Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur le projet de loi Industrie verte, Paris le 16 mai 2023.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Présentation du projet de loi Industrie verte

Texte intégral

Je suis très heureux de vous retrouver ce matin, avec Roland Lescure et Christophe Béchu, pour vous présenter ce projet de loi sur l'industrie verte.

Il s'inscrit dans un contexte économique radicalement nouveau, marqué par trois changements majeurs :

  • L'accélération de la transition climatique et l'accélération des technologies qui vont avec, par exemple sur les batteries électriques ou les panneaux solaires ;
  • Une réorganisation des chaînes de valeur après la Covid, d’une ampleur inédite depuis plusieurs décennies. Nous voyons naître une nouvelle mondialisation, où chacun défend ses intérêts, où la Chine et les États-Unis se sont engagés dans une rivalité technologique, économique et financière. Dans ce contexte, tout l'enjeu pour l’Europe consiste à affirmer son indépendance ;
  • Des taux d'intérêt qui se sont brutalement relevés, mettant fin à une période où l'argent était peu cher. Cela rend le financement de la transition écologique toujours plus difficile, alors même que nous devons rétablir nos finances publiques. L'équation financière est aujourd'hui plus compliquée qu'hier, pour tout le monde.

Nous présentons ce projet de loi avec deux atouts décisifs.

Nous avons désormais une politique industrielle nationale et une politique industrielle européenne.

La France a longtemps fait le contraire de ce qu'il fallait pour conserver des usines sur son territoire. Le résultat, ce sont 2,5 millions d'emplois perdus depuis 1975 et 600 entreprises industrielles qui ont par exemple fermé entre 2009 et 2016.

Avec le président de la République, nous avons fixé pour objectif de remonter la part de l'industrie dans le PIB de 10 à 15%, avec des décisions majeures : allègement de la fiscalité sur le capital, simplification des procédures, accent sur la formation…

Les résultats sont déjà là puisque la France réouvre des usines. C'est que j'appelle avoir enfin une politique industrielle digne de ce nom.

Le deuxième atout, c'est la politique industrielle européenne. Il s'agissait auparavant un gros mot : aucun Etat européen n'acceptait cette idée.

Nous avons gagné cette bataille avec le président de la République, grâce à notre ténacité, grâce à des propositions concrètes, grâce au soutien de nos partenaires allemands et grâce à des instruments concrets et efficaces comme les PIIEC ou les nouveaux instruments sur les aides d'État.

Nous comptons utiliser ces deux atouts, politique industrielle nationale et politique industrielle européenne, avec rapidité et détermination.

Qu'est-ce que l'industrie verte ?

L'industrie verte recoupe deux stratégies différentes mais complémentaires :

  • Décarboner les industries existantes, qui représentent aujourd'hui 18% des émissions de CO2. Nous ne voulons pas construire l'industrie de demain sur les ruines de l'industrie du passé, mais renforcer cette dernière en la décarbonant. Nous pourrons compter pour cela sur un parc nucléaire unique ;
  • Produire massivement des technologies vertes, les "big 5" : pompes à chaleur, éolien, photovoltaïque, batteries, hydrogène vert. Il faut choisir des filières pour avoir des résultats. Nous arrêtons de nous disperser.

L'objectif final, c’est de faire de la France la première nation décarbonée en Europe.

Quels instruments nous allons utiliser ?

Nous allons utiliser des instruments révolutionnaires, qui marquent un changement d’approche radical et volontaire dans notre relation à l’industrie.

La question est simple : de quoi avons-nous besoin pour construire une usine, avec des technologies dedans et des gens pour la faire tourner ?

La première chose, c'est le foncier.

Dans un pays qui n'est pas extensible à l'infini, où il faut faire attention aux paysages, le foncier est un défi considérable. Beaucoup de projets ont échoué ces dernières années pour cette raison.

Nous allons engager quatre mesures claires, simples et radicales.

 1ère mesure
Mettre à disposition de l’industrie 50 sites intégralement dépollués, représentant 2000 hectares, grâce à l'action de la Banque des territoires, qui y consacrera 1 Md€ d’ici 2027.

 2ème mesure
Diviser par deux les délais d’ouverture ou d'agrandissement d’une usine en France, de 17 mois réels à 9 mois réels.

Nous passerons pour cela d'une procédure "successive" à une procédure "parallèle".

La procédure successive, que nous utilisons actuellement, fonctionne par addition :

  • Dépôt du dossier et analyse de la DREAL, 2 mois ;
  • Avis de l'autorité environnementale, 2 mois ;
  • Enquête publique, 1 mois ;
  • Rapport du commissaire enquêteur, 2 mois ;
  • Rédaction de l'arrêté d’autorisation : 2 mois.

Si l'on ajoute aussi les délais de transmission et le temps pour obtenir l'accord définitif, cela nous amène aux 17 mois réels en moyenne.

Bientôt, le dépôt du dossier, l'analyse de la DREAL et l'analyse de l'autorité environnementale se feront en même temps. Cela permettra de gagner un temps considérable et d'avoir une consultation publique plus approfondie, puisqu'elle passera de 1 mois à 3 mois.

Il ne s'agit pas d'être moins-disant sur la consultation publique, bien au contraire.

 3ème mesure

Rehausser la créance environnementale au rang des créances privilégiées, pour la première fois en France. Il s'agit d'une mesure très politique.

Le but est de récupérer 25% des sommes nécessaires pour dépolluer les sites.

 4ème mesure

Elle concerne les projets d'intérêt national majeur. Pour l'installation de gigafactories, nous agirons par décret. L'État prendra la main de manière à accélérer les procédures sur le raccordement électrique, la modification du PLU ou encore les permis de construire. Il n'y aura également qu'un seul degré de juridiction pour les recours.

Les trois critères pour définir ces projets d’intérêt national majeur seront l’impact sur l’emploi, l’impact sur l’environnement et la souveraineté nationale.

Cette procédure exorbitante du droit commun est nécessaire pour attirer en France de plus grands investissements, synonymes d'un plus grand nombre d'emplois.

Le deuxième élément décisif, c'est l'argent.

L'industrie coûte cher car elle demande du capital et des financements.

La spécificité de la France, c'est que nous serons désormais la seule nation en Europe à disposer des trois modalités pour le financement industriel, indispensables pour atteindre des objectifs ambitieux : les crédits d'impôt, les subventions et la mobilisation de l'épargne privée.

Nous voulons faire feu de tout bois, dans une période difficile sur le plan budgétaire, avec des taux d’intérêt à la hausse, pour que les financements ne proviennent pas seulement des fonds publics.

Sur les crédits d'impôt

Il y a plusieurs dizaines de milliers d'emplois à la clef. Nous serons le premier pays européen à utiliser la facilité européenne du "Temporary Crisis Framework". Ces crédits d'impôt peuvent être mobilisés sur des projets décidés jusqu'à la fin 2025, et s’étaler jusqu'à la fin 2029.

Il n'y a donc pas une minute à perdre. Nos concurrents n'attendront pas.

Ces crédits d'impôt concerneront les investissements incorporels -- brevets, licences – et corporels dans les secteurs des panneaux solaires, des éoliennes, des batteries électriques et des pompes à chaleur. L'hydrogène fait l'objet de dispositifs de soutien spécifiques (PIIEC).

Les taux de ces crédits d’impôt seront de 20 à 45%.

Leur coût est évalué à environ 500 M€ par an et sera financé par :

  • Le déplafonnement du malus à 50% du prix du véhicule et la révision des critères de masse et de CO2 sur les véhicules ;
  • Le verdissement des flottes des entreprises, notamment sur le barème CO2 et le barème de l'ancienneté du véhicule ;
  • Les limitations des dépenses fiscales brunes, qui seront examinées dans le PLF 2024. La logique est simple : on finance le vert en limitant le brun.

Sur les subventions

La BPI engagera 2,3 Md€ de prêts directs ou de garanties pour le financement de l'industrie verte.
Je précise que toute subvention sera conditionnée à la mesure de l'empreinte carbone des entreprises. Le diagnostic BEGES sera notamment obligatoire pour les plus grandes de ces entreprises.

Sur l’épargne privée

Avec d'abord la mise en place d’un Plan Epargne Climat, dont nous attendons 1 Md€ de collecte, grâce à une rémunération qui devrait être sur le long terme supérieure à celle du livret A ; une grande sécurité ; des conditions fiscales très attractives, similaires à celles du livret A, puisqu'à la sortie ce sera 0 impôt et 0 cotisation.

Aucun autre produit financier n'a des conditions fiscales aussi favorables. J'invite tous ceux qui le peuvent à ouvrir un Plan Epargne Climat pour leurs enfants.

Nous souhaitons aussi que, dans le PER et l'assurance-vie, au moins une unité de compte soit consacrée aux investissements verts. Il s'agira d'une obligation légale.

Au total, nous voulons ainsi mobiliser 5 Md€ d'épargne privée pour le financement de l'industrie verte.

Le troisième grand volet de ce projet de loi, c'est la protection.

Face au tournant de la mondialisation, nous assumons de mieux protéger nos intérêts économiques.

Nous mettrons d'abord en place un label "Excellence Environnementale Européenne" – triple E. Ce label représentera un bonus pour toute entreprise qui a un comportement vertueux, avec notamment un accès privilégié à la commande publique, qui représente 150 Md€ par an.

Il s'agira d'une transformation profonde de la culture des acheteurs publics, où les critères économiques et écologiques seront appréciés au même niveau.

Avec le président de la République et la Première ministre, nous modifierons ensuite les critères du bonus électrique.

Ce bonus représente 1,2 Md€ par an, dont 40% sont déjà partis Asie depuis le mois de janvier 2023. Or, nous n'avons pas vocation à financer sur des fonds publics le développement des usines en Asie.

Nous voulons donc exclure du bonus les véhicules électriques à faible performance environnementale.

Nous suivrons notamment des critères d'émissions liés à la fabrication, comme le bilan carbone de l'acier utilisé ou l'utilisation de matériaux recyclés et biosourcés.

Ces mesures vont conduire à réserver le bonus à des véhicules produits en Europe. Je rappelle qu'un véhicule électrique produit sur notre continent émet en moyenne 45% de moins qu'un véhicule produit hors Europe.

Enfin, nous voulons renforcer la formation et la qualification.

Le projet de loi comportera des mesures sur ce sujet comme l'augmentation de 22% des places dans les Ecoles des Mines et Telecom à horizon 2027, la création de 100 écoles de production, toujours à horizon 2027, et le renforcement de l'attractivité des métier industriels.

Ces objectifs doivent aller de pair avec la féminisation : j'ai demandé aux écoles de Bercy de viser 28 % de femmes à horizon 2030, contre 20% aujourd'hui.

En conclusion, pour la première fois, nous avons évalué l'empreinte carbone de ce texte, avec un gain de 41 millions de tonnes équivalent CO2 d'ici 2030. Cela représente 5% des émissions de nos biens importés.

Je souhaite que cela devienne l'usage sur d'autres textes.

Je rappelle aussi que nous avons échangé avec tous les groupes parlementaires, pour écouter et tenir compte de leurs propositions.

Je souhaite que nous puissions dégager une majorité cet été, lors du vote de ce projet de loi


Je vous remercie


source https://www.economie.gouv.fr, le 23 mai 2023