques priorités, des priorités simples qui font écho à la fois à ce que disent parfois les manifestants, mais aussi aux besoins de notre pays.

AMANDINE BÉGOT
Le cap et trois grands chantiers, on va y revenir dans le détail, celui du travail notamment, puisque j'imagine que ça va être vous, le chef de chantier en l'occurrence ; vous évoquez un cap, Eric CIOTTI, le patron des Républicains, parle, lui, d'un catalogue de vœux pieux, sans cap ni nouveauté. Marine LE PEN…

OLIVIER DUSSOPT
Je crois qu'il a aussi dit des objectifs louables.

AMANDINE BÉGOT
Louables, pas de cap et des vœux pieux, dit-il. Marine LE PEN, elle, assure qu'Emmanuel MACRON a choisi de nouveau de tourner le dos aux Français, d'ignorer leur souffrance. Jean-Luc MÉLENCHON dénonce un Président hors de la réalité. Laurent BERGER, le secrétaire général de la CFDT, note qu'il n'y a rien de concret. C'est vrai, ça, Olivier DUSSOPT, il n'y a rien de concret, on a des grandes lignes, des grands chantiers, mais rien, pas d'annonce par exemple, tiens, sur le pouvoir d'achat, c'est la préoccupation des Français, j'imagine qu'il y avait des attentes…

OLIVIER DUSSOPT
Je pense que la première réponse en matière de pouvoir d'achat, c'est l'emploi. Et c'est permettre à tous ceux qui cherchent un emploi de retrouver un emploi et d'aller ainsi vers le plein emploi. Si le président de la République, hier, avait fait une liste de mesures extrêmement précises, en considérant qu'elles devaient être adoptées en l'état, je suis assez convaincu qu'on lui aurait reproché de le faire sans concertation. Parce que j'entends les critiques de madame LE PEN, de monsieur MELENCHON, cette espèce de tenailles entre l'extrême gauche et l'extrême droite, qui, en réalité, n'a cure de l'intérêt des Français et de l'intérêt du pays, qui se positionne avec une forme de culture d'irresponsabilité, les uns cherchent le chaos, et les autres cherchent à en tirer le meilleur profit. Je dois dire, ça ne m'intéresse qu'à moitié, parce que ça ne me surprend pas, ce qui m'intéresse le plus dans ce qu'a dit le président de la République, et au-delà de son intervention, dans ce qu'il faut faire, c'est d'apporter un certain nombre de réponses. Aujourd'hui, qu'est-ce qu'on entend, au-delà du manque de consensus et même de l'opposition à la réforme, personne ne l'a nié, j'ai eu l'occasion plusieurs fois devant vous de dire que nous n'étions pas dans le déni sur l'impopularité de cette mesure d'âge. Ce que nous sentons, c'est la crainte d'un déclassement, c'est la crainte ou le sentiment, parce que parfois, les deux sont mêlés et c'est assez normal…

AMANDINE BÉGOT
Mais avec des Français qui, pour certains, vous disent : je n'arrive plus à faire mes courses, en tout cas, plus comme avant, début avril, il y a eu un sondage de l'IFOP, 42 % des Français parmi les plus précaires disent aujourd'hui avoir renoncé à un repas, c'est-à-dire, sauter un repas parce qu'on n'a pas les moyens, ce n'est pas rien…

OLIVIER DUSSOPT
Ça n'est pas rien, c'est même majeur, et c'est la démonstration que même dans le pays, qui, en Europe, a fait le plus en matière de lutte contre l'inflation, le plus par des aides ciblées sur les ménages les plus modestes, le plus par un bouclier énergétique qui n'existe nulle part ailleurs, le plus par des mesures en matière de pouvoir d'achat, que nous prenons depuis le début de la crise inflationniste, avec un système qui préexistait, ce n'est pas nous qui l'avons inventé, mais que nous veillons à mettre en œuvre, de revalorisation du SMIC en fonction de l'inflation, le 1er mai, le SMIC va être revalorisé de 2,19 %. Ça fait une augmentation de 6 % sur la dernière année. Ce qui correspond à l'inflation, nous sommes le seul pays en Europe avec la Belgique à avoir un mécanisme qui permet aux salaires minimums d'être indexés. Et nous sommes aussi le seul pays…

AMANDINE BÉGOT
Ça, c'est la loi. Ce n'est pas vous qui l'avez mis en place.

OLIVIER DUSSOPT
Oui, nous l'appliquons, nous y veillons et ça protège et nous sommes le seul pays à avoir un tel mécanisme d'indexation, ce qu'on appelle les revenus sociaux, que ce soient les allocations ou encore les minima sociaux. Même avec cela, la difficulté est grande et la difficulté reste grande alors que le taux d'inflation en France notamment sur les produits alimentaires pour les ménages les plus fragiles est moitié moins importante que dans le reste de l'Europe. Ça veut dire que même avec des efforts aussi massifs, la réponse ne peut jamais être parfaite. Notre réponse et ce que nous devons faire, c'est évidemment continuer à protéger comme nous le faisons et continuer à pousser la question de l'emploi. Il y a quelques instants, Monsieur LENGLET disait la France, et c'est évidemment un chiffre que nous partageons, l'économie française a créé 1,7 million d'emplois en six ans. C'est la deuxième meilleure performance depuis longtemps. C'est une performance qui a été atteinte alors que nous avons connu le Covid, l'inflation, la guerre en Ukraine et donc il faut continuer.

AMANDINE BÉGOT
Créer de l'emploi mais à quel prix ? Les syndicats parlent salaires et ça fait partie des sujets qu'ils veulent aborder avec vous.

OLIVIER DUSSOPT
Oui.

AMANDINE BÉGOT
Vous évoquiez à l'instant l'indexation du SMIC sur l'augmentation des prix, la CGT souhaiterait que tous les salaires soient indexés sur l'augmentation des prix. Ce n'est pas possible ça, vous leur dites ce matin ?

OLIVIER DUSSOPT
C'est le contraire du dialogue social. Nous avons deux mécanismes dans notre pays et là aussi, ce sont deux mécanismes anciens auxquels nous sommes attachés. Le premier mécanisme, c'est un mécanisme de protection du salaire minimum, je l'ai évoqué, il est quasiment unique en Europe. Le deuxième mécanisme, c'est de considérer que ce qu'on appelle le niveau conventionnel de rémunération, ce qui est fixé par les conventions collectives relève du dialogue social. Nous avons un peu plus de 220 branches professionnelles qui ont des conventions en matière de salaire.

AMANDINE BÉGOT
Avec des salaires en dessous du SMIC, c'est ce qu'a dit hier encore Laurent BERGER, pour une grosse majorité.

OLIVIER DUSSOPT
J'y viens.

AMANDINE BÉGOT
Est-ce qu'on ne pourrait pas conditionner - pardon et on a peu de temps, c'est pour ça que je vous presse un petit peu - mais est-ce qu'on ne pourrait pas conditionner, c'est ce que propose la CFDT, par exemple les aides publiques justement à ces négociations salariales par branche, qu'elles aboutissent ?

OLIVIER DUSSOPT
Qu'avons-nous fait sur le sujet avant de parler de conditions ? Aujourd'hui nous avons ces 220 branches. Jusqu'à présent, jusqu'en juillet 2022, c'est nous qui avons changé la loi. Quand une branche avait un ou deux niveaux conventionnels qui passaient en-dessous du SMIC, d'abord il faut préciser que personne n'est payé e- dessous du SMIC, quand une branche a un niveau de rémunération conventionnel sous le SMIC, les entreprises sont bien évidemment obligées de payer au SMIC mais ça tasse les carrières, ça tasse les grilles de rémunérations. Elles avaient 90 jours pour ouvrir les négociations, nous l'avons ramené à 45 jours. Nous avons mis une deuxième disposition - c'est un peu technique mais ça compte pour les partenaires sociaux - en disant qu'une branche qui restait durablement avec un niveau de rémunération, des niveaux de rémunération sous le SMIC pourrait être fusionnée avec une autre. Aujourd'hui nous avons de nombreuses branches qui sont avec au moins un niveau inférieur au SMIC. Pourquoi ? Parce que sur les dernières années, nous sommes sur un niveau d'augmentation du SMIC - quand je dis les dernières années, c'est sur 18 à 20 mois - qui est entre 9 et 10 %. Et donc évidemment quand vous avez des revalorisations qui interviennent tous les deux ou trois mois…

AMANDINE BÉGOT
Je m'excuse pour les auditeurs qui nous écoutent, le salaire qu'ils ont à la fin du mois sur la fiche de paie et sur leur compte…

OLIVIER DUSSOPT
Je sais, mais tout le monde peut aussi comprendre que lorsque vous avez des augmentations du SMIC tous les deux ou trois mois, le rythme des négociations de branche a parfois du mal à suivre et c'est la raison pour laquelle ma prédécesseure au ministère du Travail Élisabeth BORNE et moi-même présidons nous-mêmes le comité de suivi des négociations salariales, pour justement pousser les branches à faire le travail.

AMANDINE BÉGOT
Olivier DUSSOPT, vous avez cité deux propositions des syndicats. Emmanuel MACRON l'a redit hier soir, sa porte est ouverte, il faut revenir à la négociation. On a bien compris qu'a priori ce ne serait pas avant le 1er mai sauf coup de théâtre. Deux propositions que je vous ai citées ce matin, les deux vous me dites non ou alors on a déjà un projet. Bon, on voit mal dans ces conditions comment vous allez pouvoir ramener autour de la table.

OLIVIER DUSSOPT
Il y a plusieurs champs qui seront ouverts à la négociation. Le président de la République s'exprimera tout à l'heure devant les organisations patronales puisque les organisations patronales…

AMANDINE BÉGOT
Ce n'est pas une faute d'ailleurs de recevoir le patronat et pas les syndicats ?…

OLIVIER DUSSOPT
Le président de la République a invité les organisations syndicales et patronales, les organisations syndicales ont fait le choix de ne pas venir cette fois-ci…

AMANDINE BÉGOT
Il aurait dû décaler le patronat…

OLIVIER DUSSOPT
Ils viendront, je l'espère, plus tard, il y a eu une jolie phrase Sacha GUITRY, qui est un peu mélancolique, qui dit : si elle est en retard, c'est qu'elle viendra, et je pense qu'il vaut mieux venir plus tard que ne pas venir du tout. Et donc nous le souhaitons, nous l'espérons, il y a un certain nombre de sujets que nous voulons verser à la négociation, j'ai ouvert…

AMANDINE BÉGOT
Lesquels…

OLIVIER DUSSOPT
J'ai ouvert des Assises du travail, il y a quelques mois, des recommandations vont m'être rendues sous la forme d'un rapport, il y a matière à travailler sur les conditions de travail, sur la question de l'emploi des seniors, un certain nombre de dispositions que nous avons inscrites dans le texte de réforme des retraites ont été considérées par le Conseil constitutionnel comme des cavaliers, c'est-à-dire que le Conseil a considéré que ce n'était pas directement en lien avec les retraites, et a préféré les supprimer. Cela fait partie des choses sur lesquelles nous voulons avancer, il y a des fédérations professionnelles, je pense à celle de l'industrie, de la métallurgie, qui disent publiquement : nous sommes prêts à négocier sur l'emploi des seniors.

AMANDINE BÉGOT
D'un mot juste, la loi immigration, elle verra le jour avant l'été ?

OLIVIER DUSSOPT
Le président de la République l'a dit hier, nous considérons que sur cette question de l'immigration, nous devons à la fois donner à l'État les moyens d'être plus fort dans l'application de cette décision de justice, mais aussi mieux accueillir les étrangers présents sur notre territoire, et mieux les accueillir, c'est mieux les intégrer par le travail…

AMANDINE BÉGOT
Ce sera avant l'été ?

OLIVIER DUSSOPT
Et l'objectif, c'est que ce soit avant l'été.

AMANDINE BÉGOT
Merci beaucoup Olivier DUSSOPT.

OLIVIER DUSSOPT
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 avril 2023