Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, à BFM Business le 16 mai 2023, sur l'énergie nucléaire.

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Média : BFM Business

Texte intégral

LAURE CLOSIER
Et notre " Grand entretien"» ce matin, c’est Agnès PANNIER-RUNACHER, bonjour. Ministre de la Transition énergétique. Le club du nucléaire va se réunir pour la troisième fois ce matin, dans quelques minutes, c’est deux réunions pour pouvoir avoir un impact sur la politique industrielle européenne et la politique énergétique. C’est vous qui êtes à l’origine de ce club du nucléaire. Il y a 16 pays, il n’y a pas l’Allemagne, mais il y a un invité surprise aujourd’hui, c’est la Grande-Bretagne. Ça veut dire quoi d’inviter la Grande-Bretagne dans cette réunion ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour. Alors, effectivement, j’ai lancé ce club du nucléaire pour rendre visibles tous les pays, tous les Etats membres de l‘Union européenne qui aujourd’hui investissent dans le nucléaire, parce que nous pensons qu’avec les énergies renouvelables, il n’est pas question d’opposer nucléaire et énergies renouvelables, nous avons, avec le nucléaire aussi, un levier de décarbonation de nos économies, c’est absolument indispensable si on veut atteindre nos ambitions climatiques. Et le Royaume-Uni, c’est un pays qui aujourd’hui est en cours de construction de deux réacteurs nucléaires, deux EPR 2 à Hinkley Point C…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Par EDF.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Par EDF en l’occurrence, et qui a pris la décision d’en construire deux supplémentaires. Donc c’est un pays qui est réengagé, lui aussi, dans l’aventure nucléaire, mais à la différence de la Finlande, qui vient de connecter son réacteur nucléaire, puisque vous savez que le réacteur finlandais, là aussi livré par EDF, fonctionne aujourd’hui à pleine puissance en Finlande. Le Royaume-Uni est, lui, au milieu du chantier et peut faire un retour d'expérience aux autres pays européens, pour dire : eh bien, je constate par exemple qu'entre le premier réacteur et le deuxième réacteur, on constate 30% de gains de productivité, je vois l’état de la filière nucléaire européenne, je peux vous dire que 90% de mes sous-traitants sont européens, donc c'est une énergie qui est totalement souveraine en Europe, à la différence de beaucoup d'autres énergies, où nous dépendons par exemple de la Chine, je pense aux panneaux photovoltaïques.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, on a plein de questions, parce que vous dites : souverain, on dépend aussi, pour l'uranium notamment, de pays étrangers, on dépend de la Russie pour le retraitement aujourd'hui, donc ça, il y a débat…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors ça, ce n’est pas exact, je veux le préciser, la France ne dépend pas de la Russie…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Pour le carburant, mais pour le retraitement, on en dépend…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, non, parce que nous pouvons nous passer du retraitement du combustible usé, ce n'est pas indispensable dans le fonctionnement… et nous ne le faisons pas tout simplement parce que le coût de renoncer à ce contrat avec la Russie apporterait de devises à la Russie compte tenu des sanctions qui sont prévues dans le contrat que de le mettre à minima, ça, c'est important de le dire, parce que c'est un petit peu la fake news qui tourne. Et en fait, la France est totalement indépendante de la Russie, et c'est pour ça que nous sommes une solution pour les pays de l'Est, qui ont des centrales russes, parce qu’elles ont été construites au moment de l'Union soviétique, et aujourd'hui, elles veulent se désengager de la Russie.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, c'est une précision, mais en même temps, vous reconnaissez qu'effectivement, on ne va pas dénoncer le contrat avec les Russes, ça nous coûterait trop cher de le dénoncer aujourd'hui…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ça apporterait trop de devises à la Russie par rapport à ce que leur rapporte aujourd'hui le contrat, et donc, nous, nous ne sommes pas là pour servir la soupe à la Russie.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, vous dites que c'est complémentaire des renouvelables, vous savez que ça fait débat en Europe, c'est d’ailleurs pour ça que vous organisez ce club des 16, parce que certains pays, comme l'Allemagne, disent qu'on n'a pas besoin du nucléaire, qu'on peut aller vers la transition totale, vers un 100 % d'énergies vertes, ça veut dire qu’il y en a un des deux, les Français ou les Allemands qui, dans 20 ans, on pourra dire : eh bien, ils se sont trompés en 2023, selon vous, c'est les Allemands qui se trompent aujourd'hui ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, moi, vous savez, je me fixe sur ce que disent les experts, et aujourd'hui, que ce soit l'Agence internationale de l'énergie ou le Haut Conseil pour le climat ou d'autres, ils constatent d'abord que le nucléaire est une énergie bas carbone. Et par ailleurs, ils constatent qu’il y a une croissance des projets nucléaires, pas seulement en Europe, j'ai cité le Royaume-Uni, mais également au Japon, on parle de relancer la filière, aux Etats-Unis, en Inde, en Chine, le nucléaire est aujourd'hui considéré comme un des leviers importants de décarbonation. L'Allemagne choisit un autre chemin qui repose en fait sur le gaz naturel et sur le fait de mettre en place de la capture carbone, c'est un chemin qui est possible, nous, nous pensons qu'il est dommage, a fortiori quand on est la France, et qu’on a cette filière nucléaire d'excellence, de se priver de cette filière nucléaire, et nous sommes aujourd'hui plus d'un pays sur deux dans l'Union européenne à penser la même chose.

LAURE CLOSIER
Qu'est-ce qui doit sortir de ce club après ces réunions de ce matin, c'est des recommandations, c'est un plan industriel, c'est des accords entre pays, c'est quoi l'objectif ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, c'est plusieurs choses, d'abord, je veux rappeler que la Commission européenne participe à cette réunion. Ce qui montre bien l'intérêt de l'Union européenne en tant qu’institution pour le nucléaire.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
L’intérêt, mais il y a des petits doutes, parce que, par exemple, on doit se battre à chaque fois pour que le nucléaire soit reconnu par les instances européennes, dans tous les projets de loi, dans toutes les directives, comme effectivement une énergie verte, en tout cas, décarbonée.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors décarbonée, sans problème, mais effectivement, l’énergie nucléaire n'a pas un statut d'énergie renouvelable, à ce titre, nous, on n’a pas de problème pour dire que l'énergie nucléaire est différente de l'énergie renouvelable, là où nous avons un problème, c'est de faire une différence en termes de financement ou en termes de soutien, nous pensons qu'il faut de la neutralité technologique, et c'est la position que je porte systématiquement, et avec cette coalition, et qui a permis de déboucher sur des avancées. C’est vrai qu'il y a trois ans, vous avez raison de le souligner, prononcer le mot nucléaire au niveau européen, c'était très tabou, et ce que nous avons fait sous l'égide du président de la République, c'est de reprendre la main sur le nucléaire, de montrer que c'était un des éléments de la solution, pas l'élément unique pour la lutte contre le réchauffement climatique, et que nous avions tout intérêt, parce que c'est un sujet évidemment d'indépendance énergétique, mais c'est un sujet industriel, lorsqu'on va construire de nouveaux réacteurs, c'est 100.000 emplois que nous allons créer, 100.000 recrutements que nous allons faire dans les dix années qui viennent, et on a la même chose au niveau européen. Et donc pour revenir à votre question, qu’est-ce qui est important…

LAURE CLOSIER

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, c’est un plan industriel, ce que nous voulons, c'est un plan industriel, comment on finance, comment on fait monter en compétences la filière nucléaire, puisque, elle est aujourd'hui capable de produire quasi intégralement les réacteurs nucléaires en Europe, et encore une fois, c'est un très gros avantage par rapport à d'autres énergies sur lesquelles nous sommes dépendants de pays qui sont à l'autre bout du monde. Comment on forme, je parle de 100.000 personnes que nous devons recruter, il va falloir les former, c’est des chaudronniers, des tuyauteurs, des soudeurs, c'est la même chose dans les autres pays qui veulent relancer leur filière nucléaire, comment on innove, on fait de la recherche et développement, vous accueilliez tout à l'heure…

LAURE CLOSIER
De NEWCLEO…

AGNES PANNIER-RUNACHER
NEWCLEO sur votre plateau, ce sont des projets qui sont extrêmement intéressants, qui peuvent permettre justement de faire du nucléaire quasiment une énergie renouvelable, pour le coup, si on gère le problème des déchets, et ça, il faut qu'on le fasse ensemble, parce qu'on ira plus vite, parce qu'on aura plus l'impact, et parce qu'il faut s'organiser.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, vous parliez de NEWCLEO effectivement qu’on a reçue, qui est une startup italo-britannique, européenne, on va dire, du nucléaire, qui va investir trois milliards en France, pour fabriquer en France le prototype du petit réacteur nucléaire, ce qu'on appelle les SMR, pour fabriquer aussi la partie combustible, ce n'est pas dangereux cette prolifération d'acteurs privés, de startups, un peu comme dans le spatial, dans le domaine du nucléaire ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, il faut savoir que l'Autorité de sûreté nucléaire, elle y veille, et elle validera tous les projets, c'est d'ailleurs un des enjeux aussi de notre coopération européenne, c'est comment on coordonne l'ensemble des Autorités de sûreté nucléaire pour partager les informations et faire en sorte qu'effectivement, on ait le plus haut niveau de sécurité et de sûreté nucléaire par rapport aux projets qui interviennent. Lorsqu’on est au niveau du laboratoire, ces travaux ne posent pas de problème particulier, bien sûr, ils sont accompagnés, bien sûr, ils sont accompagnés. Là, où vous avez raison, c'est que, il faudra qu'on soit attentif, et nous le serons, sur le développement de nouveaux réacteurs. Ce que prévoit la loi aujourd'hui, le projet de loi qui va être voté dans les prochaines heures, je l'espère, à l’Assemblée nationale…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Qui revient à l'Assemblée, oui…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce projet d'accélération, c'est qu'on n’installe pas de nouvelles infrastructures nucléaires en dehors des zones qui ont déjà accueilli du nucléaire, on le fait en proximité de zones qui ont l'expérience du nucléaire, parce que, oui, vous avez raison, l'énergie nucléaire est une énergie qui appelle une attention particulière en matière de sûreté et de sécurité, et ce que permet ce projet de loi, qui va être très largement voté au niveau du Parlement, c'est, au fond, aussi, d'intégrer des notions de sûreté et de sécurité nucléaire complémentaires.

LAURE CLOSIER
Et les questions de sûreté et de sécurité, et les questions de dépendance, vous en parliez, est-ce que vous avez l'impression, dans cette transition énergétique, c'est juste un choix de qui nous serons dépendants dans les futures années, c'était la Russie, désormais, ça sera peut-être la Chine, c'est ça notre choix aujourd'hui en matière énergétique ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, je ne le crois pas, et c’est tout l’enjeu de la réindustrialisation que nous portons, vous savez que depuis six ans avec le président de la République, nous avons relancé la machine industrielle, je suis bien placée pour en parler, j'ai été presque quatre ans ministre en charge de l'Industrie, et au travers de l'énergie, aujourd'hui, je redéveloppe des filières sur le photovoltaïque, sur l'éolien, sur le nucléaire évidemment. Donc tout l'enjeu, c'est précisément de ne pas remplacer une dépendance, les dépendances que nous avons aujourd'hui, elle est aux énergies fossiles, c'est le pétrole, c'est le gaz, par une autre dépendance…

LAURE CLOSIER
Sur les métaux rares, on ne peut rien faire en France, on n'a pas les capacités…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, ce n’est pas tout à fait exact, et précisément, si vous avez suivi Choose France, Choose France, c’est 13 milliards d'euros d'investissements annoncés par des investisseurs privés, essentiellement dans l'industrie, et à peu près, plus de la moitié qui correspondent à des projets de transition énergétique, et notamment sur la batterie électrique, sur la transformation des terres rares, les terres rares ayant une spécificité, c'est qu'elles ne sont pas rares, elles sont très largement distribuées dans le monde…

LAURE CLOSIER
Il faut aller les chercher…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il y en a, y compris d'ailleurs, en France, vous savez qu'on soutient un projet de lithium dans le centre de la France, par contre, c'est leur transformation qui aujourd'hui est quasi intégralement dans les mains de la Chine, et avec, par exemple, un projet comme celui annoncé par XTC et ORANO à Dunkerque, eh bien, on est en train de mettre en place cette brique qui va nous permettre effectivement de construire notre propre capacité à transformer ces terres rares.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce qu’on va assez vite, parce que quand on reçoit des énergéticiens dans l'éolien offshore par exemple, ils nous disent que la nouvelle loi qui va être à l'Assemblée aujourd'hui, c'est bien, mais que ça ne va pas assez vite, c'est encore des délais trop longs par rapport à ce qui se passe au Royaume-Uni, en Allemagne. Et puis, il y a l'IRA américain, il y a beaucoup par exemple de professionnels de l'hydrogène vert qui nous disent : on va plutôt aller fabriquer l’hydrogène vert aux Etats-Unis, parce qu'on est plus subventionné qu'en Europe et en France.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, d'abord, première chose, et je pense que c'est utile que ceux qui nous écoutent le sachent, nous avons développé les énergies renouvelables depuis dix ans, exactement au même rythme que l'Allemagne.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Pourtant, on a moins d'éolien, de champs d'éolien en France qu’en Allemagne.

AGNES PANNIER-RUNACHER
En mer, c’est exact, mais lorsque vous regardez la somme de toutes les énergies renouvelables que nous avons déployées, en 2012, nous étions tous les deux, les deux pays, du côté de 13% de notre consommation finale, en 2021, la France est à 19,4%, l'Allemagne est à 19,2%. Donc, vous voyez, c'est strictement la même trajectoire, ça, je pense que c'est important de le faire, on se flagelle souvent, en fait, le bilan est un peu plus nuancé qu'il n'y paraît. La deuxième chose, c'est que, alors, ce n'est pas la loi d'accélération du nucléaire, c'est une autre loi que j'ai également portée au Parlement et qui a également été largement votée…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Sur les renouvelables…

AGNES PANNIER-RUNACHER
La loi d’accélération sur les renouvelables va permettre de gagner plusieurs années sur la mise en oeuvre des projets d’éolien en mer. Mais, oui, il faut appeler absolument accentuer le rythme, et surtout, donner de la visibilité aux acteurs, on s'y emploie, notre objectif, c'est d'avoir une planification grosso modo des zones qui peuvent accueillir des parcs éoliens marins, et sur cette base-là, de pouvoir lancer des appels d'offres beaucoup plus importants, ce qui permettra aux acteurs de se positionner, et puis, d'avoir de la visibilité sur les différents projets et de pouvoir s’organiser pour investir.

LAURE CLOSIER
Merci beaucoup, Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de la Transition énergétique, d'avoir été avec nous. On vous laisse rejoindre votre club du nucléaire.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 24 mai 2023