Texte intégral
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : "Quelles réponses à l’envolée des prix des produits de grande consommation ?".
À la demande du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES, à l’initiative de ce débat, celui-ci se déroule en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées. La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde d’une durée d’une heure en présence de personnalités invitées, puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d’une durée d’une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à M. Gérard Le Puill, journaliste, à M. Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de formation des prix et des marges des produits alimentaires, l’OFPM, et à M. Olivier Andrault, chargé de mission à l’UFC-Que choisir. Je vais maintenant donner la parole à chacun de nos invités, pour une intervention d’environ cinq minutes.
(…)
Mme la présidente
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme
Par quelques mots introductifs, je vais dresser les constats que je souhaite partager avec vous avant d’essayer, à travers les réponses aux questions que vous me poserez, de répondre à l’interrogation qui fait l’objet du débat de ce matin : « Quelles réponses à l’envolée des prix des produits de grande consommation ? »
Je ne doute pas que la première heure du débat, passée avec les spécialistes, aura été éclairante. Les conséquences de l’inflation sur les prix des produits de grande consommation en France sont claires. En avril 2023, l’inflation des produits de grande consommation s’établissait à 5,9%, contre 5,7% le mois précédent. Les produits alimentaires ayant subi la plus forte hausse en un an – il me semble important de rappeler ces évidences – sont le sucre – + 27% –, les huiles – + 25% –, la farine – + 24,7% –, le beurre – +24% – et les pâtes alimentaires– + 20%.
Depuis le début de l’année, nous assistons à une baisse globale d’environ 5% des volumes de vente des produits de grande consommation, avec une diminution très marquée s’agissant de plusieurs catégories de produits alimentaires – liquides, surgelés, frais non laitier. En tant que ministre déléguée chargée de la consommation, je surveille évidemment ces chiffres avec attention. Je me déplace, j’écoute, je lis, je prends en considération les préoccupations exprimées par nos concitoyens et que vous, élus, me faites remonter.
Comme vous le savez – et nous aurons très certainement l’occasion d’y revenir au cours de nos échanges –, avec Bruno Le Maire, nous avons instauré depuis le 15 mars un trimestre anti-inflation, démarche à laquelle la grande distribution s’est pleinement associée.
Je saisis l’occasion qui m’est donnée de rappeler quelques vérités sur cette mesure. Elle n’a jamais eu vocation à casser l’inflation, d’autant qu’elle ne concerne qu’un peu plus de 2 000 des 20 000 produits vendus par les hypermarchés. Son ambition était triple. Premièrement, s’assurer de l’arrêt de l’inflation des prix pour les produits visés – c’est bien le cas. Deuxièmement, encourager les premières baisses de prix : six semaines après le déploiement du dispositif, nous constatons une diminution d’environ 5 % du prix des produits concernés. Bien entendu, ce chiffre est une moyenne : la baisse peut être un peu plus ou un peu moins importante selon les distributeurs. Troisièmement, freiner la baisse des volumes, notamment des MDD. Ce n’est pas un sujet anodin, car derrière les MDD, on trouve très majoritairement des PME agroalimentaires, des producteurs et des éleveurs français. L’importante baisse des volumes que nous avons constatée en début d’année a été partiellement freinée par le trimestre anti-inflation, et nous assistons à une remontée à deux chiffres des volumes sur différents produits frais, notamment les viandes et poissons.
Si nous estimons à 5% la baisse des prix des produits depuis le lancement du trimestre anti-inflation, l’inflation des produits alimentaires s’est stabilisée à 15,9% en mars avant d’entamer une décrue en avril, où elle n’atteint plus que 14,9%. Il faut voir cette diminution de 1% comme un signal.
La semaine prochaine, avec Bruno Le Maire, nous recevrons à Bercy les distributeurs pour évoquer les modalités d’une prolongation du dispositif au-delà du 15 juin, afin de protéger les ménages jusqu’à la rentrée. Comme je ne doute pas que nous en parlerons ensemble dans l’heure qui vient, je ne serai pas plus longue.
Nous avons choisi d’en appeler à la responsabilité de chacun. Ainsi, parallèlement à l’instauration d’un trimestre anti-inflation, nous avons écrit aux industriels considérés comme les grands fournisseurs de l’industrie agroalimentaire pour leur demander de rouvrir les négociations commerciales le plus rapidement possible : des baisses de prix sont possibles, il faut créer les conditions d’y parvenir. L’État a pris sa part, tout comme les distributeurs ; les consommateurs prennent la leur au quotidien ; nous attendons désormais des industriels qu’ils fassent de même, sans mettre en péril les objectifs de souveraineté alimentaire et industrielle défendus par le Gouvernement et, bien entendu, dans le strict respect des dispositions de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Egalim 1, et de la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Egalim 2. Nous veillerons à ce que tous jouent le jeu. Les baisses de prix d’achat doivent être répercutées intégralement pour les consommateurs : c’est l’une des conditions pour faire aboutir les renégociations qui s’engagent.
Avant de laisser la place aux questions, je tiens à rappeler que le trimestre anti-inflation et l’ouverture de négociations avec les industriels font suite au déploiement de tout un arsenal de mesures – que vous êtes d’ailleurs plusieurs à avoir voté ces derniers mois : plafonnement des hausses de loyer, bouclier tarifaire sur l’énergie, remises sur le carburant, prime pour les gros rouleurs, autant de mesures qui ont permis de préserver le pouvoir d’achat des Français face à cette difficile vague inflationniste.
Quelques chiffres pour terminer mon propos liminaire : selon l’Insee, la croissance a été positive au quatrième trimestre de 2022, et atteint même 2,6% sur l’année. Au quatrième trimestre, l’évolution du pouvoir d’achat a également été positive, puisqu’il a progressé de 0,8% selon l’Insee. Malgré un contexte particulièrement difficile, le pouvoir d’achat a donc été globalement préservé en 2022, puisque son évolution a été estimée à plus ou moins 0,2%, selon qu’on s’exprime en données agrégées ou en unités de consommation. Si on prend en compte les chèques énergie, le pouvoir d’achat ajusté a progressé de 1,2% en 2022. Il me semblait important de partager ces chiffres avec vous et de rappeler le contexte pour donner plus de perspective au débat. Je me tiens désormais à votre disposition pour vous écouter et répondre à vos questions.
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Daniel Labaronne.
M. Daniel Labaronne (RE)
Je vous remercie, madame la ministre déléguée, pour votre intervention liminaire.
En un an, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 15%. Face à cette hausse, le Gouvernement a agi en faveur du pouvoir d’achat, notamment en revalorisant les minima sociaux, en distribuant des chèques exceptionnels pour compenser l’augmentation des coûts de l’énergie et du carburant – vous l’avez dit –, en poursuivant la baisse de la fiscalité et en développant l’emploi pour favoriser la croissance.
En outre, il a maintenu une pression constante sur la grande distribution : d’une part, en prenant l’initiative d’un pacte conclu en 2022 pour éviter une répercussion de la hausse des prix de l’énergie et des services des PME dans les négociations commerciales ; d’autre part, en instaurant un trimestre anti-inflation. En vigueur depuis le 15 mars, ce dispositif atteint son objectif, puisque le prix des produits concernés a baissé de 5%, tandis que leur volume de vente a augmenté de 35%. Mais alors que le cours des matières premières – et notamment celui des denrées alimentaires comme l’huile, les céréales et les pâtes – est désormais en repli sur les marchés mondiaux, avec un recul de près de 20% en un an, leur prix continue à augmenter en supermarché.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Egalim 1, les négociations entre industriels et distributeurs peuvent désormais rouvrir en cours d’année en cas de variation importante du prix des matières premières. En conséquence, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et vous-même, ministre déléguée chargée du commerce et de l’artisanat, avez écrit aux professionnels pour organiser une renégociation au cours de l’été. Selon quels processus et calendrier les négociations pourraient-elles avoir lieu ? Quel ordre de grandeur de baisse de prix permettraient-elles d’espérer ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Courant 2022, le Gouvernement avait soutenu et autorisé la réouverture de négociations qui avaient permis d’adapter rapidement le prix des produits à la forte augmentation des prix des matières premières subie par les industriels de l’agroalimentaire. Il y a quelques semaines – à la fin de la troisième semaine d’avril, précisément –, avec Bruno Le Maire, nous leur avons donc écrit pour leur demander, en retour, de rouvrir des négociations maintenant que ceux-ci diminuent.
La semaine prochaine, nous recevrons les acteurs de la grande distribution au sujet de l’éventuelle prolongation du trimestre anti-inflation. Ce sera l’occasion d’évoquer la réouverture commerciale des négociations, dont plusieurs ont déjà été entamées – c’est donc bel et bien possible –, et de savoir si des difficultés se présentent avec certains grands industriels en particulier. Après cet échange, nous ouvrirons si nécessaire une phase de name and shame – pardonnez cet anglicisme : avec Bruno Le Maire, nous n’aurons aucun scrupule à nommer dans le débat public les industriels qui refuseraient de rouvrir les négociations alors que le prix de plusieurs matières premières est en baisse. Si cela ne suffit pas, nous prendrons nos responsabilités et envisagerons d’autres actions, éventuellement fiscales, grâce à tous les outils à notre disposition.
M. André Chassaigne
Le name and shame ? Qu’est-ce que c’est que ça ?
M. Daniel Labaronne
Cela signifie dénoncer, donner les noms.
M. André Chassaigne
Ah ! On pourrait parler français, tout de même !
Mme la présidente
La parole est à Mme Emeline K/Bidi.
Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES)
L’envolée des prix de grande consommation touche durement l’ensemble des Français, mais tout particulièrement les ultramarins, qui faisaient déjà face à la vie chère et subissent désormais la vie très chère. Parmi les causes de cette situation, on note surtout la forte augmentation du coût du fret. Dans le même temps, les enseignes de la grande distribution engrangent des bénéfices records. Alors, quelles solutions pour l’outre-mer ?
Chaque fois que j’aborde la question des prix en outre-mer, je m’entends dire que l’inflation en outre-mer serait moindre que dans l’Hexagone : permettez-moi de rappeler que le niveau général des prix des produits de grande consommation y est pourtant 7% à 12% plus élevé. Je m’entends également répondre que les collectivités devraient diminuer l’octroi de mer. Mais si, à mes yeux, l’octroi de mer mérite en effet une refonte, rogner sans contrepartie sur le budget de nos collectivités ne saurait être une solution. En effet, les collectivités, qui financent nos services publics et génèrent des emplois dans des territoires marqués par le chômage, sont elles aussi confrontées à l’envolée des prix.
Réviser l’octroi de mer nécessiterait un meilleur accompagnement des collectivités par l’État. Cela aurait pu être possible en indexant sur l’inflation la dotation globale de fonctionnement (DGF), mais vu l’énergie que la majorité a déployée hier pour faire de l’obstruction aux propositions faites dans le cadre de la niche parlementaire de mon groupe, nous avons bien compris que vous n’en feriez rien. Si elles sont indispensables, les mesures de régulation de la concurrence en outre-mer ne suffisent pas à faire baisser durablement les prix. Partant, les solutions doivent se fonder sur deux axes : améliorer le pouvoir d’achat et encadrer les prix. Madame la ministre déléguée, quand allez-vous agir en ce sens ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Comme je déteste mettre le président Chassaigne en colère, je suggère de remplacer le name and shame par " promouvoir et dénoncer ", même si ce n’est pas très joli. Je voulais donc dire, en bon français, que nous n’aurons aucun scrupule à faire la promotion des industriels qui jouent le jeu et à dénoncer les autres.
M. André Chassaigne
D’accord.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Objection retenue, président. (Sourires.)
S’agissant des prix en outre-mer, je ne rappellerai pas vos constats, d’autant que vous connaissez mieux que moi la situation. Plusieurs causes structurelles expliquent les écarts de prix entre l’outre-mer et l’Hexagone – vous les connaissez aussi –, au premier rang desquelles l’éloignement des territoires et l’étroitesse des marchés.
Comme vous le savez, en 2022, la démarche " Oudinot du pouvoir d’achat " a permis de négocier avec les acteurs locaux, qui ont renforcé leurs engagements et bloqué, voire diminué, les prix sur un panier de produits de première nécessité dans le cadre du bouclier qualité prix plus (BQP+). Ce dispositif m’a été inspiré par le BQP, créé en 2012, qui prévoit à ce jour une liste de 153 produits de grande consommation, dont le prix est réduit et contrôlé par l’État. Il permet donc de garantir leur rapport qualité-prix.
Enfin, vous avez mentionné la refonte de l’octroi de mer : je tiens à rappeler qu’il s’agit aussi et surtout d’une promesse électorale faite par le Président de la République. Ce n’est pas là une fin en soi, mais un moyen de favoriser l’émergence de nouvelles activités et d’adapter davantage le modèle économique ultramarin aux défis qui l’attendent, avec trois objectifs complémentaires : conforter le financement des collectivités locales, pour lesquelles l’octroi de mer constitue une ressource essentielle ; soutenir la production locale ; diminuer les prix grâce à la réduction de la fiscalité.
Mme la présidente
La parole est à M. Max Mathiasin.
M. Max Mathiasin (LIOT)
Selon qu’il est installé outre-mer ou dans l’Hexagone, un foyer donné, disposant d’un revenu donné, n’a pas le même pouvoir d’achat : les prix des produits de grande consommation sont en effet plus élevés dans les territoires ultramarins. On dit que l’inflation y est moins marquée qu’au niveau national, mais il ne s’agit là que d’une moyenne : en fonction du lieu et du produit, les augmentations peuvent atteindre 40%, voire davantage ! Vendus par les grands industriels au même prix que dans l’Hexagone, ces biens n’arrivent dans le panier du consommateur d’outre-mer qu’après avoir subi des renchérissements liés au fret, à la fiscalité, etc. Du reste, cette vente au même tarif est-elle normale alors que la communication des marques n’est pas la même outre-mer, que nos concitoyens ultramarins ne bénéficient pas de la même façon des campagnes de publicité, de marketing, dont le coût représente une bonne partie du prix des produits ? Serait-il envisageable de demander aux industriels d’adopter des tarifs « import » ?
Je souhaitais par ailleurs signaler un autre problème rencontré par les consommateurs des territoires français éloignés du continent : les dates limites de consommation (DLC) y sont les mêmes que dans l’Hexagone, alors que les produits concernés parviennent outre-mer après huit ou dix jours de transport, ce qui laisse d’autant moins de temps pour les consommer. Les distributeurs sont alors contraints de les écouler plus rapidement ou de répercuter sur le client le coût des pertes – alors même que nombre de ces denrées seraient parfaitement consommables une, deux, trois, voire quatre semaines après leur DLC ! Il s’agit là d’une situation bien connue de tous les acteurs économiques, et ce depuis des années. Que diriez-vous, madame la ministre déléguée, d’une révision de ces DLC, qui constituent un facteur d’augmentation des prix et de gaspillage alimentaire ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Ne souhaitant pas me répéter, monsieur le député, je préfère ne pas revenir, par exemple, sur le BQP. Vous évoquez deux sujets que j’ai déjà abordés au cours de mes échanges avec l’Association nationale des industries alimentaires (Ania) et l’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (Ilec), pour ne pas les citer ; il ne vous aura d’ailleurs pas échappé que ce n’est pas moi qui fixe les prix – heureusement, même si je sais que nous ne sommes pas d’accord sur ce point. Je suggère donc que nous organisions dans les prochaines semaines un rendez-vous avec l’Ania et l’Ilec auquel ce serait une bonne chose que vous participiez également, monsieur Mathiasin. Nous pourrions ainsi traiter à la fois de la part des dépenses de communication dans la constitution des prix industriels et de la pertinence de la DLC, car vous avez soulevé là un problème important, auquel je suis particulièrement sensible. Si vous y consentez, je vous propose que dans les jours qui viennent nous échangions directement, vous et moi, peut-être mes équipes, et que nous allions parler de tout cela aux représentants des industriels.
Mme la présidente
La parole est à Mme Edwige Diaz.
Mme Edwige Diaz (RN)
L’été approche, et avec lui une période néfaste pour les animaux de compagnie : rappelons que la France détient le funeste titre de championne d’Europe des abandons – près de 100 000 chaque année. Si j’évoque aujourd’hui ce drame, c’est parce que son motif est de plus en plus souvent financier. Il ressort d’un récent sondage de l’Ifop qu’un Français sur quatre a déjà renoncé pour des raisons financières à adopter un animal de compagnie, ce qui ne va pas contribuer à vider des refuges saturés : dans ma région, la Société protectrice des animaux (SPA) de la Gironde tire régulièrement la sonnette d’alarme, celle de Limoges a annoncé sa très probable fermeture dans les semaines à venir, faute de moyens et face à la recrudescence du nombre d’animaux recueillis.
Pour les propriétaires, l’augmentation du coût de la nourriture de leur animal s’ajoute à celle de leur propre alimentation. Si l’on déplore que le prix des croquettes ait augmenté de 18% par rapport à l’année dernière, il y a de quoi s’affoler quand on lit qu’en 2023, l’alimentation destinée aux animaux devrait connaître une inflation de 40%, soit la plus forte hausse constatée dans les rayons. Un animal qui coûtait, il y a deux ans, 450 euros en coûte désormais 650, soit 200 euros de plus ! Ce qui est dramatique et scandaleux, c’est que ces augmentations ne sont pas seulement dues à l’inflation touchant l’énergie et les matières premières, mais aussi et surtout aux marges toujours croissantes des grands groupes. Lorsque les Français vont faire leurs courses, madame la ministre déléguée, ils ont l’impression de ne plus tant nourrir leurs animaux de compagnie que les actionnaires et les profiteurs de crise !
Au cours de votre propos liminaire, vous nous avez fait part de votre intention de négocier avec les industriels et distributeurs ; en revanche, vous n’avez pas mentionné l’alimentation animale. Ma question sera donc la suivante : ce sujet, qui concerne au plus haut point les millions de propriétaires d’animaux que compte la France, suscite-t-il également votre intérêt ? Je souhaite que ce soit le cas, ce qui permettrait d’éviter, dans les prochaines semaines, un drame animalier sans précédent.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Madame la députée, vous évoquez une réalité qu’à Bercy, nous surveillons de près depuis des mois. Je ne suis donc pas étonnée d’entendre les chiffres que vous avez cités concernant la hausse du prix des croquettes pour animaux : nous avions anticipé le phénomène.
Pour ma part – c’est certainement l’un de mes défauts –, je parle rarement des « grands groupes » mais plutôt, selon le cas, des distributeurs ou des industriels : la complexité de la chaîne agroalimentaire nécessite d’identifier les acteurs que l’on peut soupçonner de profiter de la situation. Le chiffre de 40 % d’augmentation a ainsi été très tôt brandi sur les plateaux de télévision par M. Michel-Édouard Leclerc. En mentionnant les « grands groupes », il devient facile – mais tel n’était pas le sens de votre propos – de mettre tout le monde dans le même sac, ou plutôt dans le même caddie, et de désigner de la sorte des boucs émissaires ; encore une fois, si tant est qu’il y ait eu des abus, il importe d’être précis concernant leur provenance.
En réalité, les croquettes alimentaires sont très majoritairement composées de céréales, notamment de blé et d’avoine, dont l’évolution des cours a été particulièrement puissante. Il était donc logique que le prix de ces produits connaisse des hausses à deux chiffres ; il est tout aussi logique qu’il diminue en proportion de la baisse des cours. En un an, le prix du blé a été réduit de 40%, celui de l’avoine de 25% : ce sont là deux bonnes raisons d’inscrire ces croquettes sur la liste des produits dont faire baisser en priorité le tarif dans le cadre des renégociations commerciales que Bruno Le Maire et moi-même appelons de nos vœux. Nous sommes en droit de réclamer cette baisse, et je prendrai mes responsabilités à ce sujet.
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Fernandes.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES)
Le 6 avril, journée de niche parlementaire du groupe Écologiste-NUPES, était examinée la proposition de loi visant à mieux manger en soutenant les Français face à l’inflation et en favorisant l’accès à une alimentation saine. J’avais déposé, avec d’autres membres du groupe LFI-NUPES, un amendement prévoyant l’extension à l’ensemble du territoire national du BQP instauré outre-mer par la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer, dite loi Lurel, et que vous venez d’évoquer de manière plutôt favorable, même si nous entendons qu’il reste des améliorations à apporter.
Le BQP consiste à fixer par arrêté préfectoral le prix global maximal d’un panier de biens de première nécessité – alimentation, hygiène, produits pour bébé, etc. –, prix déterminé à l’issue d’une négociation entre producteurs, industriels et distributeurs, conduite par le préfet et, depuis 2020, impliquant les citoyens, auxquels un questionnaire en ligne permet de participer à la sélection des biens dont ils souhaitent voir bloquer le tarif. Ce dispositif vertueux, notamment en raison de cette participation populaire, a fait ses preuves, même si, encore une fois, il demeure susceptible d’amélioration. Comme la majorité des députés présents le 6 avril, nous pensons donc que l’intégralité de notre territoire devrait pouvoir en bénéficier.
Il ne s’agirait pas ici d’une mesure analogue au trimestre anti-inflation voulu par le Gouvernement, qui revient à laisser la grande distribution décider seule des produits dont elle daignera baisser le prix – et qui, souvent, ne sont pas les meilleurs pour la santé. Dès lors, ma question est la suivante : puisque vous dites à qui veut l’entendre que vous souhaitez coconstruire, avancer en constituant des majorités au cas par cas, pourquoi ne pas tenir compte du fait que mon amendement, le 6 avril, avait été adopté, et généraliser le BQP ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Il est manifeste – cela contribue à l’intérêt de nos échanges – que nous ne sommes pas d’accord, entre autres, au sujet du trimestre anti-inflation, dont vous estimez qu’il laisse les distributeurs libres de choisir les biens en cause. Cette mesure appliquée du 15 mars au 15 juin concerne jusqu’à 2 000 produits – contre 153 pour le BQP, la réalité économique insulaire n’étant pas la même qu’en métropole – dont tous les acteurs de la grande distribution se sont engagés à ne pas augmenter le prix et à commencer à le réduire. Je ne vous dissimulerai d’ailleurs pas que je me suis inspirée du BQP au point de parler initialement d’un " panier anti-inflation ", comme vous devez vous en souvenir ; la différence entre les difficultés structurelles que rencontre La Réunion, à l’origine du BQP, et la situation métropolitaine nous ont ensuite fait évoluer vers la notion de trimestre et vers le fait que, contrairement à ce qui se passe à La Réunion, l’État ne fixerait pas lui-même les prix.
Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est le résultat de cette mesure après six ou sept semaines. Au sujet des prix bloqués, nous ne sommes pas d’accord non plus : en Hongrie, où ce dispositif est en vigueur, les prix des denrées alimentaires ont augmenté d’environ 44%, contre 30% en Ukraine ! En revanche, le trimestre anti-inflation a d’ores et déjà entraîné dans les rayons une baisse des prix de 5% : nous préférons cette solution.
Mme la présidente
La parole est à M. Christian Baptiste.
M. Christian Baptiste (SOC)
Certaines entreprises adoptent ouvertement une stratégie de profiteurs de crise : il y a là matière à rouvrir le débat concernant la taxation des superprofits, d’autant que les choses sont pires encore lorsque ces sociétés dominent fortement le marché, voire se trouvent en situation de quasi-monopole, comme dans les secteurs de l’énergie et des transports. En attendant le rapport consacré au coût de la vie outre-mer qui sera réalisé à l’initiative de mon collègue martiniquais Johnny Hajjar, nous constatons cette réalité dans les territoires ultramarins.
S’agissant des denrées alimentaires, envisagez-vous de fixer un plafond ? Cela a déjà été fait par le passé. La loi de 1793 dite du maximum, par exemple, imposait un plafond au prix des grains. On a tendance à oublier également que, de 1793 à 1986, le prix du pain était réglementé en France. Il paraît toutefois difficile d’encadrer la totalité des prix des biens de consommation, je dois bien l’admettre. Dès lors, outre l’encadrement des prix des produits de première nécessité, seriez-vous favorable à l’indexation des salaires sur l’inflation, de telle sorte que les salaires augmentent automatiquement, en parallèle de la hausse des prix ? Une telle mesure n’aurait, elle non plus, rien de très révolutionnaire. Ce que l’on appelle l’échelle mobile des salaires a existé en France de 1952 à 1982 et existe encore dans certains pays. Ainsi, en Belgique, l’ensemble des salaires a augmenté mécaniquement cette année, car ils sont indexés sur l’inflation, et le salaire de base des employés a progressé de 11% l’année dernière ; au Luxembourg, il existe également un système d’ajustement automatique des salaires et des traitements dès que l’inflation cumulée de l’indice du coût de la vie atteint 2,5%. Cette obligation s’impose à tous les employeurs. Quelle est, madame la ministre déléguée, la position du Gouvernement sur les différentes propositions que je viens d’exposer ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Votre question est riche, monsieur le député, et je vais m’efforcer d’y répondre en tous points. Vous pointez des acteurs qui auraient indûment profité de l’inflation alimentaire. Je fonderai la première partie de ma réponse sur deux documents qui me semblent intéressants et importants et qui, quoi qu’en pensent certain, ne divergent pas dans leur analyse : l’étude de l’Institut La Boétie (Mme Aurélie Trouvé sourit) – eh oui, il peut m’arriver de vous surprendre ! – et celle de l’Inspection générale des finances (IGF) sur l’inflation alimentaire. La seule différence entre les constats que les deux organismes font froidement de la situation tient aux dates qu’ils ont respectivement retenues. D’après les calculs de l’Institut La Boétie, la marge des industriels contribuerait à hauteur de 36% à la hausse des prix de production des biens agroalimentaires entre le quatrième trimestre 2021 et le quatrième trimestre 2022, contre 59 % pour la flambée des coûts liée aux intrants et 5 % pour l’augmentation des salaires et impôts nets sur la production.
Si l’institut a bien repris la méthode retenue par la mission diligentée par l’IGF, ce sont les dates de comparaison qui posent problème dans son analyse. L’institut compare en effet le quatrième trimestre 2022 au quatrième trimestre 2021, là où l’IGF compare l’année 2022 à l’année 2019, antérieure à la vague inflationniste. Si l’on retient ces deux bornes, l’excédent brut d’exploitation (EBE) – que l’on peut considérer comme le profit – ne contribue qu’à hauteur de 2% à la hausse des prix du secteur et non à hauteur de 36 % comme indiqué par l’institut. L’augmentation des prix de vente s’explique entièrement par l’augmentation du prix des intrants et, en parallèle – c’est le point le plus important –, les industriels ont simplement restauré leurs marges post-crise. Je tiens à la disposition de ceux d’entre vous que cela intéresse le graphique qui me semble être le plus intéressant, présentant le taux de marge des industriels.
Mme la présidente
Je vous remercie de conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
La vraie question, monsieur le député, est celle-ci : cette hausse constitue-t-elle bien un rattrapage ou ne s’agit-il que d’une tendance ? La première hypothèse peut s’entendre, pas la deuxième.
Mme la présidente
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne (GDR-NUPES)
Je voudrais revenir, madame la ministre déléguée, sur un point abordé au début de notre échange. La méthode du Gouvernement consiste à envisager des modalités pour prolonger le panier anti-inflation, à faire appel à la responsabilité ou à solliciter les industries agroalimentaires pour l’ouverture de négociations commerciales… Bref, on voit bien que c’est une méthode de Bisounours, en quelque sorte. Vous dites que le Gouvernement veille à ce que tous jouent le jeu. Ma question est donc la suivante : quels sont les outils dont vous disposez pour évaluer l’action des uns et des autres ? La question a été soulevée lors de la première partie de nos échanges, en particulier par le représentant de l’UFC-Que Choisir : quels contrôles existent actuellement sur la politique qui est conduite ? On nous répond en citant l’Institut La Boétie ou encore l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, dont le président nous expliquait tout à l’heure que l’analyse des marges nécessite un certain temps – comme le refroidissement du canon de Fernand Raynaud !
L’approche du Gouvernement consiste à faire confiance à la grande distribution et à l’industrie agroalimentaire. Ne pensez-vous pas, madame la ministre déléguée, qu’il faudrait faire une analyse plus approfondie ? De quels outils disposez-vous pour cela ? Ne croyez-vous pas, comme plusieurs intervenants, qu’il faudrait contraindre les prix ? En fin de compte, en effet, tout ce dont nous parlons est provisoire et nourrit la communication. Mais dans la durée, les prix augmentent et on ne sait pas si ce sera aussi le cas des marges.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Nous ne serons pas d’accord sur cette question, monsieur le président Chassaigne – c’est ce qui rend notre échange intéressant. Je ne crois pas en effet, et je l’assume, que l’inflation alimentaire soit condamnée à aller de pair avec une inflation normative. L’inflation, c’est maintenant – ce n’est pas faute de l’avoir dit dès la fin de l’année dernière. C’est au deuxième trimestre de cette année 2023 qu’elle se révèle très forte, et nous nous y attendions. Pour tout vous dire – je n’ai pas vocation à le cacher –, la situation sera encore difficile au mois de mai, et le mois de juin ne sera pas facile non plus. S’il avait fallu que nous nous mettions tous autour d’une table pour envisager une loi, vous qui avez plus d’expérience que moi, monsieur le député, savez bien que le trimestre anti-inflation ne serait pas en place. Nous aurions en effet pris le temps de légiférer, nous aurions été soumis à des injonctions contradictoires, et il n’y aurait sans doute aujourd’hui ni panier ni trimestre.
Il est vrai qu’avec Bruno Le Maire, nous avons fait volontairement un choix qui n’est pas un choix de Bisounours – avec tout le respect que j’ai pour ces derniers. C’est un choix de confiance. Mais vous savez mieux que moi, historiquement, que la confiance n’exclut pas le contrôle. La DGCCRF contrôle depuis le 15 mars, dans l’ensemble des établissements de la grande distribution, la réalité des prix affichée et, le cas échéant, celle des prix coûtants, au regard des prix pratiqués juste avant la mise en œuvre du trimestre anti-inflation. Le président de l’OFPM a raison de souligner qu’il faut du temps – raison pour laquelle les contrôles ont lieu chaque semaine et de façon régulière – pour mesurer la réalité de l’évolution des marges, huit à neuf semaines après le lancement du trimestre anti-inflation.
Vous savez comme moi, ensuite, qu’il existe des acteurs indépendants et des acteurs cotés. L’avantage des indépendants, c’est qu’ils nous donnent leurs chiffres, que nous les vérifions et que la DGCCRF est ainsi en train de les analyser.
Mme la présidente
Merci de conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Il est important de dire que la part de marge que les acteurs de la grande distribution ont rognée pour faire baisser les prix dans le cadre du trimestre anti-inflation se compte en dizaines de millions d’euros pour l’immense majorité d’entre eux et dépasse 100 millions d’euros pour certains. Le pacte de la solidarité commerciale en octobre-novembre a tout de même démontré, monsieur le président Chassaigne, que sans loi, sans décret, sans arrêté, il n’y a pas une seule PME qui n’ait réussi à surmonter l’augmentation de ses coûts énergétiques. C’était un engagement fondé sur la confiance, qui a été respecté.
Mme la présidente
La parole est à Mme Aurélie Trouvé.
Mme Aurélie Trouvé (LFI-NUPES)
L’autosatisfaction du Gouvernement me paraît quelque peu inopportune. Je voudrais vous présenter un graphique qui démontre l’ampleur de l’urgence. (L’oratrice brandit une feuille sur laquelle est imprimé un graphique.)
Mme la présidente
Il ne vous est pas permis de présenter un document, madame la députée.
Mme Aurélie Trouvé (LFI-NUPES)
La chute montrée par ce graphique au cours des derniers mois illustre l’évolution du volume de consommation alimentaire. Celui-ci a retrouvé cette année son niveau de 2007, alors que notre pays compte 4 millions d’habitants en plus. Je ne sais pas si vous imaginez ce que cela signifie. Les gens sont de plus en plus nombreux à sauter des repas. Il y a deux jours, la fédération des banques alimentaires m’a précisé qu’en un an, 30% de personnes supplémentaires ont fait appel à l’aide alimentaire. Voilà ce qui se passe !
Au profit de qui ? Avec mes collègues économistes – mon ancien métier –, nous avons travaillé sur des statistiques, de l’Insee notamment, démontrant qu’au cours du dernier semestre 2022, la hausse des prix alimentaires s’explique, à hauteur de 51%, par la hausse des marges de l’industrie agroalimentaire. Votre loi Descrozaille, tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, aggrave d’ailleurs les choses, madame la ministre déléguée. Le ministre Bruno Le Maire lui-même, interpellé à ce sujet par un média, a dû admettre le problème.
Votre fameux trimestre anti-inflation ne fait que prier les seuls distributeurs de faire un effort. Je sais bien que la directrice de la communication de l’Ania vient de rejoindre le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, au sein duquel elle occupera le même poste, mais on s’attendrait tout de même à ce que vous fassiez davantage, dans cette situation d’urgence, pour agir contre les grands groupes agroalimentaires. Ma question est donc simple : à partir de quelle ampleur de drames humains et de non-respect de la sécurité alimentaire dans notre pays consentirez-vous à réguler un tant soit peu les prix et les marges des grands groupes agroalimentaires ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Je répondrai avec plus de calme et, en tout cas, sans désigner personne nommément – ce que je trouve peu élégant, en particulier en politique. Je vous laisse à vos ressentis, madame la députée, s’agissant de l’autosatisfaction que vous évoquez. Lorsque l’on fait face aux difficultés que nous traversons depuis plusieurs années, il n’y a pas d’autosatisfaction, il n’y a que la réalité. Un économiste – vous l’étiez, je ne sais pas si vous l’êtes encore – doit aussi considérer la froideur des chiffres. Il n’est pas nouveau qu’un certain nombre de nos compatriotes rencontrent des difficultés. J’ai eu l’occasion de m’en rendre compte pour m’être occupée de ces sujets pendant deux ans en tant que secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable, au service des associations luttant notamment contre la précarité alimentaire. Constater le taux d’inflation alimentaire en mars 2023 en Europe, ce n’est pas faire preuve d’autosatisfaction, mais faire une observation : la moyenne européenne se situe à 19,2%, contre 14,9% en France. En dépit de ce que disaient certains de vos collègues, ce taux est bien inférieur à celui que connaît la Belgique où les salaires, je le rappelle, sont indexés sur l’inflation – je n’avais pas eu le temps de répondre au député Baptiste à ce sujet.
Pour le reste, madame la députée, vous mentionnez ce qui serait « ma » loi Descrozaille. Je rappelle que ce texte, d’initiative parlementaire, a été voté à l’unanimité. Je subodore donc qu’un certain nombre de députés ici présents, possiblement de votre groupe, y ont adhéré. En tout cas, par définition, aucun député ne s’y est opposé.
Nous n’avons pas la même vision politique des choses, mais cette divergence peut s’exprimer dans le respect. Je ne crois pas que le blocage des prix soit la solution, comme le prouve la situation de certains pays européens. Je crois aussi que tout ne doit pas obligatoirement passer sous les fourches caudines de la loi et que, comme d’autres démocraties, nous pouvons trouver des accords avec les acteurs économiques sans les caricaturer ou les discréditer. Je l’ai dit et je le redis avec force : premièrement, nous avons écrit aux industriels. Deuxièmement, nous les rencontrerons bientôt et n’hésiterons pas à dénoncer ceux qui ne veulent pas rouvrir des négociations, ainsi qu’à communiquer le nom de ceux qui acceptent de le faire. Troisièmement, je redis clairement ce qu’a dit Bruno Le Maire : si les deux premières étapes ne fonctionnent pas, il nous reste une arme, celle de la fiscalité, et nous prendrons nos responsabilités.
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Maillot.
M. Frédéric Maillot (GDR-NUPES)
Il a été reconnu, à l’occasion des débats de la niche parlementaire du groupe Écologiste, que le bouclier qualité prix n’avait reçu qu’un accueil mitigé de la part des Réunionnais, notamment parce que 20% des produits proposés dans ce BQP sont fréquemment en rupture de stock. La majorité a même reconnu qu’il s’agissait d’une mesure perfectible. Ce panier est aujourd’hui composé de 153 produits, pour un prix total de 348 euros. Votre collègue Jean-François Carenco se félicite de l’ajout de produits de bricolage, qui ne correspondent cependant en rien aux besoins des Réunionnais en matière de pouvoir de vivre – et non de pouvoir d’achat. Ce que nous voulons, ce sont des mesures efficaces répondant à leurs attentes. Il y a beaucoup de communication sur le passage du BQP au BQP+, mais force est de constater que la montagne a accouché d’une souris ; " Tant d’arrivisme pour si peu d’arrivage ", aurait dit Salvador Dali.
La commission d’enquête sur la vie chère dans les outre-mer a permis de confirmer la présence d’une structure oligopolistique des acteurs de la grande distribution, fixant les prix en fonction de leur bon vouloir. L’Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) ne peut en effet accéder aux données relatives à la formation des prix, qui relèvent pourtant de sa mission principale. La grande distribution lui impose un droit au secret des affaires qui rend impossible l’exécution de sa mission. Il est également important de rappeler que le statut juridique et les fonds de l’OPMR sont trop limités pour lui permettre de mener à bien ses enquêtes.
Madame la ministre déléguée, vous qui êtes chargée du commerce, quels leviers pourrait-on actionner pour faire baisser efficacement les prix en outre-mer ? Cette question n’a rien de politique ni de clanique ; croyez-moi, à La Réunion, on est en train de crever la bouche ouverte. Les prix flambent partout et cela devient très compliqué. Je me fais porte-parole d’un peuple en souffrance : il faut trouver des solutions rapides. Une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les outre-mer est en cours ; quand la France découvre la vie chère, nous sommes déjà dans la vie très, très chère depuis bon nombre d’années !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Merci pour votre question, monsieur Maillot. Il est intéressant de vous entendre critiquer les limites du BQP. Quoi qu’en pensent certains, les pénuries observées sur l’île de La Réunion sont aussi, pour partie, les conséquences du blocage des prix. Je mesure vos propos et je sais qu’ils représentent la réalité. Je pourrais vous répondre en lisant des fiches et sans, au fond, vous répondre vraiment. Comme pour votre collègue Mathiasin, je préfère choisir une autre option : je vous propose, si vous l’acceptez, qu’on en parle concrètement, en partant des éléments étayés par la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les outre-mer – dès qu’elle est terminée. Je ferai remonter la question ultramarine en général et réunionnaise en particulier à Bruno Le Maire. J’entends le désarroi, pour ne pas dire le désespoir des Réunionnais, que vous exprimez ; cette question mérite une vraie réponse, et ne saurait être expédiée en deux minutes. Je suggère de convenir d’un rendez-vous avec Bruno Le Maire ou du moins avec ses équipes, et, quoi qu’il en soit, avec moi, pour en parler et essayer de comprendre ce que nous pourrions faire mieux.
Mme la présidente
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne (GDR)
Madame la ministre déléguée, vous êtes entre autres chargée des PME, les petites et moyennes entreprises, et des TPE, les très petites entreprises. Notre échange montre qu’il y a une pression pour faire baisser les prix : nous le demandons nous-mêmes, nous pointons l’insuffisance des contrôles. La consommation de certains produits, notamment de produits de qualité, est également en recul, car la grande masse des gens ne peut plus se les permettre. Parmi les constats que vous faites, notez-vous des difficultés particulières pour les PME et les TPE ? Le monde de la très petite, de la petite et de la moyenne entreprise traverse-t-il une période difficile en lien avec ces problèmes ? Je parle notamment des PME et des TPE de l’agroalimentaire. Leurs difficultés peuvent d’ailleurs parfois être liées à la décapitalisation – la vente de vaches laitières et la baisse de la production handicaperaient ainsi les laiteries. Ces entreprises peuvent également buter sur des questions environnementales, notamment liées à l’eau. Quels constats faites-vous et quelles solutions pouvez-vous apporter spécifiquement aux TPE et aux PME ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
Je n’oublie pas le commerce de proximité, et je travaille avec ses acteurs sur des stratégies anti-inflation, mais n’oublions pas que 72% de nos compatriotes font leurs courses dans les zones commerciales qui hébergent des grandes et moyennes surfaces ; c’est pourquoi je commencerai par elles. Contrairement à ce qu’on pourrait penser – ce n’est pas très bon signe, mais c’est intéressant à noter, car la consommation fait également partie de mes attributions –, les produits dont la consommation chute le plus actuellement dans ces enseignes, ce ne sont pas les aliments de la meilleure qualité, mais les plats cuisinés – pré-préparés, parfois surgelés –, donc transformés et saturés en acides gras. Ils sont moins consommés, au profit de produits frais, ce qui signifie que cette vague inflationniste pousse à refaire de plus en plus la cuisine. On aura l’occasion d’en parler dans le cadre d’un échange sur la consommation responsable, mais il faut le souligner.
Les PME sont a priori exposées, bien entendu. Elles sont quelque 50 000, et couvrent 200 000 à 250 000 salariés. Plusieurs actions que j’ai engagées les ont toutefois protégées.
D’abord, fin 2022, sans renfort médiatique et sans flonflons, mais à la suite de beaucoup de travail, on a obtenu de l’ensemble des acteurs de la grande distribution et des organisations professionnelles qu’ils s’engagent à assumer la hausse du prix de l’électricité et du gaz, si les PME sont capables de le justifier. Cela a permis à nos PME de faire passer sur eux, pour ainsi dire, leur hausse de prix. Je rappelle également que les PME ont beaucoup augmenté les salaires, et ont pu avoir tendance à répercuter ces hausses sur les prix. Les négociations se sont plutôt bien passées.
La question est importante et les marchés qu’elle touche, complexes ; c’est pourquoi, madame la présidente, je me permets de prendre un peu de temps.
On protège aussi les PME grâce à la remontée des volumes dans le cadre du trimestre anti-inflation. Les produits frais – le lieu, le cabillaud, la viande rouge et blanche, les volailles – connaissent des augmentations de volume à deux chiffres : 15%, 20%, voire 25% pour certains produits. Quand ces produits sont vendus en grande surface et qu’il s’agit des MDD, ils proviennent, à 95%, des PME françaises de l’agroalimentaire. Certains distributeurs – vous le savez, président Chassaigne – ont leur propre production et leurs abattoirs. Le fait que les paniers anti-inflation comprennent beaucoup de MDD représente aussi un soutien très fort aux PME de l’agroalimentaire, majoritaires parmi les producteurs de ces produits qui remontent actuellement en volume.
J’ajoute que les PME ne seront pas concernées par les renégociations commerciales visant à baisser les prix – Bruno Le Maire et moi-même l’avons expressément demandé.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 17 mai 2023