Déclaration de M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, sur les plans d'action pour des résultats concrets concernant le harcèlement scolaire, au Sénat le 11 avril 2023.

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Intervenant(s) : 
  • Pap Ndiaye - Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Circonstance : Débat organisé à la demande du groupe "Les Républicains", au Sénat le 11 avril 2023

Texte intégral

Intervention de M. Pap Ndiaye, 
ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

(...)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Borchio Fontimp, vous avez souhaité inscrire à l’ordre du jour un débat sur le harcèlement scolaire. Je vous en remercie, car j’ai voulu que la lutte contre le harcèlement, indispensable à la réussite scolaire, soit une priorité de mon action.

Longtemps dans l’angle mort du système scolaire, il faut bien le reconnaître, la lutte contre le harcèlement est, depuis 2017, un enjeu important pour le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, lequel se mobilise très fortement. Je m’inscris dans la continuité de l’action qui a été engagée.

Je citerai, à cet égard, la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, dans laquelle le droit à une scolarité sans harcèlement est inscrit ; la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, qui pénalise le fait de harceler ; la généralisation, à la rentrée dernière, du programme pHARe.

Ce programme, dont nous aurons l’occasion de reparler, permet la mobilisation des communautés scolaires : 60 % des écoles et 86 % des collèges y sont engagés – nous avons certes encore du chemin à parcourir pour atteindre 100 %. Comme je l’ai annoncé, le programme sera étendu aux lycées à partir de la rentrée 2023.

Nous avons beaucoup à faire, à tous égards. Nos échanges me donneront l’occasion de préciser un certain nombre de mesures, parmi lesquelles l’extension du programme susmentionné et, comme je l’ai annoncé ce matin, la possibilité pour le premier degré, dans certains cas et en dernier recours, de scolariser l’élève harceleur dans un autre établissement.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, près de 1 million d’enfants sont victimes de harcèlement. Personne n’est épargné.

Si chaque situation de harcèlement est unique, les conséquences sont nombreuses et se ressemblent : baisse de l’estime de soi, isolement progressif vis-à-vis des camarades, troubles du sommeil, défiance envers les adultes, décrochage scolaire, honte et culpabilité.

Si chaque situation de harcèlement est un drame, il arrive même, bien trop souvent, que les cas de harcèlement virent à la tragédie. L’actualité se charge de nous le rappeler cruellement. On compte environ vingt suicides d’enfants par an. J’ai bien évidemment une pensée pour le jeune Lucas, décédé le 7 janvier dernier.

La récurrence de ces drames souligne notre échec collectif à enrayer définitivement le fléau du harcèlement à l’école.

Aujourd’hui, la situation se complique, car les frontières entre le cadre scolaire et la sphère familiale privée se brouillent. Avec l’avènement des réseaux sociaux, les jeunes victimes n’ont plus un instant de répit. Le harcèlement vécu en classe se poursuit à la maison, jusque dans la chambre, censée être le refuge intime et protecteur par excellence. Les moqueries, les humiliations et les insultes continuent à pleuvoir par messages privés ou bien à la vue de tous, dans des publications devenant parfois virales.

La peur doit changer de camp. C’était justement le signal envoyé en juin 2021 par la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, dont ma collègue Colette Mélot était la rapporteure, et dont Alexandra Borchio Fontimp vient de rappeler les principaux éléments.

Le constat est sans appel : aucun établissement scolaire et aucun département n’est épargné. On estime aujourd’hui entre 800 000 et 1 million le nombre d’enfants victimes de harcèlement scolaire chaque année, soit un enfant sur dix. Ces chiffres sont effrayants et nous engagent à réagir urgemment.

Le rapport de la mission d’information a présenté une série de pistes d’action concrètes. Elles s’organisent autour de trois axes clairs, destinés à guider l’action publique : la prévention, la détection précoce et enfin le traitement des cas de harcèlement. Il insistait notamment sur la gravité du cyberharcèlement, face auquel les parents et le personnel éducatif restent bien souvent démunis. La prévention des jeunes est cruciale, la formation des adultes est essentielle.

Nous devons développer collectivement de nouveaux réflexes de protection pour intervenir dès l’apparition des premiers signaux d’isolement ou de persécution.

C’est d’autant plus important au sein de l’école républicaine, qui doit être un lieu d’épanouissement et d’apprentissage pour nos jeunes, et non le théâtre de brimades, d’humiliations et de violences physiques ou verbales.

Tout le monde doit se mobiliser : éducateurs, parents, enfants, pouvoirs publics. L’État joue un rôle essentiel pour impulser une vaste stratégie de lutte contre ces violences dont souffrent nos jeunes à l’école. Nous devons tous être au rendez-vous.

Dès lors, monsieur le ministre, pouvez-vous énoncer avec précision vos ambitions et votre calendrier pour lutter avec efficacité contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Marc, je vous remercie de votre intervention. Je suis d’accord avec vous sur la gravité des conséquences du harcèlement. Vous avez rappelé les drames que nous avons connus ; j’ai une pensée, bien sûr, pour les victimes, qu’il s’agisse des élèves qui meurent chaque année à cause du harcèlement ou de ceux qui, plus silencieusement, sont affectés sur le long terme du fait de pressions ou de trajectoires scolaires enrayées.

La question du cyberharcèlement est très importante et je rejoins les propos que vous avez tenus. Je rappelle, à cet égard, l’existence du 3018, le numéro national pour les victimes de violences numériques, qui est gratuit et très efficace. J’ai visité les bureaux de cette plateforme, qui permet de répondre aux demandes de collégiens ou de leurs familles, parfois en panique, visant à bloquer des photographies intimes ou des boucles de messages, et qui y parvient très bien.

Je tiens à saluer l’existence de ces deux numéros, le 3018 et le 3020, qui seront systématiquement inscrits dans les carnets de correspondance des élèves à partir de la rentrée prochaine.

Le programme pHARe, que vous avez cité, a fait ses preuves dans les six académies où il était expérimenté jusqu’à l’année dernière. Il a été généralisé depuis la rentrée 2022 dans les proportions que j’ai indiquées, mais – je le répète – nous avons encore du chemin à faire. Il consiste à former au moins cinq adultes référents par établissement scolaire ainsi que des « élèves ambassadeurs ». En effet, les élèves sont souvent les mieux à même de détecter les changements de comportement de leurs camarades ou des situations de harcèlement et de rapporter les faits auprès des adultes formés. Il s’agit donc d’un vaste programme de formation des adultes.

Pour ce qui concerne le traitement des situations de harcèlement, nous nous efforçons, dans le cadre de notre mission pédagogique et puisqu’il s’agit d’enfants, d’amener l’élève harceleur à reconnaître ses torts.

Enfin, nous prévoyons la possibilité d’infliger des sanctions, par le biais des conseils de discipline ou via la nouvelle disposition que je viens d’indiquer.

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par une digression. Puisque nous allons passer le reste de cette séance à parler de l’école et de ce qui l’entoure, et alors que nous aimerions que celle-ci soit un sanctuaire préservé des violences de notre société, je tiens à rappeler que, la semaine dernière, ce sont les violences policières qui se sont invitées devant un lycée de Conflans-Sainte-Honorine. (Marques d’agacement sur les travées du groupe Les Républicains.) Un élève a été plaqué au sol par quatre policiers, menotté et emmené au commissariat, puis relâché sans poursuites, pendant que d’autres élèves étaient menacés par des agents les visant avec des flash-balls.

Nous aurions aimé, monsieur le ministre, une réaction de votre part devant cet usage manifestement disproportionné de la force.

Mais revenons au sujet du présent débat. Nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre d’un fléau national : le harcèlement scolaire. Ce n’est pas la première fois – loin de là ! –, mais il convient de nouveau de faire état des chiffres pour bien mesurer l’ampleur du phénomène.

D’après le rapport de la mission d’information portée par nos collègues sénatrices Colette Mélot et Sabine Van Heghe, la situation est absolument dramatique. Entre 800 000 et 1 million d’enfants en sont victimes chaque année, ce qui représente deux à trois élèves par classe. Et 6 à 10 % des élèves y font face au moins une fois durant leur scolarité.

Ce qui fait du harcèlement scolaire une menace et une souffrance particulièrement difficile à vivre et à cerner, c’est qu’il ne se cantonne pas aux enceintes des écoles. Le harcèlement rattrape les élèves jusque dans leur foyer via les réseaux sociaux et toute la sphère numérique. Le cycle des violences ne s’arrête jamais. Les victimes ne connaissent aucune pause, aucun répit dans leur souffrance, ce qui échappe à la sphère parentale tout en ayant parfois lieu au sein du domicile.

Il convient de s’attaquer aux causes. De nombreux élèves sont harcelés en raison de leur genre, de leur handicap, de leur couleur de peau ou de leur orientation sexuelle. Les conséquences sont parfois terribles, définitives, inacceptables. En janvier dernier, le suicide de Lucas, 13 ans, harcelé en raison de son homosexualité, montre à quel point l’homophobie et la discrimination continuent de tuer.

À la rentrée 2022, le programme de lutte contre le harcèlement scolaire pHARe, qui prévoit notamment différentes actions de prévention et de sensibilisation, a été généralisé à l’ensemble des écoles élémentaires et des collèges.

Monsieur le ministre, vous affirmiez en novembre dernier – et vous venez de le répéter – que ce programme avait obtenu d’excellents résultats. Nous aimerions vous croire sur parole, mais nous avons en ce moment un problème avec la sincérité de la parole de l’ensemble du Gouvernement.

Sur quels critères, sur quels éléments, vous basez-vous ? Alors que le programme pHARe prévoit un mécanisme d’évaluation, aucune étude détaillée n’a jamais été communiquée publiquement. De leur côté, plusieurs associations et syndicats pointent du doigt de nombreux dysfonctionnements : déploiement inégal du programme pHARe sur le territoire, formations superficielles, absence de communication sur les numéros d’urgence, manque cruel de moyens humains et financiers… Le collège du jeune Lucas, qui s’est ôté la vie, avait d’ailleurs mis en place ce dispositif, en vain.

Le manque de moyens humains et financiers dédiés à la lutte contre le harcèlement scolaire va au-delà du programme pHARe.

Prenons l’exemple de la médecine scolaire. J’alertais déjà sur ce point l’année dernière, au moment de l’examen de la proposition de loi sur le harcèlement scolaire. L’état de la médecine scolaire dans notre pays est un scandale.

Il y a dans notre pays environ 900 médecins scolaires et 7 700 infirmiers et infirmières scolaires pour 12,5 millions d’élèves, soit un médecin pour 14 000 élèves et un infirmier ou infirmière pour 1 600 élèves. Cela représente une chute des effectifs de près de 15 % en cinq ans.

La pandémie n’a pas été un déclic : le « quoi qu’il en coûte » s’est arrêté à la porte de l’école. Voilà des professionnels, au contact des élèves, qui pourraient identifier les situations à risque, engager le dialogue et alerter. Mais avec des moyens humains aussi dérisoires, il nous est impossible de leur confier ces missions.

Enfin, vous avez récemment annoncé, monsieur le ministre, plusieurs mesures contre les LGBTphobies à l’école comme le déploiement de campagnes de sensibilisation et la généralisation d’observatoires de lutte contre ces attitudes. C’est une première étape que je salue, mais qui est loin d’être suffisante pour endiguer le fléau des discriminations LGBTphobes à l’école. Je m’interroge également quant aux moyens qui seront dédiés à ces dispositifs et à leur pérennité.

Comment lutter efficacement contre le harcèlement scolaire LGBTphobe si les moyens mis en place ne sont pas à la hauteur des enjeux ?

Nous le savons, il n’y a pas de solutions simples pour lutter contre le fléau protéiforme du harcèlement scolaire. Nous avons bien conscience que les solutions sont multiples, au croisement de l’école et de la société qui l’entoure. Mais il faut passer à la vitesse supérieure.

Investir davantage dans la lutte contre le harcèlement scolaire, que ce soit au travers de la médecine scolaire ou des politiques de prévention contre la montée des haines, c’est investir dans l’apaisement de l’école et de la société en général. Il y va de notre responsabilité.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Dossus, vous avez raison, il ne s’agit pas du premier débat, dans cet hémicycle, sur la question du harcèlement scolaire. Toutefois, nous avançons.

Comme vous l’avez souligné, il n’y a pas de solution simple. Nous sommes sur un chemin de progrès, mais il n’y aura pas de baguette magique pour faire disparaître ce fléau d’un seul coup.

Vous avez dit à juste titre que le harcèlement pesait souvent sur un élève présentant une vulnérabilité ou une différence, réelle ou supposée. Le cas des élèves LGBT est un bon exemple. Nous avons connu un drame terrible voilà quelques semaines et je suis très mobilisé sur cette question. Nous préparons activement la Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie du 17 mai, qui sera l’occasion de lancer une grande campagne. Vous avez mentionné la création des observatoires de lutte contre les LGBTphobies et notre partenariat avec l’association SOS homophobie, ainsi qu’avec d’autres associations, très impliquées.

Vous avez posé la question de l’évaluation des expérimentations qui ont eu lieu dans six académies pendant deux années. Cette évaluation est en cours ; une équipe de chercheurs travaille sur cette question.

On sait déjà, de manière empirique, que le règlement des situations de harcèlement a donné de bons résultats, mais qu’il ne s’est pas vraiment traduit par une baisse du nombre de cas. La mobilisation permet en effet de faire remonter des cas qui seraient autrement restés sous la ligne de flottaison.

Nous sommes également mobilisés au travers de la médecine scolaire. Ce que vous avez dit à cet égard est intéressant, dans la mesure où un bon tiers des postes de médecins scolaires ne sont pas pourvus. Nous pourrions doubler le nombre de ces postes que cela ne changerait rien au nombre de médecins en place. C’est pourquoi nous préparons activement, avec le ministre de la santé, un plan de médecine scolaire. Nous attendons pour le mettre en place la remise du rapport des trois inspections générales ; ce sera l’occasion de remettre à plat cette question importante.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de quoi parle-t-on ?

Le « harcèlement entre pairs », qui est la forme la plus répandue de violence en milieu scolaire, est caractérisé par l’usage répété de la violence physique, des moqueries, des insultes et des humiliations. Il concerne – cela a été rappelé – entre 800 000 et 1 million d’élèves par an, soit 10 % des élèves. Avec l’avènement du numérique, le harcèlement scolaire se prolonge sur les réseaux sociaux, et la sphère privée n’y échappe plus.

Depuis 2017, le Gouvernement a pris la mesure de ce problème grave, qui a récemment abouti au suicide dramatique du jeune Lucas.

Depuis 2018, les téléphones portables sont interdits à l’école et au collège, à la suite d’une proposition de loi de Richard Ferrand, adoptée après engagement de la procédure accélérée. Il s’agissait, en empêchant l’utilisation massive et précoce des téléphones, de lutter contre le cyberharcèlement.

En 2019, la loi pour une école de la confiance a créé le droit de vivre une scolarité sans harcèlement : « Aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale. »

La même année, le Gouvernement a annoncé l’extension des horaires de la plateforme « Net écoute », dédiée au cyberharcèlement.

Le programme pHARe de lutte contre le harcèlement, cité à plusieurs reprises par les orateurs précédents et par vous-même, monsieur le ministre, est désormais obligatoire dans tous les collèges et toutes les écoles élémentaires depuis la rentrée 2022. Il implique à la fois les adultes, les élèves – les collèges ont été dotés d’élèves ambassadeurs – et les parents, qui sont associés à la lutte contre le harcèlement à l’école.

Il s’agit donc d’un dispositif à 360 degrés, qui concerne l’ensemble de la communauté éducative.

L’année dernière, la proposition de loi de notre collègue Erwan Balanant a créé un nouveau délit de harcèlement scolaire, qui sanctionne les élèves, étudiants ou personnels des établissements scolaires et universitaires reconnus coupables de harcèlement. Les peines encourues sont de dix ans de prison et de 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime du harcèlement. Il existe une panoplie de mesures pour lutter contre le harcèlement qui a été complétée ces dernières années, depuis 2017.

Le dispositif paraît bien sûr insuffisant, car le harcèlement est toujours dramatique et le phénomène est encore trop récurrent. Des évolutions sont encore nécessaires. La proposition de loi de notre collègue Marie Mercier du groupe Les Républicains, qui pose le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime, soulève des questions importantes : qui doit être concerné par l’éloignement systématique ? N’est-ce pas une double peine s’il concerne aussi l’enfant victime ? Une proposition de loi a été également déposée par notre collègue Sabine Van Heghe. On le voit, le Parlement s’est largement saisi de cette question.

Monsieur le ministre, vous avez apporté des éléments de réponse ce matin sur la façon dont sont traités les auteurs de harcèlement dans les établissements scolaires que vous pourrez peut-être compléter lors de ce débat.

Il faudrait également se pencher sur des méthodes complémentaires. Certains pays sont précurseurs sur ce sujet, comme les pays scandinaves, lesquels ont souvent un temps d’avance sur ces questions qu’ils ont prises à bras-le-corps depuis longtemps. Je pense notamment à la méthode de « la préoccupation partagée » ou au programme finlandais intitulé KiVa Koulu, mis en place en 2006 et organisé autour de discussions et de jeux de rôle, avec une systématisation de la lutte contre le harcèlement scolaire dans tous les établissements finlandais. Il serait bien de faire un parangonnage pour voir comment d’autres pays d’Europe ont pu avancer dans la lutte contre le harcèlement.

Nous avons beaucoup progressé sur la question, mais les faits de harcèlement restent encore trop graves et trop nombreux. Je ne doute pas qu’ensemble nous construirons de nouveaux outils, de nouvelles armes, pour lutter contre ce fléau. (MM. Xavier Iacovelli et Yves Détraigne, ainsi que Mme Marie Mercier, applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Bargeton, le programme pHARe s’inspire effectivement de l’exemple finlandais. Lorsque j’ai évoqué ce programme et son évaluation, j’aurais dû mentionner la Finlande, où il a donné de bons résultats.

J’attire votre attention sur la dimension pédagogique du programme, qui vise non pas à sanctionner d’emblée, mais plutôt à amener l’enfant harceleur à reconnaître la gravité de ses actes et à participer par la suite à la mobilisation de l’ensemble de la communauté éducative contre les faits de harcèlement.

Il arrive que d’anciens harceleurs soient au premier rang des élèves ambassadeurs dans la lutte contre les situations de harcèlement. En ce sens, l’école conserve bien sa mission première, qui est pédagogique. Parfois, cette dimension peut ne pas suffire et la situation est alors si dégradée entre un ou des harceleurs et les harcelés que la séparation entre les élèves devient la solution ultime.

Cette mesure est envisageable dans le secondaire, puisque les conseils de discipline peuvent scolariser un élève dans un autre établissement que celui d’origine ; en revanche, elle n’est pas possible dans le primaire, où il n’y a pas de conseil de discipline. C’est pourquoi nous proposons de passer par la voie réglementaire, et non législative, pour permettre, dans certains cas et en dernier recours, lorsque toutes les autres solutions auront été envisagées, de déplacer l’élève, indépendamment de l’avis de ses représentants légaux et selon une procédure que je détaillerai si la question m’est posée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe.

Mme Sabine Van Heghe. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, près de 1 million d’élèves subissent chaque année une forme de harcèlement durant leur scolarité, d’une violence parfois telle qu’elle pousse certains enfants à attenter à leurs jours.

Il est intolérable, monsieur le ministre, que les fondements du vivre ensemble soient ainsi sapés et que les jeunes soient éprouvés à l’âge ou ils font leurs premiers apprentissages, dévoilant leurs fragilités propres à l’adolescence.

Bien sûr, il ne s’agit pas ici de dire que rien ne se fait au sein de l’éducation nationale. Même si le programme pHARe a été généralisé à la rentrée 2021, nous devons encore constater la difficulté à franchir le mur de l’administration scolaire et la tentation du « pas de vagues » au sein de certains établissements.

La lutte contre le harcèlement scolaire passe aussi par les initiatives locales, associatives ou institutionnelles. Dans mon département du Pas-de-Calais, par exemple, j’ai animé avec les services de l’État, de la police, de la gendarmerie, de la justice et de l’éducation nationale une réunion visant à améliorer l’accueil, la protection et le suivi des élèves victimes de harcèlement scolaire, ainsi que la prise en charge des auteurs des faits délictueux.

Je me réjouis de la mobilisation de tous ces acteurs, mais cela reste insuffisant et la question du harcèlement scolaire révèle encore de grandes failles qui doivent être comblées.

Je viens donc de déposer avec mes collègues sénateurs socialistes une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement afin de compléter l’arsenal juridique existant.

Notre texte se veut pragmatique, simple et concret. Il prévoit notamment d’imposer aux réseaux sociaux une nouvelle obligation de sensibilisation des usagers, de renforcer le poids des adultes correctement formés sur le sujet au sein de l’école et de permettre l’exclusion des auteurs pour éviter la double peine qui s’impose aux victimes, forcées de quitter leur établissement pour échapper à leurs bourreaux. Je me félicite, monsieur le ministre, que vous ayez d’ores et déjà repris cette dernière mesure, qui est très importante.

En tout état de cause, la clef de tout, c’est l’augmentation du nombre d’adultes effectivement présents dans les établissements, comme le réclament les sénateurs de notre groupe à chaque discussion budgétaire depuis maintenant six ans. Il est impératif d’augmenter les postes de personnels médico-sociaux et de psychologues dans les établissements scolaires, personnels jouant un rôle essentiel dans la prévention, la détection et la prise en charge des cas de harcèlement.

Pour que la parole des enfants et des adolescents se libère, ceux-ci doivent se sentir écoutés, compris et protégés. C’est par la présence suffisante de personnes formées et à l’écoute que nous pourrons espérer faire fléchir ce fléau insupportable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Van Heghe, je vous remercie d’abord pour le travail et le rapport que vous avez réalisés sur le sujet avec Mme Mélot.

Nous avons repris votre proposition de mieux diffuser les numéros téléphoniques 3018 et 3020 : ils seront inscrits dans les carnets de correspondance et dans les espaces numériques de travail (ENT). Une campagne d’affichage a également été réalisée, et j’ai pu voir ces affiches dans les couloirs de pratiquement tous les établissements scolaires dans lesquels je me suis rendu.

Nous n’en sommes plus à l’époque du « pas de vagues ». À l’évidence, nous sommes très mobilisés sur cette question et nous avons, depuis un certain temps, passé un cap, même s’il reste du travail à faire.

Nous souhaitons éloigner les élèves harceleurs – et je veux ici remercier la sénatrice Marie Mercier de sa proposition – indépendamment de l’avis des parents ou des représentants légaux, lorsque la situation est devenue intenable et que la sécurité de l’élève ou des élèves harcelés est mise en cause. Cela suppose l’accord du maire de la commune de résidence, voire des deux maires si la scolarisation a lieu dans une commune voisine.

Il faut procéder avec discernement, puisque nous avons affaire à des enfants âgés de 6 à 11 ans et que les situations entre harceleurs et harcelés ne sont parfois pas si claires, avec des « échanges », si j’ose dire, entre la situation des uns et des autres. Mais il faut pouvoir envisager la possibilité d’un éloignement lorsque la situation est bloquée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, pour la réplique.

Mme Sabine Van Heghe. Vous avez raison, monsieur le ministre, il faut certes agir avec discernement, mais il ne faut pas faciliter la vie du harceleur au détriment du harcelé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire est un fléau. Un élève sur dix subit chaque année une forme de harcèlement ou de cyberharcèlement. C’est un drame, car il entraîne des enfants vers des actes extrêmes.

Face à ces situations, nous ne sommes pas totalement démunis, même s’il n’existe pas de remède miracle. Le Sénat a ainsi fait trente-cinq propositions dans le cadre d’une mission d’information précédemment évoquée. La loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a également fourni quelques outils.

Il convient, grâce à ce débat, d’en faire un bilan afin de vérifier que les réponses en matière de prévention, de détection et de soutien aux victimes et à leurs familles sont opérantes.

La loi a inscrit la lutte contre le harcèlement scolaire dans le code de l’éducation, ce qui permet de mieux appréhender et punir ce phénomène. Dans son article 1er, il est instauré « une information sur les risques liés au harcèlement scolaire […] délivrée chaque année aux élèves et parents d’élèves ». Comment cette mesure se traduit-elle dans les établissements scolaires et selon quels moyens ?

L’article 7 prévoit également la remise d’un rapport relatif aux frais de consultation et de soins engagés par les victimes. Monsieur le ministre, ce rapport a-t-il été produit ? Pouvez-vous nous en donner les éléments ?

Le texte prévoyait aussi la « CDIsation » des assistants d’éducation, qui constituent un des rouages d’alerte et de prévention essentiels au sein des établissements. Le décret a tardé à être pris ; bien qu’il ait été publié, certaines académies continuent visiblement à ne pas appliquer cette disposition. Monsieur le ministre, quand cette mesure sera-t-elle généralisée ?

J’aimerais également rappeler la conviction, que j’ai plusieurs fois exprimée ici, d’une revalorisation du statut des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) qui leur garantirait, entre autres, une véritable formation initiale et continue, notamment en matière de harcèlement, le handicap pouvant constituer un « motif ».

Autre avancée de cette loi, mais qui, d’après les remontées de terrain, se révèle encore insuffisante : le renforcement de la formation et de la sensibilisation de l’ensemble des personnels éducatifs. Quel est le contenu de cette formation initiale ? Qu’en est-il pour la formation continue ?

Le programme pHARe, déjà évoqué à plusieurs reprises, a été généralisé en 2022. C’est une bonne chose, mais cette généralisation a été lancée avant même le retour d’expérience des six académies tests. Or leur expertise permettrait, je le crois, d’améliorer le programme.

Je pense, par exemple, à la constitution d’une équipe d’au moins cinq personnes par collège ou par circonscription pour le premier degré. Je rappelle que ce déploiement se fait à moyens humains constants, alors que les personnels ont déjà de nombreuses missions, et même de plus en plus, à effectuer. Les suppressions de postes risquent également de fragiliser ce travail. À cet égard, vous évoquez régulièrement la baisse démographique comme justification, mais la France reste un mauvais élève en matière de taux d’encadrement en comparaison avec d’autres pays européens.

Que se passe-t-il lorsqu’un des membres de l’équipe n’est plus en poste ? Il faut recommencer tout le processus, ce qui est dommage. C’est la même chose avec les dix heures de formation pour tous les élèves du CP à la troisième : qui les assure, comment et avec quels outils ?

Lors de votre audition dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2023, nous vous rappelions, comme cela vient d’être fait, la situation critique de la médecine scolaire qui constitue, elle aussi, un maillon essentiel de la lutte contre le harcèlement. Il est de notoriété publique que les effectifs ont fondu comme neige au soleil, encore plus en milieu rural. Nous manquons de psychologues pour les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased).

Vous indiquiez alors devoir rencontrer le ministre de la santé pour envisager « une autre structuration de la médecine scolaire » et « des alternatives qui permettent de répondre aux impératifs de médecine de prévention et de détection ». Quelles sont ces alternatives ? Où en est-on du travail que vous proposiez de lancer ?

Enfin, le harcèlement scolaire a changé de dimension avec le poids pris par les réseaux sociaux, qui n’offrent aucun répit aux victimes. Les frontières de l’école sont maintenant largement dépassées et il me semble que les plateformes doivent davantage assumer leurs responsabilités.

Pourquoi ne pas avoir retenu l’idée de contraindre les réseaux sociaux à présenter régulièrement des vidéos de prévention et de sensibilisation au cyberharcèlement ?

Enfin, je voudrais revenir sur vos propos de ce matin sur l’éloignement des élèves harceleurs. Jusqu’à présent, cette mesure concernait la victime. Avez-vous consulté les associations d’élus, puisqu’il faudra l’accord du maire de la commune de l’école d’accueil ?

Je suis désolée d’évoquer une question triviale, mais cette mesure entraîne des conséquences financières, puisque la commune de résidence de l’enfant devant changer d’école doit verser une participation. Là encore, avez-vous consulté les associations d’élus sur ce point ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Brulin, vous avez fait allusion au programme pHARe et à la loi du 2 mars 2022 qui place la question de la formation au cœur du dispositif. De fait, nous avons intensifié les programmes de formation.

D’abord, en les systématisant au niveau des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) pour les professeurs stagiaires ou pour les conseillers principaux d’éducation (CPE) stagiaires.

Ensuite, en organisant des séminaires nationaux avec des déclinaisons académiques pour former les formateurs, si je puis dire, afin que les choses se diffusent au niveau des écoles et des établissements. Le processus est lent, car il y a beaucoup de personnels à former sur le sujet : cinq personnes par établissement scolaire du côté du secondaire et cinq personnes par circonscription du côté du primaire. Nous menons ce travail sur plusieurs années.

En parallèle, il faut organiser la sensibilisation des familles : cette mesure est importante, car elles ont un rôle à jouer. En début d’année scolaire, nous insistons sur le fait que les écoles et les établissements doivent en particulier sensibiliser les familles aux numéros téléphoniques 3020 et 3018.

Vous avez fait allusion à la médecine scolaire : je l’ai dit, nous attendons le rapport des trois inspections générales avant de faire des propositions. Je serai heureux de venir en parler devant vous, si vous le souhaitez.

Quant aux plateformes, je suis d’accord avec vous : elles doivent être responsabilisées. Nous avons d’ailleurs eu un échange sur cette question lors de la visite de la plateforme du 3018.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Toine Bourrat applaudit également.)

M. Jean Hingray. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la communauté éducative est démunie. Elle est démunie, car elle est affaiblie par un phénomène incompris de tous, pourtant bien présent : le harcèlement. Aujourd’hui, le harcèlement scolaire fracture notre jeunesse, endeuille nos familles et brise notre République.

En s’attaquant à notre République, aussi dépassée que désarmée, le harcèlement remet en question sa légitimité, une légitimité pourtant construite au travers des siècles, de Napoléon à Jules Ferry, en passant par Julie-Victoire Daubié. L’école républicaine, de par sa capacité à s’adapter aux circonstances, parfois aux crises, a toujours su aller de l’avant. Mais aujourd’hui, cette légitimité est menacée par la souffrance de millions d’élèves.

Mes chers collègues, il est difficile de comprendre la nature humaine, la psychologie et les rapports de force qui s’opèrent entre les élèves. Nous observons, avec tristesse et colère, les conséquences funestes de ces abus.

Près de 1 million d’enfants subissent des faits de harcèlement scolaire en France. En 2021, vingt-deux enfants ont fait le choix de renoncer, de la pire des manières. Vivant une souffrance insupportable, ils n’avaient plus la force de vivre ; ils ont alors fait le choix de ne plus souffrir.

Nous constatons avec regret la faible prise en charge de notre système éducatif dans la résolution de ce phénomène. Difficilement cernable, le harcèlement prend plusieurs formes – moral, physique, sexuel. Et n’oublions pas le racket.

Le harcèlement, d’une manière générale, est un phénomène qui s’accroît et se complexifie avec les réseaux sociaux. Le semblant d’anonymat qu’il permet, la tendance à suivre les effets de meute et la volonté de se distinguer du groupe font de ces réseaux le lieu propice et privilégié du harcèlement.

Le harcèlement scolaire est partout. De l’école à la maison, en passant par les transports en commun – 50 % des collégiens se plaignent d’ailleurs de violences dans les transports.

Les effets de groupe ont longuement été étudiés et font consensus dans la communauté scientifique. Il y a un leader, des suiveurs, des actifs et des passifs. Ce sont ces mêmes passifs qui, parfois, se trouvent au sein même du corps enseignant, lequel est censé écouter et prendre des mesures, et qui finissent par ne pas agir ou par agir trop tard.

Le harcèlement est l’un des principaux fléaux de notre système éducatif. Les victimes et leurs familles sont parfois confrontées à une parole qui est certes entendue, lorsqu’ils en ont la chance, mais qui n’est pas considérée.

Mes chers collègues, à quoi bon entendre lorsque nous refusons d’écouter ? Il est difficile de reconnaître une situation dans laquelle un élève est harcelé. Le harceleur agit de façon cachée et les formes que peut prendre ce phénomène sont souvent interprétées comme de simples chamailleries d’enfants. Les adultes ne s’attardent pas toujours ou pas assez sur certains phénomènes de microviolence : ils sont considérés comme banals, voire « normaux », entre jeunes et moins jeunes.

Nous assistons à une perte de confiance de plus en plus grande entre parents, élèves et éducation nationale. Et que dire des délais de traitement trop longs au sein des établissements ? Le délai doit donc être défini clairement, afin de ne pas laisser les familles et les victimes en suspens pendant des mois, au cours desquels le harcèlement perdure ou s’intensifie.

La prise en charge des signalements au sein des établissements reste floue : les procédures de signalement ne sont pas harmonisées ; à certains égards, elles sont même inadaptées.

Je le répète, nous sommes face à un phénomène profondément humain, qui mérite une réponse de l’État.

Il faut aussi reconnaître les avancées en la matière. L’éducation nationale s’est dotée de moyens considérables pour lutter contre le harcèlement scolaire. Le programme pHARe a le mérite d’exister, même s’il demeure insuffisant. Il rend les élèves acteurs de la lutte contre le harcèlement, sur la base du volontariat. La procédure semble en apparence louable.

Voilà deux mois, je vous ai interpellé au sujet du suicide du petit Lucas. À la suite de cette intervention, deux familles de mon département, les Vosges, m’ont contacté pour me faire part d’une faille notoire, qui se transforme en cauchemar pour les victimes.

Les élèves harceleurs, animés par une soif de domination, intègrent le programme pHARe qui, je le rappelle, est censé protéger les victimes. Que se passe-t-il, monsieur le ministre ? Il n’est plus question de prévention, il faut des réponses concrètes. Il est nécessaire de responsabiliser des établissements en matière de harcèlement. Nous devons faire de l’école un lieu de vivre ensemble exemplaire.

La prise en charge de la victime est fondamentale, prioritaire. Il faut en même temps encadrer efficacement les harceleurs. De nombreuses méthodes existent pour prendre en charge le harcèlement. Je pense notamment aux méthodes Farsta, No Blame Approach et Pikas. Monsieur le ministre, quelle est la vôtre ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Hingray, au fond, deux écueils doivent être évités : celui de dire que rien ne change dans l’éducation nationale et que ce dont on parle n’est que du vent et, à l’inverse, celui d’expliquer que le programme pHARe et les dispositions prises ces dernières années auraient miraculeusement tout changé.

Nous avançons sur le chemin et je reconnais avec humilité devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons du travail à réaliser ensemble pour réduire ce phénomène catastrophique qu’est le harcèlement.

La formation des enseignants et des adultes dans les établissements et dans les écoles est une mesure très importante. Toutefois, comme je l’ai souligné, cela prend du temps compte tenu de la masse des personnes à former. Néanmoins, j’observe tout de même une prise de conscience dans les communautés éducatives que l’on n’observait pas voilà quelques années.

Les délais de traitement sont peut-être longs, trop longs, mais méfions-nous à l’inverse des procédures expéditives. En la matière, les chefs d’établissement ou les directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) peuvent prendre des mesures de sauvegarde par lesquelles un élève harceleur est temporairement écarté sans préjuger de la suite de la procédure.

En dépit de la démarche pédagogique qui sous-tend le programme pHARe et qui est essentielle – j’insiste sur ce point –, il faut également envisager des sanctions. Celles-ci font partie de la pédagogie, qu’elles se traduisent par un conseil de discipline ou, dans le premier degré, par le transfert de l’élève harceleur selon une procédure que nous voulons mettre en place par voie réglementaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.

M. Jean Hingray. Monsieur le ministre, j’entends vos propos sur le travail que vous avez entamé, à partir notamment des préconisations du Sénat. Vous l’avez souligné, ce travail sera long.

Je le redis, à la suite de mon interpellation sur le suicide du petit Lucas, deux familles des Vosges sont venues me voir. La Dasen nous a aidés – vous avez évoqué cette possibilité. Le travail que nous menons collectivement doit faciliter la sensibilisation et la prise de conscience des familles, mais je suis étonné, voire choqué, qu’on sollicite un parlementaire pour des problèmes internes à l’éducation nationale.

Vous avez évoqué les sanctions dans votre propos conclusif : je suis tout à fait d’accord, les sanctions doivent être renforcées. Je reprendrai une phrase d’un de vos collègues ministres : il faut être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants !

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 7 janvier dernier, Lucas, âgé seulement de 13 ans, a mis fin à ses jours. Si les causes directes de son passage à l’acte restent encore à confirmer, les conséquences du harcèlement scolaire dont il a été victime pendant des mois ne peuvent être niées.

Comme lui, chaque année, plus de 800 000 enfants souffrent de harcèlement scolaire et 26 % d’entre eux ont des idées suicidaires. Ainsi, 77 % des jeunes déclarent avoir subi des violences à l’école, qu’elles soient morales ou physiques. Les conséquences psychologiques de ce que trop considèrent comme de simples railleries subies pendant l’enfance sont multiples : perte de l’estime de soi, tendance dépressive, vulnérabilité relationnelle que ce soit dans un contexte professionnel, relationnel ou amoureux.

À un âge auquel ces enfants manquent encore de discernement et auquel très peu parviennent à parler de ce qu’ils subissent, le soutien des services scolaires est d’une nécessité évidente. Comment expliquer l’escalade de violences qu’a subies le petit Farès il y a quelques semaines ? Comment expliquer que sa mère n’ait même pas été prévenue par la direction de l’établissement scolaire ?

Il y a urgence à mettre en place des protocoles adaptés afin de déceler au plus tôt ces situations et d’éviter que de nouveaux drames ne se produisent. Mais il ne faut pas oublier que le harcèlement scolaire ne commence ni ne cesse aux portes des écoles : la rue et les réseaux sociaux sont également un lieu de calvaire pour des milliers de jeunes.

Certes, des peines sont prévues pour les auteurs de harcèlement scolaire. Mais ces enfants en ont-ils seulement conscience ? Face à la hausse des cas, le programme pHARe, des grilles d’évaluation du danger, un numéro d’écoute et d’aide sur le harcèlement sont-ils suffisants ? Les initiatives de certains établissements et collectivités sont louables. À l’heure où la sensibilisation des enfants doit être une priorité, ces violences ne doivent plus être ignorées ni banalisées.

Monsieur le ministre, vous assurez que la prévention et la lutte contre le harcèlement entre élèves constituent l’une de vos priorités. Les enseignants doivent plus que jamais être préparés et attentifs, les parents alertés, afin que l’école puisse redevenir un lieu d’ouverture d’esprit dans lequel chaque enfant, quel qu’il soit, puisse s’épanouir sans entrave.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Benbassa, les chiffres dont nous disposons ne sont pas complètement stabilisés. La mesure du harcèlement varie selon les outils utilisés, mais aussi selon la définition que l’on en donne : puisque les actes doivent être répétés, à partir de combien de situations de violences, physiques ou symboliques, et d’insultes entre-t-on dans cette catégorie ?

Malgré ce flou, peu importe : il faut s’attaquer à la réalité du problème. Déceler les situations de harcèlement le plus rapidement possible est l’un des objectifs évidents de notre mobilisation au travers du programme pHARe.

J’attire votre attention sur l’importance des élèves ambassadeurs, qui sont souvent les plus à même de repérer le changement de comportement d’un de leurs camarades : isolement, rapport à l’alimentaire, au travail et aux autres… Autant de signes qui peuvent laisser penser qu’une situation de harcèlement est en cours. Nous comptons beaucoup sur la mobilisation des élèves eux-mêmes.

Il faut ensuite traiter le problème. Dans un premier temps, quand la réaction a lieu suffisamment tôt, il peut être résolu au sein de l’établissement. Dans un deuxième temps, si la situation de harcèlement perdure, les autorités académiques et départementales de l’éducation nationale interviennent avec des psychologues et d’autres agents relevant du secteur de la santé. Dans un troisième temps, dans des cas extrêmes, une sanction peut intervenir selon les modalités que j’ai précisées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. J’attire également votre attention sur un problème qui a récemment fait l’actualité : la violence sexuelle à l’école entre enfants de 6 ou 7 ans. C’est une autre facette du même problème.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Un an après la promulgation de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, où en sommes-nous ? L’ajout de ce texte dans l’arsenal législatif tendait à garantir aux jeunes une scolarité apaisée. Elle visait, d’une part, à mieux prévenir les actes de harcèlement et à prendre en charge les victimes et, d’autre part, à améliorer le traitement judiciaire.

Prévenir les faits passe par une formation continue sur ces problématiques de toutes les personnes qui entourent les élèves au sein et en dehors des établissements.

Je salue le succès du programme pHARe, rendu obligatoire depuis la rentrée 2022 dans les collèges et les écoles élémentaires. En plus de « former une communauté protectrice » autour des élèves, de « mobiliser les instances de démocratie scolaire […] et le comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement » et de mieux former les élèves à raison de « dix heures d’apprentissages par an », le programme mobilise dix enfants par établissement en leur confiant le rôle d’ambassadeurs. Cela permet de responsabiliser les élèves, notamment dans les établissements classés réseaux d’éducation prioritaire (REP) et REP+, et permet aux victimes de se confier plus facilement.

Je salue aussi la poursuite chaque année depuis 2015 de la journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, se déroulant chaque premier jeudi après les vacances de la Toussaint. Elle permet de sensibiliser les élèves par des expositions et des manifestations.

Je salue également le Safer Internet Day, qui fête sa vingtième édition cette année et qui rassemble, grâce au travail de la Commission européenne et de « Internet sans crainte », plus de 150 pays et de nombreuses associations.

Je salue enfin l’organisation de campagnes vidéo et celle du prix Non au harcèlement dans de nombreux établissements.

S’ajoutent à ces dispositifs les numéros nationaux encore trop peu connus – ce que vous avez souligné, monsieur le ministre – et la plateforme digitale dédiée à la lutte contre le harcèlement, qui a recensé plus de 170 déclarations à ce jour.

Toutefois, force est de constater que la prévention ne suffit pas. Il faut prévoir des solutions pour punir les faits lorsque le harcèlement a été commis et constaté. Le nouveau cadre législatif et réglementaire a introduit un délit ouvrant la voie à des poursuites à l’encontre de tout harceleur. Un quantum de peines nécessaires, proportionnées et adaptées a démontré son efficacité, notamment dans les récentes mises en garde à vue.

Le harcèlement scolaire ne passe plus seulement par la parole ou la maltraitance physique, il sévit dorénavant sur les réseaux sociaux qui poursuivent la victime jusque chez elle. Nos méthodes de sanction doivent donc s’adapter.

La loi a permis une avancée en considérant les réseaux comme des éléments constitutifs de cette nouvelle infraction. Nous devons aller plus loin : il est temps d’intensifier et d’axer notre réflexion sur les méthodes de régulation des réseaux sociaux, en veillant à respecter le secret des correspondances, la liberté d’expression et la sécurité de nos enfants.

Il faut également que les victimes ne subissent pas le préjudice du déplacement scolaire, alors que les harceleurs bénéficient du maintien dans le même établissement. À cet égard, monsieur le ministre, il semblerait que vous nous ayez rassurés ce matin.

Les pouvoirs publics n’ont cessé depuis 2010 de se mobiliser pour lutter contre le harcèlement scolaire. Pour autant, ils ne doivent pas se désengager. Je regrette que les dernières études disponibles datent de 2021 en ce qu’elles ne nous permettent pas d’évaluer les premiers résultats de la loi promulguée l’an dernier. Je regrette également que le Gouvernement, contrairement à ce qui avait été annoncé, n’ait pas remis dans le délai d’un an « un rapport relatif à la couverture des frais de consultation et de soins engagés par les victimes et par les auteurs de faits ». En gardant un œil sur les résultats, poursuivons le travail engagé, notamment dans le secteur du digital. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Fialaire, vous avez raison de préciser que les mobilisations annuelles comptent, que ce soit au travers du Safer Internet Day, le 6 février, ou du prix Non au harcèlement, au mois de novembre. Le retentissement est réel dans les établissements scolaires, comme j’ai pu le mesurer moi-même.

Vous avez également raison au sujet des réseaux sociaux : nous devons les responsabiliser. La plateforme 3018 peut demander aux principaux acteurs de bloquer des comptes relayant des propos injurieux ou des photographies qui n’ont pas à circuler. Néanmoins, nous attendons de ces réseaux qu’ils soient plus proactifs et mobilisés.

En ce qui concerne les élèves harceleurs, j’ai annoncé une modification réglementaire du code de l’éducation afin de transférer les harceleurs plutôt que les harcelés : la situation actuelle est anormale.

Nous insistons aussi sur le fait que cette décision, qui peut être prise en dépit de l’avis des représentants légaux, est une solution de dernier recours. En réalité, il s’agit moins d’une sanction que d’une mise en sécurité des élèves harcelés dans une situation où, à l’évidence, les procédures de conciliation ne fonctionnent plus.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.

M. Bernard Fialaire. Monsieur le ministre, vous attendez des réseaux sociaux qu’ils se régulent. Personnellement, je pense qu’il ne faut pas attendre passivement de leur part toutes les solutions face aux risques de harcèlement. Au contraire, il nous faut être un peu plus proactifs. On attend justement de l’État d’assurer cette sécurité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier. Que se passe-t-il donc dans nos cours d’école quand les élèves ne jouent pas à leurs activités préférées ? Si l’on parle d’enfer des récréations, c’est qu’on trouve parfois dans ce petit monde secret et clos du racket, des conflits, de l’intimidation et aussi du harcèlement.

Le harcèlement à l’école touche 1 million d’élèves, soit 1 million de familles. Pour combien de larmes ? Si la victime vit un calvaire, son agresseur est aussi en souffrance. Tout le monde est perdant : enfants, parents, familles, enseignants et chefs d’établissement.

Le harcèlement est toujours une affaire complexe. Cette violence répétitive est fondée sur des rapports de domination et de discrimination d’âge, de sexe et de religion qui entraînent une dégradation des conditions de vie de la victime, qui se sent de plus en plus isolée, détruite et abandonnée. Les répercussions sont graves, tant elles portent atteinte à l’intégrité de ces enfants. Elles peuvent parfois conduire au pire. Il est urgent que les drames subis par les harcelés soient rapidement et sérieusement pris en considération sous tous leurs aspects.

En la matière, la prise en charge préventive est bien entendu la meilleure des choses : le harcèlement ne doit pas commencer ; à défaut, il doit être repéré et géré au plus tôt. Tel est l’objectif du programme pHARe.

Quand il est trop tard, que le harcèlement est installé, le monde adulte doit prendre toutes ses responsabilités pleines et entières : la victime doit être protégée et avoir foi en notre justice. De son côté, le harceleur doit comprendre que ses actes sont répréhensibles et être lui-même accompagné dans sa souffrance. Sinon, quels citoyens seront-ils demain ?

J’ai déposé le 21 février dernier une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime. Son objet est d’affirmer un principe simple : ce n’est pas à la victime de fuir et de quitter son établissement et son environnement pour échapper à son harceleur, ce n’est pas non plus à sa famille de s’adapter à ce changement, mais au petit harceleur. Les maires m’indiquent signer les dérogations avec la boule au ventre quand de gentils gamins sont obligés de partir. J’ai voulu donner aux établissements scolaires une référence sur laquelle s’appuyer pour agir. Je remercie les 215 sénateurs qui ont bien voulu cosigner mon texte et ceux qui le partagent puisqu’ils l’ont repris.

Il existe bien sûr une procédure disciplinaire applicable aux élèves et qui relève du pouvoir réglementaire des établissements au travers de leur règlement intérieur. Actuellement, rien n’empêche un conseil de discipline d’exclure un élève auteur de faits de harcèlement. Force est de constater que, la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Ma proposition vise donc à affirmer une position de principe : guider et soutenir les établissements dans leur prise de décision, dans la mesure où de trop nombreux témoignages montrent que les jeunes victimes subissent cette double peine.

Monsieur le ministre, je me réjouis que vous vous soyez emparé de cette idée. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? Pour lutter efficacement contre le harcèlement scolaire, il demeure nécessaire d’agir en amont en le reconnaissant, en le nommant et en évaluant l’efficacité des dispositifs mis en place. Aucun élève ne devrait avoir à quitter une école. Protéger les enfants est notre devoir, comme celui de leur transmettre des connaissances dans un milieu apaisé, qui leur laisse leur insouciance et leurs rêves. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Mercier, je vous remercie très vivement pour votre mobilisation sur cette question et pour votre proposition de loi, que 215 de vos collègues, issus de différents groupes politiques, ont signée.

En matière d’enseignement primaire, comme vous le savez, il n’y a pas de procédure disciplinaire, d’où l’impasse que nous avons connue récemment dans le cas du jeune Maël : le transfert ou le déplacement de l’élève harceleur a été soumis à l’accord des représentants légaux. Avec ma proposition de modification du code de l’éducation, il sera possible de passer outre l’avis des parents, avec l’accord du maire concerné.

Cette avancée me semble tout à fait importante. On inverse en quelque sorte la situation, puisque c’est le harceleur qui part et non le harcelé. Il faut admettre que ce n’est que justice. Quand il sera trop tard, comme vous l’avez souligné, pour empêcher le harcèlement, on pourra encore agir et déplacer l’élève harceleur. C’est une solution de dernier recours, mais qu’il faut prévoir, dans le premier comme dans le second degré.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.

Mme Marie Mercier. Monsieur le ministre, votre proposition reprend en tout point ce que je suggérais d’inscrire dans le code de l’éducation.

Par ailleurs, je voudrais vous prévenir : il m’a été assuré au cours de mes nombreuses auditions, à l’intérieur même de l’éducation nationale, que si les choses devenaient trop compliquées le terme « harcèlement » ne serait plus utilisé et serait remplacé par un autre. Ce ne serait pas digne de l’éducation nationale !

M. Max Brisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel.

M. Yan Chantrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous et toutes été profondément touchés par le suicide du jeune Lucas, qui subissait quotidiennement harcèlement et moqueries sur son orientation sexuelle. Depuis ce drame, quelles mesures avez-vous prises pour mettre fin aux brimades quotidiennes subies par une partie de nos enfants ?

Votre volonté d’éradiquer le fléau du harcèlement scolaire se vérifiera par vos actions sur deux leviers essentiels : renforcement des moyens humains à l’école et changement de la culture scolaire qui prévaut dans notre pays.

Chacun le sait, la meilleure façon de lutter contre le harcèlement scolaire est de renforcer les effectifs d’encadrement des élèves. Toutes les recherches démontrent que plus on réduit le nombre d’élèves dans les établissements et dans les classes, plus le harcèlement diminue.

Or la France a les classes les plus chargées de l’Union européenne. Au collège, l’effectif moyen approche vingt-six élèves, soit très au-dessus de la moyenne européenne située sous la barre des vingt et un. Plus d’une classe sur dix dépasse désormais les trente élèves, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.

Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron n’a fait qu’aggraver cette situation dramatique. Depuis 2018, le second degré a perdu 9 322 enseignants ; la saignée continue, puisque votre ministère annonce de nouvelles suppressions de postes pour la rentrée 2023.

À ce terrible bilan s’ajoute l’abandon de la médecine scolaire, évoqué par mes collègues. La France compte à l’heure actuelle un psychologue de l’éducation nationale pour 1 500 élèves et un médecin scolaire pour 16 686 élèves, très loin de la préconisation de votre ministère d’un médecin pour 5 000 enfants. Comment prétendre lutter contre le harcèlement scolaire quand on réduit à ce point les moyens de l’école ?

Par ailleurs, la manière dont on conçoit et organise l’école peut favoriser le harcèlement ou permettre de s’y opposer. On a trop tendance à prendre le problème sous l’angle de la discipline avec une approche purement punitive et à déléguer la lutte contre le harcèlement aux conseillers principaux d’éducation (CPE) plutôt que de développer une approche collective.

C’est en amont, dans notre culture et organisation scolaires, qu’il faut aller chercher les ressources pour lutter contre le harcèlement. Face à une école de la concurrence entre individus, une école du classement et de la distinction, qui crée des rivalités, défendons, contre la pression des notes et le stress des examens, un modèle qui promeut des valeurs de solidarité, de coopération, de bienveillance, de tolérance et d’inclusion.

Défendons aussi un modèle où la santé mentale n’est plus un tabou, un modèle scolaire qui place la mixité en son cœur pour développer une approche positive de l’autre, où l’altérité et la différence ne constituent pas un danger, mais une chance.

Pour aller dans ce sens, vous nous aviez justement promis, dans cet hémicycle même, monsieur le ministre, des annonces sur la mixité scolaire pour le 20 mars dernier. Nous les attendons toujours : où en est-on ? (Mme Esther Benbassa applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Chantrel, depuis la mort du jeune Lucas, nous avons intensifié les programmes de lutte contre la haine anti-LGBT. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner, nous préparons activement la journée du 17 mai et nous avons généralisé les observatoires académiques des LGBTphobies, qui sont de bons points d’appui pour sensibiliser aux haines anti-LGBT dont les effets sont catastrophiques dans nos écoles.

Je suis obligé de mettre un bémol à votre propos sur le personnel : il n’y a pas de lien évident entre les situations de harcèlement et les effectifs. Dans le cas du jeune Maël, la classe qui est la sienne n’a que dix élèves. Il ne s’agit donc pas d’une situation de surcharge.

En ce qui concerne la médecine scolaire, je partage bien entendu votre constat. Néanmoins, comme j’ai eu l’occasion de le préciser, les postes ne sont pas tous pourvus. J’ai en mémoire la situation du département des Vosges : sur dix postes de médecin scolaire, huit sont vacants. En ouvrir cinq ou six ne changerait donc rien à la situation.

Le problème de fond est que les étudiants en médecine ne choisissent pas la médecine scolaire, non plus d’ailleurs que la médecine du travail. L’enjeu est celui d’une réflexion de fond sur l’organisation de cette médecine et sur ses liens avec la médecine de ville.

Je souscris à l’approche collective que vous soulignez : il faut former non pas la seule vie scolaire, mais aussi tous les adultes, y compris les professeurs, qui interviennent auprès des élèves, afin de faire fonctionner le dispositif pHARe.

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, comme cela a été évoqué, près d’un enfant sur dix serait victime de harcèlement dans son établissement scolaire. Ces dernières années, le harcèlement en ligne est venu amplifier le phénomène. En 2021, ce sont vingt enfants et adolescents qui ont perdu la vie à cause de ce fléau.

On considère qu’il y a harcèlement scolaire quand un jeune est victime d’une agression répétée, délibérée et souvent effectuée en meute. C’est également un rapport de force et de domination entre un ou plusieurs élèves et une ou plusieurs victimes. Le caractère répétitif des agressions crée souvent un sentiment d’isolement et d’abandon des harcelés, qui deviennent incapables de trouver des réponses pour s’en sortir.

Le harcèlement pénalise durablement le parcours scolaire de la jeune victime et peut entraîner des conséquences psychologiques très lourdes, du décrochage scolaire à des conduites autodestructrices, voire suicidaires, allant jusqu’au drame.

Dans un monde où internet accapare nos vies et plus encore celles de nos adolescents, le harcèlement en ligne, ou cyberharcèlement, sur les réseaux sociaux, dans des forums, dans des jeux vidéo multiformes ou sur un blog est devenu le véritable danger.

C’est ce type de harcèlement qui est le plus destructeur pour les victimes : via les réseaux sociaux, les agressions ou brimades peuvent frapper leur victime à tout moment de la journée et de la nuit, quel que soit l’endroit où elle se trouve. De plus, le harceleur peut se servir d’un pseudonyme et ne pas dévoiler son identité.

Dès lors, quelles mesures envisager pour lutter efficacement contre le cyberharcèlement et ainsi casser cette spirale de violence ?

Le comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement (CESCE) a commencé à sensibiliser les chefs d’établissement à ces problèmes de harcèlement. Toutefois, il montre ses limites : beaucoup de dispositifs sont listés, mais les moyens humains et financiers manquent pour les appliquer.

Depuis la rentrée 2022, vous avez arrêté, monsieur le ministre, un plan de prévention du harcèlement entre élèves avec le programme pHARe, devenu obligatoire dans les établissements. Celui-ci combine plusieurs actions et dispositifs incluant un large éventail d’outils variés et concrets se basant sur huit piliers, dont « prévenir les problèmes de harcèlement », « former une communauté protectrice de professionnels » et « intervenir efficacement sur les situations de harcèlement ». Pour la réussite de ce dispositif, il faut impliquer élèves et personnel, « associer les parents et les partenaires » associatifs, « mettre à disposition une plateforme [numérique] dédiée » et créer une équipe de cinq agents formés ainsi qu’une équipe « d’élèves ambassadeurs ». Au niveau académique, deux « superviseurs » sont des « personnels ressources » pour les établissements.

À l’échelle nationale, deux lignes téléphoniques que vous mentionniez, le 3020 et le 3018, proposent un soutien aux victimes de harcèlement.

Les responsables des établissements scolaires doivent donc être vigilants à détecter tout harcèlement, mais il est également indispensable que les harceleurs prennent conscience de leurs actes et des conséquences judiciaires et financières qu’ils encourent, eux ou leurs parents en cas de minorité.

Cette année, notre collègue Marie Mercier a déposé une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime : c’est une très bonne chose. J’évoquerai plusieurs pistes de réflexion et d’action qui pourraient être mises en place.

D’abord, le programme pHARe doit être renforcé grâce à la formation continue des cinq agents par établissement pour le secondaire ou par circonscription pour le primaire.

Ensuite, les plateformes doivent être obligées de contrôler et de supprimer les contenus délictueux, qu’ils soient d’ordre sexuel ou de harcèlement.

De plus, l’exclusion du harceleur de l’établissement doit être automatique lorsque la situation de harcèlement est avérée.

En outre, il faut développer la médecine scolaire en formant des professionnels à détecter le mal-être d’une victime de harcèlement, même si je sais qu’il est difficile de trouver des médecins pour exercer dans la prévention scolaire.

Enfin, la prévention par l’information est également primordiale : dénoncer un comportement délictueux de harcèlement doit être un devoir pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Gosselin, je partage votre propos relatif aux différentes déclinaisons de la mobilisation que nous menons. Comme je l’ai indiqué, le processus est en cours : rien n’est complètement réalisé, même si nous progressons.

En matière de cyberharcèlement, grâce au 3018, les plateformes sollicitées réagissent rapidement : nous réussissons à bloquer des photographies ou des propos en quelques heures de manière à protéger les élèves concernés. Lors d’une visite auprès des agents de ce centre d’appels, j’ai pu écouter leurs conversations avec des collégiens ou des familles en panique du fait, par exemple, de la circulation de photos… Parmi les personnes qui répondent, il y a des techniciens, des psychologues… Les élèves sont pris en charge. Je salue le travail réalisé en la matière.

Quelque 60 % des écoles et 86 % des collèges sont engagés dans le programme pHARe. Nous n’avons pas atteint les 100 %, mais le taux progresse. Ce programme sera étendu aux lycées à partir de la rentrée prochaine, mais il faut savoir que les situations de harcèlement y sont moins fréquentes. Même si les cas les plus nombreux relèvent du cycle 3 et du collège, il n’y a aucune raison de ne pas se mobiliser aussi pour le lycée.

En résumé, l’éducation nationale se met en marche et se mobilise. Parfois comparée à une grosse bête de l’ère glaciaire, elle montre qu’elle sait bouger sur des questions aussi importantes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.

Mme Béatrice Gosselin. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour toutes ces informations. Il est vrai que l’éducation nationale bouge ; elle doit bouger encore, parce qu’aucun enfant ne doit souffrir de harcèlement.

Sur l’ensemble des réseaux et des médias, nous devons continuer de diffuser des messages pour expliquer ce qu’est cette violence, car certains jeunes enfants – cela est moins vrai en grandissant – ne savent pas que leurs gestes ou leurs paroles peuvent en relever. L’information doit passer. Les parents, les enseignants et les autres adultes concernés doivent se battre pour qu’il n’y ait plus jamais d’enfants harcelés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le rapport d’information sénatorial sur le harcèlement et le cyberharcèlement de 2021 l’avait démontré, ce phénomène violent n’a été appréhendé et reconnu que tardivement en France, alors même que des travaux de chercheurs avaient commencé dès les années 1970.

Pour autant, avec le développement du numérique et l’explosion de l’usage des réseaux sociaux, les formes du harcèlement ont évolué. Alors cantonné à l’enceinte de l’école, le harcèlement scolaire se prolonge désormais sur les plateformes numériques, l’amplifiant dramatiquement, le rendant plus sauvage et potentiellement dangereux.

D’ailleurs, dès 2009, Michel Walrave dans son ouvrage Cyberharcèlement : risque du virtuel, impact dans le réel soulignait le rôle joué par l’anonymisation. Selon lui, le cyberharcèlement, par ses caractéristiques et son objet, peut avoir des effets particulièrement dangereux et durables.

Ainsi, la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a été une première étape. Elle a notamment assigné aux fournisseurs d’accès à internet la lutte contre le harcèlement scolaire comme objectif et a établi une obligation de modération des contenus de même nature sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, il apparaît souhaitable et pertinent d’aller plus loin dans cette régulation par les plateformes, même si ces dernières ne sont pas responsables des faits de harcèlement, mais constituent plutôt des vecteurs par lesquels celui-ci se matérialise.

Sur ce point, le rapport susmentionné comporte une série de préconisations, tout en rappelant la difficulté du cadre juridique national et européen.

Parmi les propositions figurait en particulier l’obligation faite aux réseaux sociaux de présenter de manière explicite, et compréhensible par de jeunes utilisateurs, des extraits des principales conditions d’utilisation, singulièrement celles relatives au cyberharcèlement. Figurait également l’obligation pour les réseaux sociaux de présenter périodiquement à leurs utilisateurs une courte vidéo de sensibilisation sur les bons usages du numérique, sur la prévention du cyberharcèlement et sur les moyens dont disposent les victimes pour réagir.

Sur cette seconde recommandation, un consensus semble émerger à la suite de l’adoption du Digital Service Act au niveau européen, lequel renforce la responsabilité des plateformes. D’ailleurs, ma collègue Sabine Van Heghe a déposé une proposition de loi en ce sens. Celle-ci étofferait utilement notre arsenal législatif et compléterait habilement la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, qui sera prochainement débattue dans notre hémicycle.

Monsieur le ministre, vous qui êtes sensible à la gravité de cette problématique et engagé contre le cyberharcèlement, y seriez-vous favorable ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Robert, je vous remercie de vos propos, qui témoignent de la mobilisation du Sénat tout entier sur cette question. Je partage votre engagement.

À propos du cyberharcèlement, j’ai mentionné le 3018. J’ai également rappelé quelle était la responsabilité des plateformes. Je suis ouvert à toutes les propositions pour avancer sur cette question. Il est évident que l’État a une responsabilité en la matière. Je suis disposé à engager avec vous un travail commun pour progresser et réduire le fléau du cyberharcèlement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Nous aurons beaucoup à faire à l’avenir en matière de lutte contre le cyberharcèlement, singulièrement dans le domaine du numérique. Il y va de notre responsabilité collective d’avancer ensemble sur cette question.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabine Drexler. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la médiatisation récente de plusieurs suicides d’enfants a révélé à ceux qui l’ignoraient encore ce qu’était le harcèlement scolaire et ses effets à court terme.

Ce que l’on sait moins, c’est que la santé, le travail ou la parentalité de ceux qui auront subi, fait subir ou été témoins de ces violences en seront affectés pour toujours.

Anxiété sociale pour les victimes, abus de pouvoir au travail ou en famille pour les agresseurs, sentiment d’impuissance pour les témoins : le harcèlement scolaire explique de nombreux maux à l’âge adulte. Dépressions, violences intrafamiliales, chômage, ses conséquences sanitaires, humaines et financières sont énormes pour la société.

L’éducation nationale a pris conscience de la nécessité d’agir, mais il semble à l’enseignante spécialisée que j’ai été que la mise en place de programmes tels que pHARe ne peut être efficace qu’à la condition que des personnels et des professionnels dédiés soient présents en appui des enseignants et auprès des élèves, pour bien connaître et suivre les situations individuelles.

Sans moyens humains, ces dispositifs resteront des coquilles vides, des méthodologies pour la plupart théoriques, souvent impossibles à mettre en œuvre, faute d’équipes spécialisées pour les accompagner.

Monsieur le ministre, si les écoles en zones prioritaires bénéficient de moyens encore considérables, les postes spécialisés sont supprimés l’un après l’autre dans la ruralité. On ne trouve quasiment plus nulle part de médecine scolaire, de psychologues, d’enseignants spécialisés.

Ceux qui restent sont submergés et peu reconnus pour ce qu’ils font. Ils sont également dans l’impossibilité de remplir leurs missions et de répondre à la masse des demandes d’aide. Il s’agit là d’un mauvais calcul, car ces économies à court terme ont déjà des conséquences humaines et sociales désastreuses. Je le constate chez moi, en pleine campagne, où les enseignants sont livrés à eux-mêmes et où les violences intrafamiliales explosent.

Monsieur le ministre, vaut-il mieux prévenir ou guérir ? Vaut-il mieux créer des postes d’enseignants spécialisés ou des postes d’intervenants sociaux en gendarmerie ?

On nous dit que la France compte suffisamment d’enseignants. Peut-être, mais il ne faut pas négliger la ruralité. Ce sont des territoires que l’on croit préservés ; or ils ne le sont en réalité plus du tout. Chez moi, dans le sud de l’Alsace, il ne reste que trois personnels spécialisés pour 108 communes. Les enseignants, les élus et les familles se sentent abandonnés. Je crains qu’ils n’aient raison… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Drexler, aucun territoire n’est abandonné, je puis vous l’assurer !

J’ai eu l’occasion de l’évoquer devant vos collègues, le Gouvernement a lancé un plan Ruralité avec un engagement pluriannuel à partir de cet automne pour donner de la visibilité en matière de postes sur trois ans dans les écoles. Nous allons donc offrir de la visibilité aux maires pour éviter d’une année sur l’autre des changements brutaux de la carte scolaire.

Par ailleurs, en matière de moyens humains, les territoires ruraux sont relativement favorisés par rapport aux territoires urbains : du fait des questions d’éloignement, la densité dans les écoles est moindre. Le taux d’encadrement y est ainsi meilleur, même si cela ne répond pas entièrement à votre question sur le harcèlement.

Nous avons engagé des moyens, par exemple, en matière de formation. Or celle-ci, au niveau national comme au niveau académique ou départemental, a un coût. Nous sommes déterminés à proroger ces moyens, afin de réduire de manière absolument déterminante les situations de harcèlement.

Encore une fois, les territoires ruraux ne sont pas oubliés. Nous nous sommes engagés sur un chemin et nous nous y tenons.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.

Mme Sabine Drexler. Monsieur le ministre, dans certains secteurs en France, il n’y a même plus de psychologues scolaires pour évaluer les élèves pour lesquels on pressent une situation de handicap. Il n’y a plus d’enseignants spécialisés pour rattraper des enfants qui seraient pourtant rattrapables.

Quel gâchis et quels coûts à venir pour accompagner dans quelques années ces futurs adultes, qui seront dans l’incapacité de s’insérer dans la société. Ces coûts seront autrement plus élevés que les quelques postes économisés aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Toine Bourrat.

Mme Toine Bourrat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire blesse, broie, brise et vole ce que la vie offre de plus précieux : l’enfance, ce terreau fertile où poussent les goûts, l’apprentissage et les prémices de la conscience morale, civique et donc sociale.

Dans ce pays où l’on prétend combattre l’endémie d’un mal par un numéro vert, il est temps de mettre un coup d’arrêt à une spirale que le développement des technologies rend bien souvent infernale.

Pour y parvenir, monsieur le ministre, c’est une culture de la vigilance qu’il nous faut instituer, une culture qui se pense et se déploie au plus près du terrain, c’est-à-dire des victimes potentielles ou avérées. Il s’agit de détecter rapidement, d’agir en local pour laisser les enfants le moins longtemps possible en situation de harcèlement. Les premiers témoins sont les enfants eux-mêmes, ils sont spectateurs ; libérons leur parole. Expliquons que l’idée est non pas de dénoncer un harceleur, mais de signaler un élève harcelé : c’est une assistance à personne en danger.

À cet égard, les applications intracollèges et lycées de type Pronote pourraient être utilisées comme plateformes internes d’alerte permettant aux témoins de signaler un élève en difficulté tout en préservant leur anonymat.

Premier rempart dans l’accompagnement psychosocial, nous devons également redresser une médecine scolaire en grand danger. Oui, j’y insiste, la médecine scolaire est abandonnée. Nous comptons seulement un médecin pour 12 000 élèves. C’est une situation que Dominique Bussereau qualifiait d’indigence devant le Sénat lors de sa dernière audition.

Plus encore, il convient de traiter ce fléau dans son intégralité. Le programme pHARe, dont vous avez annoncé le déploiement au lycée, n’est qu’une réponse partielle à un problème global. Ce qu’il nous faut, comme en Finlande depuis plusieurs générations, c’est un bouleversement culturel, l’avènement d’une société de grands témoins ; non de la suspicion, mais de l’attention portée aux autres où chacun est le maillon d’une chaîne de valeur trop souvent ignorée chez nous : le respect de l’autre, l’interaction sociale et la compréhension des émotions d’autrui.

Plus qu’un programme, la Finlande a développé cette culture de la vigilance que le temps long et surtout les moyens humains, comme financiers, font infuser au quotidien avec des résultats surprenants, marqués par la baisse de plus de 40 % du phénomène.

Enfin, comment peut-on penser lutter contre le harcèlement scolaire en faisant l’économie de son volet cyber ? Nous avons le devoir d’éviter la dissémination des comptes, la multiplication des identités factices et des comptes fantômes, qui prospèrent grâce à l’anonymat et au pseudonymat. Qu’attendons-nous pour corréler l’identité numérique à l’identité réelle des utilisateurs de réseaux sociaux ? Techniquement, c’est déjà possible.

Monsieur le ministre, les militaires, qui savent mieux que personne traiter l’urgence, ont une formule que je fais mienne : être à l’heure, c’est déjà être en retard. Du retard, nous en avons à rattraper. La France le peut, comme la Finlande l’a fait. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, je partage évidemment vos préoccupations sur les questions de cyberharcèlement.

En Finlande, le programme KiVa a certes donné de bons résultats, mais cela a pris dix ans. Le programme que nous avons déployé en France est bien entendu beaucoup plus récent. Nous espérons obtenir des résultats plus rapidement. Les regards internationaux portés sur nos efforts saluent la qualité de notre action.

Le fait est que nous rencontrons pour l’instant un problème de déploiement, puisque nous ne sommes pas à 100 % de nos possibilités, loin de là. Quoi qu’il en soit, nous espérons mettre moins de dix ans pour parvenir à des résultats comparables à ceux de la Finlande. L’expérience internationale est évidemment très utile pour ce qui concerne notre action en direction des écoles, des collèges et des lycées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Toine Bourrat, pour la réplique.

Mme Toine Bourrat. Monsieur le ministre, les résultats du programme finlandais sont bien meilleurs au bout de dix ans que le taux de 40 % que j’ai cité, lequel a été atteint au bout de deux ans, voire de trois ans.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Sans avoir fait aujourd’hui le tour de cette question, et comment aurions-nous pu y parvenir, nous avons néanmoins abordé un certain nombre de sujets importants. Permettez-moi d’en récapituler quelques-uns.

La question de la formation a été évoquée à plusieurs reprises. Nous avons concentré nos efforts sur les équipes au sein des écoles et des collèges. Notre objectif est effectivement de former tous les personnels, comme le prévoit la loi du 2 mars 2022. La formation systématique des professeurs stagiaires a commencé. Nous mobiliserons encore davantage les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation ainsi que les écoles académiques de formation continue.

Nous devons aussi suivre qualitativement et quantitativement les actions menées. J’ai indiqué que nous avions encore des marges de progression, puisque 86 % des collèges et 60 % des écoles sont actuellement inscrits dans le programme. L’objectif est évidemment d’atteindre les 100 % et d’étendre pHARe aux lycées dès la rentrée prochaine.

Comme le recommandent les sénatrices Mélot et Van Heghe dans leur rapport d’information de septembre 2021, nous allons faire figurer à chaque rentrée scolaire les numéros d’urgence, 3018 et 3020, dans les carnets de correspondance et les supports numériques.

Enfin, si le rôle de l’éducation nationale est de prévenir, d’accompagner et de protéger les élèves, certaines situations – il faut le reconnaître – ne peuvent se régler qu’en séparant les élèves harcelés de leur harceleur. Souvent pour mettre fin rapidement aux souffrances causées par le harcèlement, les parents de l’élève harcelé font le choix de le changer d’établissement. Nous comprenons le sentiment d’injustice qui peut naître de cette situation.

Puisqu’il n’est pas possible de déplacer un élève dans une autre école sans l’accord des parents dans le premier degré, contrairement au second degré qui dispose d’un conseil de discipline, nous mettons en place des actions éducatives en fonction de la gravité de la situation, y compris dans le cas extrême d’un élève qui fait peser du fait de son comportement répété une menace grave sur la sécurité des autres élèves.

Nous allons faire évoluer les textes réglementaires pour instaurer une procédure permettant de déplacer dans une autre école un élève auteur de harcèlement, et ce sans l’accord des représentants légaux. C’est l’obligation de mise en sécurité de l’élève qui justifie cette exception.

Bien entendu, nous avons affaire à des élèves de six à dix ans. Nous devons donc être prudents, car nombre de cas de harcèlement ne sont pas aussi simples qu’il y paraît. Pour autant, le déplacement de l’élève harceleur est essentiel, même si toute procédure d’exclusion doit être entourée des garanties indispensables aux droits de l’enfant, qu’il soit l’élève harcelé ou l’élève harceleur.

Je terminerai mon propos en ayant une pensée émue pour tous les élèves victimes de harcèlement scolaire. Notre débat leur rend hommage. Je sais que nous sommes tous ici pleinement engagés pour trouver des solutions afin de prévenir ce phénomène. Les drames qui se sont produits encore récemment viennent nous rappeler douloureusement qu’il nous reste encore beaucoup à faire.

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos propos conclusifs. Je salue d’ailleurs toutes les précisions que vous avez apportées et les annonces que vous avez faites au cours du débat. Elles ont été de nature à nourrir nos échanges.

Le groupe Les Républicains a eu raison de demander l’inscription de ce débat à l’ordre du jour du Sénat. Il a entraîné un consensus bien compréhensible, ce qui ne sera peut-être pas tout à fait le cas pour la proposition de loi que nous allons examiner dans quelques instants.

M. Julien Bargeton. C’est clair !

M. Max Brisson. Je remercie Alexandra Borchio Fontimp d’avoir posé avec force les termes du débat et d’avoir largement repris, comme beaucoup d’entre vous, les travaux de la Haute Assemblée, notamment ceux de la mission d’information de nos collègues Sabine Van Heghe et Colette Mélot.

Plusieurs drames sont, hélas ! venus rappeler récemment l’urgence qu’il y avait à intensifier la lutte contre ce fléau. Beaucoup ont parlé de Lucas, qui s’est suicidé après avoir été harcelé dans son collège et sur les réseaux sociaux en raison de son homosexualité. Je voudrais rappeler, pour ma part, ce lycéen qui, après avoir subi un harcèlement dans son ancien collège, a assassiné récemment son enseignante dans son nouveau lycée. S’il est hasardeux de faire la moindre corrélation entre les deux événements, le drame de Saint-Jean-de-Luz est dans toutes les têtes.

Beaucoup ont rappelé qu’au-delà de ces cas extrêmes qui émaillent l’actualité, il existe aussi une réalité ordinaire, quotidienne, vécue par de nombreux enfants. Beaucoup ont justement souligné que les effets du cyberharcèlement, dont les cas se multiplient depuis le confinement, se prolongent dans la sphère privée, y compris le week-end.

Pour autant, comme le soulignaient déjà les travaux de la mission sénatoriale, nous manquons d’enquêtes statistiques précises, récentes et régulières. Par ailleurs, il faudra aussi rapidement évaluer les effets du programme pHARe et du dispositif pénal issu de la loi du 2 mars 2022. Il s’agit d’un préalable essentiel pour un plan d’action plus efficace.

En 2021, notre mission pointait la détection comme un axe majeur. Pour progresser, nous avons fortement mis l’accent sur le besoin de formation des personnels. Le premier niveau de lutte contre le harcèlement passe, en effet, par la compréhension du phénomène et par la communication.

Le principe d’une formation initiale et continue de l’ensemble des acteurs concernés a été inscrit dans la loi du 2 mars 2022, mais semble loin d’être appliqué dans les faits, comme vous venez de le souligner. Deux tiers des enseignants dénoncent encore un manque de formation, ainsi qu’une absence de prise en considération par leur hiérarchie. Vous avez réagi voilà quelques instants sur l’expression « pas de vagues ». Admettez cependant que c’est un sujet qui dérange toujours ; parfois – et malheureusement ! – l’inertie prévaut encore.

Beaucoup ont dit de manière plus ou moins conciliante qu’il était nécessaire d’identifier plus rapidement les cas de harcèlement. Nous butons ici sur le manque criant de médecins scolaires, d’infirmières, de psychologues, pourtant les mieux à même de repérer la détresse de l’enfant et de recueillir sa parole. Nous attendons donc le plan que vous avez annoncé et sa mise en œuvre. Nous aurons des propositions à vous faire sur le sujet.

Après le repérage d’un cas de harcèlement, le traitement de la situation est essentiel. Les retours des associations et des familles montrent que des progrès peuvent encore être réalisés. Les victimes et leurs parents ne se sentent pas suffisamment écoutés et soutenus. Nous manquons de moyens humains et financiers pour généraliser le programme pHARe, qui repose sur des dispositifs qui ne sont pas encore assez explicites pour assurer une vraie prise en charge dans l’établissement scolaire et une meilleure orientation vers les intervenants extérieurs.

Nous avons aussi beaucoup parlé de la proposition de loi de notre collègue Marie Mercier que nous soutenons fortement, comme l’a rappelé Alexandra Borchio Fontimp.

Vous venez de faire des annonces, monsieur le ministre ; elles sont les bienvenues. Nous attendons des mesures précises. L’essentiel est de régler la question.

En conclusion, monsieur le ministre, nous attendons que les recommandations du Sénat et que la proposition de loi de notre collègue Marie Mercier soit réellement prises en compte dans le programme pHARe et qu’elles deviennent effectives sur le terrain. Nous serons donc particulièrement attentifs dans les prochains mois à la mise en œuvre de toutes les annonces que vous avez faites ce matin et que vous avez réitérées cet après-midi. La mobilisation ne doit pas fléchir. Le Sénat vous accompagnera. La sérénité de tous nos élèves à l’école est en jeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Bernard Fialaire et Jean-Noël Guérini applaudissent également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ? »


Source http://www.senat.fr, le 24 avril 2023