Interview de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à France 2 le 5 mai 2023, sur le plein emploi, l'immigration et l'annonce d'Emmanuel Macron sur le budget d'un milliard d'euros par an supplémentaire pour la réforme des lycées professionnels.

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Média : France 2

Texte intégral

CYRIL GRAZIANI
Bonjour Olivier DUSSOPT.

OLIVIER DUSSOPT
Bonjour.

CYRIL GRAZIANI
On va en parler justement de la semaine des quatre jours, vous avez entendu ce que François a raconté, est-ce que la semaine de quatre jours c'est quelque chose de plausible à l'avenir en France ?

OLIVIER DUSSOPT
C'est quelque chose qui existe surtout, ça existe parce qu'il y a des expérimentations dans le secteur public, mais ça existe aussi dans certaines entreprises privées, qui ont fait le choix d'organiser le temps de travail autour d'une semaine de quatre jours. Ça ne signifie pas changer le temps de travail hebdomadaire, nous avons un temps de travail à 35 heures, avec des possibilités d'heures supplémentaires, de dérogations…

CYRIL GRAZIANI
Ça pourrait être 8 heures 30 par jour.

OLIVIER DUSSOPT
Ça peut être une organisation. Le gouvernement regarde cela avec intérêt, les Assises du travail, que j'avais lancées au mois de décembre et qui se sont conclues il y a quelques jours, ont pointé ce sujet comme un sujet à approfondir, mais notre objectif n'est pas de rendre quoi que ce soit obligatoire, n'est pas de contraindre, mais c'est simplement une modalité d'organisation à la disposition des partenaires sociaux et des entreprises.

CYRIL GRAZIANI
Parce que quand on parle de plein emploi, de chantier de plein emploi, qui passera, vous disiez, par le bon emploi, est-ce que le bon emploi ce n'est pas la semaine de quatre jours ?

OLIVIER DUSSOPT
Ça peut l'être, mais ce n'est pas forcément le cas, et on l'a entendu, certaines expérimentations montrent que les salariés, comme les agents publics, ne le souhaitent pas, d'autres y trouvent un intérêt, ça peut être une solution pour des métiers qui manquent d'attractivité, mais laissons cela à la liberté du dialogue social, sans contraintes, ni obligations.

CYRIL GRAZIANI
On va changer de sujet. Vous pensez, comme votre collègue Gérald DARMANIN, que la Première ministre italienne est incapable de régler les problèmes migratoires de l'Italie, vous avez entendu, il y a un conflit depuis quelques jours entre la France et l'Italie ?

OLIVIER DUSSOPT
Il y a eu quelques échanges effectivement, mais la relation franco-italienne est d'abord une relation de confiance, qui est basée sur le traité du Quirinal, qui a été renouvelé, et la France a besoin l'Italie, comme l'Italie a besoin de la France. Gérald DARMANIN est extrêmement engagé, et il a raison de le faire, sur les questions de flux migratoires, parce que nous sommes dans une période où les flux sont plus importants, donc tous les pays européens y sont confrontés, il faut pouvoir avancer et continuer à travailler.

CYRIL GRAZIANI
On a beaucoup parlé ces dernières semaines, ces derniers jours, du texte sur l'immigration, vous étiez associé à Gérald DARMANIN notamment sur la question des métiers sous tension, est-ce que vous regrettez, vous, que cette question ait été reportée, on peut le dire, aux calendes grecques ?

OLIVIER DUSSOPT
C'est un report en attendant de trouver une majorité autour de ce texte. Ce texte il avait deux aspects, un premier aspect qui consiste à donner plus de force à l'État, de faire respecter les décisions de justice, pour faire respecter nos frontières, et puis un aspect relatif à l'intégration par le travail, parce que nous considérons que c'est par le travail que l'on intègre le plus facilement celles et ceux qui sont sur notre territoire, qui aspirent à s'y installer durablement et à exercer une activité professionnelle, surtout dans une période où on sait que certains métiers ont des tensions de recrutement, donc nous continuons à travailler avec Gérald DARMANIN pour voir comment, dans les semaines, les mois qui viennent, nous pouvons construire une majorité sur ce texte.

CYRIL GRAZIANI
Vous, vous avez bon espoir que, d'ici la fin de l'année, un texte sur l'immigration puisse voir le jour ?

OLIVIER DUSSOPT
Je l'espère et je pense que ce serait utile.

CYRIL GRAZIANI
Sur l'apprentissage, sur le lycée professionnel, hier Emmanuel MACRON a annoncé 1 milliard d'euros pour les lycées professionnels, les syndicats d'enseignants ont peu réagi, je me suis demandé pourquoi le ministre du Travail était présent hier, est mêlé à une réforme scolaire ?

OLIVIER DUSSOPT
Ce n'est pas qu'une réforme scolaire, c'est une réforme du lycée, donc c'est une réforme qui touche à la vie scolaire, qui touche à l'éducation, mais c'est aussi une réforme qui touche à des voies de formation qui sont des voies de formation professionnelle. Aujourd'hui lorsqu'on regarde ces fameux métiers en tension, lorsqu'on regarde d'ici 2030 quels sont les 15 métiers qui vont le plus recruter, 10 de ces 15 métiers sont des métiers auxquels nous sommes formés, auxquels vous pouvez être formé, par des lycées professionnels, et donc la réforme du lycée professionnel elle est fondamentale pour ça, et elle est aussi fondamentale parce que c'est une réforme de justice. Aujourd'hui nous avons un système de formation, en lycées professionnels, qui ne marche pas comme nous le souhaiterions, il y a des sections de formation, il y a des diplômes qui sont excellentissimes, avec des taux d'insertion professionnelle, des taux de réussite professionnelle, qui sont très bons, parce que ça répond à des besoins de l'économie, parce que ça répond à des besoins pour des métiers de demain, et puis nous avons des formations, et ce n'est pas la faute des enseignants, ce n'est pas la faute des élèves…

CYRIL GRAZIANI
Lesquelles ?

OLIVIER DUSSOPT
Des formations qui peuvent relever parfois de tâches de gestion, d'administration, qui aujourd'hui ne fonctionnent plus. Pourquoi ça ne fonctionne plus ? Parce que parfois le territoire où est le lycée, n'a plus ces emplois-là, n'a plus de débouchés professionnels, et puis parfois aussi l'économie a changé, et les métiers ont changé, et lorsqu'on parle de lycée professionnel, on parle d'un lycéen sur trois, et on ne peut pas continuer beaucoup plus longtemps à regarder des élèves dans les yeux, des adolescents, de 14, 15, 16 ans, en sachant pertinemment qu'une partie d'entre eux va être formée à des métiers qui n'existent plus, que parfois dans certaines sections, pas toutes évidemment, ce sont des moyennes, plus de la moitié, n'auront pas de travail, 6 mois, 2 ans, après l'obtention du diplôme, et c'est en ça que cette réforme c'est à la fois une grande cause, parce que ça concerne un lycéen sur trois, c'est une réforme qui est très cohérente avec ce qu'on a fait sur le développement de l'apprentissage, sur cette logique qui consiste aussi à donner des clés pour maîtriser le destin de chacun, et d'une certaine manière c'est une réforme 100 % Emmanuel MACRON. Alors, on refuse des assignations à résidence, on refuse des déterminismes sociaux…

CYRIL GRAZIANI
Il y a quand même une crainte des syndicats, c'est de voir le monde de l'entreprise grignoter les lycées professionnels.

OLIVIER DUSSOPT
D'abord ça ne sera pas le cas, mais surtout, quand on forme quelqu'un, quand on a un système de formation initiale comme le nôtre, la priorité que nous devons avoir en tête, c'est l'avenir, c'est l'avenir de celles et ceux qui sont formés. Nous parlons d'adolescents, les élèves de lycées professionnels, qui, en moyenne, ont eu le plus souvent des difficultés scolaires que les autres avant de rentrer au lycée professionnel, qui ont eu des résultats un peu moins bons, nous parlons d'adolescents qui vivent dans des familles qui, en moyenne, sont plus défavorisées que dans les lycées d'enseignement général, il y a 3 % des élèves de lycées professionnels qui ont des parents cadres ou profession libérale, c'est presque 30 % dans les lycées généraux, donc il y a des écarts, il y a des différences, nous le savons. Hier j'entendais quelques réactions, vous l'avez dit, les organisations syndicales ont fait valoir des points de vigilance, mais j'ai entendu quelques réactions, y compris dans les commentaires médiatiques, disant "mais finalement tout ça c'est très technique, on parle de stages, on parle de modules, on parle de réforme du fonctionnement des lycées professionnels, est-ce que c'est vraiment du niveau du président de la République ?"

CYRIL GRAZIANI
Il y a une forme de mépris là pour vous ?

OLIVIER DUSSOPT
Je pense que c'est une forme de mépris, je trouve ça assez scandaleux, parce que peut-être que celles et ceux qui se disent parfois des leaders d'opinion, qui ont la voix au chapitre, qui ont voix publique…

CYRIL GRAZIANI
Vous pensez à qui ?

OLIVIER DUSSOPT
Ça peut être des commentateurs, ça peut être, parfois malheureusement, des commentaires journalistiques, s'ils avaient plus souvent dans leur famille, des élèves inscrits en lycée professionnel, s'ils étaient plus souvent confrontés aux difficultés d'insertion professionnelle de ceux-là, ils n'auraient pas forcément cette forme de condescendance, et je reprends les mots d'une autre journaliste, je pense à une journaliste des "Echos", qui dit "il n'y a pas l'aristocratie des réformes", et je partage cela, toutes les réformes sont bonnes, et cette réforme elle a un objectif, c'est de faire en sorte que ces jeunes qu'on envoie vers les lycées professionnels, qui vont vers les lycées professionnels, ils soient pour être formés à des métiers qui existent demain, des métiers qui leur donnent des débouchés.

CYRIL GRAZIANI
Vous le ministre du Travail, ça vous fait du bien de me dire qu'il y a des réformes qui sont bonnes et qui passent plus facilement que d'autres ?

OLIVIER DUSSOPT
Toutes les réformes sont utiles, toutes celles que nous menons sont utiles, certaines sont plus difficiles que d'autres, j'en ai fait l'expérience, et parfois même plus impopulaires, mais celle-ci, cette réforme des lycées professionnels, elle est extrêmement importante parce que, oui il y a des formations en lycée pro qui, pardon de l'expression, qui cartonnent, et puis il y en a d'autres, parce qu'on ne les a pas réformées depuis 20 ans, 30 ans, parce qu'elles n'ont pas été adaptées à l'économie, en général, ou à l'économie du territoire, elles ne marchent plus, elles n'offrent pas de débouché, et c'est finalement une trahison, on trahit la promesse qu'on fait à ces élèves.

CYRIL GRAZIANI
Pour revenir sur la précédente réforme, celle des retraites, et notamment les négociations, les discussions qu'il peut y avoir avec les syndicats, est-ce que les lettres d'invitation ont été envoyées aux syndicats, parce qu'on en parle depuis quelques jours, mais finalement les invitations on ne les voit pas venir ?

OLIVIER DUSSOPT
Je crois que ce n'était pas le cas hier soir, mais c'est le cabinet de la Première ministre qui va gérer ces invitations-là…

CYRIL GRAZIANI
Il y a un problème à la Poste, il y a un problème de timbre ?

OLIVIER DUSSOPT
Peut-être tout simplement qu'on est sorti de cette réforme, il y a eu la validation du texte par le Conseil constitutionnel, la plupart des organisations syndicales nous avaient dit "nous sommes fâchées, nous sommes en désaccord, mais à un moment nous allons reprendre le dialogue sur des sujets qui intéressent les travailleurs, les salariés, les entreprises", et nous avaient parlé de délai de décence, en nous disant "on laisse passer quelques semaines." La Première ministre l'a dit…

CYRIL GRAZIANI
Elles attendent, les syndicats attendent quand même l'invitation.

OLIVIER DUSSOPT
Oui, la Première ministre va inviter les organisations syndicales à des réunions bilatérales, l'essentiel c'est que le fil du dialogue soit repris, soit repris à cette occasion-là, mais qu'il soit aussi repris sur des textes qui sont attendus, qui sont utiles. Les partenaires sociaux, 4 syndicats sur 5, 3 organisations patronales sur 3, ont signé un accord, donc un accord interprofessionnel, de partage de la valeur, je présenterai à la fin du mois de mai au conseil des ministres un texte pour inscrire cet accord dans la loi, pour ce seul sujet, qui est important par ailleurs, il faut qu'il y ait un dialogue, un échange, pour que notre engagement d'inscrire l'accord de manière intégrale et fidèle dans la loi, puisse être vérifié, qu'on puisse partager sur les rédactions législatives. Les mêmes partenaires sociaux discutent sur la gouvernance, l'organisation de la branche Accidents du travail maladies professionnelles, ils espèrent, et je le souhaite, aboutir à un accord à la fin du mois de mai, si cet accord est signé, il faudra aussi qu'on regarde comment l'inscrire dans la loi, et donc pour tout cela, ce n'est que deux exemples parmi plein d'autres, il faut qu'il y ait un dialogue et un échange.

CYRIL GRAZIANI
Vous avez à votre agenda aussi une autre date, certainement inscrite, c'est le 8 juin, le jour où les députés LIOT vont déposer leur proposition de loi pour abroger la réforme des retraites, avec un chef de file que vous commencez à connaître, Charles de COURSON, est-ce que ça vous inquiète… ?

OLIVIER DUSSOPT
Je me souviens de Charles de COURSON qui défendait la retraite à 65 ans il y a quelques années…

CYRIL GRAZIANI
Qui là demande l'abrogation de la loi.

OLIVIER DUSSOPT
Qui demande l'abrogation. Nous verrons, parce que c'est un débat parlementaire et dans une situation de majorité relative il faut toujours être prudent. Ce que je note c'est que cette proposition elle se contente d'abroger, elle n'apporte aucune solution, aucune, c'est-à-dire que si cette…

CYRIL GRAZIANI
Vous n'avez pas peur d'aller au vote là ?

OLIVIER DUSSOPT
Si cette loi était adoptée, ça veut dire qu'en 2027 notre système de retraite il fait 13 milliards de déficit par an…

CYRIL GRAZIANI
Mais vous n'avez pas peur d'aller au vite ?

OLIVIER DUSSOPT
Qu'en 2030 il fait 30 milliards d'euros…

CYRIL GRAZIANI
Vous n'avez pas peur d'aller au vote ?

OLIVIER DUSSOPT
Nous verrons, c'est un débat, c'est inscrit, et le Parlement va en être saisi, et le Parlement aura très certainement à voter, bien évidemment, comme toute proposition de loi, mais je le répète, il n'y a pas de solution avec cette volonté de simplement refaire le match. Si cette loi était adoptée, pas seulement le 8, mais si elle allait au bout de son chemin législatif, il y aura un déficit abyssal que personne ne remplirait.

CYRIL GRAZIANI
Merci beaucoup.

OLIVIER DUSSOPT
Merci.

CYRIL GRAZIANI
Bonne journée à tous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 mai 2023