Texte intégral
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport d’information no 864 du 15 février 2023 sur le bilan de la loi de programmation militaire 2019-2025.
La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre des armées.
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
Je remercie le groupe MODEM d’avoir demandé l’inscription de cette séance de contrôle à l’ordre du jour. Elle nous permet de mener un débat sur la réalisation de la LPM actuelle et de nous projeter sur la prochaine LPM, dont l’examen a déjà commencé à l’Assemblée nationale puisque quatre auditions ont déjà eu lieu, deux devant la commission de la défense nationale et des forces armées, une devant celle des affaires étrangères et une autre devant la commission des finances. La conférence des présidents a décidé ce matin que la discussion en séance publique du projet de loi de programmation militaire 2024-2030 s’étendrait sur deux semaines. Ce sera l’occasion de discuter de l’avenir de notre défense nationale et d’ouvrir de nouveaux horizons.
Avant de répondre aux points soulevés par les différents orateurs, je voudrais remercier les députés présents dans l’hémicycle d’être venus.
L’armée française est une armée d’emploi. Le premier bilan à établir est donc celui des opérations qui lui ont été confiées, et sur certaines desquelles le député Roussel est revenu. Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur leur réussite politique et diplomatique, l’armée française n’a en aucun cas failli dans l’accomplissement de ces missions.
Je vous remercie de vous être inclinés devant la mémoire des cinquante-neuf militaires morts au Sahel au cours des opérations Serval et Barkhane, du lieutenant Damien Boiteux en 2013 au brigadier Alexandre Martin en 2022, mais également au cours des opérations Chammal au Levant, Atalante dans la corne de l’Afrique, Agénor à Ormuz, celle de la Finul, la Force intérimaire des Nations unies au Liban – le dernier engagement majeur de la France sous mandat des Nations unies, dont on parle trop peu –, ainsi que celles menées sur le territoire national : Sentinelle et Harpie, en Guyane, sans oublier les nombreuses patrouilles, liées à la sécurité aérienne ou à la dissuasion nucléaire. Je voudrais faire taire celles et ceux qui tentent de remettre en cause l’efficacité de nos armées, notamment au Sahel. Nous pourrons y revenir.
Vous avez tous évoqué le renversement de la tendance, notamment en matière de ressources. La préparation et la construction de l’exécution de la LPM à l’euro près ont été faites en euros courants, ce qui a permis de traiter les fluctuations de l’inflation durant la période.
L’inflation a d’abord été négative, ce qui a permis à l’exécutif d’insérer des programmes qui n’étaient pas prévus dans la loi de programmation. Personne ne l’a souligné, ce qui m’a un peu étonné puisque vous auriez pu nous en faire le reproche. Je pense au Fort neuf de Vincennes ou à la prise en compte de cibles nouvelles grâce à des critères macroéconomiques favorables. Il faut le reconnaître, même si chacun a tendance à voir la grenouille gonflée ou dégonflée en fonction de ce qui l’arrange.
M. Lionel Royer-Perreaut
Eh oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre
La fin de la période d’exécution de la LPM est caractérisée par des critères d’inflation plus difficiles, mais nous disposons d’outils pour gérer ce renversement de tendance que vous, parlementaires, avez souhaité mettre en place : prévisions de l’article 5 concernant les carburants opérationnels ; maîtrise des reports de charge, grâce à laquelle il est possible de gérer, en partie, l’inflation ; provisions sur les Opex (opérations extérieures).
Depuis 1960, date de la première loi de programmation militaire, il existe deux manières de faire des lois de programmation militaire. Vous ne serez pas surpris : je ne suis pas d’accord avec l’analyse du député Lachaud, mais nous aurons l’occasion durant deux semaines.
La première manière consiste à faire primer le physique sur la courbe budgétaire alors que, par la seconde, c’est la courbe budgétaire qui permet de réaliser le physique. En 2018, Florence Parly a présenté des objectifs concrets et mis en œuvre une stratégie budgétaire qui a permis de coller à ces objectifs. La réalisation budgétaire le démontre ; je ferai de même pour la prochaine LPM. Il s’agit d’une rupture avec les LPM précédentes, lorsque la courbe budgétaire – parfois en baisse et avec des montages assez curieux – a entraîné des diminutions importantes, notamment dans les programmes à effets majeurs.
Les choix militaires sont nécessairement des choix de long terme – le député Jacobelli l’a souligné –, ce qui est très compliqué dans le moment que vit notre démocratie. La loi de programmation militaire nous donne une visibilité à cinq ans, mais, par inertie, certains choix ont des conséquences sur dix, quinze ou même vingt ans. La présidente Chatelain a évoqué la question de la dissuasion nucléaire. On ne peut en effet pas parler de programmation militaire sans parler de dissuasion nucléaire. J’en profite pour saluer la constance de la position que les députés communistes ont observée depuis la première LPM. Les euros dépensés aujourd’hui permettront d’assurer la dissuasion dans quinze ou vingt ans ; nous vivons donc sous l’empire des crédits votés il y a deux décennies. Cela explique ces décalages qui ne sont pas toujours évidents à comprendre. Nous reviendrons sur cette question du rapport au temps.
Vous avez tous souligné que cette LPM avait été exécutée à l’euro près. Ce n’est pas vrai, puisqu’elle a été surexécutée. Le collectif budgétaire que vous avez voté l’année dernière a en effet prévu 1 milliard de crédits supplémentaires pour financer l’aide à l’Ukraine et pour contrer les effets de l’inflation. En outre, les Retex (retours d’expérience) sur l’Ukraine ont fait apparaître des besoins nouveaux, comme la nécessité de réassortir les stocks de munition sans attendre la prochaine loi de programmation.
Je me permettrai de vous demander, au titre de l’année 2023, une ouverture de crédits supplémentaires à hauteur de 1,5 milliard, afin de préparer certaines missions opérationnelles, dont la lutte antidrone dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques, pour lesquelles nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre la prochaine loi de programmation, sous peine de prendre du retard dans les commandes.
En toute rigueur, la LPM aura été surexécutée à hauteur de 2,5 milliards. Je vous demanderai donc de regarder désormais les marches, non plus comme des plafonds, mais comme des planchers. Cela permet de construire le budget de façon différente. Nous y reviendrons lors de la discussion parlementaire, car je sais que vous aurez des questions à ce sujet.
La LPM 2019-2025 a été présentée comme une LPM de réparation. Florence Parly a beaucoup insisté sur cette logique, qui supposait que le modèle de notre armée avait été abîmé. Je n’y reviendrai pas mais j’évoquerai rapidement, dans le peu de temps de parole qui me reste, quelques-uns des enjeux.
Celui des infrastructures est énorme puisque 12 milliards lui ont été consacrés sur la période précédente. Nous poursuivrons cet effort en y dédiant 16 milliards sur la période à venir. L’inertie est très forte, comme dans les collectivités territoriales : entre le moment où les crédits sont votés et celui où les grues commencent à être installées sur une base aérienne ou dans une caserne de régiment, beaucoup de temps peut se passer. Ce que vous avez voté en 2018 ne commence à se voir que maintenant dans les unités. Cette inertie touche tous les grands programmes d’infrastructure, qu’ils soient civilo-militaires, quand ils concernent les logements par exemple, ou strictement militaires.
Les capacités militaires ne se réduisent pas aux gros objets. Je veux souligner l’importance de l’effort consenti pour les équipements individuels – dont vous avez peu parlé –, question d’ailleurs liée à celle de la fidélisation. Les tenues, les équipements de protection comme les gilets pare-balles ou les armements individuels sont des attentes fortes de nos soldats. Les objectifs concernant les équipements collectifs – « Scorpionnisation » du parc de blindés de l’armée de terre, nouvelle génération de sous-marins nucléaires – ont été grandement remplis.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué les ressources humaines et le volet social. Le plan « famille » constitue une bonne base. Il faut construire celui qui lui succédera, en lien avec les collectivités territoriales, en y consacrant plus d’argent et de façon mieux ciblée, car la réalité en Île-de-France n’est pas la même qu’à Toulon ou à Pau. Il nous faudra faire du sur-mesure. Je vous ferai des propositions en ce sens dans le cadre de la LPM 2024-2030.
Mesdames et messieurs les députés – et je m’adresse plus particulièrement à vous qui siégez à gauche –, je vous demande de ne pas balayer d’un revers de la main les choix concernant les indemnités. La NPRM prévoit que la prime du combattant sera versée en octobre prochain. L’argent public a un prix pour le contribuable ; on ne peut pas dire que l’indemnitaire compte pour du beurre et que seul l’indiciaire compte. Les demandes concernant l’indemnitaire existent depuis des années. Il ne faut pas l’oublier, même si, comme le rappelait le député Kervran, le gâteau n’a peut-être plus de goût.
Ces mesures indemnitaires ne ferment pas le chantier indiciaire. Ce chantier, pour lequel je vous ferai des propositions, prendra du temps pour être mené à bien car il demande une réflexion sur les transformations de la composition des ressources humaines, notamment dans l’armée de terre qui, de plus en plus, devient une armée de sous-officiers.
Je dépasserai un peu mon temps de parole pour évoquer le point noir de l’exécution de la LPM : les cibles d’ETP (équivalent temps plein). Les armées n’ont pas de mal à embaucher mais il leur est difficile de fidéliser. Le problème est vieux comme le modèle d’armée, le taux de rotation ayant toujours été très important, ce qu’il faudrait documenter. Ce qui est nouveau, c’est que le problème de fidélisation touche des fonctions stratégiques, comme celles du cyber. La fidélisation y est encore plus nécessaire car, compte tenu de l’effort important de formation qu’elles supposent, il faut conserver les compétences au sein de l’armée.
D’autres points auraient mérité d’être développés, mais le temps me manque. Je mentionnerai rapidement l’équilibre entre la masse et la cohérence, qui dépend de la disponibilité des matériels et de leur maintien en condition opérationnelle (MCO). Nous avons vu par le passé trop de tableaux capacitaires ambitieux et sympathiques, dont la réalisation se heurtait au manque de pièces détachées, de formation ou d’infrastructures d’accueil. Nous devons renverser cette tendance pour tenir compte des matériels réellement disponibles pour les missions confiées aux armées plutôt que de désigner des cibles théoriques.
La LPM 2019-2025 a permis de réaliser, notamment grâce à la création de l’Agence de l’innovation de défense (AID) des sauts technologiques et des innovations, notamment dans le domaine spatial. Je rappelle, madame la présidente Chatelain, que cette LPM a été la première à porter des ambitions en matière de transition écologique et énergétique. Ont-elles été suffisantes ? Nous pourrons en débattre. Cette période a également vu, pour la première fois, des femmes monter à bord de sous-marins nucléaires d’attaque et a connu le plus grand nombre de femmes nommées dans le corps des officiers généraux. J’ai d’ailleurs eu l’honneur de proposer au Conseil des ministres la nomination de la première générale d’armée cinq étoiles dans l’histoire de notre république. La féminisation avance donc.
En guise d’ouverture à la suite de nos débats, je voudrais souligner que, avant de parler de questions organiques, de marges frictionnelles, de reports de charges, de ressources extrabudgétaires ou du nombre de blindés Scorpion, il faut être au clair sur la nature de nos alliances, multilatérales comme bilatérales, sur la place de la dissuasion nucléaire comme voûte de notre défense globale – je reconnais que la position du groupe communiste sur cette question a le mérite de la cohérence et de la constance – et sur les missions que l’on souhaite confier à l’armée française. Ce sont elles qui doivent définir le format d’armée plutôt que le souci de popularité auprès de tel ou tel industriel.
Je vous remercie pour ce débat qui constitue une bonne base pour poursuivre le travail sur notre défense nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR, Dem et HOR.)
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Christophe Blanchet.
M. Christophe Blanchet (Dem)
Je souhaite évoquer le sujet des réserves, dans la LPM en cours et dans la prochaine. L’année dernière, le Président de la République a émis le souhait de doubler le nombre de réservistes, un vœu que vous avez repris à votre compte. L’objectif d’une réserve opérationnelle rénovée a été transcrit dans le projet de LPM que nous examinerons à partir de la semaine prochaine.
Dans le rapport d’information que M. Jean-François Parigi et moi-même avions rédigé sur les réserves sous la précédente législature, nous évoquions plusieurs pistes, qui trouvent leur traduction dans le projet de loi de programmation militaire. Celui-ci prévoit qu’en 2030, les réserves seront organisées en quatre types : une réserve de combat, une réserve de compétences, une réserve de protection et résilience du territoire national et une réserve investie d’une mission de rayonnement. Pourriez-vous préciser ces évolutions, notamment pour les territoires dépourvus de casernes – question que j’ai déjà évoquée tout à l’heure, lors des questions au Gouvernement ? Comment, dans de tels territoires, créer des liens avec les centres du service national universel (SNU) et les réserves ? Il faut que les investissements massifs prévus soient cohérents, pour être pluriopérationnels dans les territoires.
Par ailleurs, vous avez évoqué le groupe de travail sur les réserves que vous avez créé l’hiver dernier. J’ai participé à toutes ses réunions et ai constaté que le mot « reconnaissance » ne cessait de revenir dans le discours de celles et ceux qui sont rattachés à l’une des quarante-huit réserves de notre pays – notamment les réservistes militaires –, la plupart d’entre eux témoignant d’un sentiment d’invisibilité.
Certes, des journées nationales des réservistes sont déjà organisées, mais elles s’étalent sur un mois. Ne faudrait-il pas les repenser ? Au Canada, elles ont lieu le même jour, et à cette occasion, n’importe quel réserviste peut porter son uniforme dans son entreprise – le boucher du coin peut ainsi faire savoir qu’il est gendarme le week-end, par exemple. Cela donne un tout autre rayonnement à un tel engagement citoyen ; c’est aussi cela la résilience. Dans six jours, nous célébrerons le 8 mai ; cette journée ne pourrait-elle devenir synonyme de l’engagement national dans les réserves, alors que les Français associent davantage cette date à un jour férié qu’à une journée patriotique ?
Mme la présidente
Je rappelle que le temps imparti tant pour les questions des députés que pour les réponses du ministre est de deux minutes.
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Rien ne serait pire que de tenir les réservistes pour une force d’appoint, comme cela a été trop longtemps le cas. Quand demain, nous dirons que l’armée française compte 300 000 hommes, 200 000 d’active et 100 000 réservistes, nous aurons gagné notre pari, tant sur le plan opérationnel que sur celui de la reconnaissance.
Par ailleurs, les mesures du projet de loi de programmation militaire, auxquelles vous avez contribué dans le cadre du groupe de travail – je vous en remercie – et sur lesquelles vous reviendrez, j’imagine, en défendant vos amendements, doivent permettre de débloquer certaines situations. Le meilleur moyen d’atteindre notre cible est de permettre à celles et ceux que la limite d’âge contraignait à quitter la réserve d’y rester ; de permettre à celles et ceux qui mènent un dialogue de qualité avec leur employeur de bénéficier de facilités nouvelles ; aux autres, dont les relations avec leur employeur sont moins faciles, de s’appuyer sur une mesure légale.
Même si je n’aime pas l’expression " désert militaire " – l’armée est présente pour la nation sur l’ensemble du territoire national –, vous avez raison de dire que les délégations militaires départementales (DMD) qui ne peuvent s’appuyer sur une base navale, une base aérienne ou un régiment sont clairement confrontées à un problème logistique. Nous les avons recensées ; il nous faudra un peu plus de temps pour les renforcer, après avoir étudié la manière dont les unités déployées dans les départements voisins, notamment au sein des bases de défense, peuvent y contribuer.
Enfin, même si je suis juge et partie en la matière, suivons l’exemple de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, que je connais bien, en répertoriant les missions les plus intéressantes. Le pire, pour un militaire de réserve, est de signer un engagement à servir dans la réserve (ESR) sans jamais être convoqué. Nous devrons donc orienter les recrues selon les besoins – davantage de marins ici, plus de gendarmes là – ; ce travail devra être mené avec précision.
Mme la présidente
La parole est à M. Alain David.
M. Alain David (SOC)
Notre collègue Isabelle Santiago l’a indiqué, les objectifs de réparation assignés à la LPM 2019-2025 ont été, dans l’ensemble, remplis. La France a conservé son rang de puissance d’équilibre et son modèle d’armée complète. Le respect de la trajectoire budgétaire a permis aux états-majors de planifier et à nous, parlementaires, de mieux contrôler. Bien sûr, tout n’a pas été parfait et le rapport pointe quelques lacunes et quelques retards. Nonobstant, il reste possible d’atteindre l’objectif capacitaire fixé pour 2030, particulièrement dans le contexte géopolitique que nous connaissons. Le retour de la guerre à haute intensité sur le théâtre européen est évidemment une donnée nouvelle qu’il convient d’apprécier à sa juste importance.
Cela a été rappelé par nos collègues spécialistes de la base industrielle et technologique de défense française, l’investissement de défense est économiquement rentable à long terme, grâce aux emplois localisés, aux technologies souveraines et aux innovations de propriété intellectuelle française. On le sait, notre pays est devenu le troisième exportateur d’armement pour la période allant de 2017 à 2021, selon le rapport de référence de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). La France est, avec les États-Unis – de très loin numéro 1 mondial, avec 39% du marché mondial –, le pays dont les ventes militaires à l’international ont le plus progressé. La part de marché tricolore est passée de 6 à 11% pendant la période. Derrière les États-Unis, la Russie occupe la deuxième position, avec 19% du marché mondial, mais les ventes de ce pays ne cessent de reculer – son isolement depuis l’invasion de l’Ukraine et les sanctions occidentales risquent de pénaliser davantage son industrie de l’armement. La Chine, avec 4,6 %, et l’Allemagne, avec 4,5%, sont dans un mouchoir de poche. Ma question est simple, dans quelle mesure la LPM 2019-2025 a-t-elle accompagné la montée en puissance des exportations d’armes françaises ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je vous remercie pour votre question. Par définition, l’augmentation des crédits a accru la visibilité de notre base industrielle et technologique de défense. Nous ne l’avons pas suffisamment répété, mais pendant les nombreuses années où le volume de la commande publique militaire a diminué, celle-ci s’est recroquevillée. La députée Santiago l’a rappelé, en donnant de la visibilité à nos industriels, nous avons accru leurs capacités de production et d’innovation.
La situation en Ukraine joue un rôle déterminant dans la transformation de l’industrie mondiale. Nous assistons à un réarmement important – qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, c’est un fait. En outre, les stocks de semi-conducteurs et de poudre, notamment, prennent une valeur stratégique majeure ; nous devrons réfléchir à notre souveraineté en la matière, au-delà même de la dissuasion nucléaire. Ce débat nécessaire prendra plusieurs années.
Enfin, un défi majeur est celui de la réactivité, dans le cadre de ce que nous appelons l’économie de guerre. Nous le voyons bien, des pays comme la Pologne ne veulent plus acheter d’armes aux États-Unis, car les délais de fourniture y sont trop longs, et préfèrent s’approvisionner en Corée du Sud. Cela doit constituer une alerte pour notre base industrielle et technologique de défense.
Madame Santiago, vous vous inquiétez de l’effet pour les industriels du report de nos objectifs en matière d’équipement. Nous y reviendrons lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire, mais je tiens à vous rassurer dès maintenant. Et pour cause, tout le volet d’aide à l’Ukraine n’est pas pris en compte dans le cadre de la LPM. L’activité des industriels est donc aussi soutenue que prévue – hélas, si j’ose dire.
En tout cas, nous ne pourrons pas débattre de la prochaine LPM sans appliquer une logique d’économie de guerre afin de mobiliser encore davantage l’ensemble des tissus industriels.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Charles Larsonneur.
M. Jean-Charles Larsonneur (HOR)
Je souhaite vous interroger sur la continuité de nos capacités souveraines et sur nos coopérations européennes dans le domaine spatial, en particulier le renseignement d’origine optique, radar ainsi que les télécommunications spatiales. Nos capacités spatiales militaires sont une priorité absolue et de long terme depuis le Livre blanc sur la défense de 1994 et l’un des principaux centres de gravité de nos opérations militaires. Nos concurrents n’ont de cesse de développer des moyens de les contrer.
S’agissant de la filière optique, pourriez-vous dresser le bilan du programme CSO – composante spatiale optique – ? Nous permet-il de nous projeter sereinement jusqu’à l’horizon de 2035 ? Comment s’articule-t-il avec le programme européen Iris2 – infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite ?
S’agissant de la filière radar, Florence Parly avait annoncé, en ouverture du salon du Bourget en 2019, le lancement de deux études dont l’une sur le successeur de la constellation Ceres – capacité de renseignement électromagnétique spatiale. Pourriez-vous nous dire comment le programme Celeste – capacité électromagnétique spatiale – renforcera nos nouvelles capacités souveraines dans le renseignement spatial radar ?
Enfin, concernant les télécommunications spatiales, quel est le bilan du programme Syracuse IV – système de radiocommunication utilisant un satellite ? Les travaux effectués au cours de LPM 2019-2025 et ceux prévus par le projet de loi de programmation militaire permettront-ils d’éviter des ruptures de capacité temporaires et d’assurer un chaînage pertinent avec le programme européen Iris2 ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je vous remercie pour ce défi – il est quasiment impossible à répondre en deux minutes à ces questions sur le secteur spatial. La loi de programmation en vigueur a posé des jalons, en créant le commandement de l’espace et en transformant l’armée de l’air et de l’espace. Vous avez raison d’évoquer tour à tour la souveraineté nationale et l’Europe : nous devons être indépendants pour certains programmes, mais nous appuyer sur la Commission européenne et nos partenaires européens pour d’autres. Par exemple, les satellites de la constellation Iris2, promue par Thierry Breton, grâce à leurs orbites différentes, peuvent compléter les nôtres, beaucoup plus gros et qui satisfont des besoins souverains. Nous y reviendrons lors du débat sur le projet de LPM.
Dans le domaine spatial européen, il faut également évoquer la question importante des lanceurs. Nous connaissons les difficultés de Vega – le vecteur européen de génération avancée. Les lanceurs Soyouz ont été retirés de Kourou pour les raisons que l’on sait. En parallèle, nous préparons le lancement d’Ariane 6.
Puisque nous débattons de l’exécution de la loi de programmation en vigueur, mentionnons aussi la livraison et le lancement, cette année, de satellites Syracuse 4, qui montrent que nous avançons. Nous devrons en outre ouvrir de nouveaux programmes, pour succéder aux satellites d’observation CSO, que vous avez évoqués, et assurer le maintien de nos capacités en matière de télécommunications. Nous travaillons enfin sur de nouveaux segments – je pense au patrouilleur guetteur spatial Yoda – yeux en orbite pour un démonstrateur agile –, sur lesquels il sera intéressant de débattre.
La LPM 2019-2025 a posé les jalons, la prochaine nous permettra de construire, en planifiant à dix, quinze ou vingt ans, car l’aventure spatiale militaire prendra forcément du temps.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES)
Ce débat sur la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 nous permet de nous interroger sur la dissuasion militaire française, le positionnement de la France dans l’Indo-Pacifique et en Amérique et l’échec du réinvestissement dans les petits équipements militaires.
Vous le savez, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine sont opposés au modèle d’armée actuel qui ne tient que grâce à la clé de voûte nucléaire – M. Fabien Roussel vient de le rappeler à la tribune. Ce modèle coûte cher et son utilité est remise en cause à l’heure où la Russie s’est servie de son arme nucléaire, non pas en l’activant, mais pour empêcher une réaction militaire des alliés de l’Ukraine face à la sale guerre qu’elle mène dans ce pays. Nous avions critiqué très fortement la forte augmentation du budget du nucléaire militaire, qui aura coûté aux Français 14,6 millions d’euros par jour depuis le vote de cette loi.
D’autre part, le bilan de la LPM est en demi-teinte s’agissant de la protection de nos zones économiques exclusives (ZEE). Malgré une stratégie présentée en 2019, l’engagement militaire est très en deçà des besoins.
Enfin, comme l’a rappelé André Chassaigne dans le rapport d’information, rédigé avec Jean-Pierre Cubertafon, sur la politique d’approvisionnement du ministère des armées en " petits " équipements, ces derniers continuent de faire l’objet d’un sous-investissement chronique alors qu’ils ont un impact très important sur le moral des soldats et leur efficacité au combat. La guerre en Ukraine, telle qu’elle est menée, montre que la LPM, qui se voulait " à hauteur d’homme ", a totalement manqué sa cible.
Première question : pourquoi avoir investi dans le nucléaire militaire en violation du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ? Deuxième question : pourquoi n’avoir toujours pas amélioré la protection des zones économiques exclusives dans l’Indo-Pacifique et dans les Caraïbes ? Troisième question : pourquoi, dans le cadre du financement du plan France relance, avoir annulé 202 millions d’euros du programme Équipement des forces alors qu’il était prioritaire dans cette LPM ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je vous trouve sévère ! Vous prétendez que notre modèle ne tient que grâce à la clé de voûte nucléaire. L’opération Sagittaire, menée il y a seulement dix jours et qui a permis à la France d’être le premier pays à évacuer de Khartoum ses ressortissants, et d’autres Européens, a démontré que nous disposions d’une armée expéditionnaire réactive et endurante, au-delà même de la lutte contre le terrorisme et des missions de réassurance sur le flanc est de l’Otan. Ce malheureux cas pratique – je m’excuse de cette expression, sans doute mal choisie – montre bien que l’action de l’armée française ne peut être résumée aux seules missions de dissuasion nucléaire.
M. Jean-Paul Lecoq
Vous avez bien compris mon message.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Oui, mais j’aimerais aussi que vous compreniez le mien. Par ailleurs, vous jugez durement la manière dont nous protégeons les zones économiques exclusives en outre-mer. Un travail remarquable a été fourni en la matière par la marine nationale et l’armée de l’air ; la situation n’est plus la même grâce à la loi de programmation militaire en vigueur.
Jeune secrétaire d’État à l’écologie ou ministre des outre-mer, j’ai eu à traiter les questions de pêche illégale en ZEE calédonienne ou polynésienne. Si vous le souhaitez, je pourrai vous fournir des informations plus détaillées mais l’imagerie spatiale permet désormais de défendre et de protéger nos ZEE, au prix d’un effort important de la marine nationale et de l’armée de l’air. Nous tenterons de rendre cet effort plus soutenable dans les années qui viennent, grâce aux drones, à l’imagerie spatiale et aux nouvelles technologies. C’est un enjeu important.
Je suis un fervent militant de la dissuasion nucléaire, mais je vous remercie de ne pas avancer masqué – c’est ce que j’apprécie au sein du groupe communiste ! Depuis toujours, votre opinion est connue et vous avez le mérite de la cohérence. Pendant les débats sur le projet de loi de programmation militaire, je m’efforcerai, comme Pierre Messmer en 1960 avec vos prédécesseurs, députés communistes – qui suivaient alors peut-être les instructions de Moscou (Sourires) quand vous vous exprimez librement –…
M. Jean-Paul Lecoq
Merci de le préciser ! (Sourires.)
M. Sébastien Lecornu, ministre
…de vous démontrer à quel point notre dissuasion nucléaire est défensive, suffisante et proportionnée et pourquoi il faut la protéger et investir pour elle.
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Naegelen.
M. Christophe Naegelen (LIOT)
Je souhaite appeler votre attention sur la fidélisation des soldats : si la LPM prévoit une augmentation des effectifs de l’armée, l’objectif n’a pas été totalement atteint, avec un retard fin 2022 de plus de 1920 équivalents temps plein (ETP) par rapport à la cible.
Deux raisons principales expliquent ce déficit de fidélisation : les salaires, insuffisamment attractifs par rapport au secteur civil et les sujétions militaires, telles que la mobilité géographique. Cela se traduit par un manque d’intérêt des militaires pour les postes de sous-officiers. En outre, le déficit de fidélisation entraîne une baisse du taux d’encadrement des plus jeunes, alors que les besoins en encadrement, du fait de l’augmentation des recrutements, sont importants.
Pour y remédier, nos collègues proposent plusieurs solutions dans leur rapport, notamment l’augmentation de la part indiciaire de la rémunération des militaires. Bien que la refonte du volet indemnitaire dans le cadre de la NPRM soit une avancée, une revalorisation significative de cette part est nécessaire pour lutter contre le sentiment de décrochage des militaires.
Enfin, il est important de porter une attention particulière aux conditions de vie des militaires et de leurs familles pour assurer leur fidélisation. Le plan " famille " actuel a été bien accueilli, et l’annonce d’un plan " famille 2 ", doté de 750 millions d’euros dans le cadre de la prochaine LPM, est une bonne nouvelle.
Quelle est votre hiérarchisation des priorités en la matière ? Quelles solutions proposez-vous pour accroître l’attractivité des métiers et fidéliser nos soldats ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Il faut utiliser tous les outils, qui sont de nature différente. Mais il faut aussi s’accorder sur les cibles pour lesquelles il est urgent d’agir. Vous venez d’esquisser des pistes. Le plan " famille " est fondamental – avant même le sujet indiciaire : notre ministère est celui qui connaît le plus de mutations, une des principales causes d’éviction et de départ des armées.
Deuxième sujet : les conditions de vie au sein des infrastructures militaires. Quand je rends visite à nos forces, l’état des logements et les conditions de casernement sont un sujet récurrent. En 2023, se laver à l’eau froide en Opex, pourquoi pas – et encore – mais, en casernement, ce n’est pas acceptable. Nous y remédions, même si cela prend du temps. Il est clair que nous payons aujourd’hui très directement la déflation des crédits affectés à nos infrastructures militaires…
Troisième sujet : la NPRM, qu’il s’agit de ne pas digérer trop vite… 500 millions d’euros seront débloqués pour la première année. La prime de combat, qui sera versée au mois d’octobre, aura des conséquences très concrètes sur la solde des soldats.
Quatrième sujet : le chantier indiciaire, dont vous dites fort justement qu’il est lié à la question des sous-officiers. Il faut des sous-officiers car il faut encadrer, certes, mais aussi parce que des pivots de compétences vont se développer, notamment au sein de l’armée de terre, et que les sous-officiers occuperont une place différente. Mais pourquoi passer un grade s’il n’y a pas d’intérêt financier ? Je mènerai ce chantier avec le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM). Cela prendra un peu de temps.
La direction générale de l’armement (DGA) et le service de santé des armées (SSA) sont aussi concernés par la fidélisation, mais les données ne sont pas les mêmes et je manque de temps pour les évoquer.
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Genetet.
Mme Anne Genetet (RE)
La LPM 2019-2025 est une " révolution copernicienne " – permettez-moi d’emprunter cette expression au rapport qui nous réunit aujourd’hui –, historique par sa double ambition : réparer, à l’horizon 2030, nos armées abîmées par des décennies de sous-investissements – auxquels certains collègues, ici, ont largement contribué – ; préparer nos armées de demain, en tenant compte de l’évolution du contexte stratégique et des nouveaux champs de conflictualité.
Cette double ambition s’est traduite par une augmentation du budget de la mission Défense et de sa part dans les crédits du budget général, et par une exécution budgétaire unanimement saluée. C’est donc un gage de confiance et de crédibilité pour la programmation à venir.
La LPM est un exercice difficile. Elle doit assortir à la prévisibilité des ressources une certaine flexibilité dans l’exécution des dépenses, les ajustements étant liés à l’évolution du contexte stratégique et, pour les années à venir, à l’inflation. L’effort dans des domaines tels que l’espace, le renseignement, le cyber, la santé ou la préparation opérationnelle ont ainsi été amplifiés en cours de programmation. Je salue cet exercice d’agilité.
Les actions de nos compétiteurs dans les champs de l’hybridité et des perceptions se multiplient. Dans ce contexte de compétition et de confrontation stratégique accrues, mais également de contestation des fondements de l’ordre international et des démocraties libérales, la France est particulièrement ciblée. Nous devons donc progressivement renforcer nos capacités dans tous les domaines – diplomatique, militaire, économique, juridique, culturel, sportif, linguistique, et informationnel – afin de défendre nos intérêts, notre modèle et nos valeurs.
Ce volet, est « essentiel à l’expression de notre puissance », selon les termes de la revue nationale stratégique (RNS). Il a été engagé au cours de la LPM 2019-2025. Comment s’est traduit l’accroissement de nos efforts budgétaires en matière d’influence, élevée au rang de nouvelle fonction stratégique par la RNS ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Nous commençons à entrer dans le vif du sujet. On voudra toujours nous entraîner à compter le nombre de trombones dans le rapport annexé, mais il faut aussi évoquer les menaces qui nous sont propres, dans la mesure où la France est une puissance dotée, une démocratie et un pays qui a des territoires outre-mer. La loi de programmation en vigueur a constitué un virage ; de nouvelles fonctions se sont développées au sein de l’armée, mais aussi au sein de l’État, au ministère des affaires étrangères et à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), dont les moyens augmenteront aussi sur la période 2024-2030.
Nous avons investi 201 millions d’euros en 2021, 231 millions d’euros en 2022 et 288 millions d’euros en 2023 – une augmentation de près de 20% par an – pour doter les armées des moyens nécessaires. Il s’agit de moyens en technologies et en intelligence artificielle, un sujet dont il faudra s’emparer tant il pose de nombreuses questions éthiques, mais surtout de moyens humains. Il s’agit, pour le moment, d’embaucher des cybercombattants. Entre 2000 et 2017, la progression a été très importante ; nous atteindrons 3 500 ETP à la fin de l’année 2023. C’est une bonne nouvelle. Nous poursuivrons cet effort au profit du cyber dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire. Ainsi, 500 millions d’euros seront dédiés aux opérations d’influence et près de 4 milliards seront affectés à toutes les fonctions cyber – au sein des forces armées et de la DGSE.
C’est mission impossible que de développer le sujet en deux minutes, mais gardez à l’esprit que les points de bascule entre les deux LPM correspondent à des menaces réelles que, malheureusement, nous aurons à connaître.
Mme la présidente
La parole est à M. Didier Le Gac.
M. Didier Le Gac (RE)
Comme nos collègues Chenevard et Jacobelli dans leur rapport, je me réjouis du respect de la programmation financière de la LPM, dans un contexte pourtant marqué par de nombreuses crises – pandémie de covid, guerre en Ukraine et ses conséquences sur notre économie.
J’ai eu le plaisir et l’honneur de rapporter pour avis les crédits alloués à la marine nationale lors de l’examen des projets de loi de finances pour 2021 et 2022. Nous avions mis en évidence l’importance de porter attention aux conflits ayant pour théâtre les espaces maritimes. Comme le rappellent depuis plusieurs années les chefs d’état-major de la marine – hier, l’amiral Christophe Prazuck, aujourd’hui, l’amiral Pierre Vandier –, il faut plus que jamais se préparer à des combats navals de haute intensité. Grâce à la LPM, à l’horizon 2030, nos forces navales seront pourvues de nombreux nouveaux bâtiments. C’est une bonne nouvelle.
Les menaces ne viennent plus seulement de l’espace méditerranéen et des espaces maritimes voisins, comme cela fût le cas pendant quelques décennies. L’Atlantique est à nouveau une zone de tension, très vaste puisqu’elle s’étend quasiment de l’Afrique de l’Ouest à l’Arctique. Dans cette dernière région, le réchauffement climatique ouvre de nouvelles voies maritimes, le passage du nord-ouest reliant désormais l’océan Atlantique au Pacifique en 1 400 kilomètres, ce qui pose d’ailleurs des questions très sensibles de souveraineté sur ses eaux.
Le transfert des zones de tensions et les nouveaux enjeux de sécurité doivent contribuer à renforcer le deuxième port militaire de la nation après Toulon : Brest. En tant que député du Finistère, je souhaiterais savoir combien de frégates et autres bâtiments supplémentaires pourraient être affectés à Brest ? Combien de marins cela représenterait-il précisément pour la base navale ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
J’aurai peut-être l’occasion de revenir sur la déclinaison de la loi de programmation militaire dans votre département. Vous avez raison : dans l’Atlantique, le diagnostic de sécurité sera forcément plus dur demain, y compris pour les missions liées à la dissuasion – comment diluer un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) au large de l’île Longue ? Pour les deux grands ports – je vois le député Chenevard derrière vous – de Toulon et de Brest, des investissements importants sont attendus en infrastructures.
C’était déjà le cas, mais la nouvelle LPM consacrera beaucoup de moyens aux infrastructures bâtimentaires et de réseaux de l’Île Longue, qui accuse un certain âge. Il en sera de même pour la base navale et les infrastructures aéronavales de l’ensemble de la région. En outre, l’arrivée à Brest d’une nouvelle génération de frégates de défense et d’intervention (FDI) et de frégates multimissions (Fremm) constitue un changement important. Enfin, n’oublions pas la force de guerre des mines (GDM) de nouvelle génération, les menaces étant concrètes et pouvant attenter à la sécurité des sous-marins nucléaires.
Bien entendu, des équipages sont affectés au sein de ces bâtiments et les enjeux de ressources humaines pour la marine sont toujours délicats. En effet, le développement des programmes capacitaires est long, ce qui a des conséquences sur la formation des marins et des sous-mariniers. C’est pourquoi l’état-major de la marine s’assure de la cohérence de l’ensemble. Nous en reparlerons lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire : ce qui compte, c’est que les équipements fonctionnent et qu’on puisse en assurer la maintenance, comme l’illustre l’exécution de l’actuelle LPM.
Mme la présidente
La parole est à Mme Laetitia Saint-Paul.
Mme Laetitia Saint-Paul (RE)
La loi de programmation militaire 2019-2025 prévoyait un effort substantiel en faveur du spatial, nouvel espace de conflictualité, avec le renouvellement de l’ensemble des satellites souverains, permettant d’accéder à des capacités modernisées et durcies contre les menaces. La période 2019-2025 devait voir la livraison des nouveaux satellites de communication Syracuse 4, des satellites CSO et du système Ceres d’écoute électromagnétique.
En outre, la France a contribué au programme européen de navigation Galileo qui devait être opérationnel en 2020 et donner enfin à l’Europe une capacité propre, complémentaire du système américain GPS.
Au total, quelque 2,5 milliards d’euros de crédits de paiement et 5 milliards d’autorisations d’engagement devaient être affectés au domaine spatial militaire durant la période de programmation.
Qu’en est-il de ces engagements budgétaires et de notre autonomie d’appréciation de la situation dans l’espace ? Qu’en est-il de la défense spatiale européenne, à l’ordre du jour de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) et de son volet parlementaire, qui montre l’intérêt porté à ce sujet sur tous les bancs ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Merci, madame la députée, pour votre investissement dans ce domaine. Pour le projet de loi, vous êtes rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, nous avons donc déjà échangé sur le sujet.
Il faut poursuivre l’exécution des programmes en cours, qui sont souverains. Comme je l’expliquais précédemment, le lancement de Syracuse 4 B au cours de l’année constituera un événement important : la loi de programmation militaire a amorcé un virage et nous a permis de mieux structurer notre action, de manière souveraine.
Galileo constitue un élément déterminant, avec des enjeux relatifs à la constellation dite Breton, du nom du commissaire européen qui a fait naître la réflexion et les programmes concernés.
Ensuite, nous devons dès à présent nous projeter dans les nouveaux usages. J’ai cité Yoda, un des pivots du projet de loi de programmation, s’agissant de notre capacité à assurer l’intégrité des différents satellites déjà en orbite.
Aux côtés de la DGA, je discute avec les industriels afin d’accélérer certains programmes, comme Iris2, qui peut être amélioré. Je veux réunir un premier comité pour le spatial de défense, car aucun n’a jamais été tenu, afin de définir le plus finement possible nos besoins, qu’il s’agisse des besoins européens ou de nos besoins souverains. Nous sommes propriétaires mais nous aurions intérêt à réfléchir à l’achat de services : nos industriels, comme Airbus Defence and Space, développent des systèmes d’imagerie qui pourraient avoir des applications dans ce domaine.
Il sera question d’une revoyure annuelle dans le cadre de la nouvelle LPM. Dans le domaine spatial, les évolutions seront très rapides. Il est évident que plusieurs mondes sépareront la copie que rendra cet hémicycle, j’espère au mois de juin ou de juillet, et ce qui se passera en 2030 : nous devrons être à même de la mettre à jour le plus souvent possible.
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Rancoule.
M. Julien Rancoule (RN)
Alors que la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 arrive à son terme, j’aimerais vous alerter sur un point crucial : nos stocks de munitions.
En tant que corapporteur d’une mission flash relative aux stocks de munitions en France, je peux vous dire, sans exagérer, qu’elles ont toujours fait office de variable d’ajustement budgétaire des lois de finances. Le groupe Rassemblement national considère que la France doit adopter une grande stratégie nationale dans ce domaine.
La LPM en vigueur n’a pas permis d’améliorer significativement de nombreux aspects stratégiques comme la longue portée, le moyen calibre – munition d’avenir, en particulier dans la lutte antidrone – et le petit calibre. La France est le seul membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies à ne pas disposer de filière nationale.
S’agissant des munitions, nous devons passer d’une logique de flux tendu à une logique progressive de stocks. Étant donné les tensions géopolitiques que nous connaissons, c’est désormais pour la France une question de crédibilité. Les stocks de munitions conventionnelles sont aussi nécessaires à la préparation opérationnelle de nos forces, qui doivent s’entraîner à tirer.
Pour reconstituer les stocks, il faudra donner de la visibilité aux entreprises et être en mesure de relocaliser des filières stratégiques pour l’industrie munitionnaire, comme le préconise notre rapport. Nous devons être davantage souverains car, comme le jeune Bonaparte le disait le 16 octobre 1793 aux représentants du peuple à Marseille : " L’on peut rester vingt-quatre heures, s’il le faut même, trente-six heures sans manger ; mais l’on ne peut rester trois minutes sans poudre, et des canons arrivant trois minutes plus tard n’arrivent pas à temps. " (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Pendant l’examen du projet de loi de programmation, nous devrons collectivement définir le bon équilibre entre ce que vous appelez le flux tendu et les stocks. À défaut, nous nous contredirons. Il est primordial de disposer de stocks stratégiques suffisants. Du fait de leur état critique, que vous pointez à raison, je vous ai proposé, à la fin de l’année 2022, de consacrer 1 milliard d’euros supplémentaire pour y remédier, un effort considérable.
Toutefois, puisque vous avez cité Bonaparte, l’industrie ne doit pas consacrer trop de temps à cette production. Il faut donc parvenir à un équilibre entre le stock critique, financé avec l’argent du contribuable, et ce qui doit relever de la commande, notamment parce que je ne désespère pas d’obtenir des occasions d’exportation dans ce domaine : nous devons donc faire preuve d’agilité. J’ai d’ailleurs transmis ce message à la base industrielle et technologie de la défense française.
Par ailleurs, nous devons donner de la visibilité. La LPM 2019-2025 prévoyait un financement de 9,2 milliards d’euros ; dans le projet de loi que je défendrai dans quelques jours, les crédits atteignent 16 milliards : l’effort est significatif. Il ne serait pas bon d’aller au-delà, puisqu’il faut maintenir un équilibre dans la capacité de production.
Encore faut-il que ladite production soit souveraine, c’est pourquoi j’ai annoncé une relocalisation pour créer une filière poudre française, notamment à Bergerac, avec l’entreprise Eurenco. L’urgence concerne d’abord les obus de 155 millimètres, comme on le voit en Ukraine. Une fois de plus, on en revient à l’opposition entre la masse et la cohérence : avoir le matériel, c’est bien ; avoir les munitions qui vont avec, c’est mieux. C’est aussi un gage de succès pour l’exportation de nos matériels. L’examen du projet de loi relatif nous donnera l’occasion d’y revenir ; il intègre les conclusions des différents rapports afférents.
Mme la présidente
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny (RN)
La loi de programmation militaire en vigueur a marqué une rupture avec la politique déflationniste de recrutement militaire des LPM précédentes ; nous saluons les efforts consentis. Toutefois, cette dynamique a vu ses missions couronnées d’un succès en demi-teinte, notamment s’agissant de la fidélisation des effectifs. Pour l’heure, la cible n’est pas atteinte. Les rapporteurs ont mis en évidence les causes structurelles de cet échec : la principale est l’écart croissant de rémunération avec le secteur civil, qui engendre un phénomène de prédation des militaires par les entreprises du privé.
Les conséquences opérationnelles de ce déficit de fidélisation mettent en péril l’institution militaire dans sa structure même. Eu égard au contexte géopolitique actuel et à venir, la laisser se déliter serait une erreur politique impardonnable.
L’objectif immédiat est de rendre aux armées françaises leur attractivité auprès des jeunes générations. Pour ce faire, les rapporteurs ont exprimé cinq recommandations. La première et la plus urgente pour stopper l’hémorragie des effectifs consiste à faire évoluer la part indiciaire de la rémunération. Cela permettra de résoudre le problème du décalage entre les salaires des militaires et ceux pratiqués dans le civil, a fortiori à l’aube d’un cycle économique inflationniste croissant et durable. En réalité, l’enjeu est la reconnaissance du militaire et de son statut : sans reconnaissance, il n’est pas de fidélité possible.
Monsieur le ministre, l’argent est le nerf de la guerre. Quand allez-vous augmenter significativement la part indiciaire de la rémunération de nos soldats et leur offrir les perspectives de carrières indispensables à leur longévité au sein de l’institution ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
J’ai déjà en partie répondu : je vais essayer d’approfondir ma réponse et d’apporter quelques éléments complémentaires.
Vous avez raison d’évoquer l’importance de la part indiciaire. L’affaire est entendue, comme le montrera la copie que je vous présenterai en défendant le projet de LPM. La loi en vigueur prévoyait une enveloppe de 87 milliards d’euros. Pour les années 2024 à 2030, l’enveloppe atteindra 97 milliards, soit 10 milliards supplémentaires.
L’armée attendait cette augmentation de la part indiciaire. Une fois les actions accomplies, on passe à autre chose, mais je ne veux pas passer trop vite sur cet aspect. La réforme permettra de distinguer les particularités de certaines missions, ce qui est une bonne chose. En 2023, les 500 millions d’euros produiront des effets en matière de pouvoir d’achat et de reconnaissance et répondront à une absolue nécessité.
Néanmoins, quand on effectue des visites sur le terrain, ce n’est pas le seul sujet qui est évoqué. On entend également parler du logement et des familles. Nous ne ferons pas l’économie d’un débat sur ces questions, liées aux spécificités du statut militaire.
Je reviens à la part indiciaire, parce que je veux épuiser le sujet. Je serais heureux d’entendre vos propositions dans ce domaine : le seul mot " indiciaire " manque de précision. Nous avons déjà augmenté le point d’indice, comme les membres de la commission de la défense le savent, parce que nous avons intégré la hausse à la loi de finances pour 2023. La chose est entendue, l’action est exécutée. Il reste à savoir de quelles grilles nous parlons. J’ai demandé aux chefs d’état-major et au chef d’état-major des armées de me faire des propositions en la matière : en fonction de l’armée et des situations, les grilles peuvent varier. Le lien entre la fidélisation et la rémunération indiciaire ne se conçoit pas de la même manière pour le SSA et pour la DGA que pour les sous-officiers, notamment ceux du premier grade, à savoir les sergents. Il faut en discuter et redéfinir la pyramide des responsabilités. Cela prend forcément du temps. Je suis à la disposition des groupes politiques pour avancer en la matière.
Mme la présidente
La parole est à Mme Martine Etienne.
Mme Martine Etienne (LFI-NUPES)
Le rapport d’information sur le bilan de la dernière LPM met en avant de nombreux objectifs non atteints, ainsi que de nombreux manquements dommageables à nos armées. La pénurie de personnel, la pénurie de main-d’œuvre et le manque d’attractivité de la fonction ont été évoqués à de nombreuses reprises. Selon la Cour des comptes, de 2008 à 2019, le ministère des armées a perdu plus de 63 000 emplois, soit 20 % de ses effectifs, avec une incidence majeure sur les capacités opérationnelles des forces armées.
Voilà cependant que votre projet de LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit d’investir dans de nouvelles capacités. On aurait pu dire bravo. Mais, à l’image de l’étude d’impact, ce n’est toujours pas satisfaisant : les dépenses ne sont pas fléchées, rien n’est clairement étudié et les parlementaires ne disposent d’aucune donnée. En gros, vous nous dites : on investit, on ne sait pas où, on ne sait pas pour qui, mais promis, ça va bien se passer. Merci, mais on repassera !
De la même manière, si le rapport d’information préconise " un effort significatif en faveur de la partie indiciaire " de la rémunération des militaires pour améliorer l’attractivité de la fonction, votre projet de loi ne prend à aucun moment en compte les conséquences de l’inflation. Vous ne cherchez pas à revaloriser les salaires ni les pensions ; pire encore, vous ne mentionnez même pas l’incidence de l’inflation sur les professions ou sur l’interopérabilité des armées.
Si je résume, vous faites fi des manquements que dénonce le rapport d’information et vous nous sortez un projet de LPM élaboré à la hâte, sans étude d’impact sincère, sans prise en compte de l’inflation ni fléchage des dépenses. Avez-vous choisi de manquer de sincérité envers les parlementaires sur l’emploi pour nos armées de 413 milliards d’euros ou prévoyez-vous déjà simplement, comme le craint le Conseil d’État, de ne pas atteindre vos objectifs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Moi aussi, madame la députée, j’ai une question pour votre groupe : est-ce que les réponses les plus sincères peuvent modifier votre position ?
M. Bastien Lachaud
Évidemment !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Vous dénoncez un manque de sincérité concernant l’inflation, alors que j’en suis à la quatrième audition devant les commissions permanentes de l’Assemblée nationale,…
M. Christophe Blanchet
Eh oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre
…au cours desquelles j’ai expliqué par le menu l’emploi des 13 milliards d’euros d’augmentation de crédits, portés de 400 à 413 milliards, et tous les mécanismes de réponse à l’inflation. Vous pouvez dire non, mais j’insiste, documents et comptes rendus de la commission de la défense à l’appui.
M. Aurélien Saintoul
On attend les documents !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Si vous cherchez un prétexte pour voter contre le projet de loi relatif à la programmation militaire, puisque vous êtes systématiquement opposés à tout ce qui vient du Gouvernement, dites-le tout de suite – on gagnera du temps.
M. Christophe Blanchet
Eh oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre
S’agissant de la part indiciaire de la rémunération et de la fidélisation des effectifs, je pense avoir répondu. Je veux bien qu’on lise ses questions, madame la députée, mais vous ne pouvez pas faire comme si je ne m’étais pas engagé à trois reprises, en réponse à trois orateurs différents, à agir en faveur de la fidélisation.
Oui, il y a un problème de chiffres : le nombre de militaires et le nombre d’ETP – équivalents temps plein – du ministère n’a pas diminué pendant la période ; nous avons même atteint nos objectifs dans les domaines du cyber et du renseignement !
M. Aurélien Saintoul
Est-ce que les postes sont pourvus ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Le problème concerne l’attrition, et non le recrutement.
Mme Martine Etienne
Oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Mais ce n’est pas ce que vous avez dit dans votre intervention ! Si nous voulons résoudre les vrais problèmes de ce ministère, nous devons établir un diagnostic juste.
S’agissant de l’étude d’impact, le Conseil constitutionnel, saisi par la Première ministre, a donné tort à la conférence des présidents, et aux deux présidents de groupe qui la dénonçaient : il s’agit de l’étude la plus documentée de toutes les lois de programmation militaire depuis 1960.
M. Bastien Lachaud
Dix pages pour 413 milliards ! (Mme Anne Genetet s’exclame.)
M. Sébastien Lecornu, ministre
Une étude d’impact qui établirait comment gagner la guerre à coup sûr, ça n’existe pas : cela relève de choix politiques. J’ai hâte d’entendre ce que ferait votre groupe concernant l’Otan, notre doctrine en matière d’exportation d’armes ou la dissuasion nucléaire : on peut parler de tout, mais au bout d’un moment, il faut parler de l’essentiel.
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Saintoul.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES)
En effet ; monsieur le ministre, je ne vais pas lire ma question, je m’écarterai un peu du texte pour poursuivre cette discussion. Tout d’abord, vous avez parlé de la " copie " que vous nous présenterez. Cela signifie donc que nous travaillons sur un texte, présenté en conseil des ministres, qui n’est pas achevé ; vous l’avez bricolé ces dernières semaines. Il faudra peut-être poser la question de sa sincérité.
Ces dernières années, l’exécutif s’est beaucoup vanté de respecter à l’euro près la LPM 2019-2025.
Mme Anne Genetet et M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
C’est vrai !
M. Aurélien Saintoul
Vous vous en vantez : est-ce à dire que vous contrôlez jusqu’à l’achat d’un trombone ? C’est une question de perspective. Vous anticipez une nouvelle LPM précisément pour ne pas avoir à respecter celle qui a cours. À cet égard, il me semble curieux que vous essayiez de maintenir cette fiction, puisque les choix effectués dans la LPM 2019-2025 ne sont pas reconduits ; les cibles sont repoussées.
Mme Anne Genetet
Nous ne sommes plus dans le même contexte !
M. Aurélien Saintoul
Je vous donne la possibilité d’apporter la preuve que la LPM sera respectée à l’euro près – en réalité, ce ne sera pas le cas.
Dans la deuxième partie du rapport, il est question du renforcement du contrôle du Parlement sur les actualisations de la LPM – articles 7, 8 et 9 du projet de loi. En revanche, le choix a été fait d’écarter la possibilité d’un vote du Parlement. J’aimerais que vous nous expliquiez pourquoi, même si ce faisant, nous déflorons quelque peu le débat parlementaire à venir.
Enfin, le rapport conseille d’investir davantage dans certains domaines prioritaires, comme le quantique – dont je suis, vous le savez, féru. Dans la LPM 2019-2025, le budget qui y était consacré n’était que de 50 millions d’euros. À ce sujet, j’aimerais que vous anticipiez un peu notre futur débat et que vous nous parliez du contenu de la " copie ".
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Le projet de loi existe bien ! Vous m’avez écrit la semaine dernière ; je n’ai pas encore eu l’occasion de vous répondre et je m’en excuse, mais soyez assuré que vous recevrez l’ensemble des documents. Quoi qu’il en soit, je ne peux pas faire le travail de la majorité et celui de l’opposition. Cela fait une petite année que nous sommes ensemble et je vois que vous cherchez vos angles d’attaque.
M. Aurélien Saintoul
Treize milliards, c’est un bel angle !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Vous avancez désormais un nouvel argument, selon lequel l’exécution à l’euro près serait pure fiction ; c’est un nouvel angle. En commission, vous avez plutôt l’habitude d’avancer des arguments de forme.
Sur le fond, je souhaite aller plus loin sur le contrôle parlementaire. Pour être tout à fait transparent avec vous, j’avais prévu dans le projet de loi – qui est, par définition, la " copie " du Gouvernement – des dispositions qui le permettaient. Le Conseil d’État les a censurées, expliquant que l’initiative devait venir du Parlement et non du Gouvernement. C’est évidemment logique. Vous pourrez donc intégrer de nouveaux mécanismes par voie d’amendement.
M. Aurélien Saintoul
Les députés de la majorité pourront alors les adopter !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je suis d’autant plus favorable à ce contrôle qu’il nous permettra d’avoir des débats de fond sur des questions essentielles comme nos alliances, l’utilité de la dissuasion nucléaire et nos exportations d’armes. Je ne suis pas certain que nos concitoyens, lorsqu’ils ont voté aux élections législatives, avaient conscience de vos positions sur ces questions. Moi-même, je ne suis pas certain de les avoir toutes saisies… je serai donc heureux que nous en débattions.
M. Aurélien Saintoul
Ce n’est pas la première fois que vous utilisez cet argument !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Enfin, vous avez raison, nous devrons revenir durant l’examen du projet de loi sur le quantique militaire, un élément du pivot qu’opère ce nouveau texte. Le contexte ayant changé, il n’est pas un copier-coller de la précédente LPM. Nous changeons d’époque, nous transformons, nous modernisons.
M. Aurélien Saintoul
Recevez-nous comme le président Marleix et vous comprendrez mieux nos positions !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Avec plaisir !
Mme la présidente
La parole est à Mme Nathalie Serre.
Mme Nathalie Serre (LR)
Lancé en 2017 par la France et l’Allemagne, rejointes ensuite par l’Espagne, le système de combat aérien du futur – le fameux Scaf – s’inscrit dans le cadre de la LPM 2019-2025, qui a succédé à la LPM 2017-2023. Le budget alloué au Scaf dans le cadre de la LPM 2019-2025 est de l’ordre de 4,5 milliards. Dès 2019, les partenaires industriels impliqués dans le projet ont commencé à travailler sur la phase de conception du Scaf et sur la création des démonstrateurs technologiques pour les différents composants du système. Le programme a également bénéficié du lancement de plusieurs appels d’offres pour des projets spécifiques.
M. Thibault Bazin
C’est vrai !
Mme Nathalie Serre
La question de la maîtrise d’œuvre et de la protection des droits de propriété intellectuelle sur les brevets, qui sont les actifs stratégiques de la défense nationale, a retardé le programme durant plusieurs mois. Cette question a finalement trouvé une issue en décembre avec un accord sur la phase 1B, qui a pour objet la préparation et la réalisation de démonstration des différentes composantes du Scaf. Le contrat est entré en vigueur en mars ; la phase 1B s’étalera sur plus de trente-six mois, avec environ 3,6 milliards d’euros affectés côté français. Toutefois, la réalisation de cette phase ne garantit pas l’avenir du Scaf : une phase 2 devra lui succéder, avec un nouvel engagement de plus de 5 milliards pour aboutir au vol d’essai d’un démonstrateur.
M. Thibault Bazin
C’est long !
Mme Nathalie Serre
Entre les crédits alloués dans le cadre de la LPM intermédiaire 2019-2025 et l’enveloppe de 3,6 milliards annoncée avant la présentation du projet de LPM, qui ne précise pas spécifiquement le montant des crédits affectés au Scaf, pouvez-vous indiquer le montant exact des crédits exécutés depuis le lancement du projet, en 2017 ? Quelles dépenses sont programmées dans le cadre du projet de LPM pour garantir la bonne exécution de la phase 1B et anticiper l’allocation des crédits de la phase 2 ?
M. Thibault Bazin
Très bonne question !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
S’agissant du Scaf, je ferai preuve de la plus grande transparence lors des débats sur le projet de loi de programmation militaire. Permettez-moi de rappeler deux ou trois éléments sur la progression de ce programme. La phase 1B a été signée ; la France en est le chef de file, ce qui signifie que l’entreprise Dassault mène largement les opérations. Le coût de cette phase s’élève à 3 milliards d’euros, qui seront répartis entre les trois pays participants à parts égales ; le coût pour la France sera donc d’un milliard d’euros.
Nous avons besoin de cette phase 1B : quoi qu’il arrive, il faut faire ce démonstrateur, qui nous permettra d’affiner nos attentes. Quand je dis " nous ", c’est un nous français, car nous avons des attentes particulières vis-à-vis de cet avion : en matière de dissuasion nucléaire tout d’abord, puisqu’il sera le " successeur " du Rafale. Je mets des guillemets, parce que le Rafale et le Scaf cohabiteront quelques années. Lorsque le Scaf prendra la suite, il devra alors être capable de participer à nos forces aériennes stratégiques. La seconde attente particulière concerne les forces aéronavales et la nouvelle génération de porte-avions. Les partenaires allemands et espagnols sont au courant de ces caractéristiques indispensables.
Le troisième point concerne évidemment la doctrine à l’exportation – Jean-Louis Thiériot y revient souvent en commission de la défense. Nous exportons des Rafales dans des pays en dehors de l’Otan et de l’UE : en Indonésie, en Inde, aux Émirats arabes unis. Il est évident que nous ne pouvons pas dépendre du Bundestag ou d’un autre parlement pour exporter nos armes. C’est pourquoi la doctrine à l’exportation est un élément important, au sujet duquel nous devrons également débattre.
Dans deux ans, nous aurons à nous prononcer sur la phase 2, en fonction justement de la morphologie de ce démonstrateur et de différents autres points. Malheureusement, je ne peux pas approfondir davantage en deux minutes, mais nous consacrerons du temps à ce sujet lors de l’examen du projet de LPM. Par ailleurs, je le dis devant l’Assemblée nationale : je suis prêt à organiser des rendez-vous plus réguliers avec le Parlement concernant ce programme, afin d’assurer une véritable transparence et d’éviter le procès trop facile qui pourrait lui être fait.
M. Thibault Bazin
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard (NI)
Après avoir coupé le budget de la défense pendant vingt-cinq ans, la loi de programmation militaire 2019-2025 avait prévu de porter la part des dépenses militaires à 2% du PIB en 2025 et de créer 6 000 emplois. L’objectif était de construire un modèle d’armée complet et équilibré, eu égard aux menaces nouvelles, notamment sur le continent européen.
Si pour l’instant l’exécution budgétaire est tenue, avec une augmentation effective des crédits de paiement – 40,9 milliards d’euros en 2022 contre 35,9 milliards en 2019 –, cela reste insuffisant, notamment en ce qui concerne la soutenabilité de la trajectoire budgétaire de la LPM, avec pour corollaire le risque d’évincer certains investissements. Par ailleurs, notons que depuis 2019, nos armées ont été fortement engagées sur le territoire national, mais aussi au Sahel et au Levant, tout en maintenant une importante capacité de déploiement.
Nous ne pouvons ignorer les défis de taille auxquels nous faisons face, comme le souligne la Cour des comptes : une nécessaire réduction du déficit, afin de repasser sous la barre des 3% du PIB et, parallèlement, la montée en puissance des menaces extérieures, comme en Ukraine. La LPM 2024-2030 ne semble pas relever ces défis, malgré des dépenses en hausse – 413 milliards sur sept ans contre 295 milliards pour la période précédente.
Je voudrais évoquer l’exemple de l’entreprise Arquus, qui fabrique 90% des véhicules de l’armée de terre. Si le projet de loi était voté en l’état, elle devrait faire face à une baisse de 20 à 25% des cibles d’équipements initialement planifiées.
Malgré les efforts consentis dans le cadre de la LPM 2019-2025, ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, que la France paye rapidement cette modération dans ses efforts de guerre, alors que notre armée aurait besoin d’équipements substantiels, compte tenu des enjeux géostratégiques actuels – l’Ukraine, Taïwan, le Haut-Karabakh et j’en passe ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
J’ai commencé à répondre à votre question en évoquant l’importance de la cohérence, face à la masse. Certaines cibles capacitaires risquent de ne pas être cohérentes avec notre capacité à assurer le maintien en condition opérationnelle, à construire les infrastructures d’accueil correspondantes et à former nos soldats, notamment au programme Scorpion.
Bref, nous devons faire attention au syndrome de l’hélicoptère : une cible satisfaisante, mais un nombre d’engins opérationnels au bout du compte insuffisant. C’est précisément ce que je veux éviter pour la programmation à venir. Le chef d’état-major des armées a fait le choix, que j’appuie, d’une cohérence globale de l’ensemble du projet. Par le passé, des cibles alléchantes ont pu être définies, sans que le résultat escompté soit jamais atteint. Pour être un peu caricatural, nos armées veulent de la cohérence, alors que les industriels préfèrent la masse, pour des raisons que l’on peut comprendre. En l’occurrence, nous sommes ici pour définir un modèle d’armée qui fonctionne.
M. Thibault Bazin
Il faut que ce soit cohérent.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je ne suis pas d’accord avec les propos tenus par le patron d’Arquus dans un grand quotidien du soir : il y explique qu’il ne croit pas à l’économie de guerre et qu’il attend beaucoup de la commande publique de l’État. Le modèle historique voulu par le général de Gaulle est une base industrielle et technologique de défense souple, avec de la visibilité dans les commandes publiques militaires. Avec 413 milliards d’euros, il est clair qu’un carnet de commandes fourni attend Arquus – je vous en ferai la démonstration par écrit si nous n’avons pas le temps de le faire ici –, malheureusement aussi en raison de l’aide apportée à l’Ukraine.
Les entreprises du secteur – leurs dirigeants, pas leurs salariés, qui effectuent un travail absolument remarquable –, doivent comprendre que l’économie de guerre existe, notamment pour obtenir des parts à l’exportation. Je reste persuadé qu’Arquus doit pouvoir faire mieux dans les années à venir. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet pendant l’examen du projet de loi de programmation militaire, dont la cohérence doit être la marque de fabrique.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 4 mai 2023