Texte intégral
Q - Laurence Boone bonjour, merci d'être avec nous ce matin. Je le disais à l'instant, c'est aujourd'hui la journée de l'Europe. Ursula von der Leyen, la patronne de la Commission européenne, est à Kiev depuis ce matin. C'est certes symbolique, mais est-ce que l'Europe en fait assez pour soutenir l'Ukraine ?
R - Je crois que c'est plus que symbolique. L'Europe en est à son 11ème paquet de sanctions pour soutenir l'Ukraine. L'Europe a accepté que les Ukrainiens arrivent sur son territoire, il y a eu des millions de réfugiés qui ont pu travailler dès qu'ils sont arrivés. La décision a été prise en trois semaines. L'Europe fournit du soutien financier : on est en train de parler de plus de 60 milliards d'euros. Donc oui, l'Europe en fait assez, mais l'Europe doit continuer...
Q - Continuer, ça veut dire quoi ? Notamment dans le domaine des armes ? Est-ce qu'on fournit par exemple assez de munitions ? Est-ce que la France va fournir des chars Leclerc notamment ?
R - C'est très intéressant que vous posiez ces questions, parce que c'est exactement ce qu'on est en train de faire en ce moment. Un milliard, en fait deux, pour déstocker des munitions immédiatement à l'Ukraine. Et on a déjà commencé à le faire ; on en est à près de 600 millions. Un milliard pour acheter des munitions qu'on va pouvoir passer à l'Ukraine. Mais plus profondément, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'on est en train de construire l'Europe de la défense. Et ça, c'est une révolution, j'allais dire copernicienne, jusqu'à il y a cinq ans, l'Europe de la défense, c'était inaudible ; en 52, on l'avait tuée. Et là, ça y est : cette Europe qui était une Europe économique devient une Europe politique.
Q - Mais je reviens aux chars Leclerc. On sent Emmanuel Macron extrêmement prudent sur la question, contrairement d'ailleurs à nos amis allemands. Est-ce qu'on va fournir, encore une fois, des chars Leclerc ?
R - Mais vous savez, la question, elle n'est pas celle-là. La question, c'est de quoi les Ukrainiens ont besoin ? Les Ukrainiens ont besoin, là, de minutions. Est-ce que la France fournit de minutions ? Oui, la France fournit des munitions.
Q - On a l'impression que Volodymyr Zelensky, il dit qu'il a aussi besoin de tout, et y compris de chars.
R - Le Président a encore parlé à Volodymyr Zelensky, pas plus tard que la semaine dernière.
Q - Donc, il n'a pas besoin de chars Leclerc ?
R - Alors d'abord, je ne dévoile pas toute la teneur des discussions, vous le comprendrez bien. Mais la France et l'Union européenne, comme les Etats-Unis, fournissent ce dont l'Ukraine a besoin.
Q - Donc les chars Leclerc, pour l'instant, il n'y a pas de...
R - En temps où ils en ont besoin.
Q - Il y a toujours quand même une réelle prudence sur ce dossier.
R - Le pays qui produit le plus de tanks, de chars, c'est l'Allemagne aujourd'hui. En fait, on se coordonne entre nous pour s'assurer que l'Ukraine a ce dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin.
Q - Un mot encore sur l'Ukraine. On sait qu'elle est candidate pour adhérer à l'Union européenne ; or, c'est vrai que, quand on regarde les critères, on n'y est pas : les critères notamment économiques, les critères liés à la corruption. Est-ce que ça veut dire que, finalement, on va faire une exception de l'Ukraine au nom de la guerre ?
R - Ça veut dire deux choses : d'abord, être candidat, ce n'est pas être dans l'Union européenne demain. Être candidat, c'est un processus de réformes profondes, y compris sur l'oligarchisation. Donc, c'est quoi l'oligarchisation ? C'est l'utilisation d'argent public à des fins privées. Et évidemment, c'est une des réformes clés. Ça prend du temps, les négociations. Par exemple, la Slovénie qui a été le pays le plus rapide, ça a pris cinq ans. Donc là, on a une période importante dans laquelle l'Ukraine fait des réformes. Et bien évidemment, en fait, la question fondamentale c'est : c'est quoi l'Europe qu'on a aujourd'hui ? On a la guerre à nos portes. En Moldavie, ils entendent les bombes tomber. Ils sont inquiets, il y a des fausses informations...
Q - Mais est-ce que ça veut dire qu'on va être peut-être plus souples ?
R - Il y a dix pays, y compris les Balkans qui, eux aussi, sont en train de faire des réformes. Non, on ne va pas être plus souples ; on va se poser les questions différemment. Le sujet, aujourd'hui, c'est la sécurité du continent européen. Je crois et j'ai l'impression que parfois - il me semble que c'est M. Badinter qui le dit- on ne réalise pas le bouleversement du monde. Les Etats-Unis et la Chine ont des tensions inégalées. La Russie, c'est les frontières européennes : la Finlande, 1.300 kilomètres de frontière. Donc, on est en train de penser, pour la première fois depuis 70 ans, effectivement, et l'anniversaire de la naissance de l'Europe, à la sécurité et à la protection de notre continent.
Q - Elle pourrait faire partie de l'Europe quand ? Vous parliez de l'exemple précédent, cinq ans ; ça pourrait aller plus vite ?
R - Mais elle a déjà des contrats...
Q - Mais formellement ?
R - Formellement, mais elle n'est pas dans l'Europe ; on fait déjà beaucoup de choses avec l'Europe. La question c'est, est-ce que l'Europe à 35 sera la même que l'Europe à 27 ? Je ne sais pas. Ce qui est important aujourd'hui, c'est qu'on réfléchisse à comment on sécurise tout notre continent, y compris avec l'Ukraine.
Q - En France, on le voit, la réforme des retraites, elle se fait dans la douleur. Elle est toujours d'ailleurs contestée, à la fois par les oppositions, à la fois aussi par les syndicats. Bruxelles nous regarde comment, avec inquiétude ou, au contraire, se trouve rassurée ?
R - Je vais vous dire une chose, je vais même vous dire deux choses sur ce sujet : quand le Président de la République est arrivé, a été élu en 2017, il y avait 10 millions de retraités. En 2030, il y en aura 20. Donc évidemment, une réforme du système par répartition pour qu'il puisse durer était nécessaire. Maintenant, ce système par répartition, il est unique en Europe. Unique. Et donc, mes amis européens, quand ils regardent la télé, qu'ils lisent les journaux...
Q - Qui voient aussi les contestations, les mouvements sociaux.
R - Absolument. Ils ont été impressionnés que cette réforme, qui a été annoncée, soit menée jusqu'au bout. Parce que les réformes des retraites, on en parle beaucoup, avoir le courage de la faire, ce n'est pas évident.
Q - Donc, plutôt rassurée. Un mot aussi rapide sur...
R - Et vous savez, juste, laissez-moi ajouter ça, ils voient ça ; ils voient aussi l'Espagne qui en une semaine allonge l'âge de la retraite à 67 ans, et c'est un gouvernement de gauche qui le fait. Donc il fallait du courage, ça a été fait et ils le reconnaissent.
Q - Après Fitch, est-ce que vous craignez une nouvelle dégradation de l'une des deux autres agences de notation ? Et si oui, quel impact ça pourra avoir notamment sur les taux d'intérêt ?
R - Là aussi, je crois qu'il faut se poser la question de qu'est-ce qui est important : la trajectoire de finances publiques. Et là, on a eu le Covid, c'était le quoi qu'il en coûte, il fallait protéger l'économie. C'est terminé. Maintenant, on a devant nous une trajectoire de finances publiques qui doit assurer nos investissements dans la transition écologique, nos investissements dans la transition numérique, et être soutenable dans le temps. Donc, comme le disait Bruno Le Maire, on est dans une nouvelle phase de trajectoire de finances publiques. Oui, Fitch a dégradé la France...
Q - Vous redoutez que ça continue, que d'autres agences... ?
R - Je vais vous répondre... Moody's, quelques semaines plus tôt, ne l'a pas fait. Donc, nous verrons - Standard & Poor's -, je crois, il y a du subjectif dans les agences de notation et la façon dont sont prises en compte les réformes qui ont été faites comme la réforme des retraites et celles à venir, on voit bien entre Fitch et Moody's que ça varie d'une agence à l'autre.
Q - Donc ?
R - Donc, on est un peu plus optimiste.
Q - Vous êtes un peu plus optimiste. Aujourd'hui, il y a un débat à l'Assemblée nationale sur la proposition de loi de Renaissance pour rendre obligatoire la bannière européenne sur le fronton des mairies. Le MoDem s'est abstenu en commission. Pour eux, ce n'est vraiment pas l'essentiel. Et c'est vrai, est-ce qu'il y a vraiment urgence à légiférer sur le fait qu'il y ait une obligation de mettre ce drapeau européen ? Est-ce que c'est ça, l'important ?
R - Je comprends que les priorités sont l'inflation, le pouvoir d'achat des Français, il y en a encore beaucoup trop qui sont dans des situations très difficiles, mais ce n'est absolument pas... On n'a rien à opposer entre la protection du pouvoir d'achat des Français et le drapeau européen.
Q - Mais là, on prend du temps à débattre à l'Assemblée nationale, alors qu'on pourrait par exemple parler du logement.
R - Ça va durer une après-midi. La protection du pouvoir d'achat des Français, vous savez, c'est à la fois la France avec le bouclier énergétique, c'est aussi l'Europe qui a assuré l'approvisionnement en énergie cet hiver : du gaz pour l'Allemagne que nous avons envoyé et nous avons importé de l'électricité. Ça devrait faire consensus. Quand les extrêmes de droite ou de gauche cherchent à instrumentaliser justement ce pouvoir d'achat et les difficultés des Français, ça devrait faire consensus. Laissez-moi juste vous dire une chose : en 2007, Catherine Colonna demande que le drapeau européen soit affiché à l'Assemblée nationale. En 2008, M. Accoyer le fait. En 2013, on demande que le drapeau européen soit au fronton des écoles. En 2019, c'est Eric Ciotti lui-même qui demande que le drapeau européen soit au fronton des collèges et des lycées. Alors, revenons à des choses raisonnables. J'entends Manon Aubry sur votre antenne, qui dit : "C'est une forfaiture démocratique". Mais je vais vous répondre comme Mélanie Vogel : "sérieusement ?", un traité qui a été voté par 560 députés français ? Alors, je crois qu'on devrait au contraire, au moment où il y a la guerre, où la Commission est en Ukraine, se rassembler sur le fait que nous sommes des citoyens français et européens.
Q - On verra comment tourneront les débats. On a trente secondes. Les ministres, ils sont toujours accueillis par des casseroles. Est-ce que vous, vous en avez eu, des "casserolades", comme on dit, dans vos déplacements ?
R - Ecoutez, moi, j'étais en République tchèque, en Hongrie, mais aujourd'hui, je fais un tour des points d'Europe. Alors, peut-être, oui, mais il faut parler, il faut discuter.
Q - Emmanuel Macron, lui aussi, est systématiquement visé par des comités d'accueil. On l'a bien vu lors des commémorations du 8 mai, elles se sont faites un petit peu en mode bunkerisé, aussi bien à Paris qu'à Lyon. Il peut tenir longtemps comme ça, le Président ?
R - Je crois que cette semaine, la Première ministre va de nouveau recevoir les syndicats, les partenaires sociaux.
Q - La semaine prochaine.
R - La semaine prochaine et comme vous le dites, on a des sujets très importants à discuter, notamment le pouvoir d'achat et notamment la trajectoire, ce qu'on fait de l'Europe et comment la rendre souveraine et autonome, et ça me paraît plus important.
Q - Merci beaucoup, Laurence Boone.
R - Merci.
Q - Merci d'avoir été avec nous ce matin.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2023