Interview de M. Olivier Becht, ministre chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, au journal italien "Il Sole 24 Ore" le 26 mai 2023, sur les relations franco-italiennes et les questions européennes.

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  • Olivier Becht - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger

Média : Il sole 24 ore

Texte intégral

"Je suis heureux de rencontrer mes collègues italiens. Ce qui fonctionne entre nous est positif pour nos échanges, pour nos économies et donc pour nos compatriotes. Permettez-moi d'avoir une pensée particulière pour les Italiens d'Emilie-Romagne, si éprouvés par les inondations".

Q - Beaucoup de Français pensent comme vous, Monsieur le Ministre. Et aussi de nombreux entrepreneurs français qui achètent en fait des entreprises italiennes. Au fil des années, les relations entre les entreprises des deux pays se sont intensifiées. Il y a deux jours, l'accord entre Chanel et Brunello Cucinelli sur la filature de laine de Cariaggi a été signé. Mais en Italie, on souhaite une plus grande réciprocité entre ceux qui vendent et ceux qui achètent.

R - Les entreprises italiennes qui ont investi en France sont très dynamiques et les entreprises françaises envient souvent votre dynamisme. 2022 a été une année record, avec cent trente-neuf projets d'investissements italiens en France, soit une augmentation de 45% en un an. Ces derniers jours, le président Macron, avec l'événement "Choose France", a reçu des entrepreneurs du monde entier. Eh bien, sur les 28 projets annoncés, dans le monde entier, pas moins de cinq sont italiens. L'Italie est le cinquième investisseur en France, il y a eu d'importantes acquisitions, et je ne parle pas seulement de Stellantis ou d'Essilor, mais pour ne donner qu'un exemple, le groupe Campari a acheté Gran Marnier. En termes de réciprocité, la France s'engage et l'esprit dans lequel nous travaillons aujourd'hui est précisément celui de réduire l'écart des années passées.

Q - Les relations entre le Medef et la Confindustria sont constantes et les deux présidents, Carlo Bonomi et Geoffroy Roux de Bezieux, ont toujours maintenu le dialogue ouvert. Même en période de froid politique. Dans quelle mesure cela a-t-il compté ?

R - Les relations personnelles sont importantes et celles entre le président Bonomi de Confindustria et le président Roux de Bézieux le sont certainement. C'est précisément parce que je crois aux relations personnelles que je me rends en Italie pour la première fois en tant que vice-ministre avec un grand désir de collaborer avec des collègues italiens. L'Italie est notre quatrième partenaire commercial, et il y a aussi 2119 entreprises françaises en Italie. Nous sommes votre premier investisseur, votre deuxième employeur étranger en Italie. Il y a une interdépendance entre nos deux pays qui est bonne pour nous deux et les relations entre le Medef et la Confindustria contribuent à faire avancer cette dynamique.

Q - Mais le ministre de l'intérieur a attaqué le premier ministre italien sur l'immigration et les relations politiques sont redevenues difficiles. À Hiroshima, le président Macron et Giorgia Meloni se sont longuement entretenus et le climat s'est détendu, mais en Italie, certains pensent que la France joue au bon flic, mauvais flic.

R - Je ne dirais pas cela comme ça. La relation entre la France et l'Italie est fondée sur le respect mutuel que nos gouvernants ont l'un pour l'autre. Rien ne se construit sans ce respect. La relation entre nos pays est fondée sur la conviction que nous travaillons ensemble pour l'Europe. Nous l'avons fait au moment de la création de l'Europe, dans toutes ses étapes fondatrices. Ensemble, nous avons pu réaliser plus de choses que jamais auparavant, et nous l'avons fait grâce à l'Europe. Nous le savons bien et l'Italie le sait aussi parce qu'elle a souvent été un acteur majeur mais aussi, malheureusement, victime ces dernières années des divisions à l'égard de l'Europe. En ce qui concerne la question migratoire, personne ne peut répondre seul à un défi de cette ampleur, ni la France, ni l'Italie, ni la Grèce, ni l'Espagne. Nous ne pouvons le faire qu'au niveau européen, ensemble, sans critiquer personne. Nous avons tout intérêt à dialoguer pour répondre, chacun au niveau national, de la meilleure façon possible.

Q - Giorgia Meloni est au pouvoir depuis six mois. Quel bilan tirez-vous de cette première phase ?

R - Il ne nous appartient pas d'évaluer l'action des autres gouvernements européens, et ce qui vaut pour l'Italie de Giorgia Meloni vaut pour un autre Etat européen. La France respecte le choix que les Italiens ont fait démocratiquement et je suis prêt à travailler avec mes collègues de votre gouvernement. Car c'est ensemble que nous avançons. Nous avons évoqué la collaboration entre le Medef et la Confindustria, je rencontrerai ici mes homologues des ministères de l'économie et des affaires étrangères dans un esprit de respect mutuel constructif. Nous devons décider comment répondre à l'inflation, comment penser la réforme du commerce international, comment penser le multilatéralisme... Autant de questions qui ne peuvent être abordées qu'ensemble.

Q - Justement, quand choisirons-nous ? Pour citer l'économiste Jean Pisani Ferry, l'Europe ne peut pas être à la fois la championne de l'environnement, du multilatéralisme, du respect du déficit. Elle doit faire des choix.

R - Il y a deux priorités. La première : si l'on veut maintenir le commerce multilatéral, il faut que chacun respecte les règles du jeu. La concurrence doit être loyale : on ne peut plus dire "je veux que les autres ouvrent leur marché à mes produits mais pas le mien à ceux des autres". On ne peut plus dire "je donne des avantages à mes produits mais je ne permets pas aux autres d'en faire autant avec les leurs". C'est fondamental. C'est le cœur de la réforme du commerce mondial. Nous devons fixer les règles du jeu et avoir la possibilité de sanctionner ceux qui ne les respectent pas.

Q - Un message pour la Chine et les Etats-Unis. Et la deuxième priorité ?

R - La deuxième chose, c'est de s'organiser par rapport à ceux qui ne respectent pas les règles. C'est de cela que l'on parle quand on parle de souveraineté européenne. C'est ce que veut dire le président Macron. C'est structurer l'industrie européenne pour produire des microprocesseurs, pour produire des batteries, pour renforcer les énergies alternatives nécessaires à la transition énergétique, mais aussi le nucléaire, qui est important pour nous parce que nous en aurons besoin dans le mix énergétique. Nous devrons nous organiser contre ceux qui ne veulent pas respecter nos règles en menaçant la production européenne (je pense aux mesures anti-dumping, aux instruments anti-subventions) qui pourraient menacer la compétitivité des entreprises européennes. Je pense à d'éventuelles mesures contre les pays qui sanctionnent les produits européens pour des raisons politiques. C'est la base d'une stratégie qui, pour soutenir nos entreprises, mobilise des crédits européens comme ceux du plan industriel Green Deal ou du Chips Act et d'autres plans européens au service des transitions numériques et environnementales. L'Europe pourra se défendre plus fortement, mais elle doit changer de philosophie. Dans le passé, nous étions très influencés par les philosophies libérales. Aujourd'hui, nous sommes entrés dans une autre dimension : rester ouvert au monde oui, mais pas à n'importe quel prix. Nous voulons protéger les hommes et la planète, je pense à la lutte contre la déforestation, le travail des enfants, les mesures contre le dumping social, sanitaire et environnemental. Nous devons imposer aux producteurs non européens les mêmes règles qu'en Europe.

Q - En ce qui concerne les produits alimentaires, l'Italie se bat contre le "nutriscore" à Bruxelles. Cela n'a pas beaucoup de sens de limiter la consommation d'huile d'olive et de stimuler celle des boissons gazeuses, n'est-ce pas ?

R - Ce sont des questions qui sont débattues à Bruxelles et qui nécessitent évidemment une harmonisation européenne pour éviter les distorsions de concurrence. Ce que nous souhaitons tous, c'est que l'information du consommateur soit plus claire, pour défendre la qualité nutritionnelle des produits.

Q - Réponse diplomatique, Monsieur le Ministre. Mais revenons à la division politique, même pas trop déguisée, que nous avons évoquée au début en citant les déclarations du ministre Darmanin. Nous sommes déjà en campagne électorale pour les élections européennes de 2024 : une éventuelle alliance entre le PPE et les conservateurs (menés par Giorgia Meloni en Europe) perturbe-t-elle la France du président Macron ?

R - De la même manière que je ne juge pas l'action des gouvernements, je vous dis qu'il n'est pas de tradition de commenter les accords potentiels entre partis. Les élections européennes sont des élections démocratiques, l'important est de sauvegarder l'esprit de l'Europe qui nous a garanti la paix et la prospérité et qui nous permettra de faire face aux défis qui attendent le continent. L'important, c'est la souveraineté européenne. Si nous sommes d'accord sur ces points, il sera également normal d'avoir des points de vue différents sur la manière de les atteindre. Et ce sont les citoyens qui choisissent.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mai 2023