Interview de Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, à RCF le 19 avril 2023, sur les conclusions de la convention citoyenne sur la fin de vie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Agnès Firmin Le Bodo - Ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Média : RCF Radios Chrétiennes Francophones

Texte intégral

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Notre invitée ce matin est Agnès FIRMIN LE BODO, bonjour.

AGNES FIRMIN LE BODO
Bonjour.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Merci d’avoir accepté notre invitation. Vous êtes Ministre de l’Organisation territoriale et des professions de santé, et vous avez été chargée par le Président de mener la concertation sur la fin de vie. Emmanuel MACRON qui a reçu il y a quinze jours les 184 citoyens membres de la convention citoyenne qui ont travaillé le sujet pendant plusieurs mois. Le chef de l’Etat veut une nouvelle loi d’ici la fin de l’été avec un modèle français de la fin de vie. Aujourd'hui c'est la loi Claeys-Leonetti qui avait été votée quasi à l’unanimité. Est-ce que ce modèle français il n’existe pas déjà ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Le président de la République, comme vous venez de le rappeler, le 4 avril dernier suite aux travaux extraordinaires faits par les 184 citoyens, aux travaux que j’ai menés depuis le mois de septembre de façon simultanée, a souhaité qu’un modèle d’accompagnement de la fin de vie puisse être développé. Je suis allée, moi, à l’étranger et je ne crois pas qu’il y ait de modèle duplicable in extenso pour des tas de raisons dans notre pays. C'est ce que le Président nous a demandé de construire en lançant l’acte II de cette réflexion sur la fin de vie.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Et en quoi le modèle actuel ne suffit plus ?

AGNES FIRMIN LE BODO
C’était l’objet de la question qui était posée à la convention citoyenne. Est-ce que la loi Claeys-Leonetti répond à toutes les situations à moyen terme ? À 75 %, les citoyens ont répondu que non. Les travaux que j’ai pu mener m’ont également amenée à penser que la loi Claeys-Leonetti actuellement ne répond pas et les parlementaires, parce que c'est important de pouvoir le faire aussi dans le cadre de ces travaux, ont évalué cette loi Claeys-Leonetti qui n’avait jamais été évaluée et sont arrivés à cette même conclusion.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
En février dernier pourtant, treize organisations professionnelles et sociétés savantes qui représentaient 800 000 soignants se sont opposées dans une tribune à toute autorisation d’une aide active à mourir. Ces soignants, comment vous l’entendez ? Vous parlez du travail des parlementaires, du travail des citoyens, le travail des soignants il est là ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Ecoutez, dans le cadre de la nouvelle méthode souhaitée par le président de la République, il est important de construire avec tous les acteurs. C'est ce que j'ai fait aussi dès le mois de septembre puisqu’un groupe de soignants a été constitué. Quand je parle de soignants, je parle de tous les soignants pas uniquement des médecins, parce qu’autour de la fin de vie ce sont bien aussi les aides-soignantes, ce sont bien aussi les infirmières qui accompagnent les personnes en fin de vie. Donc nous avons constitué un groupe de soignants, là aussi avec des soignants qui étaient plutôt favorables à une éventuelle évolution de la loi, des soignants qui étaient contre une évolution de la loi, et nous avons partagé des réunions de travail avec les parlementaires. C'était très intéressant de voir les parlementaires et les soignants travailler entre eux. Nous avons aussi été accompagnés dans mes déplacements à l'étranger par des parlementaires mais aussi par des soignants. Je crois que c'est important et c'est même nécessaire de pouvoir travailler avec eux sur maintenant le projet de loi qui sera à construire.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Et justement, selon vous concrètement, dans quel cas concret la loi actuelle ne suffit plus ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Ce sera au moment de la construction de la loi qu'il faudra définir les critères. D'ailleurs nos concitoyens qui y ont travaillé nous ont eux-mêmes déjà défini des critères. Je crois que pour que nos concitoyens qui nous écoutent comprennent bien, le sujet le plus longuement évoqué c'est celui de la maladie de Charcot dans lequel les cas médiatiques sont ceux-là. Nos concitoyens partent soit en Belgique, soit en Suisse. C'est la question qui sera la nôtre : quels sont les critères que nous définirions pour que cette loi puisse s'appliquer.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Il y a une chose qui est certaine, c'est qu'il y aura un plan décennal pour développer les soins palliatifs. Les soins palliatifs, c'est un sujet qui met tout le monde d'accord : personne n'est contre le fait de développer ces soins palliatifs. Alors pourquoi ça n'a pas été fait plus tôt ? On dit souvent que la loi Claeys-Leonetti n'a pas été totalement appliquée puisqu'il y a encore des départements où il n'y a pas de soins palliatifs.

AGNES FIRMIN LE BODO
Là aussi le président de la République et la Première ministre nous ont demandé en septembre de travailler, bien sûr, sur la question qui était posée aux citoyens, mais avant tout d'avancer sur les soins palliatifs. Au bout du cinquième plan quinquennal sur les soins palliatifs, nous nous rendons compte, comme vous voulez de le dire, que 21 départements français n'ont toujours pas d'unité de soins palliatifs. Ils ont des lits mais pas d'unité de soins palliatifs. Il était important là aussi avec les soignants, les acteurs des soins palliatifs, de pouvoir réfléchir avec eux quelles sont les raisons profondes sur le fait qu’encore des départements n'ont pas d'unités de soins palliatifs. Donc nous avons beaucoup travaillé avec tous ces acteurs, la première des choses était de réviser - c'est technique, mais ça montre à quel point nous n'avons pas encore en France cette culture palliative - de réviser une circulaire de 2008 qui régit les soins palliatifs quinze ans après, qui n'avait toujours pas été révisée. Ce sera chose faite mi-mai. Et nous avons proposé à la Première ministre et au président de la République de travailler plutôt sur une stratégie décennale, de s'inscrire dans le temps long car les enjeux sont multiples. Ils sont à la fois de développer les soins palliatifs à domicile, mais aussi dans les établissements sociaux et médico-sociaux où on accueille des personnes en situation de handicap, dans les EHPAD, mais l'enjeu ne pourra être réussi que si nous formons et nous formons tous les soignants et ça c'est majeur, et donc il faut du temps.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Il faut beaucoup de soignants et ça prend beaucoup de temps de former des soignants en soins palliatifs. Dans combien de temps on pourra espérer avoir une unité de soins palliatifs dans chacun des départements français ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Je pense que la stratégie décennale qui va être construite avec la mise en place dans les prochains jours par un comité stratégique, un objectif chiffré sera de se dire que j'aimerais bien qu'avant fin 2024, tous les départements français soient couverts, mais je ne vais pas vous dévoiler la stratégie puisqu'elle va être construite, mais on peut se fixer des objectifs, au moins celui-là, puisqu'on en parle depuis très longtemps. Mais c'est quel mode de développement de soins palliatifs, quelle évolution, développons les soins palliatifs pédiatriques parce que là c'est aussi un enjeu majeur, et c'est tout ça qu'il nous faut construire.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Les soins palliatifs pédiatriques, peut-être expliquer rapidement.

AGNES FIRMIN LE BODO
Oui, qui concernent les enfants. Cette circulaire de 2008 dont je parlais tout à l'heure n'intègre pas cette prise en charge spécifique pour les enfants qui ne peuvent pas être pris en charge de la même façon que les adultes. Mais ce que je souhaite dire et le message important autour des soins palliatifs, c'est que nous voyons bien en France que la formation de nos professionnels de santé, de tous les professionnels de santé elle est très curative. Très curative. Et notre parcours de vie, il est fait de prévention, le premier bout, le curatif au milieu et le palliatif plutôt vers la fin. Donc l'idée, c'est d'anticiper cette prise en charge palliative et de pouvoir le faire dans tous les services à l'hôpital et de développer cette culture palliative. Donc ça prend du temps d'où l'idée que nous avons partagée avec les acteurs des soins palliatifs de travailler sur une stratégie du long terme donc une stratégie décennale.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Est-ce qu'il y a un enjeu philosophique aussi de compatibilité entre le développement des soins palliatifs d'une part d'accompagner la mort, et d'aide active à mourir d'autre part ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Je crois que tous les débats qui ont lieu à la convention citoyenne, toutes les rencontres que j'ai pu faire - j'ai vraiment beaucoup consulté, que ce soient les cultes, les obédience maçonniques, les philosophes, les psychologues, les sociologues, les médecins avec lesquels j'ai beaucoup travaillé - nous montrent à quel point – les voyages aussi à l'étranger qui qui pratique l’aide active à mourir depuis un certain temps - montrent à quel point ce sujet-là doit être pris avec d'abord beaucoup de recul, beaucoup d'humilité, je crois beaucoup d'humanité aussi, et qu’effectivement à moyen terme, la loi qui est celle de la loi Claeys-Leonetti ne répond pas à toutes les solutions. Maintenant, ce que je crois nous avons collectivement réussi à faire, c'est de se dire que ce débat que le président de la République a ouvert au mois de septembre, il se devait de respecter les positions de chacune et de chacun de nos concitoyens. C’est ce qu’ont très bien réussi à faire à les conventionnels, les 184 citoyens. C'est ce que nous avons collectivement réussi à faire parce que l'un ne s'oppose pas à l'autre.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Nous sommes avec Agnès FIRMIN LE BODO, Ministre de l'Organisation territoriale et des professions de santé, pour revenir avec elle sur le débat en cours sur la fin de vie. Les soins palliatifs dont on parlait, toutes les personnalités politiques, toutes les personnalités publiques qui vont visiter des unités de soins palliatifs sont extrêmement marquées par l'humanité qui y règne. Est-ce que les soins palliatifs, c'est le dernier lieu d'humanité de l'hôpital ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Non, je crois que nous pouvons dire qu’en France à l'hôpital et dans tous les établissements sociaux et médico-sociaux, tous les professionnels qui s'engagent, on ne s'engage pas dans ces métiers par hasard. Vraiment pas. Donc tous nos personnels de santé et tous nos personnels soignants accompagnent nos citoyens avec beaucoup d'humanité. Cet endroit est particulier, cet endroit est très particulier, ces unités de soins palliatifs sont très particulières. À chaque fois je vais rencontrer bien sûr les équipes avec lesquelles je discute beaucoup, mais aussi toujours un malade. C’était encore le cas vendredi à Lyon, et à chaque fois on me donne la même phrase systématique. Les malades dans les unités de soins palliatifs me disent : je ne pensais pas qu'on puisse recevoir autant d'amour et autant d'humanité. Ça veut bien dire que cette prise en charge, elle permet à nos concitoyens d'avoir une fin de vie paisible et accompagnée.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Et d'ailleurs, on a tous une histoire subjective dans notre rapport à la mort. Comment on objective un débat qui aussi parfois clivant ? Est-ce que par principe, c'est possible d'objectiver ce sujet qui fait partie de notre humanité, qui fait partie de nos questions existentielles, de notre rapport à la mort ?

AGNES FIRMIN LE BODO
D’abord il le faut, lorsqu'on est une personnalité politique qui un jour doit prendre des décisions. Je crois qu'il faut prendre beaucoup de recul même avec les histoires personnelles. C'est ce que j'ai eu l'occasion de faire. Lorsqu'on est parlementaire, on doit trancher et on doit prendre une décision, on doit voter. Là aussi il faut savoir le faire avec beaucoup de recul. Ce n'est pas toujours simple parce que ce sujet, il touche à l'intime. Il touche à l’intime mais ce sujet, il faut savoir que nous sommes tous concernés par la mort, tous. On va tous mourir.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Est-ce qu'on sait encore mourir aujourd'hui ? La crise du Covid a rappelé l'imminence de la mort. Tous les soirs on avait un nombre de morts dans les allocutions des uns et des autres. Est-ce que notre société a encore un rapport à la mort qui est paisible, si tant est qu'elle l’ait eu un jour ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Parler de la mort, c'est toujours difficile. D'abord on ne parle plus de mort, ce matin on l'a beaucoup dit nous mais on parle plutôt fin de vie.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Pourquoi ce changement sémantique ?

AGNES FIRMIN LE BODO
C’est justement ce que les sociologues cherchent à comprendre. Notre rapport à la mort, il a profondément changé depuis quelques années. On essayait de l'évacuer mais notre parcours de vie, il est fait un jour d’une naissance et un jour d'une mort. C'est un peu ce que le débat nous ramène et c'est ce pourquoi nous souhaitons aussi travailler sur ce rapport à la mort, sur l'accompagnement du deuil qui sont des sujets qui nous concernent tous, et ce sont des sujets convergents qui permettent aussi d'apaiser un peu les débats.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
On parle de débat sémantique. D'ailleurs vous avez confié à Erik ORSENNA une mission de réflexion sur le lexique de la fin de vie. Pourquoi cette mission ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Là aussi à l'occasion de mes déplacements aussi, j'ai pu voir qu'en Italie dans la loi figurait la définition de dix mots. Je crois qu'il est important lorsqu'on parle de ces sujets si difficiles, et tous les débats qui ont eu lieu autour du mot euthanasie par exemple, m’ont convaincue qu'il était important qu'on puisse faire réfléchir.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
De transformer euthanasie en aide active à mourir parce que c'était plus doux ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Non, pas du tout. Ce n’est pas transformer les mots, ce n'est pas nier les mots. L'aide active à mourir, ça peut être le suicide assisté ou l'euthanasie, mais c'est bien que chacun puisse parler de la même chose. La fin de vie, on voit bien que d'ailleurs chacun ne donne pas la même définition à ce qu'est la fin de vie. La fin de vie, ça peut être un accompagnement jusqu'à la mort ou pour certains, fin de vie ça veut dire la mort. Donc on voit bien qu'il est important que nous puissions parler de la même chose, mais autour de la réflexion, autour de la mort. C'était intéressant pour moi, je pense, et pour nous tous de pouvoir faire réfléchir des personnes sachantes sur la définition des mots, donc ce travail est en cours et Erik ORSENNA et toute l'équipe qui l'accompagne, là aussi une équipe très diverse, nous rendront compte de leurs travaux lorsqu'ils seront prêts.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
La loi Claeys-Leonetti avait été votée quasiment à l'unanimité. Est-ce que vous espérez à nouveau un consensus ou vous actez désormais des divergences politiques importantes sur ce sujet ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Moi je ne parle pas de divergences politiques. Ce sujet n'est pas un sujet politique au sens gauche-droite. C'est un sujet de société et comme tout sujet de société, il y a forcément un clivage. Mais l'important, et c'est ce que nous ont montré les citoyens lors de la convention citoyenne, c'est qu'on puisse débattre, qu'on puisse s'écouter et répondre à ce que 75 % des Français et des citoyens nous ont demandé : introduire dans la loi une aide active à mourir qui prenne en charge les situations non prises en charge par la loi Claeys-Leonetti à moyen terme.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Au sein même de l'exécutif et de la majorité présidentielle, ce débat divise. François BAYROU lundi s'exprimait chez nos confrères de Franceinfo pour dire que selon lui, il n'y avait pas besoin d'évolution de la loi. Au sein même de la majorité, il y a débat ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Alors je n’ai pas eu l'occasion d'en débattre, ni avec des ministres ni avec d'autres, mais je veux dire que la majorité c'est aussi ce que représentent les citoyens. Nous sommes tous citoyens et nous avons tous sur ce sujet une conviction personnelle, une conviction d'ailleurs qui peut évoluer. Le président de la République a lui-même dit que sa situation personnelle avait évoluer, évolue et évoluera. C'est un sujet profondément difficile qui touche à beaucoup de valeurs. Il n'est pas anormal que nous ayons tous des positions différentes, et je suis aussi intimement convaincue, comme cela l’a été lors des débats sur la PMA à l'Assemblée, que certains parlementaires auront une position qui évolue.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Très rapidement, nouvelle loi d'ici la fin de l'été pour Emmanuel MACRON. C'est quand la fin de l'été ? Est-ce qu'on a un calendrier un peu plus précis pour cette loi ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Il se trouve que l'été se termine le 21 septembre.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
Donc d'ici le 21 septembre pour la rentrée parlementaire ?

AGNES FIRMIN LE BODO
C’est le calendrier de la fin de l'été.

PIERRE-HUGUES DUBOIS
C’est le calendrier de la fin de l’été ! Merci beaucoup Agnès FIRMIN LE BODO. Je rappelle que vous êtes Ministre de l'Organisation territoriale et des professions de santé. Merci d'avoir ce matin accepté notre invitation sur RCF.

AGNES FIRMIN LE BODO
Merci.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 21 avril 2023