Texte intégral
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur le thème : " L’avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? "
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour d’un droit de répartie, pour une minute.
(…)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Sol, je vous remercie de vos propos introductifs.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, trois mois nous séparent du précédent débat sur l’eau au Sénat. En effet, le 10 janvier dernier, nous nous réunissions, dans cet hémicycle, autour de l’enjeu d’une gestion résiliente et concertée de la ressource en eau dans les territoires. À ce moment précis, j’avais déjà pris connaissance avec beaucoup d’attention du rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective. Je tiens à saluer de nouveau la qualité du travail fourni.
J’ai plaisir à revenir aujourd’hui sur ce sujet, quelques jours après la présentation du plan Eau par le Président de la République. Il s’agit d’un plan très complet, prévoyant 53 mesures et des moyens inédits, qui, je crois, apportent des réponses concrètes à vos préoccupations et à celles des collectivités.
La politique de l’eau est structurée. Elle est bien outillée, mais, le Président de la République l’a confirmé, nous devons aller plus loin pour être à la hauteur des enjeux environnementaux. Nous avons donc travaillé pour définir un plan d’action collectif, à partir d’une concertation notamment avec les comités de bassin, le Comité national de l’eau ainsi que des représentants des collectivités.
Nous avons désormais la méthode, le chemin pour respecter les engagements pris lors des assises de l’eau et dans le cadre du Varenne agricole de l’eau. L’ambition est bien de garantir à long terme un accès à l’eau pour tous, une eau de qualité et des écosystèmes préservés.
Le thème de votre débat s’inscrit dans l’avenir. Je m’en félicite, car je souhaite que nous soyons très concrets dans notre réflexion sur les solutions à apporter pour nous adapter aux bouleversements climatiques. Il y va également de notre avenir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les questions que vous soulèverez lors de ce débat me donneront l’occasion d’entrer plus dans le détail du plan Eau, ce dont je vous remercie. Je me tiens évidemment à votre disposition pour répondre à toutes vos interrogations.
(…)
Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Alain Joyandet.
M. Alain Joyandet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est sur la longue histoire de la gouvernance de la gestion de l’eau en milieu rural que je concentrerai mon propos.
Une majorité de communes rurales veulent conserver la gestion de l’eau, ce qui est sans doute conforme à l’intérêt général. Reste que le parcours du combattant qui leur est imposé les épuise. Ici, nous sommes leurs porte-voix, mais pas seulement, puisque nous défendons aussi des textes. J’espère que, étape après étape, nous finirons par obtenir satisfaction – mais à quel prix ? Quel temps perdu !
Je rappelle ce parcours. Il commence en 2015, avec la fameuse loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe, qui oblige au transfert des compétences eau et assainissement des communes vers les communautés de communes. Ce parcours est émaillé de propositions de loi. J’en ai notamment déposé une, avec un certain nombre de collègues, en 2017. En 2017 toujours, la proposition de loi Retailleau a été adoptée, qui fait de nouveau de l’eau une compétence optionnelle. En 2018, une nouvelle loi a permis de repousser le transfert de 2020 à 2026, ce qui démontre bien l’existence d’un problème, le Gouvernement ayant accepté ce report.
Je mentionnerai d’autres étapes, comme la proposition de loi que j’ai déposée en 2020, avec un certain nombre de collègues. En 2022, une nouvelle loi a permis le maintien des syndicats infracommunautaires : on est donc passé de trois communautés de communes, à deux, puis une, nouvelle preuve qu’il existe véritablement un problème.
Mathieu Darnaud a déposé de nouveau une proposition de loi le 22 juin 2022. Puis, en 2023, une proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée des compétences eau et assainissement, qui fait passer les compétences eau et assainissement dans la catégorie des compétences optionnelles, est adoptée : 329 suffrages exprimés, 259 voix pour, 70 voix contre.
Voyez, madame la secrétaire d’État, que c’est sur toutes les travées de cet hémicycle que l’on considère qu’il y a un problème et qu’il faut y apporter une solution !
Enfin, neuvième étape, voilà quelques jours, votre ministre de tutelle a déclaré, ici même, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement – j’espère le citer fidèlement – que ce n’est pas « nécessairement » l’intercommunalité – contrairement, je le rappelle, à ce que prévoit le texte actuel –, en précisant aussitôt que ce n’est pas non plus les " communes isolées ".
Madame la ministre, qu’est-ce que cela signifie ? Des milliers de communes attendent de savoir ce qu’elles doivent faire d’ici à 2026. Celles qui ont anticipé le transfert, pensant qu’il allait arriver de toute façon, constatent que, pour un grand nombre d’intercommunalités en milieu rural, la situation est absolument ingouvernable ! On embauche des dizaines de fonctionnaires territoriaux supplémentaires, ce qui a pour conséquence l’augmentation des prix. Dans mon département, il y a même une intercommunalité qui ne peut pas envoyer les factures d’eau à ses concitoyens depuis un an et demi…
Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire le transfert ; je fais simplement partie de ceux qui estiment qu’il faut refaire de l’eau une compétence optionnelle et, surtout, laisser les élus décider. Nos collègues élus locaux ont du bon sens et du sérieux. Ils sont, bien sûr, attachés à la quantité et à la qualité de l’eau !
Il est intolérable que des mesures venues d’en haut s’imposent à tout le monde, avec pour conséquence une multiplication par trois du prix de l’eau dans des communes rurales, sans que l’eau ait changé en quoi que ce soit. Que le tarif de l’eau augmente, parce que l’on a fait des travaux pour améliorer les réseaux, la filtration ou la qualité, est normal. Si le service public coûte plus cher, cela doit correspondre à une amélioration !
Madame la secrétaire d’État, un certain nombre d’entre nous se battent pour défendre l’intérêt de nos concitoyens. Quand on a déjà tellement d’inconvénients au quotidien en zone rurale – vous le savez –, doit-on dire aux gens qu’il faut augmenter le prix de l’eau parce que c’est la mode, parce que l’eau est notre avenir ?
Une représentante du Gouvernement dans mon département m’a même dit que c’étaient la qualité de l’eau et la santé de nos enfants qui étaient en jeu. Pourquoi casser ce qui marche bien chez nous, dans une petite commune où tout va bien, où l’eau est bonne, suffisante, où le fontainier, souvent bénévole, fait un travail extraordinaire depuis vingt-cinq ans, au prétexte qu’il faudrait que tout soit exactement pareil, quels que soient les territoires et l’importance des collectivités ?
Madame la secrétaire d’État, je vous supplie de faire l’exégèse des propos du ministre et de nous transmettre un texte le plus vite possible, de manière que des milliers de communes sachent ce qu’elles doivent faire…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Alain Joyandet. … ou ne pas faire avant 2026.
D’avance, je vous remercie de vos réponses ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Joyandet, je tiens à rappeler que, pour 88% des communes, c’est déjà l’intercommunalité qui assume la compétence eau et assainissement. La mutualisation sous la forme de l’intercommunalité est donc largement enclenchée pour ces communes. Les communes qui assument seules la compétence sont concentrées dans certains départements. C’est par exemple le cas des Hautes-Alpes, où le Président de la République a annoncé le plan Eau.
À cette occasion, le chef de l’État a rappelé l’importance de la mutualisation dans la capacité d’ingénierie, la capacité d’investissement, ainsi que la capacité d’innovation. Je crois que c’est essentiel pour garantir un service public efficace et, surtout, un niveau de service que méritent nos usagers.
Monsieur le sénateur, vous avez cité des exemples de communes où cela fonctionne bien. Bien sûr, il en existe, mais il y a aussi 2 000 communes qui ont connu des tensions dans l’approvisionnement en eau potable. Une large majorité d’entre elles étaient des communes isolées. Des travaux de sécurisation sont nécessaires pour améliorer leur résilience. Les 170 communes dont le rendement est de 50% seulement sont des communes isolées. Il existe donc bel et bien un lien entre l’isolement des communes et la baisse de rendement.
Des moyens financiers sont apportés pour soutenir les collectivités en difficulté. L’État a engagé 100 millions d’euros complémentaires aux agences de l’eau en 2022 et 100 autres millions d’euros en 2023. Cela ne suffira pas : il faut que les collectivités agissent et aient la capacité d’ingénierie nécessaire.
C’est pourquoi le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur le transfert des compétences eau et assainissement à l’échelon communal. Mes propos seront identiques à ceux que Christophe Béchu a tenus ici même – je m’en souviens très bien, puisque j’étais présente.
M. Jean-François Husson. C’est rassurant !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. S’il peut y avoir une remise en cause de l’intercommunalité, il n’en est aucunement de même pour la mutualisation. L’échelon communal ne semble donc pas correspondre aux besoins, surtout pour les communes qui sont aujourd’hui en manque d’eau, particulièrement durant les périodes estivales.
Il a notamment été annoncé qu’une mission parlementaire allait être prochainement lancée pour examiner les solutions aux situations où l’intercommunalité ne répondait pas aux besoins du territoire, et uniquement pour ce cas.
Il est évidemment possible de revoir l’intercommunalité, mais pas la mutualisation. C’est l’esprit même de ce que le ministre a défendu, et que je réitère ici.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet, pour la réplique.
M. Alain Joyandet. Madame la secrétaire d’État, vos propos ne répondent pas à ma question,…
M. François Bonhomme. En effet !
M. Alain Joyandet. … puisque vous n’arbitrez pas. Je n’en suis d’ailleurs pas surpris.
Vous savez tout de même qu’aujourd’hui une intercommunalité a la possibilité de prendre la compétence puis de décider, dans la demi-heure qui suit, de la redéléguer aux communes ! Faisons donc ainsi : demandons aux intercommunalités de délibérer, de prendre la compétence et de la redéléguer aux communes dans la demi-heure qui suit.
Madame la secrétaire d’État, le texte est ainsi ! Pourquoi ne pas clarifier les choses ?
M. François Bonhomme. Oui !
M. Alain Joyandet. Pour ma part, je ne demande d’obligation ni dans un sens ni dans l’autre. Je demande simplement de redonner aux élus locaux le pouvoir de décider.
Bien sûr qu’il faut agir dans les communes où il n’y a plus d’eau ! De fait, elles le font, elles ne nous ont pas attendus. Dans mon département, depuis trente ans, il existe des syndicats qui regroupent dix-sept ou dix-huit communes.
Faisons donc confiance à nos élus locaux, madame la secrétaire d’État. Pourquoi vouloir encore faire un truc alambiqué ? " Pas l’intercommunalité, mais pas la commune " : qu’est-ce que cela signifie ? Faut-il refaire une mission parlementaire, alors qu’il serait tellement facile de dire que, dans les communes de moins de 20 000 habitants par exemple, on remet l’eau dans les compétences optionnelles ? Un peu de simplification et de bon sens ! (M. Alain Chatillon acquiesce.)
Je vous invite à venir faire un petit séjour en Haute-Saône. Vous y serez reçue cordialement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Amel Gacquerre applaudit également.)
M. François Bonhomme. Pas que là !
M. Laurent Duplomb. Non, pas que là !
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de son dernier discours devant le Parlement néo-zélandais, Jacinda Ardern, ancienne Première ministre de Nouvelle-Zélande, a déclaré que le changement climatique définissait notre génération de politiciens. Je partage cette affirmation.
Sur toutes les travées de cet hémicycle et sur tous les bancs de celui de la rue de l’Université, malgré des sensibilités différentes, nous essayons de lutter contre le dérèglement climatique et ses effets. Nos visions pour y parvenir ne sont à l’évidence pas les mêmes.
Pourtant, les conséquences sont déjà là. Nous les subissons et essayons de nous adapter. C’est en cela que, quoi que nous pensions et même si nous avons beau ne pas nous occuper du changement climatique, on peut dire que celui-ci s’occupe de nous.
L’avenir de la ressource en eau en est l’exemple parfait. Je ne pense pas me tromper : nous souhaitons tous une gestion améliorée de cette ressource vitale.
L’eau régule l’ensemble du cycle de vie et notre environnement : nos mers et océans abritent une biodiversité essentielle à la vie et absorbent une part importante de notre pollution en CO2. L’accès à l’eau, à travers le monde, est l’un des principaux enjeux pour nombre de populations et, bien souvent, malheureusement, la source de conflits meurtriers. Face à cette rareté, les solutions impliquent de travailler à l’échelle mondiale, à la chaîne d’approvisionnement globale en eau, à commencer par les glaciers.
La qualité de l’eau est évidemment tout aussi importante. Les récentes détections dans notre eau potable d’un pesticide interdit depuis des années relancent ce sujet. Madame la secrétaire d’État, quelles sont les pistes envisagées en matière de gestion pour juguler des risques de ce type ? Comment s’attaquer aux causes de ces pollutions ? Surtout, comment accélérer – je vous sais sensible à ce sujet – les homologations de nouveaux produits, comme les biocontrôles, en substitution aux pesticides chimiques, sachant que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et ses homologues européens sont sursaturés ?
Le stress hydrique que nous subissons depuis l’été dernier, par périodes répétées et toujours plus fréquentes, participe à nos questionnements sur l’état de cette ressource. Si nous faisons le point sur la qualité de l’eau, son manque, sur certains de nos territoires, ainsi que sur les hausses de sa consommation, nous devons inévitablement parler gestion.
C’est là que la vision libérale de l’écologie que défend le groupe Les Indépendants – République et Territoires prend tout son sens. Il est impossible de revenir en arrière, avec les méthodes d’autres siècles, pour gérer une ressource confrontée à de nouvelles problématiques. Nous sommes simplement trop avancés dans le changement climatique ; les solutions qui comptent viendront de l’innovation et de la recherche. Nous ne pouvons nous adapter qu’en regardant devant, avec un devoir d’anticiper et de prévenir.
Il faut réaliser les investissements nécessaires dans nos réseaux, dans un pilotage optimisé et une gestion intelligente de l’eau. Le système a besoin de clarifications quant aux responsabilités qui incombent à chacun, notamment au sein des collectivités.
Je salue le plan sobriété que vous avez lancé, madame la secrétaire d’État, avec certains de vos collègues. Nombre de ses propositions rejoignent ce en quoi nous croyons et ce sur quoi nous axons notre travail.
J’évoquais à l’instant la recherche et l’innovation : il est pertinent d’actualiser nos projections hydrologiques et d’évaluer les perspectives. Nous serons plus réactifs dans une gestion que je conçois comme flexible, pour une adaptation rapide. Je suis, à cet égard, particulièrement sensible aux outils qui nous permettront de prendre en compte l’aménagement de nos territoires, dans leurs spécificités. En effet, la ressource en eau n’est pas la même en Aveyron, dans l’Aube ou en Corse. Nous devons partager nos bonnes pratiques et trouver les solutions et les meilleurs instruments en fonction de nos besoins propres, qui dépendent des territoires dans lesquels nous sommes.
Vous le savez, je crois aussi beaucoup en la sensibilisation et la formation, madame la secrétaire d’État. Nous avons besoin de gens formés dans la gestion de l’eau et de sa préservation. Qu’envisagez-vous concernant la formation, notamment d’ingénieurs, en ce domaine ?
Sur le volet financement, votre plan met en lumière une nouvelle génération d’Aqua Prêts à taux bonifié. Pouvez-vous nous expliquer les évolutions que vous prévoyez ? Quid du crédit d’impôt sur les récupérateurs d’eau dans les zones en tension ? Nous avons également besoin de vos éclairages sur ce sujet.
Enfin, je ne saurais conclure sans évoquer le sujet de la tarification progressive de l’eau, sur laquelle le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sera saisi. Je forme le vœu que le plus d’acteurs possible, notamment des praticiens, soient associés à la réflexion.
La gestion de notre ressource en eau sera de plus en plus complexifiée par le changement climatique. Une bonne gestion impliquera un pilotage fin, qui devra allier flexibilité et adaptabilité, pour répondre à tous les enjeux de nos territoires. La recherche et l’innovation devront nous y aider.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Je vais avoir besoin d’un plus que les deux minutes qui me sont imparties pour répondre à toutes ces questions !
M. Jean-François Husson. C’est l’exercice, madame la secrétaire d’État !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. C’est du manque de temps que je me plains, monsieur le sénateur, car mon souhait est de pouvoir répondre à toutes vos questions…
Madame la sénatrice Paoli-Gagin, vous avez raison : le sujet de l’eau est mondial. Je suis d’ailleurs très heureuse d’avoir participé à la conférence des Nations unies qui s’est tenue à New York sur cette question il y a une quinzaine de jours. Voilà quarante-six ans qu’une telle conférence n’avait pas eu lieu, alors même qu’elle permet d’évoquer ces questions avec de nombreux pays à travers le monde. C’est en effet un sujet éminemment important pour les prochaines décennies.
Bien évidemment, fournir une eau de qualité est une nécessité, pour la santé de toutes les personnes à l’échelle mondiale, mais aussi, bien sûr, pour la santé des Français.
On observe bien une tendance à la dégradation de la qualité chimique des eaux souterraines. Je rappelle tout de même que le dépassement du seuil de potabilité est une alerte qui ne signifie pas un danger imminent pour la santé des Français. C’est un signal sur la nécessité d’agir pour inverser la tendance. L’eau potable vient, aux deux tiers, des nappes. Il convient donc de mieux prévenir les pollutions diffuses, à l’échelle des aires d’alimentation de captage.
Pour cela, nous allons accompagner des évolutions de pratiques agricoles, pour utiliser moins de pesticides, moins d’engrais chimiques dans ces zones particulièrement sensibles. Vous avez raison, la question du biocontrôle m’importe. C’est une solution qui permet d’utiliser moins de produits chimiques.
Au cours du précédent mandat, des enveloppes ont été déployées pour doper la recherche dans ce domaine : avant d’interdire l’usage de telle ou telle molécule, il faut trouver une solution de substitution relevant du biocontrôle. Un tel fonds permet précisément de mener les recherches nécessaires.
En outre, nous souhaitons accompagner les nouvelles générations pour favoriser l’installation en bio et en agroécologie.
Dans la même logique, nous apporterons 100 millions d’euros supplémentaires pour soutenir financièrement les agriculteurs qui utilisent moins d’intrants.
Évidemment, l’échelon européen a toute son importance. Le règlement pour un usage durable des pesticides, ou SUR (Sustainable Use of pesticides Regulation), est précisément en cours de négociation. Notre ambition, à ce titre, c’est une meilleure protection des captages.
Nous allons aussi agir plus vite en cas de dépassement d’un seuil sanitaire. Si la molécule en question est toujours utilisée, le préfet mettra automatiquement en œuvre un certain nombre de mesures en complément du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité.
Madame la sénatrice, vous m’avez interrogée au sujet du crédit d’impôt pour les récupérateurs d’eau de pluie : nous sommes en train d’instruire les conditions de sa réactivation. Je ne manquerai pas de vous tenir informée de l’avancée de ces travaux.
Vous avez également abordé le sujet de la formation. Nous avons, en France, la chance d’avoir des établissements d’enseignement supérieur reconnus, et même réputés, pour la qualité de leur formation, notamment au sujet de l’eau…
Mme la présidente. Madame la secrétaire d’État, vous pourrez poursuivre lors de votre prochaine intervention.
M. François Bonhomme. Nous allons y revenir, ne vous inquiétez pas ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller.
M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier notre collègue Jean Sol et la délégation à la prospective d’avoir demandé ce débat.
J’ai écouté, comme nous tous ici, les déclarations du Président de la République à propos de l’eau. J’ai eu la satisfaction d’entendre que des propositions que nous avions défendues en projet de loi de finances et qui avaient alors été rejetées étaient reprises dans le plan Eau. Je pense au plafond mordant des agences de l’eau, à la tarification progressive de l’eau, à l’augmentation des financements à l’agriculture biologique et pour la sortie des engrais azotés de synthèse, ou encore au développement des paiements pour services environnementaux, même si, pour ces trois mesures, nous proposions un accompagnement sur tout le territoire et non pas seulement sur les aires de captage.
Madame la secrétaire d’État, afin d’accélérer votre action contre les dérèglements climatiques et pour une gestion durable de l’eau, n’hésitez pas à consulter nos amendements passés et nos propositions actuelles. (Sourires.) En voici quelques-unes.
Notre première suggestion porte sur la qualité de l’eau. Cet enjeu essentiel est traité de manière trop superficielle dans le plan présidentiel.
La moitié des masses d’eau sont polluées par des plastiques, des nitrates, des herbicides et des pesticides. Or, sur ce sujet, vous ne dites rien ou presque. Pis, au lendemain de l’annonce du plan Eau, le ministre de l’agriculture – et des pesticides ! – demandait à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail de revenir sur l’interdiction de l’herbicide S-métolachlore. Il témoignait, ce faisant, d’un remarquable sens des priorités : deux jours après étaient rendues publiques de nouvelles études confirmant la non-conformité d’un tiers de l’eau distribuée en France en raison de la présence de métabolite chlorothalonil R471 811.
Pour la qualité de l’eau, nous revendiquons un grand plan d’appui à la transition de l’agriculture vers l’agroécologie, un plan massif en faveur de l’agriculture biologique. En effet, ces dernières reposent sur des pratiques sobres en eau et permettent de retenir l’eau dans les sols par les haies, les couverts végétaux, les prairies ou les rotations longues.
La nature a ses propres solutions et les agriculteurs ont toujours répondu aux demandes de la Nation. Encore faut-il les engager sur ce chemin au lieu de défendre un modèle qui, s’il craque face aux pénuries, reste rentable pour l’agro-industrie.
Notre seconde suggestion porte sur la gestion quantitative.
Les assises de l’eau ont fixé, en 2019, un objectif de réduction de 10% des consommations à échéance 2024. Vous le reprenez, mais à échéance 2030. Or la situation se dégrade vite : on ne peut repousser de telles échéances, exonérer l’agriculture, qui consomme 56% de la ressource, ou encore l’industrie, dont les développements espérés, potentiellement très consommateurs, peuvent provoquer des tensions. Le projet d’extension de STMicroelectronics à Crolles en est l’illustration.
Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaitent également un moratoire sur les projets à fort impact sur les cycles de l’eau et non compatibles avec les bouleversements climatiques, qu’il s’agisse des mégabassines, des réserves d’eau pour canons à neige ou de la ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Il est aussi primordial de considérer les évolutions de la ressource en eau dans nos choix énergétiques. Je pense notamment aux risques liés à la baisse du débit d’étiage des fleuves. Il va diminuer de 20% à 40% d’ici à 2050. De combien va-t-il chuter d’ici à 2100, date de fin de vie de vos potentiels futurs EPR ?
Je n’oublie pas non plus les impacts de ces choix sur les milieux aquatiques, la biodiversité et la qualité de l’eau. L’été, il faudra choisir entre la préservation des milieux, la fourniture d’eau potable, la production d’électricité et l’agriculture. Qui arbitrera ? Comment le fera-t-on sans conflit ?
Pour nous, c’est à la science partagée et à la démocratie qu’il revient d’arbitrer. Nous demandons la réalisation d’études académiques en amont de tout projet affectant le cycle de l’eau et le partage des ressources.
Madame la secrétaire d’État, il y aura de plus en plus de conflits d’usage. Au fond, ce qui s’est passé à Sainte-Soline n’est que l’illustration de tensions beaucoup plus nombreuses, mais parfois moins visibles ou moins médiatisées.
L’agriculture a besoin d’eau, mais elle en a davantage besoin dans les sols que dans des mégabassines. Elle en a besoin pour alimenter des systèmes d’irrigation vertueux. (M. Laurent Duplomb s’exclame.)
Pour que les conflits d’usage ne deviennent pas des conflits violents, il faut trouver des réponses démocratiques plutôt que sécuritaires.
À l’échelle de nos territoires, les commissions locales de l’eau (CLE) et les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) doivent être généralisés. Surtout, ils doivent être réellement ouverts à tous, sans omission des associations environnementales ou de la Confédération paysanne, comme c’est le cas ici ou là.
À l’échelle nationale, les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vous proposent d’organiser une convention citoyenne de l’eau, portant sur les chemins de sobriété et les priorisations en temps de sécheresse.
La convention citoyenne sur la fin de vie est la preuve heureuse que les Françaises et les Français ont envie d’une démocratie ouverte, qu’ils sont capables de trouver un consensus éthique et profond sur des sujets complexes. Si une telle démarche peut éviter des affrontements dramatiques, osons ce chemin.
La France et le monde subissent à présent cette crise de plein fouet.
Faites donc confiance aux citoyens. Écoutez les organisations non gouvernementales (ONG), les scientifiques et même les parlementaires écologistes ! Écoutez les membres de la mission d’information sur la gestion durable de l’eau, notamment son rapporteur, Hervé Gillé, qui remettront prochainement leurs travaux. C’est indispensable pour être à la hauteur des enjeux.
En 1974, René Dumont prédisait la raréfaction de l’eau dans l’indifférence généralisée, voire sous les sarcasmes des partis de gouvernement. Il avait pourtant raison : aujourd’hui, nous sommes dans la crise. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. François Bonhomme. Mon Dieu…
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Breuiller, vous avez apporté de nombreux éléments au débat.
Tout d’abord, je tiens à vous remercier de vos dix propositions : elles confirment que nous avons mené un travail de qualité, sous le signe de la concertation. (M. Daniel Breuiller acquiesce.) Comme vous l’avez souligné, nous en avons repris de nombreuses.
Ensuite – je vous le confirme –, nous souhaitons parvenir à une réduction de 10% des prélèvements d’eau. Certes, nous avons opté pour une échéance en 2030 ; mais, désormais, nous précisons clairement la manière dont nous allons y parvenir. Jusqu’à présent, nous avons fixé un objectif sans nous donner les moyens. Aujourd’hui, nous disposons d’un plan complet permettant à chacun de se donner les moyens de cette ambition.
Toutes les parties prenantes doivent prendre leurs responsabilités. Collectivités territoriales, particuliers, industriels ou encore agriculteurs, chacun va contribuer à la baisse de 10% des prélèvements.
Dans le domaine agricole, cette évolution ne sera pas facile, c’est certain. Vous insistez sur l’enjeu que représente l’irrigation, mais celle-ci ne concerne que 7% des eaux utilisées par l’agriculture. Peut-être faudra-t-il oublier telle culture trop gourmande en eau dans tel territoire pour la développer ailleurs.
À cet égard, il faut déployer les investissements qu’exige la réutilisation des eaux usées traitées : notre pays n’a pas suffisamment œuvré en ce sens. Aujourd’hui, notre taux de réutilisation des eaux reste inférieur à 1%, alors que celui de nos voisins espagnols, par exemple, avoisine les 13%.
Le plan Eau nous donne les moyens d’atteindre l’objectif fixé.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la réplique.
M. Daniel Breuiller. Madame la secrétaire d’État, l’accélération et l’aggravation de la crise climatique ne nous permettent pas d’aller à un train de sénateur : nous devons changer de rythme et lancer des débats démocratiques dès aujourd’hui, face aux conflits d’usage qui – j’en ai bien peur – vont se développer.
Je prends note de vos engagements. Je vous le répète, nous sommes disposés à participer à ce travail : il y va de l’avenir, non seulement de notre pays, mais de la planète.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de l’été 2022, 93 départements ont été soumis à des restrictions de consommation d’eau du fait de la sécheresse, plus de 1 000 communes ont dû être ravitaillées en eau par bouteilles, 32 départements sont actuellement en état de vigilance ou d’alerte renforcée et la faible pluviométrie observée ces derniers mois sur l’ensemble du territoire national interroge déjà notre gestion de cette ressource fondamentale au cours des prochains mois.
Depuis vingt ans, la France métropolitaine a perdu 14% de ses ressources en eau renouvelable par rapport à la période 1990-2001. La délégation sénatoriale à la prospective le rappelle dans son rapport d’information : le changement climatique, dont les effets sont déjà visibles, rend notre accès à l’eau de plus en plus difficile.
Oui, le cycle de l’eau en France se modifie et va encore évoluer. Les précipitations deviendront de plus en plus irrégulières, le débit des cours d’eau se réduira et le stress hydrique s’accroîtra là où, encore récemment, cette problématique n’était pas première.
La répétition des vagues de chaleur, lourdes de conséquences comme, à l’opposé, la survenue d’épisodes de pluies extrêmement violentes imposeront une meilleure gestion quantitative de l’eau sur toute l’année. Nous devrons anticiper les événements, nous adapter aux aléas pluviométriques et à leur soudaineté tout en veillant, encore et toujours, au respect des impératifs sanitaires.
Ce défi, qui est à la fois celui du volume et celui de la qualité, il nous faut nécessairement le relever en provoquant et en favorisant la mobilisation de tous – industriels, acteurs du monde agricole, particuliers – pour la sobriété dans les usages et la compréhension partagée des enjeux et des progrès techniques à soutenir.
Face à cet état de fait, qui n’est pas uniquement conjoncturel, des mesures ont déjà été prises. Ainsi, un nouvel objectif de sobriété a été fixé par le plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau : réaliser 10 % d’économies d’eau en 2030.
Les moyens seront mis en œuvre par secteur et par territoire. Chaque sous-bassin hydrographique, selon ses spécificités, sera doté d’une trajectoire particulière.
Parmi les mesures annoncées, je relève à mon tour la création d’un EcoWatt de l’eau et l’élaboration de plans sectoriels de sobriété. Je citerai également non seulement la hausse du budget des agences de l’eau et la suppression de leur plafond de dépenses, afin de lutter contre les fuites dans les réseaux, mais aussi la mise en place d’une tarification progressive de l’eau et le soutien à la réutilisation des eaux usées.
Ma question portera sur ce dernier point. Il s’agit pour notre pays de faire un véritable bond, en passant d’un taux d’environ 1% actuellement à 10% d’ici à 2030. Ce faisant, nous nous rapprocherons de plusieurs de nos voisins, comme l’Espagne, qui réemploie 14% de ses eaux usées, ou l’Italie, qui en réutilise 8%.
Pour impulser ce mouvement essentiel, plusieurs leviers seront actionnés : lancement de 1 000 projets en cinq ans pour recycler et réutiliser l’eau ; lancement par l’État, en partenariat avec l’Association nationale des élus du littoral (Anel), d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) spécifique à destination des communes littorales sur la faisabilité des projets ; mise en place d’un observatoire national ; accélération des procédures administratives.
Si, aujourd’hui, la réutilisation des eaux usées traitées est possible dans quelques cas précis, comme pour l’arrosage des espaces verts, il est nécessaire d’accélérer.
C’est le sens de la sixième recommandation, transpartisane, énoncée par nos quatre rapporteurs : encourager la recherche et l’innovation dans le domaine de l’eau, qu’il s’agisse de la recharge artificielle des nappes, du développement de la télésurveillance des réseaux, du recours aux données numériques et à l’imagerie satellitaire pour mieux connaître en temps réel l’état de la ressource ou, justement, de la réutilisation des eaux usées traitées. En effet, les eaux traitées constituent non pas une ressource nouvelle, mais un moyen de réduire les prélèvements d’eau dans la nature.
Cette solution présente un intérêt certain en période estivale dans les zones littorales touristiques. Je pense notamment aux lieux où la consommation d’eau et les besoins de l’agriculture sont particulièrement importants en été.
C’est précisément pourquoi l’Union européenne a voulu se doter au mois de mai 2020 d’un nouveau règlement, qui entrera bientôt en vigueur. Il s’agit de faciliter la réutilisation de l’eau, en particulier pour l’irrigation agricole. Selon la Commission européenne, plus de 40 milliards de mètres cubes d’eaux usées sont traités chaque année dans l’Union européenne, mais moins de 1 milliard sont réutilisés.
Ces avancées, comme les autres mesures précédemment évoquées, iront de pair avec une plus grande pédagogie sur l’eau, notamment auprès du grand public.
À la fin du mois d’août dernier, à l’occasion de la rencontre des entrepreneurs de France, Élisabeth Borne a évoqué la planification écologique de l’eau. L’objectif est d’identifier les actions dont nous avons besoin pour accélérer la transition écologique et atteindre les baisses de prélèvement.
La gestion de l’eau doit devenir plus résiliente et plus fiable dans trois domaines principaux : l’industrie, l’agriculture et les usages du quotidien.
Pour ce faire, il paraît indispensable de parvenir à un consensus sur l’eau. Cet enjeu national et territorial suppose un effort de démocratisation et d’éducation. Il implique une communication ciblée et continue sur les usages et leur priorisation.
Madame la secrétaire d’État, quelles nouvelles mesures réglementaires pourrait-on rapidement prendre en la matière, en particulier pour le secteur industriel ? Comment entendez-vous accélérer les procédures en vigueur – un grand nombre d’acteurs le demandent –, tout en rassurant quant aux évolutions souhaitables ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice Havet, je l’indiquais il y a un instant en réponse à M. Breuiller : notre taux de réutilisation d’eaux usées et traitées, aujourd’hui inférieur à 1%, est réellement insuffisant. Vous l’avez rappelé, ce taux est de 13% en Espagne et de 8% en Italie. Nous pouvons faire mieux.
Nous voulons atteindre 10% en développant jusqu’à 1 000 projets de réutilisation sur le territoire. Nous donnerons la priorité à l’animation et à l’accompagnement des porteurs de projet. Comme vous le soulignez, un appel à manifestation d’intérêt sera lancé par l’État, en partenariat avec l’Anel, pour financer cent études de faisabilité par an.
Yannick Moreau, président de l’Anel, est extrêmement attentif à ces questions et nous souhaitons tout particulièrement valoriser de tels projets dans les communes littorales. En effet, nous en sommes persuadés, ce sont là des solutions d’avenir. À l’heure actuelle, nombre de ces communes relâchent leur eau douce dans la mer : autant la récupérer.
Vous évoquez avec raison les évolutions réglementaires qui s’imposent. De nombreux chantiers ont d’ores et déjà été ouverts cette année. Notre objectif est de lever les freins à la valorisation des eaux non conventionnelles pour les usages les plus pertinents. Il s’agit d’assurer des économies d’eau tout en garantissant, bien sûr, la sécurité sanitaire, au nom de laquelle nombre de projets ont été bloqués jusqu’à présent.
Le projet de décret relatif à la réutilisation des eaux dans les industries agroalimentaires est actuellement soumis à consultation publique. Nous souhaitons publier ce texte aussi rapidement que possible. À ce titre, nous engageons régulièrement des discussions avec les filières agroalimentaires : elles attendent le décret avec impatience, car bien des projets sont prêts à être mis en œuvre.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Breuiller applaudit également.)
M. Hervé Gillé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont proposé la création d’une mission d’information sur la « gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement ». J’ai le plaisir d’en être le rapporteur.
Cette mission d’information entend réaliser une évaluation des politiques publiques de la gestion de l’eau mise en œuvre en France au regard des enjeux environnementaux, sociaux et économiques. J’insiste sur l’importance d’une telle approche sociétale.
Nos travaux s’inspirent évidemment du rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, que nous remercions de ce débat. Ils s’organisent selon trois axes.
Le premier axe, c’est la qualité de l’eau et la lutte contre les pollutions. Pour assurer, non seulement notre approvisionnement en eau potable, mais aussi l’équilibre des milieux, de la faune et de la flore aquatiques, il est essentiel de disposer d’une eau non polluée.
Pourtant, près de la moitié des masses d’eau de surface sont contaminées par des pesticides. Le rapport de l’Anses et ses récentes révélations sur le chlorothalonil et le S-métolachlore démontrent à quel point nos quelques progrès sont insuffisants et combien ce sujet doit être abordé avec humilité. Le constat de la contamination est d’ailleurs relativement absent du plan Eau ; nous le regrettons.
Madame la secrétaire d’État, je note néanmoins que la protection des 500 points de captage prioritaires semble porter ces fruits. Ne faudrait-il pas accroître leur nombre pour améliorer, à moyen et long termes, la qualité des prélèvements ? Quels sont vos objectifs en la matière ? Florence Blatrix Contat reviendra sur ce sujet.
Le deuxième axe, c’est la gestion quantitative de l’eau. D’ici à 2050, les débits moyens annuels des cours d’eau devraient en effet diminuer de 10% à 40% : il s’agit là d’une proportion importante. En parallèle, les épisodes extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, seront beaucoup plus fréquents.
Ainsi, nous devons optimiser les ressources disponibles – je pense bien sûr au stockage naturel –, voire créer de nouvelles ressources multi-usages et vertueuses pour l’environnement.
La démarche et la méthode des PTGE vont dans le bon sens. Cependant, au-delà des consensus territoriaux, l’on se heurte souvent à des recours tardifs réduisant les négociations à néant. Que comptez-vous faire pour que cette situation évolue, madame la secrétaire d’État ?
Nous sommes tous d’accord pour ériger en priorité une politique de sobriété. Dès lors, explorons toutes les pistes pour atteindre l’objectif de baisse d’eau prélevée fixé à 10% d’ici à 2030.
Le Gouvernement prévoit 30 millions d’euros pour les retenues agricoles, 180 millions d’euros pour la réduction des fuites prioritaires, 50 millions d’euros pour la préservation des zones humides et l’infiltration des nappes. Il veut également un plan pour la réutilisation des eaux usées traitées et la récupération des eaux de toitures.
Madame la secrétaire d’État, le plan Eau détaille des pistes intéressantes, mais comment ces chantiers seront-ils réellement financés ? Allez-vous augmenter la fiscalité existante ou créer des redevances supplémentaires ? Quelles sont vos réponses sur ce sujet ? Une clarification est nécessaire, faute de quoi l’on en restera aux effets d’annonce.
La tarification différenciée est souhaitable, mais son application pose question. Certes, la mise en œuvre d’un tel dispositif est discutée depuis de nombreuses années, mais elle exigera un travail approfondi et partagé avec le Parlement, les syndicats des eaux et les élus des territoires pour assurer un développement optimal.
À l’instar des déchets, les types d’activité devront faire l’objet d’une tarification différenciée en fonction des consommations. Ce doit également être le cas pour les ménages : une famille nombreuse ne saurait être lésée par rapport à un couple sans enfant. Il faudra donc prévoir des adaptations. Comment le Gouvernement réussira-t-il à faire de la tarification différenciée un dispositif efficace, adapté à chaque usage ? Notre mission d’information est à votre disposition pour travailler sur ce sujet.
Le troisième et dernier axe, c’est la gouvernance. Qui doit agir et avec quels moyens ?
Nous devons sans cesse rappeler le rôle des collectivités territoriales : elles sont en première ligne, qu’il s’agisse de la gestion de l’eau, des fuites, de la baisse d’approvisionnement, de l’assainissement ou encore de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (Gemapi), bien que cette compétence ne soit pas toujours bien financée.
Nous insistons en outre sur l’échelle des bassins versants, qui permet d’optimiser la ressource. Au Sénat, nous le savons mieux que quiconque : cet échelon territorial doit être préservé et renforcé au titre de la gouvernance.
La revalorisation financière substantielle dont les agences de l’eau bénéficient est, partant, la bienvenue. Elle doit être de 475 millions d’euros par an, mais ne sera pas mise en œuvre avant le douzième programme, donc pas avant 2025.
Pour atteindre nos objectifs, nous pourrions étudier la mise en place des contrats d’objectifs et de performance (COP) avec l’ensemble des parties prenantes ou encore le conditionnement des aides et des financements à des objectifs communs pour sécuriser la ressource. Il serait normal de partager ces objectifs de performance et de sobriété.
Mes chers collègues, la gestion de l’eau est un sujet éminemment politique et multidimensionnel. Elle exige, en conséquence, un travail interministériel associant les acteurs agricoles, environnementaux, économiques et sociaux. Elle mériterait même, sinon un ministère de plein exercice, du moins un secrétariat d’État. Je l’appelle de mes vœux.
Travaillons ensemble à des solutions concertées. Investissons nos instances et repolitisons-les au sens noble du terme ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Daniel Breuiller applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Gillé, je m’efforcerai d’être aussi exhaustive et concise que possible.
Avant tout, je tiens à saluer le travail que vous avez entrepris. Je sais que vous avez déjà mené un certain nombre d’auditions dans le cadre de la mission d’information.
Vous avez rappelé les engagements financiers pris par le Gouvernement. Je vous le confirme, nous ne procéderons pas à la création de nouveaux outils fiscaux ; nous avons opté pour le rehaussement du taux des redevances existantes.
Vous avez abordé de nombreux autres sujets. Je concentrerai ma réponse sur la gouvernance.
La compétence dont il s’agit est décentralisée depuis les années 1960 à l’échelle des bassins et des sous-bassins ; le Gouvernement – vous avez pu le constater – n’a nullement l’intention de remettre en cause ce transfert. Ce que nous voulons, c’est une gestion de l’eau associant l’ensemble des acteurs pour une gouvernance ouverte et plus efficace. Au total, 54% du territoire national est couvert par une commission locale de l’eau, par un document de planification et par un schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage).
Des simplifications réglementaires seront apportées pour accélérer et généraliser à l’échelle de chaque sous-bassin versant la création d’une CLE, véritable instance de dialogue, et d’un PTGE, au plus tard en 2027, selon le principe " un territoire, un projet politique pour l’eau ".
Ainsi, nous serons à même de répondre à toutes les exigences du plan Eau. Je pense notamment à la réduction de 10% que j’ai évoquée précédemment. Pour discuter à l’échelle des territoires, il n’y a pas meilleure instance que les parlements de l’eau.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui représentez les collectivités territoriales, je vous invite à jouer un rôle moteur pour la création des Sage et des CLE. J’insiste également sur les PTGE, qui sont encore trop peu nombreux sur notre territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de vos réponses. Vous nous confirmez que les redevances existantes feront l’objet d’un relèvement. Dont acte.
Personnellement, je suis très favorable à un renforcement de la planification en matière de gestion de l’eau. Les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) jouent un rôle essentiel : il faut s’efforcer de les développer et de les conforter dans l’ensemble des territoires, en lien avec les établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (Epage).
Il faut en effet multiplier les Sage et faire en sorte que les CLE deviennent de véritables parlements locaux et territoriaux de l’eau. Ce travail est indispensable.
À mon sens, il faudra également assurer l’intégration de la gestion de l’eau dans les politiques d’urbanisme. Les schémas de cohérence territoriale (Scot) permettraient sans doute d’approfondir encore davantage ce sujet. (Mme la secrétaire d’État le confirme.) De même, les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) pourraient concourir à la gestion de l’eau, au bénéfice notamment du pluvial et des zones humides. Je vous invite à examiner cette piste.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le monde est entré dans une nouvelle ère. Désormais, il fait face à la vulnérabilité de ses écosystèmes et à des tensions accrues s’exerçant sur ses ressources naturelles. Au total, 40% de la population mondiale souffre de pénuries d’eau au moins une fois par an et 1,4 milliard de personnes sont privées d’accès à l’eau potable.
Ces pénuries, que nous observons aujourd’hui sur notre propre sol, nous obligent à nous saisir de l’enjeu de la gestion de l’eau.
Ainsi, durant trente-deux jours d’affilée, en plein hiver, la France a été privée de pluie, ce qui entraînera probablement des pénuries d’eau cet été dans de nombreuses communes.
L’été 2022 fut le plus chaud depuis les années 1950. Au total, 93 départements ont été soumis à des restrictions et plus de 1 000 communes ont subi des coupures d’eau.
Si nous n’intervenons pas, la situation continuera à se dégrader. Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) l’affirme : sans réduction immédiate des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, tous les scénarios prévoient une augmentation de la température globale de deux degrés d’ici à 2050.
Après les assises de l’eau de 2018 et le Varenne de l’eau de 2021 et 2022, le Président de la République a présenté son plan Eau. Aujourd’hui même, la commission interministérielle de l’eau remettra quant à elle son rapport sur le sujet. La litanie des annonces débouche sur tout ce qui aurait dû être anticipé et qui s’impose à nous aujourd’hui.
Le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, auquel a participé ma collègue Cécile Cukierman, a le mérite d’aborder très largement la problématique de l’eau et d’apporter plusieurs solutions utiles, que je salue. On y lit notamment que " la mise en œuvre concrète des actions en faveur de l’eau repose sur les acteurs locaux ".
Les élus ont en effet un rôle essentiel à jouer dans la gouvernance de l’eau en France, que ce soit dans les comités de bassin, dans les agences de l’eau, dans les CLE, pour la fourniture d’eau potable, la gestion des milieux aquatiques, avec la Gemapi, ou encore les travaux d’assainissement.
Je note d’ailleurs que le transfert obligatoire, prévu par la loi NOTRe, de la compétence eau et assainissement aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en 2026 n’est pas clairement évoquée dans le plan du Président de la République, malgré l’opposition de très nombreuses communes.
Nous devons gagner en efficacité en renforçant l’échelon local de prise de décision afin de mieux prendre en compte la réalité des bassins de vie, notamment dans l’élaboration des PTGE.
Il faut redonner à nos collectivités territoriales et à nos agences de l’eau, qui sont la clef de voûte de la politique de l’eau, la capacité financière d’agir.
Madame la secrétaire d’État, si le plafond mordant – en d’autres termes, le plafonnement des recettes des agences de l’eau – est supprimé, on peut s’interroger sur l’annonce de 475 millions d’euros de rehaussement des moyens des agences et sur la provenance de ces crédits : leur budget est abondé non par l’État, mais par les redevances des consommateurs. (M. le président de la délégation acquiesce.) Peut-être me répondrez-vous sur ce sujet.
Les collectivités n’ont pas de capacité d’intervention directe sur tous les secteurs consommateurs d’eau. Tout ne peut pas non plus reposer sur les usagers, même si la sobriété s’impose.
Ce n’est pas l’installation de mousseurs sur les robinets qui permettra d’assurer un accès durable à l’eau, alors même que nous perdons, à cause des fuites dans les réseaux à rénover, l’équivalent de la consommation annuelle de 18 millions d’habitants. C’est énorme !
N’opposons pas les usages de l’eau : agriculture, industrie, tourisme, nous avons besoin de toutes ces activités.
Les épisodes cévenols vont se multiplier. Savoir retenir l’eau avant qu’elle ne ravage habitations, routes et équipements sera un enjeu important.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
Mme Marie-Claude Varaillas. Même si la question de la récupération de l’eau fait rage, nous devons avoir un débat apaisé. On ne vole pas plus d’eau avec une retenue collinaire qu’avec un récupérateur en maison individuelle. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Laurent Duplomb. Bravo !
Mme Marie-Claude Varaillas. Nous devons accélérer vers l’agroécologie et généraliser une agriculture de conservation qui améliore la rétention d’eau.
Il est regrettable que notre pays manque d’ambition : l’eau doit être enfin traitée comme un bien commun et non plus comme une marchandise sur un marché opaque et juteux pour les multinationales.
Je me souviens pourtant des sages paroles du Président de la République lors de la crise sanitaire : " Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. "
La gestion publique de l’eau, par la création d’un service public dédié, doit guider notre action, avec une intervention particulière et prioritaire dans les outre-mer, où l’état des réserves d’eau et des réseaux d’approvisionnement est très préoccupant.
Enfin, une tarification sociale de l’eau doit garantir le droit inaliénable à l’accès de tous à l’eau, via la gratuité des premiers mètres cubes, ainsi que je le préconisais dans la proposition de loi que j’ai déposée avec certains de mes collègues en 2021.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
M. Laurent Duplomb. Pas de recul !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice Varaillas, permettez-moi de rappeler les grands axes du plan Eau : la sobriété – avec la baisse de 10% des prélèvements –, l’optimisation – avec la réutilisation des eaux usées traitées et le recours à des solutions fondées sur la nature –, la qualité – avec la protection des captages – et le renforcement de la gouvernance locale – avec la multiplication des Sage, des CLE et des PTGE, afin de définir la politique de l’eau à l’échelle locale. Tous les acteurs pourront ainsi décider, à cet échelon, des engagements à prendre pour répondre à l’objectif d’une réduction de 10% des prélèvements.
Qui va payer ? Ce sont l’ensemble des usagers qui paieront. Nous avons été extrêmement vigilants à faire porter la responsabilité sur les ménages, les agriculteurs, les industriels et le secteur de l’énergie. Quand l’effort est partagé, il est beaucoup mieux accepté par l’ensemble de la population. Permettez-moi de rappeler qu’il s’agit de 475 millions d’euros supplémentaires, soit un budget complémentaire de 20%.
Le sujet de la tarification de l’eau relève directement des collectivités, ainsi que David Lisnard, le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, nous l’a rappelé dès l’annonce du plan Eau par le Président de la République. L’État sera aux côtés des collectivités pour les accompagner dans la tarification sociale de l’eau, mais n’imposera en aucun cas une tarification : ce sera décidé par territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Louis-Jean de Nicolaÿ applaudit également.)
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les sécheresses et les canicules de ces dernières années l’ont prouvé : le temps de l’abondance et de l’insouciance hydrique est révolu. Face à la raréfaction de la ressource, nous savons que nous devons désormais changer de modèle de gestion de l’eau. Nul besoin d’être docteur en mathématiques pour poser l’équation, tant elle est simple : faire mieux avec moins !
La nouvelle donne hydrique nous impose de repenser notre modèle de gestion durable de l’eau, d’accroître la sobriété de nos consommations et de nos prélèvements, de trouver les moyens de prévenir et d’apaiser les conflits d’usage, mais également d’anticiper les conséquences d’étés plus secs pour ne pas les subir. Angle mort des réflexions d’un pays que l’on a souvent comparé à un château d’eau, la ressource en eau peut devenir, dans la France de 2023 et des années à venir, un facteur de tensions, voire de conflits. Ne pas s’y préparer serait suicidaire.
Les assises de l’eau et le Varenne agricole de l’eau ont préparé le terrain, mais également les esprits. Le plan Eau conclut cette séquence de réflexion et de concertation par une série de mesures que les élus, les acteurs et les citoyens attendaient depuis longtemps. On pourrait regretter que la cible de 10% d’économies d’eau prélevée dans tous les secteurs ne soit qu’indicative. Certes, toute politique est perfectible, mais je préfère l’action à l’immobilisme.
Je salue l’annonce d’un plan de 180 millions d’euros par an pour lutter contre les canalisations fuyardes des collectivités dont le rendement des réseaux est inférieur à 50%, ainsi que je l’avais appelé de mes vœux au mois de novembre dernier dans une tribune largement cosignée par des parlementaires et des élus locaux.
J’ai cependant quelques inquiétudes concernant la conditionnalité des aides : il ne faudrait pas que les collectivités les plus fragiles soient pénalisées par des exigences hors de leur portée. Les élus locaux doivent être accompagnés et non stigmatisés. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me rassurer et nous en dire plus sur la manière dont les aides seront attribuées et évaluées ?
Ces dernières semaines, des articles de presse ont ravivé les préoccupations relatives à la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine. De nouvelles molécules chimiques mises sur le marché, dont les effets à long terme sont encore mal connus, finissent par se retrouver dans les milieux aquatiques et les aquifères, donc dans l’eau distribuée aux usagers. Madame la secrétaire d’État, quelles actions comptez-vous mettre en œuvre pour rassurer sur la potabilité de l’eau du robinet et son innocuité pour la santé à long terme ?
En matière d’action publique, l’État doit être exemplaire et s’appliquer à lui-même les efforts qu’il demande aux collectivités, aux entreprises et aux citoyens. Comment comptez-vous mettre en place, dans les administrations publiques, une gestion de l’eau irréprochable et en finir avec les gaspillages ? Le parc immobilier de l’État comprend plus de 190 000 bâtiments, pour une surface d’environ 94 millions de mètres carrés… Un rapide calcul conduit à un montant vertigineux. Il ne s’agit pourtant que d’une mesure parmi les 53 qui ont été annoncées. Comment comptez-vous la financer et communiquer autour de cette exemplarité ?
Sans moyens financiers adéquats, la parole publique et les programmes d’action restent lettre morte. Madame la secrétaire d’État, vous augmentez le plafond mordant des agences de l’eau, mais, dans le même temps, vous fléchez une grande partie de ces augmentations vers des mesures que vous avez identifiées par ailleurs. Même si les montants annoncés par le Président de la République paraissent importants, les besoins annuels identifiés pour le petit et le grand cycle de l’eau se chiffrent en milliards d’euros.
Madame la secrétaire d’État, ma question est toute simple : que comptez-vous faire pour que le plan Eau ne soit pas un plan qui prenne l’eau ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Ça s’arrose ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Longeot, j’ai déjà apporté un certain nombre d’éléments d’information.
Vous évoquez la conditionnalité des aides aux collectivités. L’objectif est de soutenir les collectivités en vue d’une gestion performante du service eau et assainissement. La conditionnalité des aides sera dimensionnée afin d’être incitative, sans laisser les collectivités les plus en difficulté au bord du chemin.
Deux profils de collectivités sont plus particulièrement ciblés dans le plan Eau : les collectivités qui présentent des risques d’approvisionnement en eau potable – nous en avons identifié 2 000 – et celles qui présentent de graves défauts d’entretien de leurs réseaux, avec plus de 50% de fuites – nous en avons répertorié 171, mais elles sont en réalité bien plus nombreuses. L’enjeu est d’entraîner toutes celles qui ont des performances moyennes. Il conviendrait de doubler le rythme actuel de renouvellement des infrastructures au regard de leur durée de vie. Cette accélération sera principalement soutenue par un juste prix de l’eau et la mobilisation des Aqua Prêts à taux bonifié de la Banque des territoires.
Les agences de l’eau fixeront les critères de la conditionnalité des aides, selon les principes généraux posés par l’État qui porteront notamment sur la conformité au regard des cibles de fuites et de qualité des rejets des eaux usées traitées. Il ne s’agit pas, bien entendu, de pénaliser les collectivités les plus en difficulté : au contraire, celles qui n’atteindraient pas les critères de conformité, pourront être aidées à condition de présenter un plan correctif.
Comment faire en sorte que le plan Eau ne prenne pas l’eau ? Monsieur le sénateur, nous avons tâché d’envisager la problématique de la gestion de l’eau dans son ensemble, en répondant à l’objectif de baisse des prélèvements, en renforçant la gouvernance, en permettant d’autres utilisations – je pense à la réutilisation des eaux usées traitées ainsi qu’aux solutions fondées sur la nature –, en étant attentifs à la qualité de l’eau. Ainsi, nous répondons à l’ensemble des besoins, sans oublier les moyens financiers.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.
M. Jean-François Longeot. Les collectivités attendent certes des moyens financiers, mais aussi des conseils et des aides. En matière d’assainissement, les décisions que les maires doivent prendre sont difficiles – je peux en témoigner pour avoir exercé ce mandat –, notamment au regard des nouveaux traitements à opérer. Je ne suis pas certain que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), cher Louis-Jean de Nicolaÿ, soit en mesure d’accompagner toutes les communes dans leurs décisions de traitement des eaux usées.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nadège Havet et M. Pierre Louault applaudissent également.)
M. Éric Gold. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après les affrontements de Sainte-Soline le 25 mars dernier, ce débat sur la gestion de la ressource en eau apparaît cruellement d’actualité.
Sainte-Soline n’est pas une affaire d’écologistes et d’ultragauche. Il s’agit d’un débat de fond et d’une véritable inquiétude : dans un contexte de pénurie croissante, l’eau va-t-elle enfin être gérée comme un bien commun à préserver ?
Jusqu’à présent, nous vivions dans un pays où l’eau coulait en abondance. Nous pouvions prélever jusqu’à 35 milliards de mètres cubes par an sans avoir à remettre en cause notre modèle. Toutefois, après plusieurs épisodes de sécheresse et la confirmation d’une trajectoire inquiétante de réchauffement climatique, des tensions autour du partage de cette ressource apparaissent.
Pour autant, connaissons-nous réellement la situation ? Sommes-nous en mesure de quantifier l’état de la ressource en eau ? Le sentiment général, madame la secrétaire d’État, est que nous nous réveillons alors qu’il est déjà trop tard, que les cours d’eau sont à sec, que les nappes phréatiques sont au plus bas et que les prévisions à moyen terme ne sont pas des plus optimistes.
Sous l’effet du réchauffement climatique, les précipitations vont diminuer, l’évaporation va s’accentuer. Dans le même temps, l’augmentation de la population mondiale accroît les besoins en eau. Les pressions sur les gestionnaires de l’eau en ville s’intensifient. En zone rurale, le partage et les conflits d’usage posent des problèmes croissants. Parallèlement, les besoins en énergie et en alimentation augmentent, alors que les centrales nucléaires et l’agriculture sont de très gros consommateurs d’eau.
Gérer durablement l’eau, c’est être capable de reconstituer les stocks chaque année, c’est ne pas puiser plus que l’alimentation annuelle des réserves souterraines et de surface, alors même que les glaciers fondent sans se reconstituer.
Pour cela, nous devons d’abord revoir entièrement notre modèle, à commencer par le modèle économique des agences de l’eau, qui n’incite pas suffisamment à une utilisation rationnelle de l’eau. Le plan Eau prévoit le déplafonnement des dépenses de ces structures. Attention toutefois à élargir le champ des contributeurs, afin de conserver une logique pollueur-payeur. Si une tarification progressive et responsabilisante de l’eau peut contribuer à faire baisser la consommation des ménages, le financement de la politique de l’eau ne peut continuer à reposer entièrement sur eux.
L’objectif de réduction de 10% des prélèvements par rapport à 2019, dans tous les secteurs, est un premier pas. Nous regrettons toutefois que cette ambition, affichée pour 2025 lors des assises de l’eau, soit désormais reportée à 2030.
Un objectif n’est rien sans moyens à la hauteur. Le plan Eau nous apporte quelques réponses, avec 500 millions d’euros supplémentaires chaque année pour les agences de l’eau, 100 millions pour les pratiques vertueuses des agriculteurs ou encore 100 millions d’euros du fonds vert pour des projets de renaturation des collectivités. Une grande campagne de sensibilisation et d’accompagnement des particuliers complétera cet arsenal, pour couvrir l’ensemble de la chaîne de consommation.
Pour ma part, je défends un modèle où l’État fixe un cap ambitieux associé à des moyens suffisants, tout en laissant la main aux collectivités territoriales, car un modèle unique ne saurait être appliqué sur tout le territoire. Il nous faut des approches intégrées, par exemple avec une gestion par bassin ou par écosystème. Il nous faut achever l’évolution de la gouvernance de l’eau, pour que tous les acteurs définissent ensemble les priorités de leur bassin, dans le but d’éviter les conflits et de garantir une utilisation de la ressource en fonction des besoins prioritaires.
Sur la question très sensible de l’irrigation en agriculture, les quantités autorisées doivent être définies par les agences de l’eau, en lien avec les chambres d’agriculture, mais aussi les associations locales, pour faire baisser le niveau de tension. De tels projets de territoire pourraient nous éviter d’autres Sainte-Soline.
Nous devons aussi mieux accompagner les élus locaux, parfois démunis face aux enjeux, notamment dans les petites communes hors syndicat. Il faut les aider à mieux identifier, financer et mettre en œuvre leurs projets.
Enfin, des solutions très concrètes doivent être développées. La technologie nous offre des opportunités intéressantes dans tous les secteurs. Outre l’irrigation de précision, le goutte-à-goutte enterré ou les drones et les capteurs en agriculture, la réutilisation des eaux usées doit faire figure de priorité. Le Président de la République a fixé l’objectif de passer de 1% à 10% d’eau usée réutilisée, notamment en levant certains verrous administratifs. Alors qu’Israël réutilise 80% de ses eaux usées, nous continuons à arroser nos jardins avec de l’eau potable… Il y a là une absurdité à lever. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Beaucoup a déjà été dit, mais je tiens à répondre à chacun.
Monsieur Gold, je partage en partie votre constat. Les deux épisodes de sécheresse que nous avons connus l’an dernier – que nous connaîtrons probablement de nouveau cette année, malheureusement – ont constitué une prise de conscience collective, permettant de sensibiliser citoyens et élus. Nous n’avons jamais autant débattu de l’eau et je m’en réjouis.
Le Gouvernement a fait de ce sujet sa préoccupation et agit. La diminution de 10% des prélèvements a été anticipée : elle avait été annoncée par Emmanuelle Wargon, alors qu’elle était secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Nous annonçons maintenant comment nous comptons y parvenir. Il est bon que l’effort soit partagé entre les acteurs. Des solutions techniques permettront aussi d’atteindre cet objectif de diminution de 10 %, comme la réutilisation des eaux usées traitées. Nos voisins savent très bien le faire et des entreprises françaises le pratiquent déjà à l’étranger : alors, pourquoi pas chez nous ?
La participation de l’ensemble des collectivités, notamment de l’Anel pour encourager ces solutions dans les communes littorales, est bienvenue afin d’amplifier cette dynamique. La réduction des contraintes réglementaires nous permettra aussi d’accélérer. Il nous remonte des territoires une envie de bien faire ; il faut désormais donner les moyens, notamment réglementaires, pour que ces solutions se mettent en place dans les territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour la réplique.
M. Éric Gold. Madame la secrétaire d’État, compte tenu des tensions croissantes autour de la ressource en eau, une actualisation de la loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques serait utile, prenant en compte la priorité des usages, afin de rappeler à chacun que, dans un contexte de pénurie, l’accès à la ressource pour tous et la biodiversité sont nos priorités. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après un été 2022 historiquement sec, qui a été l’occasion de controverses notamment liées au partage de l’eau, été qui a succédé à un printemps caractérisé par des inondations à répétition, la question de la gestion de l’eau s’invite plus que jamais dans le débat public. Je m’en réjouis.
Nous devons préserver l’intégrité et la pérennité de la ressource en eau. Sa préservation ne pourra se faire qu’avec une gouvernance ad hoc.
Fort d’un regard rétrospectif, je pense qu’il serait bienvenu de recréer des services d’ingénierie de l’eau dans tous les territoires. En effet, la dégradation de la gestion patrimoniale des réseaux d’eau et d’assainissement est incontestablement corrélée à la disparition de l’ingénierie publique. Dans mon territoire, au cours de la période 2012-2022, 25% des postes de l’agence de l’eau Rhin-Meuse ont été supprimés. Conséquence logique, les collectivités locales, souvent livrées à elles-mêmes, rencontrent des difficultés dans leur choix d’un mode de gestion et d’assainissement.
Il est donc essentiel de reconstituer une ingénierie territoriale spécialisée dans le domaine de l’eau, facilement mobilisable par le plus grand nombre de collectivités. C’est une question d’équité entre les territoires. La piste d’une ingénierie de proximité, articulée entre les acteurs et leur laissant le choix d’une éventuelle mutualisation à l’échelon intercommunal, mérite d’être explorée pour aller vers une amélioration fonctionnelle et des performances de service. L’émergence d’une nouvelle ingénierie me paraît la condition nécessaire à l’amélioration de la gouvernance du service public de l’eau.
Ainsi, nous pourrons stimuler les mécanismes de solidarité pour rattraper le retard d’équipement en matière d’eau et d’assainissement, notamment en milieu rural. Sans revenir sur le caractère obligatoire de la loi NOTRe, il serait utile de faciliter la remise à niveau des infrastructures d’eau et d’assainissement en cas d’intégration d’une commune à une intercommunalité.
Trop souvent, le rattrapage d’investissement est tel qu’il freine l’adhésion : soit le ticket d’entrée est trop élevé, soit la solidarité forcée de l’intercommunalité d’accueil trouve ses limites. Or l’intercommunalité en matière d’eau, notamment grâce au budget annexe qui permet une programmation pluriannuelle, est, dans l’absolu, un bon vecteur de modernisation des infrastructures et de professionnalisation des services. Nous pourrions imaginer un contrat de transition permettant de réaliser, dans des conditions apaisées et soutenables, des adhésions volontaires à des structures intercommunales, guidées par des logiques de performance et de service. Les agences de l’eau y trouveraient naturellement leur place.
Ce serait l’occasion de fixer les conditions d’une transformation des usages et d’un partage des ressources en eau, grâce à un dialogue territorial renouvelé, avec une vision à 360 degrés. Le changement climatique continuera d’avoir un impact durable sur les ressources en eau. Les projections font apparaître une baisse moyenne de la pluviométrie dans la plupart des régions de France, sauf le Grand Est, avec une très forte variabilité interannuelle.
L’ambition du Sage, issu de la loi de 1992, était claire : permettre aux élus, mais pas seulement eux, de tenir compte de la nouvelle situation climatique pour définir, dans leur bassin, les scénarios prospectifs d’aménagement. Là où les conflits d’usage étaient prégnants, cette forme de démocratie locale était pionnière et a montré son intérêt. Elle permet en effet de concilier les usages avec les disponibilités en eau et les aléas. Il faut certainement, madame la secrétaire d’État, lui donner un nouveau souffle. Nous devons donc réinventer les Sage, en imaginant des formes de gouvernance plus souples et en tirant les enseignements de leurs échecs ou de leurs limites – en un mot, en ayant un plan d’action opérationnel.
Nous devons aussi réinvestir dans l’innovation. Comment en sommes-nous arrivés à couper les ailes de nos entreprises spécialisées dans la gestion de l’eau, qui incarnaient pourtant l’excellence technologique à la française ? Nous sommes, une fois de plus, en retard par rapport à nos voisins européens – l’Italie, l’Espagne – en matière de réutilisation des eaux grises et des eaux usées. Le Président de la République a annoncé la mise en place d’un volet Eau au sein du programme France 2030 ; or c’est dans les territoires ruraux que le renchérissement du coût de l’énergie a les effets les plus marqués sur les services d’eau et d’assainissement ou qu’il existe des pressions non traitables du fait de la faiblesse de services moins intégrés.
Madame la secrétaire d’État, sur ces quatre orientations, le Gouvernement va, par votre voix, nous faire connaître la suite qu’il entend leur donner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Husson, je vous remercie des propositions que vous venez de formuler. J’espère que vous aurez l’occasion de les réitérer et de les compléter dans le cadre de la mission parlementaire qui va être lancée et qui sera l’occasion d’aborder la question du renforcement de la gouvernance locale de l’eau. Tous les élus locaux, tous les participants aux parlements de l’eau l’appellent de leurs vœux : la gouvernance locale doit être renforcée.
Vous avez évoqué deux sujets : les moyens et l’ingénierie publique, notamment de l’État.
S’agissant des moyens, je rappelle que les agences de l’eau sont dotées de 2,2 milliards d’euros. Le plan Eau prévoit 475 millions d’euros supplémentaires, ce qui représente une augmentation de 20%. S’y ajoute une enveloppe annuelle de 180 millions d’euros pour aider les communes en difficulté à sécuriser leur approvisionnement en eau potable, via des travaux d’interconnexion, de résorption de fuites et de forage de secours. Pour répondre au risque de sécheresse, 100 millions d’euros ont été renouvelés cette année. Enfin, 400 millions d’euros sont prévus pour déployer une nouvelle génération d’Aqua Prêts, sur plus d’un milliard d’euros dans les territoires.
Depuis 2010, l’État n’assure plus l’ingénierie publique en matière d’eau et d’assainissement. Il revient désormais aux collectivités de consolider leur propre ingénierie, d’où l’intérêt d’une mutualisation – pas nécessairement dans le cadre intercommunal –, afin de disposer des moyens nécessaires.
Il reste malgré tout une offre d’ingénierie d’État, grâce au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). La gouvernance de cet établissement a connu d’importantes évolutions en 2022, en application de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS. Cet établissement, partagé entre l’État et les collectivités, pourra venir en appui et proposer un accompagnement des projets les plus complexes.
Nous avons également obtenu que les équivalents temps plein (ETP) du pôle ministériel ne baissent pas au cours des cinq prochaines années. Cela n’est pas toujours simple à obtenir. Aussi Christophe Béchu et moi-même en sommes-nous très heureux.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Madame la secrétaire d’État, nous sommes à Gravelotte : il pleut des millions et des milliards ! Pourtant, ce n’est pas le seul élément de réponse qu’attendent les élus et nos concitoyens. Vous omettez en outre de rappeler que le Sénat a obtenu, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, 50 millions d’euros supplémentaires de l’État. Ces crédits seront effectivement décaissés, contrairement aux 100 millions d’euros dont la Première ministre a demandé le déblocage pour les agences de l’eau.
Sur l’ingénierie, vous vous trompez : le Cerema rencontre de grandes difficultés pour intervenir dans les communes de moins de 2 000 habitants, faute de ressources techniques suffisantes. Il en va de même pour les agences de l’eau. Ne nous renvoyons pas la balle. Vous évoquez les parlements de l’eau ; je considère qu’il faut une vision à 360 degrés et regarder les choses en toute objectivité. La solidarité entre urbain et rural joue, notamment via un prélèvement de recettes au bénéfice des territoires ruraux, mais il faut aller plus loin : ne pas se contenter de belles phrases prononcées ici, mais constater sur le terrain les efforts qu’il faut déployer pour remettre la gestion publique de l’eau au bon niveau.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Laugier applaudit également.)
Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, autrefois abondante, bon marché et disponible, la ressource en eau fait face à une situation d’une gravité historique. Sous l’effet du réchauffement climatique, elle se raréfie. Selon l’étude Explore 2070, le dérèglement du climat aura pour effet de réduire la pluviométrie estivale de 16% à 23%.
La France ne sera pas épargnée : baisse des débits des cours d’eau, temps de recharge des nappes allongés, sécheresse des sols… Notre pays connaît déjà des périodes de stress hydrique inédites dans son histoire. Pourtant, rien ne nous prédisposait à connaître une telle situation, ni notre climat ni notre hydrographie.
Depuis plusieurs années, nous oscillons entre étés caniculaires et sécheresses précoces, avec des conséquences parfois dramatiques. Cette ressource fait d’ores et déjà l’objet de nombreuses tensions qui exigent que nous fassions preuve, en tant que législateurs, de toute la vigilance possible.
Faut-il stocker l’eau à des fins agricoles ou laisser les nappes phréatiques se recharger sans retenues ? La question se pose par exemple à Sainte-Soline, où une véritable bataille pour l’eau a eu lieu ; cet épisode illustre, au-delà des postures, une problématique qu’il est impossible d’ignorer et qui n’est qu’une interrogation parmi tant d’autres.
Dans ce souci de projection et d’anticipation, je salue l’excellent rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, qui éclaire un sujet dense et brûlant.
On observe à quel point la question de l’eau en France nous concerne désormais tous et nous n’avancerons pas en tenant nos concitoyens à l’écart de toute forme de démocratie locale autour de l’eau.
Je sais que la tentation est forte d’en rester à une approche purement technique et technocratique du problème, mais nous devons aussi en développer les dimensions pédagogiques et citoyennes, tout en étant attentifs aux territoires et à leurs besoins.
La loi de 1964, qui fonde notre modèle français de gestion de l’eau, institue le principe bien connu selon lequel " l’eau paie l’eau ". Or, aujourd’hui, celui-ci n’est plus respecté. Pour reprendre les mots de Mathieu Darnaud, que je salue : aujourd’hui, « l’eau paie l’État ». Face aux nouveaux enjeux climatiques, c’est toute une stratégie qu’il faut repenser et accompagner.
" Oui, mais il y a le plan Eau ", me direz-vous, madame la secrétaire d’État. Plusieurs fois reporté, il a finalement été présenté par le Président de la République, le 30 mars dernier.
Permettez-moi de saluer ceux dont les travaux de réflexion, d’auditions et de prospective ont de longue date préfiguré ce plan Eau. Il s’agit, bien évidemment, de notre délégation sénatoriale, mais également de l’Association nationale des élus des bassins (Aneb), des collectivités concédantes et régies, du Comité national de l’eau, ainsi que du Centre d’information sur l’eau. Le plan présidentiel n’arrive pas de nulle part et tant mieux ! Il s’empare d’un certain nombre des problèmes identifiés de notre gestion de l’eau et propose différents axes.
J’ai été particulièrement sensible au troisième intitulé : " Investir massivement dans la réutilisation des eaux usées ". Sur ce sujet, nous sommes très en retard en matière de normes, notamment en comparaison des pays de l’Europe du Sud, confrontés depuis plus longtemps que nous aux problématiques de l’eau.
Dans les logements français, on doit pouvoir réutiliser les eaux grises et les eaux pluviales. Notre pays abrite des champions mondiaux du traitement des eaux ; nous devons les associer pleinement à cet effort et ne pas les déstabiliser comme cela a pu être le cas dans le passé.
Notre modèle de gestion de l’eau a besoin de transformations pour coller aux enjeux climatiques et environnementaux, mais il doit conserver certaines spécificités françaises. Il convient ainsi que l’eau potable soit disponible pour tous sans distinction sociale, mais que chaque citoyen soit contributeur à hauteur de ce qu’il consomme. Certains grands pays comme les États-Unis voient la potabilité de leur eau reculer dans certains États, en raison du coût de traitement, de la vétusté des réseaux ou du manque de moyens, problèmes que nous rencontrons également, hélas ! dans nos territoires.
Madame la secrétaire d’État, soyons exigeants et économes et rappelons-nous d’adapter non seulement chaque eau à son usage – mes collègues l’ont rappelé –, mais aussi chaque usage à la disponibilité de l’eau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice de Cidrac, pour éviter d’être redondante, j’évoquerai un sujet nouveau, celui de la réutilisation des eaux de pluie. Il a son importance, car, sans en généraliser le principe, nous souhaiterions un déploiement beaucoup plus large sur les logements – vous avez abordé cette question.
Jusqu’à présent, il était très difficile pour un particulier de mettre en place la réutilisation des eaux de pluie, alors qu’un tel système pourrait en réalité très facilement être déployé. Il faut pour cela que l’on simplifie un certain nombre de pratiques. Nous avons d’ailleurs bénéficié d’un soutien politique important de la part d’Agnès Firmin Le Bodo pour que les services du ministère contribuent à cette dynamique, de manière que l’on puisse récupérer les eaux de pluie, par exemple pour alimenter les chasses d’eau dans les logements. L’idée peut paraître anecdotique, mais cela représente une quantité d’eau importante pour les ménages ; qui plus est, on permettrait ainsi que chacun participe à la sobriété.
Vous avez rappelé d’autres grands enjeux comme la réutilisation des eaux usées traitées ou le fait de réduire de 10% les prélèvements, en veillant à ce que l’effort soit mieux partagé, de manière que chacun y participe à son niveau. Je crois avoir répondu sur tous ces sujets, à l’occasion des interventions précédentes.
Je veux vous dire que le plan Eau est ambitieux. Certes, il a été retardé, mais il est à la hauteur : nous n’avons pas voulu nous en ternir à la crise qui aura probablement lieu cet été, mais penser les dix ou vingt années à venir. Il est important que nous ayons tous les moyens à notre disposition pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, qu’il s’agisse du renforcement de la gouvernance locale, de l’optimisation de la ressource ou de la sobriété. Nous devons nous engager sur tous ces sujets.
La mise en œuvre du plan Eau, initialement prévue à la fin du mois de janvier, a été légèrement décalée à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril. C’était nécessaire pour obtenir les arbitrages financiers, indispensables pour réussir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.
Mme Marta de Cidrac. Je tiens à préciser le sens de mon intervention. Madame la secrétaire d’État, vous l’avez bien compris, aujourd’hui, en France, on considère que l’on peut utiliser la même eau pour tous les usages. Or je crois qu’il est important de travailler sur l’aspect normatif du sujet, dans la mesure où cette ressource est précieuse. L’ensemble des collègues qui se sont exprimés avant moi l’ont rappelé et les interventions suivantes iront sans doute dans le même sens. Je souhaitais donc appeler votre attention sur la nécessité d’un bon usage de l’eau pour la préserver.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie la délégation à la prospective d’avoir permis ce débat.
L’été 2022 s’est caractérisé par des records de chaleur et de sécheresse ; l’hiver 2023, quant à lui, se classe déjà parmi les hivers les plus secs avec un déficit de pluviométrie de 50% au mois de février dernier. Durant l’été 2022, en France, près de 500 communes ont été concernées par des problèmes d’approvisionnement en eau potable, selon les dires du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. À l’été 2023, sans action forte et déterminée des pouvoirs publics, la situation risque d’être pire, si l’on en croit le rapport d’inspection interministériel rendu public ce jour.
La gestion de la ressource en eau devient cruciale pour la satisfaction d’un besoin essentiel, que l’on croyait définitivement acquis : l’accès à l’eau potable.
Ma question portera sur la gestion du petit cycle de l’eau, en particulier sur la question des captages et de leur protection. Nombre de collectivités sont concernées par des problématiques de qualité des eaux brutes prélevées. La protection des captages est une préoccupation croissante des gestionnaires du service public d’eau potable, car la détection de pollutions diffuses est de plus en plus fréquente.
À la suite du Grenelle de l’environnement, en 2009, un peu plus de 500 captages ont été désignés comme prioritaires, notamment sur la base de l’état de la ressource vis-à-vis des pollutions diffuses et de son caractère stratégique.
En 2013, quelque 500 nouveaux ouvrages prioritaires ont été identifiés.
L’intérêt de cette classification réside dans la gestion concertée de ces aires et dans la prévention des pollutions diffuses. Des diagnostics permettent de mieux connaître les vulnérabilités et les modes de contamination subis par ces captages, et des programmes d’action adaptés aux objectifs d’amélioration de qualité des eaux sont élaborés en partenariat avec les chambres d’agriculture. Ils comprennent la plupart du temps des mesures agroenvironnementales.
Cette stratégie, qui a démontré son efficacité, devrait être étendue, alors qu’elle ne concerne que 1 000 captages sur les 35 000 recensés en France.
Par ailleurs, la directive du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite Eau potable, sera transposée prochainement par ordonnance. Le texte, que nous aurons à examiner, vise le déploiement d’une démarche préventive pour garantir la qualité de l’eau jusqu’au robinet du consommateur, avec l’obligation de réaliser un plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux pour les personnes responsables de la production ou de la distribution de l’eau. C’est d’ailleurs l’une des mesures qui figurent dans le plan Eau.
Par conséquent, madame la secrétaire d’État, comment les collectivités seront-elles accompagnées dans cette démarche ?
L’ordonnance vise également une rationalisation des périmètres de protection de captage, en réformant la politique de préservation de la ressource en eau par des captages sensibles à la pollution aux pesticides. Elle prévoit aussi que les collectivités qui le souhaitent pourront contribuer à la mission de préservation de la ressource en eau, en liaison avec le préfet, afin d’établir un programme d’action encadrant les pratiques qui dégradent la qualité des points de prélèvement.
Le programme d’action peut notamment concerner les pratiques agricoles, en limitant ou en interdisant, le cas échéant, certaines occupations des sols et l’utilisation d’intrants.
Madame la secrétaire d’État, s’agit-il, comme nous le souhaitons, d’une extension de la politique des captages prioritaires ? Les préfets disposeront-ils de moyens pour interdire l’utilisation d’intrants, notamment les pesticides ? Comment les agriculteurs seront-ils accompagnés dans cette transition ? Surtout, comment développer les baux environnementaux qui sont encore trop peu utilisés ?
« L’eau est le miroir de notre société. Les liens que nous entretenons avec elle montrent dans le vide ce qu’est notre société. » Ces mots sont d’Erik Orsenna. Notre engagement dans la préservation de l’eau dira quelle société nous voulons. Dans le cadre de la mission d’information " Gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement ", nous nous attacherons à y contribuer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice, une grande partie d’entre vous, quasiment sur toutes les travées de cet hémicycle, souhaitez que l’on réduise l’usage des pesticides. La dynamique est enclenchée depuis 2017, puisque l’on constate une baisse des ventes de produits phytosanitaires, dont on peut dire qu’elle est le résultat concret de la mise en œuvre des plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits plans Écophyto.
Le Gouvernement travaille activement à ce changement de méthode, qui consiste à anticiper le retrait des substances actives potentiellement problématiques et à renforcer le pilotage et l’adaptation des techniques de protection des cultures pour soutenir nos agriculteurs dans les transitions. Trois principes d’action simples ont été définis.
Le premier principe consiste à aligner les calendriers français et européen et à défendre la mise en place des clauses miroir. En effet, nous ne souhaitons pas consommer des produits qui entreraient sur notre territoire, alors qu’ils ont été cultivés avec des substances phytosanitaires interdites en France.
M. Laurent Duplomb. C’est déjà le cas !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Cette concordance relève d’une exigence à la fois sanitaire et environnementale.
Le deuxième principe consiste à rechercher des solutions de substitution. J’ai évoqué notamment le biocontrôle, mais ce n’est qu’un exemple parmi les solutions sur lesquelles travaillent l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et les instituts techniques. Nous devons continuer d’accompagner les agriculteurs, qui vont encore devoir faire face à la suppression d’un certain nombre de produits.
Le troisième principe concerne la gouvernance. Nous assumons d’avoir refusé la réintroduction de substances actives interdites et, en même temps, d’avoir accompagné les agriculteurs lorsque la décision d’interdire les néonicotinoïdes a été prise. L’un n’empêche pas l’autre.
Sur les captages, madame la sénatrice, j’ai déjà répondu à votre collègue Paoli-Gagin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.
Mme Florence Blatrix Contat. Le dernier rapport de l’Anses montre que la rémanence de certaines molécules après leur interdiction impose que l’on anticipe. Si l’on veut éviter d’entrer dans une logique curative, qui sera très coûteuse pour nos collectivités, donc pour les consommateurs, il faut davantage anticiper. Par conséquent, la préconisation formulée par l’Anses de retirer le S-métolachlore est utile : ce serait une très mauvaise idée pour le Gouvernement que de revenir sur ce retrait. Nous sommes très attachés à l’indépendance de cette agence dans les décisions qu’elle prend.
De manière plus générale, il faut accélérer la transition de notre agriculture vers l’agroécologie en veillant, bien entendu, à accompagner les agriculteurs, ce qui permettra de concilier la résilience de notre agriculture et la préservation de notre ressource en eau. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre Louault. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment retrouver une ressource plus abondante ? À la fin de ce débat sur la gestion de l’eau, je souhaite poser cette question, puisque le sujet n’a pas encore été abordé.
Aujourd’hui, le niveau des rivières baisse, les nappes phréatiques s’épuisent et, depuis soixante-dix ans, on a accumulé un certain nombre de fautes. Dans les années 1960 et 1970, on a créé des fossés profonds, on a approfondi et mis à sec les ruisseaux. Dans les années 2000, on a interprété à la française la nouvelle directive européenne sur l’eau, dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (Lema) de 2006, qui prévoyait de manière pompeuse un principe de " continuité écologique " valant seulement pour les poissons migrateurs, sans prendre en compte les incidences.
Mme Sonia de La Provôté. Et les barrages !
M. Pierre Louault. En réalité, la surinterprétation administrative fait jurisprudence : on supprime les seuils, on abaisse le niveau des cours d’eau, il arrive très souvent que l’on vide les rivières et vidange les nappes phréatiques. Je le sais bien, car je suis paysan : c’est le système de l’abreuvoir à poulets. Enlevez cinquante centimètres d’eau et les nappes se vidangent ! Dans l’abreuvoir à poulets, deux centimètres d’eau retiennent un mètre d’eau. Les nappes phréatiques fonctionnent exactement de la même manière.
Dans le même temps, les prairies humides deviennent de véritables paillassons. Les zones humides de notre territoire, qui étaient des roselières, sont en train de disparaître. Après avoir épuisé les seuils de rivières, on en vient maintenant à supprimer les étangs, qui ont parfois plus de 500 ans d’existence, au prétexte que le cours d’eau passe au milieu.
Tous ces systèmes mis en cascade ont pour effet d’épuiser les réserves d’eau. Les rivières et les ruisseaux sont de plus en plus abondants, durant l’hiver, quand il pleut, avec pour avantage que cela contribue à rehausser le niveau des océans qui en ont grand besoin, et l’on a de moins en moins d’eau pendant l’été.
La gestion de l’eau est devenue un véritable défi. J’ai mis en place un certain nombre d’expérimentations dans ma commune et dans mon territoire : en rétablissant des seuils sur des fossés qui avaient été créés dans les années 1960, on a retrouvé des sources qui coulent toute l’année, pas seulement l’hiver, et l’on a rétabli des ruisseaux.
Je ne suis pas un anti-écolo. Au contraire, il m’arrive de prendre le parti de certains de mes collègues. (Sourires sur les travées du groupe GEST.) Dans ma commune, en vingt ans, j’ai « planté » sept kilomètres de rivière, j’ai recréé de toutes pièces des zones humides et l’on retrouve de l’eau toute l’année dans des endroits qui étaient à sec.
Par pitié, arrêtons, au nom de je ne sais quelle idéologie, de vouloir mettre à tout prix les rivières à sec ! Sans la moindre expérimentation, par principe, on supprime les seuils au lieu de les rétablir dans une continuité écologique où les poissons migrateurs pourraient passer – il est tellement plus simple de les supprimer ! Voilà où va la moitié de l’argent des agences de l’eau.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Très bien !
M. Pierre Louault. Cela n’est plus possible.
Madame la secrétaire d’État, je voulais vous alerter sur ce problème qui, s’il perdure, aggravera encore un peu plus l’assèchement de nos rivières et compromettra la capacité des nappes phréatiques à se recharger. Aujourd’hui, elles se vident l’hiver et n’ont plus rien à donner l’été. Telle est la réalité, sans doute trop compliquée pour la haute technostructure, mais sur laquelle il est tout de même temps de jeter un coup d’œil. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Élisabeth Doineau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur, vous avez abordé la politique de restauration de la continuité écologique des cours d’eau. Elle vise, selon nous, à limiter la fragmentation des habitats naturels, qui est l’une des causes majeures de l’érosion de la biodiversité. Dans ce ministère, nous défendons donc, bien évidemment, la continuité écologique.
Au-delà d’une pensée que vous qualifiez de technocratique, nous défendons surtout l’avis scientifique. Celui-ci est assez clair sur le fonctionnement des systèmes hydrologiques et il me semble que, sur l’ensemble de ces travées, mesdames, messieurs les sénateurs, vous y accordez de l’importance.
Je pourrai vous transmettre un avis du conseil scientifique de l’Office français de la biodiversité (OFB) qui date de 2018.
M. Pierre Louault. Oui !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. En effet, face aux multiples interventions sur la gestion des cours d’eau et des ouvrages, l’office a procédé à certaines clarifications. J’invite toutes les personnes intéressées à en prendre connaissance.
Cet avis tend à infirmer les conséquences que vous avez décrites. En ce qui me concerne, je n’oppose pas la politique de restauration du grand cycle de l’eau et la notion de stockage pertinent dans l’espace et le temps. Les ouvrages font partie du panel de solutions de la gestion de l’eau et peuvent répondre à des besoins locaux. Évitons d’opposer les projets ; à l’inverse, étudions-les au cas par cas !
Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires veut privilégier la voie des continuités, surtout écologiques. En outre, les réserves de substitution ou les réserves collinaires peuvent être adéquates pour les territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.
M. Pierre Louault. Madame la secrétaire d’État, je comprends que vous défendiez vos services, mais peut-on qualifier les agents de l’OFB de scientifiques ? (M. Bruno Sido applaudit.)
Tout de même, n’a-t-on pas le droit dans ce pays d’expérimenter en s’appuyant sur la réalité telle qu’on la voit ? Quand les rivières se sont vidées, que les prairies humides sont sèches comme des paillassons et que les roselières disparaissent, les agents de l’OFB en parlent-ils ? Non, parce que cela les dérange.
En revanche, ils n’hésitent pas à surinterpréter la loi. Ils ne considèrent que ce qui est dans la droite ligne qu’ils ont définie et pénalisent tout ce qui ne l’est pas. Voilà tout ce qu’ils font.
Aujourd’hui, on va dans le mur, mais cela n’est pas grave : je commence à être âgé et je ne le verrai peut-être pas. Je crois tout de même qu’il vaudrait mieux y regarder d’un peu plus près. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Quelle sagesse !
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la présidente, monsieur le président de la délégation, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, merci. Merci de la richesse de ces échanges. Merci encore de la qualité des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, dont je prends toujours connaissance avec beaucoup d’attention. Merci aussi des travaux que le Sénat dans son ensemble a menés, car le sujet de l’eau a fait l’objet de nombreux débats depuis le début de cette année.
Ayant moi-même été députée, je considère le travail parlementaire comme une source d’inspiration et de réflexion. Je crois en l’intelligence collective, et ce d’autant plus face au grand défi de l’adaptation au changement climatique. C’est dans cet esprit que nous avons construit le plan Eau et j’espère que nous pourrons continuer de le coconstruire, pour ce qui relève de sa mise en œuvre, ainsi que dans le cadre de la mission parlementaire qui a été annoncée.
La ressource en eau est un enjeu de souveraineté nationale. Une eau en quantité et de qualité est essentielle pour notre environnement, pour notre santé et pour notre économie. Je pense que notre société est prête pour engager un changement de rapport à l’eau.
La trajectoire collective de sobriété qui consiste à réduire notre consommation d’eau de 10% à l’horizon de 2030 sera déclinée par territoires, avec les élus et les acteurs locaux, et par secteurs, avec les représentants des filières. C’est un plan qui engage l’ensemble des acteurs – particuliers, industrie, agriculture, tourisme et secteur public – dans une même dynamique.
Le débat que nous avons eu aujourd’hui reflète le contenu de votre rapport d’information et montre à quel point le sujet est vaste et complexe.
J’ai noté, en particulier, vos interrogations sur les moyens pour les collectivités d’agir dans la préservation du grand cycle de l’eau. J’ai également pris en compte la question de la mise en cohérence des échelons de gouvernance et la nécessité qu’un dialogue renforcé s’engage entre les instances de définition des politiques publiques territoriales. Enfin, et cela me tient à cœur tant les marges de progrès sont importantes et réjouissantes, vous avez mis au rang de priorité la levée des freins à l’innovation, qui sont parfois réglementaires, comme sur le sujet de la réutilisation des eaux usées.
J’ai pu, je l’espère, vous montrer que le plan Eau apportait des réponses concrètes et ambitieuses à l’ensemble des préoccupations que vous avez exprimées.
Je suis fière du résultat d’un travail interministériel intense, premier exercice de planification écologique piloté par la Première ministre, qui a démontré l’intérêt de cette méthode.
Je suis encore plus fière des moyens qui sont apportés en faveur de la politique de l’eau. Nous avons beaucoup consulté et avons été à l’écoute, notamment des collectivités. La capacité d’intervention des agences de l’eau, principaux financeurs de la politique de l’eau aux côtés des collectivités, est augmentée de 20 %. C’est un effort inédit qui répond au vœu de l’ensemble des acteurs.
Ces moyens permettront d’accompagner les collectivités les plus en difficulté pour rénover et sécuriser leurs infrastructures d’eau potable – le sujet a été largement évoqué.
Nous changerons d’échelle en matière d’eau recyclée et réutilisée. Des évolutions réglementaires ont été travaillées pour libérer les projets. Nous soutiendrons aussi les collectivités qui souhaitent approfondir le potentiel que pourrait représenter la réutilisation des eaux usées traitées (Reut) pour leur territoire. Un partenariat sera noué avec l’Anel pour cela.
La semaine dernière, je remettais les trophées Eco Actions aux Eco Maires. J’ai vu des projets très stimulants, notamment sur la préservation de l’eau, des projets participatifs, élaborés par et pour les citoyens. Ce sont de véritables pépites. Je crois fondamentalement aux initiatives de terrain, que nous devons encourager pour ensuite les développer à plus grande échelle.
Ce plan traduit une conviction commune : en France, la ressource en eau est précieuse. Elle l’est pour nos écosystèmes, pour notre santé et pour notre économie.
Dans cet élan de repolitisation des enjeux de l’eau, j’attends des élus locaux une mobilisation pleine et entière, en particulier sur les questions de partage de la ressource. Nous devons nous réunir autour d’une ambition forte pour développer des solutions d’adaptation dans nos territoires.
Le 10 janvier dernier, lors du premier débat sur la ressource en eau que nous avions eu ensemble, je vous donnais rendez-vous pour vous présenter plus en détail le plan Eau. Je vous remercie de nouveau de l’opportunité que vous m’avez offerte aujourd’hui de vous présenter les mesures les plus structurantes pour les collectivités.
J’aurai plaisir à poursuivre ces échanges individuellement, ou à l’occasion d’autres débats qui se tiendront dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)
source https://www.senat.fr, le 24 avril 2023