Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, à France Info TV le 31 mai 2023, sur l'inauguration d'une usine de batteries électriques dans le Pas-de-Calais, la sobriété énergétique, la lutte contre la fraude sociale et la proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites.

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Texte intégral

ALIX BOUILHAGUET
Agnès PANNIER-RUNACHER, bonjour.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Alix BOUILHAGUET.

ALIX BOUILHAGUET
Ministre de la Transition énergétique, merci d'être avec nous ce matin. Juste avant d'évoquer effectivement cette gigafactory qui a été inaugurée hier, un mot sur ce qui se passé hier au conseil des ministres. Emmanuel MACRON a repris Elisabeth BORNE sur ses propos concernant le RN, ‘parti héritier de Pétain'. Au-delà du fond, pourquoi est-ce qu'il fait ça ? Pourquoi désavouer publiquement sévèrement sa Première ministre ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors Alix BOUILHAGUET, je vais avoir beaucoup de mal à commenter cette séquence, puisque moi j'étais à l'inauguration de la gigafactory d'ACC et je pense que c'est le meilleur symbole de ce qu'on peut répondre au Rassemblement national. C'est-à-dire créer de l'emploi sur un territoire qui a connu le chômage, qui a connu la pauvreté et faire en sorte d'apporter des réponses concrètes aux Français.

ALIX BOUILHAGUET
Je reviens néanmoins à ce qui s'est passé en conseil des ministres. Sur la forme, est-ce qu'il n'y a pas un manque de tact vis-à-vis d'une Première ministre qui a vu son père rescapé des camps, qui est pupilles de la nation de la recadrer de cette façon ? Est-ce qu'il prépare tout simplement la sortie d'Elisabeth BORNE du gouvernement ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors d'abord, je ne serai pas dans le commentaire puisque, comme je vous l'ai indiqué, la part de vrai dans ce qui est relayé par les médias, je ne la connais pas.

ALIX BOUILHAGUET
En général, quand c'est relayé, quand c'est en conseil des ministres…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je veux juste dire que moi, j'ai le plus profond respect pour le parcours de la Première ministre. Je pense que pupille de la nation, son père qui s'est suicidé et qui s'est suicidé parce qu'il a été déporté, et on sait dans quelles conditions ces personnes sont revenues, je crois que c'est très important de ne pas perdre le fil de la mémoire. Après, aujourd'hui on doit être dans l'action, on doit apporter des réponses aux Français. Moi je suis sur un territoire où les gens votent beaucoup pour le Rassemblement national parce qu'ils ont le sentiment qu'on ne s'occupe pas assez d'eux, et c'est pour ça que je pense qu'il faut agir sur le terrain et c'est ce que nous faisons et c'est ce que nous faisions hier.

ALIX BOUILHAGUET
Donc pour vous, c'est n'est pas un début de divorce entre Elisabeth BORNE et Emmanuel MACRON.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, je ne crois pas.

ALIX BOUILHAGUET
Il l'a recadrée sur le 49.3, il l'a recadrée sur l'immigration, il la recadre maintenant sur le RN. Ça fait beaucoup.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne crois pas et je pense que beaucoup de gens essaient d'alimenter la chronique. La réalité, c'est que nous sommes tous au travail, au service des Français.

ALIX BOUILHAGUET
Alors hier, vous étiez effectivement sur place dans le Pas-de-Calais pour inaugurer cette première usine française de production de batteries. Elle pourrait produire 800 000 batteries chaque année, c'est aussi 2 000 emplois directs. Ça veut dire quoi ? C'est-à-dire qu'on a tiré les leçons du Covid, que c'est fini la perte de notre indépendance énergétique ? On a repris le contrôle ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
D'abord, ça fait six ans que nous nous battons avec le président de la République pour réindustrialiser la France. Je veux le dire ici parce que ce n'est pas une décision qu'on a prise la semaine dernière. C'est un travail de fond. Moi quand je suis rentrée au gouvernement en 2018, je n'ai eu de cesse, que ce soit avec la casquette industrie ou avec la casquette énergie, de travailler à la réindustrialisation de la France, tant c'est important socialement pour créer des bons emplois que pour le climat, puisque ce qu'on produit en France a une empreinte carbone bien meilleure qu'à l'étranger. Alors effectivement, nous reprenons la main sur notre souveraineté politique, économique, sociale. Economique évidemment parce que quand on produit, on n'est plus dépendant du reste du monde et on l'a vu pendant la crise du Covid, mais c'est une conviction qu'on avait bien avant. Je rappelle que c'est sous la précédente mandature que nous avons créé 300 usines, ça n'avait jamais été fait depuis 30 ans. Et puis, c'est une reprise en main aussi politique parce que l'idée c'est de ne plus être dépendant de pays qui ne sont pas nécessairement nos alliés.

ALIX BOUILHAGUET
Alors est-ce qu'on est sûr ? On mise sur les batteries électriques, est-ce qu'on est sûr qu'on mise sur la bonne formule ? Certains parlent de l'hydrogène. Est-ce qu'on n'est pas en train de faire une erreur d'appréciation sur l'avenir ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
D'abord, on mise sur toutes les énergies qui vont permettre de décarboner l'économie et la France a clairement fait des choix. C'est-à-dire que nous n'avons pas rejeté le nucléaire par exemple, et ceux qui nous disent qu'on peut se passer…

ALIX BOUILHAGUET
Juste sur le nucléaire, un petit mot. Il y a 6 EPR, ce sera pour quand ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
6 EPR. Le premier EPR, vous savez que le dossier d'autorisation de construction va être déposé courant juin par EDF. Nous continuons à travailler sur le programme et effectivement, dans le cadre de la loi de planification énergétique, j'aurai l'occasion de présenter ces options aux députés et aux sénateurs. J'ai déjà lancé des groupes de travail qui rassemblent la plupart des composantes.

ALIX BOUILHAGUET
Et quelle échéance ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est l'automne et c'est pour une construction d'un réacteur qui aurait vocation à être livrée vers 2037. C'est du travail au long cours mais c'est absolument indispensable si nous voulons effectivement produire l'électricité dont nous avons besoin pour décarboner notre économie.

ALIX BOUILHAGUET
Sur l'emploi, avec ces nouvelles usines, l'Union européenne a décrété la fin des voitures thermiques en 2035. Est-ce que les salariés de ces usines qui vont bientôt fermer seront automatiquement régulés vers les nouvelles usines ? Est-ce qu'il y aura des formations appropriées ? Est-ce que personne ne sera laissé sur le carreau ? Les syndicats craignent cela.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors d'abord, je vais être très claire. Aujourd'hui nous avons des problèmes de recrutement, c'est-à-dire nous ne sommes pas dans une situation où nous créons du chômage, nous sommes dans la situation inverse où beaucoup d'entreprises industrielles nous disent : je n'ai pas assez de chaudronniers, je n'ai pas assez de soudeurs, je n'ai pas assez de tuyauteurs. Je citais le cas du nucléaire…

ALIX BOUILHAGUET
Donc vous lancez un appel à la main-d'oeuvre des salariés.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non seulement je lance un appel à ceux qui aujourd'hui travaillent dans le secteur industriel et veulent rebondir peut-être dans d'autres secteurs, mais surtout je lance un appel à ceux qui ne travaillent pas dans le secteur industriel. Que ce soient les jeunes ou que ce soient des personnes par exemple dans le secteur des services, et qui peuvent s'intéresser à la fois à la lutte contre le changement climatique mais également qui cherchent des emplois stables, bien rémunérés.

ALIX BOUILHAGUET
Et sur les reconversions donc, ceux qui sont actuellement dans des usines de voitures thermiques ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et donc forcément les gens qui ont une culture industrielle et qui ont travaillé dans l'industrie, très mécaniquement vont se retrouver à avoir des propositions. Je le redis, sur la seule filière nucléaire on parle de 100 000 recrutements dans les dix ans qui viennent. Nous avons depuis six ans créé plus de 90 000 emplois industriels donc c'est très concret. La transition énergétique, c'est aussi beaucoup d'opportunités, beaucoup d'opportunités pour les jeunes et beaucoup d'opportunités pour les gens en reconversion.

ALIX BOUILHAGUET
La Chine, elle possède aujourd'hui encore la moitié des parts de marché mondiales de l'industrie des batteries. Elle maîtrise aussi toutes les étapes de la construction de ces batteries, des composants. Les composants, ils vont toujours venir de Chine. On continue quand même à rester dépendant.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors ça dépend. Tout l'enjeu, c'est effectivement de recréer une chaîne de la batterie électrique en Europe, et nous sommes en train de la créer puisque le président de la République a annoncé donc quatre usines de batteries qui sont en construction. Mais également nous avons des projets de recyclage, nous avons des projets en amont sur la manière de prendre des terres rares. Alors les terres rares, elles sont dans le monde entier ; en revanche, il faut les transformer pour pouvoir les intégrer dans les batteries, et ça nous commençons à avoir des projets à Dunkerque. Donc vous voyez, nous ne nous laissons pas faire. Il y a cinq ans, tout le monde nous disait : c'est impossible Tout le monde nous disait, moi je m'en souviens très bien, nous riait au nez en disant : attendez, 85 % de parts de marché aux Chinois et aux Coréens, jamais vous ne serez capables de produire des batteries électriques en France. Aujourd'hui la réalité, c'est qu'on est en train de produire des batteries électriques qu'on a quatre gigafactories qui arrivent dans le nord de la France et qu'on est en train de mettre en place les composants de cette filière. Il faut célébrer ce succès.

ALIX BOUILHAGUET
L'été arrive, il va faire chaud, il fait déjà chaud parfois dans certaines régions. Vous comptez relancer une campagne sur la sobriété énergétique. Concrètement, vous allez à nouveau fixer les gestes du quotidien, la température de la clim ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors je veux rappeler une chose : le plan sobriété, c'est d'abord un plan que l'on travaille avec les grandes entreprises, les grandes collectivités locales et les grandes administrations. C'est aux gros acteurs de faire les efforts de refroidissement.

ALIX BOUILHAGUET
Mais on va revoir des campagnes de pubs comme on a vu cet hiver ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais effectivement, nous allons accompagner ce travail que je mène avec 300 fédérations donc ce n'est pas rien : dans le sport, dans la culture, dans la grande distribution, dans tous les champs de notre activité de notre quotidien. Une campagne à destination des Français pour les orienter. Beaucoup de Français nous disent…

ALIX BOUILHAGUET
Par exemple la clim', on sait déjà à quel niveau elle sera fixée au maximum ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors la clim', vous serez peut-être surprise de le savoir mais lorsque nous sommes arrivés en 2017 au gouvernement, il était déjà prévu par la loi qu'elle ne soit pas mise en route avant qu'il ne fasse 26 degrés, donc nous nous contentons de rappeler la loi. La différence avec nos prédécesseurs, c'est qu'aujourd'hui c'est appliqué. Le 19 degrés, vous vous souvenez pour le chauffage de cet hiver, de température de consigne, c'est dans la loi depuis 1978. La différence avec ce gouvernement, c'est que ç'a été appliqué et en particulier par les gros acteurs du bâtiment, et c'est ça qui nous a permis de diminuer notre consommation de gaz et d'électricité de près de 12 %. C'est absolument massif. Nous avons fait en 3 mois ce que nous n'avions pas été capable de faire en 30 ans.

ALIX BOUILHAGUET
Un mot concernant la lutte contre la fraude sociale, c'est le plan qui a été présenté hier par Gabriel ATTAL. Elle est estimée à 8 milliards cette fraude ; or avec son plan, le gouvernement ne vise que 2 à 3 milliards de récupération d'ici à 2027. On s'attendait quand même à beaucoup plus d'ambition sur ce terrain de la lutte contre la fraude sociale. Pourquoi tant de prudence ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, je crois que nous sommes des gens sérieux. C'est-à-dire qu'on ne brasse pas des chiffres en milliards en disant qu'on va apporter des recettes à notre budget. La réalité c'est qu'en revanche, on recrute 1 500 agents pour la lutte contre la fraude fiscale, on recrute 1 000 agents publics pour la lutte contre la fraude sociale et c'est une nouvelle étape que nous franchissons. Je veux rappeler ici que ces cinq dernières années, nous avons augmenté les récupérations d'argent public pour la fraude sociale de 35% - pardon, de 100% et de 35% pour la fraude fiscale. Donc vous voyez, on agit, c'est concret et effectivement nous, on raconte la vérité aux Français.

ALIX BOUILHAGUET
Fusionner la carte d'identité et la carte Vitale, c'est une des grosses mesures. Est-ce que c'est n'est pas aussi un petit peu là pour le coup ambitieux ? Déjà on met 100 jours, les Français mettent en moyenne 100 jours pour obtenir leur carte d'identité. Cette fusion, c'est pour quand et ça va se passer comment ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
D'abord on va étudier la manière de mettre en oeuvre cette possibilité.

ALIX BOUILHAGUET
Donc vous étudiez la faisabilité ? Ça veut dire que peut-être qu'on peut se rendre compte que finalement on va garder la carte Vitale biométrique ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Vous savez, on est effectivement très pragmatique. L'enjeu que nous avons, c'est de lutter contre la fraude sociale et la fraude fiscale.

ALIX BOUILHAGUET
Donc ce n'est pas acquis la fusion de la carte d'identité et de la carte Vitale.

AGNES PANNIER-RUNACHER
L'enjeu que nous avons, c'est de lutter contre la fraude sociale et la fraude fiscale, de mettre les agents sur le terrain pour le faire et les outils technologiques pour le faire, et c'est ce que nous allons faire. C'est très concret. Je crois que les Français, ils veulent que l'argent public soit bien employé et que les impôts qu'ils payent aient du sens.

ALIX BOUILHAGUET
Et Gérald DARMANIN qui n'était pas au courant alors que c'est son attribution de distribuer les cartes d'identité. On a senti un coup de froid.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non. Là encore, la chronique alimente l'écume de débat. Nous, nous sommes une fois de plus au travail. Nous avons des propositions concrètes. Nous allons récupérer des milliards. C'est une forme d'injustice que des gens qui paient leurs impôts soient confrontés à des gens qui ne les payent pas. C'est la même chose pour la fraude sociale et je veux rappeler une chose sur la fraude sociale : c'est que la première cause de fraude sociale, c'est des employés qui ne payent pas les cotisations sociales. C'est des salariés qui ne sont pas protégés et qui ne bénéficient pas de système maladie etc, donc c'est d'une injustice c'est criante.

ALIX BOUILHAGUET
Un dernier mot ce matin sur ce qui va se passer à l'Assemblée nationale. La commission des affaires sociales va se prononcer sur la recevabilité de la proposition de loi qui vise à abroger la réforme des retraites. On sent que le gouvernement, il fait tout pour empêcher un vote le 8 juin. Pourquoi ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors non. Par contre, nous nommons les choses. C'est-à-dire ce projet de loi est inconstitutionnel et c'est évidemment techniquement un acquis puisque…

ALIX BOUILHAGUET
Inconstitutionnel parce qu'il aurait une charge publique trop lourde qui ne serait pas compensée. En clair, il grèverait les budgets de l'État.

AGNES PANNIER-RUNACHER
En fait, on parle de la bagatelle de 15 milliards et vous avez un principe dans la Constitution qui est qu'on ne présente pas de projet de loi si ça grève dans des proportions qui ne sont pas financées. Et je le dis d'autant plus que Charles de COURSON pendant des années – je rappelle qu'il doit être à son cinquième mandat, peut-être même plus – pendant des années a mis en avant ce principe pour retoquer des amendements. Donc on est dans l'hypocrisie la plus totale.

ALIX BOUILHAGUET
J'entends. Mais vous savez aussi que beaucoup de propositions de loi sont validées alors qu'elles présentent souvent une charge publique et il y a toujours eu une tolérance. Il le compense avec sa taxe en 2023 sur le tabac.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, c'est ça. Ça veut dire qu'il va falloir… Donc Charles de COURSON nous explique que les Français doivent plus…

ALIX BOUILHAGUET
Vous ne voulez pas assumer un débat et un vote à l'Assemblée nationale.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, non, le débat on l'a eu et on l'a eu pendant de longues heures, et je rappelle que ceux qui crient au déni de démocratie sont ceux qui ont bloqué le débat en déposant 20 000 amendements d'une puissance incroyable du style ‘1er janvier, 2 janvier, 3 janvier, 4 janvier'. Donc vous voyez, la NUPES a refusé le débat, la NUPES n'a pas permis d'examiner tous les articles du texte et ont bloqué l'examen du texte. Et maintenant, ces tartuffes prétendent qu'on bloquerait le débat. Nous, nous nommons les choses. Ce n'est pas le gouvernement qui va examiner le projet de loi et ce n'est pas le gouvernement qui a les moyens de l'arrêter. En revanche, nous ne laissons pas les tartuffes raconter que ce projet de loi tient la route : il ne tient pas la route, c'est une vérité difficile à entendre mais c'est comme ça.

ALIX BOUILHAGUET
Les tartuffes ont entendu. Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER, bonne journée à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er juin 2023